B. CINQ PROPOSITIONS POUR MIEUX VALORISER LES MARQUES ET SAVOIR-FAIRE FRANÇAIS EN MATIÈRE CULTURELLE
1. Définir une stratégie plus active de gestion et de valorisation des grandes « marques » culturelles
La France ne manque pas d'opérateurs culturels extrêmement prestigieux et pourtant, elle ne compte aucune institution qui, à l'instar du MoMa de New York ou du Victoria & Albert Museum au Royaume-Uni, ait développé une stratégie de valorisation de marque originale et cohérente sur plusieurs années.
Le terme même de « marque culturelle » est parfois récusé au titre qu'il marquerait une commercialisation du patrimoine incompatible avec les missions de conservation et de transmission des oeuvres qui incombent aux institutions muséales. Il est clair que la valorisation de la marque ne saurait devenir l'axe principal de la gestion d'un musée, mais opposer aux missions d'intérêt général des institutions culturelles une logique purement « commerciale », nécessairement avilissante, est illusoire dans son objet et stérile dans ses effets.
La valorisation de la marque peut au contraire permettre aux musées de toucher des publics nouveaux . Comme le note Mathilde Gautier au sujet des produits dérivés, la stratégie de marque participe directement de la diffusion de l'image du musée hors de ses murs 20 ( * ) .
Il paraît donc nécessaire que les musées français les plus connus se dotent d'une stratégie active de gestion de leur marque et de leur image . Ils pourraient y être aidés par l'Agence du patrimoine immatériel et de l'État et la Réunion des musées nationaux.
Recommandation n° 1 : Afin de rénover l'offre de produits dérivés et ses canaux de distribution, mettre en oeuvre une stratégie plus active de gestion et de valorisation des marques culturelles des grands musées, en lien avec l'Agence du patrimoine immatériel de l'État et la Réunion des musées nationaux (RMN-GP). |
2. Renforcer le dialogue entre le ministère de la culture et celui des affaires étrangères
Alors que le ministère des affaires étrangères dispose d'un réseau culturel étendu, le ministère de la culture ne paraît pas tirer pleinement parti des postes à l'étranger, dont la connaissance des enjeux et des acteurs locaux serait précieuse aux opérateurs culturels .
Comme le note l'inspection des affaires culturelles dans un rapport de 2010 relatif à l'action internationale des établissements culturels publics, « au-delà de cas exemplaires de partenariat approfondi entre un établissement public et un poste à l'étranger [...], le constat général est plutôt celui d'une juxtaposition, avec des synergies ponctuelles et aléatoires entre l'action des établissements publics culturels et celle des postes culturels à l'étranger » 21 ( * ) .
Il s'agit donc de renforcer les échanges entre les deux ministères , notamment en prévoyant une information systématique du ministère des affaires étrangères sur les demandes de coopérations culturelles et les différents projets culturels en cours.
Recommandation n° 2 : Renforcer le dialogue entre le ministère de la culture et celui des affaires étrangères et impliquer plus étroitement les services diplomatiques culturels français à l'étranger afin que les projets des opérateurs du ministère de la culture bénéficient de relais jouissant d'une bonne connaissance du terrain et des acteurs locaux. |
3. Développer, à moyen terme, une stratégie ministérielle de valorisation de l'expertise française en matière d'ingénierie culturelle
L'absence de coordination entre le ministère de la culture et celui des affaires étrangères s'explique peut-être, pour partie, par la relative absence de coordination au sein même du champ culturel .
Celle-ci ne résulte pas d'une indifférence du ministère aux questions de valorisation de l'expertise culturelle , comme en témoigne la désignation récente d'un chargé de mission ou la signature de la convention avec Expertise France.
Mais les coopérations entre opérateurs culturels restent marquées par des logiques d'affinités personnelles entre responsables d'établissements publics, au demeurant très soucieux de l'autonomie de leurs institutions .
Cependant, si l'Agence France-Muséums constituait une sorte de laboratoire « grandeur nature » d'une coopération poussée des musées nationaux, jusque-là relativement inédite, force est de constater que l'expérimentation paraît fonctionner de façon satisfaisante .
Il serait donc opportun, à moyen terme, de développer une stratégie ministérielle de valorisation de l'expertise française en matière d'ingénierie culturelle à l'étranger en s'appuyant sur la convention conclue avec Expertise France pour repérer les zones géographiques et les secteurs à fort enjeu afin de mieux coordonner l'action des différents musées, en envisageant de structurer des partenariats associant des entités moins connues à des institutions bien identifiées à l'international .
Recommandation n° 3 : Développer, à moyen terme, une stratégie ministérielle de valorisation de l'expertise française en matière d'ingénierie culturelle à l'étranger en s'appuyant sur la convention conclue avec Expertise France pour repérer les zones géographiques et les secteurs à fort enjeu afin de mieux coordonner l'action des différents musées, en envisageant de structurer des partenariats associant des entités moins connues à des institutions bien identifiées à l'international. |
4. Autoriser les établissements culturels dont les besoins le justifient à créer une structure dédiée à la valorisation de leur savoir-faire en matière d'ingénierie culturelle
Les stratégies ministérielles et interministérielles les mieux conçues resteront sans effet si les opérateurs culturels, qui détiennent l'expertise culturelle française, ne disposent pas des moyens nécessaires à la mise en oeuvre d'une véritable stratégie de valorisation de leur expertise patrimoniale.
En effet, alors même que les sollicitations ne manquent pas, les grands musées française ne disposent pas des ressources pour y répondre et ne sont pas structurées pour cela : l'établissement public administratif se prête mal, par définition, au développement d'une logique commerciale. En outre, la plupart des demandes nécessitent la participation de plusieurs opérateurs et, en l'absence d'une structure durable de coopération et de coordination, les partenariats se limitent à des projets « au coup par coup ».
La création d'une structure dédiée permettrait aux opérateurs culturels les plus importants de bénéficier d'une structure légère et agile pour organiser une offre face à la demande, réelle, qui ne trouve, pour l'heure, pas d'interlocuteur .
Il ne s'agirait pas de concurrencer le secteur privé mais bien de créer des prestations qui n'existent pas encore, notamment en matière de formation et d'ingénierie culturelle, par exemple pour aider les nombreux musées qui se créent dans le monde à organiser leurs galeries, à former leurs guides conférenciers...
Le grand musée qui serait à l'origine de la création de la structure dédiée bénéficierait du statut d'actionnaire principal, mais une telle entité devrait associer plusieurs opérateurs culturels complémentaires , de tailles diverses , afin que le prestige associé à un « grand nom » culturel bénéficie à des musées moins connus - son nombre d'actionnaires publics serait néanmoins beaucoup plus réduit que celui de l'Agence France-Muséums afin de garantir la lisibilité de la structure. Les entités ainsi créées devraient également comporter un ou plusieurs actionnaires privés minoritaires qui apporteraient leur expérience et leur connaissance du secteur privé.
L 'exemple de l'Agence France-Muséums montre que le statut privé d'une société détenue par des établissements publics culturels ne se traduit pas nécessairement par un lâcher-prise de la tutelle . Au surplus, les nouvelles entités créées seraient appuyées sur le principe de l'autofinancement et n'auraient aucunement vocation à être financées par des crédits budgétaires.
La création d'une structure dédiée à la valorisation du savoir-faire français en matière d'ingénierie culturelle doit donc être autorisée pour les opérateurs culturels qui en font la demande et dont les besoins le justifient . A minima , elle devrait être expérimentée pendant quelques années. Si les opérateurs culturels publics ne valorisent pas leur marque et leur savoir-faire, des acteurs privés finiront par construire une offre : la qualité des prestations et les recettes pour l'État qui en résulteraient seraient certainement d'un niveau plus faible.
Recommandation n° 4 : Pour donner les moyens aux grands musées français de répondre aux nombreuses sollicitations dont ils sont l'objet, autoriser les établissements culturels dont les besoins le justifient à créer une structure dédiée à la valorisation de leur savoir-faire en matière d'ingénierie culturelle en partenariat avec d'autres établissements publics et des acteurs privés. |
5. Éviter la dispersion des savoir-faire acquis dans le cadre du projet du Louvre Abou Dhabi
Depuis dix ans, l'Agence France-Muséums a développé une expertise et des outils de suivi de projet et de mise en oeuvre adaptés au domaine culturel et muséal .
Il est probable que les effectifs de l'Agence soient fortement réduits dans les années à venir, dans la mesure où l'ouverture du musée limitera l'ampleur des prestations à apporter à la partie émirienne : les musées et l'administration du ministère de la culture doivent profiter de ce vivier de compétences pour renforcer leurs équipes.
Il serait donc opportun d'étudier les possibilités d'intégration au sein de l'administration du ministère de la culture, ou de certains établissements publics, d'une partie du personnel de l'Agence France-Muséums afin de mettre à profit l'expérience acquise dans le cadre du projet du Louvre Abou Dhabi.
Si une telle intégration s'avérait trop complexe, il serait a minima indispensable d'effectuer, quand l'ouverture du musée sera passée, un bilan complet des outils mis en oeuvre par l'Agence.
Recommandation n° 5 : Pour mettre à profit l'expérience acquise dans le cadre du projet du Louvre Abou Dhabi, étudier les possibilités d'intégration au sein de l'administration du ministère de la culture, ou de certains établissements publics, d'une partie du personnel de l'Agence France-Muséums. |
* 20 Mathilde Gauthier, « Marques muséales et produits dérivés », Juris Arts , n° 36, Paris, pp. 34-35.
* 21 Inspection générale des affaires culturelles, L'action internationale des établissements publics culturels , février 2010, p. 26.