III. LA RÉGULATION DES INSTALLATIONS DES PRATICIENS LIBÉRAUX : UN DISPOSITIF CONTRAIGNANT QUI DOIT REPOSER SUR L'ADHÉSION DES PROFESSIONNELS
Concernant les mesures plus contraignantes de régulation géographique des installations, en vigueur actuellement pour seulement deux professions de santé et dont l'extension aux médecins est parfois préconisée, votre commission des affaires sociales a exprimé une position constante que les travaux de vos rapporteurs ne les conduisent pas à remettre en question : sans négociation avec les professionnels de santé concernés et sans leur assentiment, une évolution de cette nature pourrait être inefficace au regard des enjeux des zones sous-dotées.
A. LES MESURES ISSUES DE LA NÉGOCIATION CONVENTIONNELLE ONT RÉPONDU À DES ENJEUX PROPRES À CERTAINES PROFESSIONS
1. Le conventionnement sélectif en vigueur pour les infirmiers et sages-femmes
Les négociations conventionnelles entre l'assurance maladie et certains professionnels de santé libéraux ont conduit à restreindre les principes de liberté d'installation et de conventionnement automatique afin de contribuer, en complément des aides individuelles visant à attirer les professionnels dans les zones sous-dotées, au rééquilibrage territorial de l'offre de soins.
Le dispositif de « conventionnement sélectif », effectif à ce jour pour deux professions (infirmiers et sages-femmes), conditionne l'accès au conventionnement dans les zones identifiées comme sur-dotées à la cessation définitive de l'activité libérale d'un confrère conventionné.
• Pour les
infirmiers
libéraux, cette mesure a été introduite dans
l'avenant n° 1 à la convention nationale approuvé en
octobre 2008, d'abord à titre expérimental pendant deux ans,
avant d'être pérennisée par l'avenant signé en
septembre 2011, avec un doublement des zones concernées.
Les représentants du conseil national de l'ordre des infirmiers ont rappelé à vos rapporteurs que la profession y était favorable . Cette mesure s'est inscrite dans un contexte de croissance très dynamique des effectifs. Corrélée à un enjeu de régulation des dépenses, elle a été le fruit d'un compromis dans la négociation (en contrepartie d'une hausse tarifaire) et un moyen de revaloriser la profession : comme cela a été souligné, les actes infirmiers de soins, ou nursing , avaient tendance à se développer dans les zones à forte densité, jouant un rôle de variable d'ajustement de l'activité, au détriment des actes « coeur de métier », les actes médico-infirmiers, plus importants dans les zones où la densité en professionnels est faible.
• Pour les
sages-femmes
libérales, également confrontées à une
croissance dynamique de leurs effectifs, un dispositif similaire a
été introduit, en même temps que le levier incitatif dans
les zones sous-dotées, par l'avenant n° 1 à la
convention nationale du 9 janvier 2012.
• Enfin, l'avenant n° 3 à la
convention nationale des
masseurs-kinésithérapeutes
libéraux, approuvé par l'arrêté du 10
janvier 2012, a prévu un dispositif similaire. Toutefois,
ces
dispositions ont fait l'objet d'une annulation par le Conseil d'État le
17 mars 2014
, ce qui montre, comme l'a rappelé la
présidente du conseil national de l'ordre des masseurs-
kinésithérapeutes lors de son audition, les réticences que
ce dispositif avait soulevé dans une partie de la profession, notamment
au vu des conditions très contestées de mise en place du
zonage.
Le Conseil d'État a considéré que ces mesures ne pouvaient être approuvées en l'absence d'une habilitation expresse du législateur. La base législative a été introduite à l'article 72 de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 : sans imposer ce type de régulation pour les professions visées, l'article L. 162-9 du code de la sécurité sociale ouvre désormais la possibilité, pour les masseurs-kinésithérapeutes mais également les chirurgiens-dentistes, de fonder l'accès au conventionnement sur des critères géographiques.
Un nouveau projet d'avenant conventionnel , établi en mai 2017 à la suite des négociations engagées entre l'assurance maladie et les représentants des masseurs-kinésithérapeutes, envisage de rétablir le conventionnement sélectif dans les zones sur-dotées, en parallèle d'un renforcement des aides dans les zones sous-dotées et d'une revalorisation des actes. Toutefois, les deux syndicats ont annoncé, le 10 juillet, refuser de le signer , jugeant les revalorisations tarifaires insuffisantes.
2. Un impact encore marginal sur les inégalités territoriales
Les mesures de conventionnement sélectif ont permis un rééquilibrage, réel quoique modéré, de l'offre sur le territoire.
• En ce qui concerne les
infirmiers
libéraux, la part des installations dans les
zones « sur-dotées » a été
réduite de moitié entre 2010 et 2016 (passant de 25 %
à 12,4 %). Cependant, le mouvement s'est davantage fait au profit
des zones dites « intermédiaires », en dépit
des aides financières instituées en cas d'installation dans les
zones « très sous-dotées ».
En outre, la dynamique semble s'essouffler : la part des installations dans les zones sur-dotées reste stable, avec un nombre d'installations dans ces zones qui augmente même en valeur absolue depuis 2013.
Les représentants de l'ordre des infirmiers ont estimé les effets des mesures réels quoiqu'insuffisants (les écarts de densité sont passés d'un rapport de 1 à 9 à un rapport de 1 à 7). Ils ont noté des « effets de bord », avec un contournement des mesures par des installations dans des zones frontières des zones sur-dotées, ou l'utilisation du remplacement, qui limitent l'impact du dispositif .
• En ce qui concerne les
sages-femmes
, l'évolution de la part des installations
dans les zones sur-dotées est plus sensible, celle-ci étant
passée de près de 24 % en 2012, au moment de l'adoption de
la mesure de régulation, à moins de 10 % en 2016.