N° 628

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2017

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' Agence France - Muséums ,

Par MM. Vincent ÉBLÉ et André GATTOLIN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Claude Nougein, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS ET RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Les principales observations

1) La création ex nihilo d'un musée universel à Abou Dhabi, portant le nom du Louvre et encadrée par un accord intergouvernemental d'une durée totale de trente ans, constitue un projet sans précédent d'un point de vue scientifique, diplomatique et financier. Il s'agit d'aider les Émirats à constituer un musée qui leur est propre et qui sera géré par une structure émirienne, et non d'ouvrir une annexe ou une succursale du Louvre.

L'expertise patrimoniale apportée par la France, encadrée par l'accord intergouvernemental du 6 mars 2007 et mise en oeuvre par le biais de l'Agence France-Muséums, se déploie ainsi sur quatre dimensions : les prêts permettant de compléter la collection permanente, l'organisation d'expositions temporaires, le conseil technique sur la conception et le fonctionnement du musée (par exemple sur la politique des publics, la sécurité des oeuvres...) et le processus d'acquisition. La France aide également les Émiriens à procéder aux acquisitions destinées au Louvre Abou Dhabi, ce qui ne fait pas l'objet d'une compensation financière spécifique.

2) Le projet du Louvre Abou Dhabi et ses incidences financières réelles pour les musées français demeurent pourtant mal connues. Les documents budgétaires ne comportent presque aucune indication sur le projet et aucun rapport officiel n'a été rendu public sur le sujet. C'est pourquoi il est paru utile, dix ans après la signature de l'accord du 6 mars 2007 entre la France et les Émirats arabes unis, de faire le bilan des actions menées du côté français et des perspectives pour les années à venir.

3) L'ambition du projet, qui exige un engagement exceptionnel de la France, explique l'ampleur des flux financiers associés au projet. Les contributions financières versées par les Émirats arabes unis s'élèvent ainsi, au total, à 974,5 millions d'euros, dont 400 millions d'euros au titre de la « marque » Louvre, 190 millions pour les prêts visant à compléter la collection permanente, 195 millions d'euros en lien avec l'organisation d'expositions temporaires et 165 millions d'euros au titre de l'expertise française en matière d'ingénierie culturelle.

Outre le Louvre, dont le rôle est prépondérant, ce sont onze établissements publics culturels français qui apportent leur expertise aux Émirats arabes unis à travers l'Agence France-Muséums, une société par actions simplifiée (SAS) de droit privé dont les musées sont actionnaires. En dehors de la licence de marque et du mécénat au profit du Louvre, tous les fonds transitent par l'Agence France-Muséums avant d'être, pour une part, reversés aux établissements publics culturels partenaires du projet : les fonds relatifs aux prêts et aux expositions temporaires sont intégralement redistribués tandis que la redevance finance principalement le fonctionnement de l'Agence France-Muséums.

4) Le pilotage du projet, assuré par la structure sui generis que constitue l'Agence France-Muséums est délicat : il s'agit à la fois de coordonner les établissements publics culturels français, de répartir entre eux les sommes versées par les Émirats et de mener un dialogue permanent avec la partie émirienne.

Au surplus, les marges de manoeuvre du directeur général de l'Agence sont limitées par une nécessaire coordination avec le Président-directeur du Louvre - ce qui se comprend aisément au regard de la place toute particulière qu'occupe le musée au sein du projet - mais aussi le président du Conseil d'administration de l'Agence, dont le rôle effectif apparaît plus important que ne pourrait le laisser penser la simple lecture des statuts.

La complexité du positionnement de l'AFM est renforcée par les enjeux financiers associés au projet, qui auraient pu créer des tensions avec les musées partenaires. En effet, du côté français, deux questions se posaient : la répartition de la redevance entre l'Agence France Muséums et les établissements publics culturels d'une part, et la distribution des sommes entre les établissements culturels d'autre part.

Les établissements partenaires se voient ainsi reverser une part de la redevance annuelle en raison de leur participation au projet et de l'engagement de leur expertise aux côtés des Émirats arabes unis.

Du côté des musées, le Louvre est l'établissement qui bénéficie des versements les plus importants, ce qui s'explique à la fois par la place singulière qu'occupe l'institution dans le paysage patrimonial français et par le rôle prépondérant du musée au sein du projet.

5) Loin d'être épuisé, l'enjeu budgétaire demeure considérable pour les années à venir, ce qui pose la question de l'affectation des sommes reçues par les établissements culturels dans le cadre de l'accord. Au total, alors qu'en principe environ la moitié des versements prévus par l'accord auraient dû être effectués au 31 décembre 2016, il s'avère que les paiements effectués par la partie émiratie représentent seulement un tiers environ du total des flux financiers prévus par l'accord de 2007 et plus de 500 millions d'euros doivent encore être versés à la France.

Cette situation tient pour partie à l'échéancier prévu par l'accord, qui répartit les versements sur toute la durée du partenariat franco-émirien mais résulte aussi du retard qui a été pris par rapport aux estimations initiales de 2007 : l'ouverture a été reportée de 2014 à 2017. Ce retard est principalement lié aux difficultés résultant, pour les Émirats arabes unis, de la crise financière de 2007-2008 et de la baisse du cours du

pétrole : face à la diminution des ressources budgétaires, une revue des politiques publiques a été lancée dans le courant de l'année 2011 et le projet, quoique finalement maintenu, a été ralenti pendant deux ans.

Du côté français, se pose donc la question de l'affectation des sommes importantes qui seront perçues dans le cadre de l'accord pour les années à venir .

Le principe de l'affectation des recettes au profit de dépenses d'investissement, et non de fonctionnement, qui est posé par la note conjointe du ministère de l'économie et des finances et du ministre de la culture et de la communication du 2 novembre 2016, paraît tout à fait pertinent.

6) Au total, dix ans après la signature de l'accord, le travail de l'Agence France-Muséums a rendu possible l'ouverture d'un musée d'envergure internationale dans un temps somme toute limité au regard des enjeux. La France doit donc s'honorer du rôle qu'elle a joué jusqu'ici dans le projet et la qualité du travail mené doit être soulignée.

7) L'ouverture prochaine du musée - qui devrait intervenir à la fin de l'année 2017 - verra la concrétisation des efforts déployés par la France et les Émirats depuis dix ans. Il s'agira d'une période cruciale et très délicate, qui appelle une grande vigilance de la part de la France, en particulier sur les conditions de transport, d'accueil et de conservation des oeuvres. L'envergure du projet et les forts enjeux symboliques qui lui sont attachés exigent une attention soutenue de la part non seulement de l'Agence, mais aussi des responsables politiques français, pour garantir que le musée, au sein duquel seront présentées, en année pleine, près d'un millier d'oeuvres issues des collections françaises (soit 20 à 25 % du total des prêts à l'étranger chaque année), sera à la hauteur à la fois des attentes des Émirats arabes unis et de la réputation du Louvre.

8) Le projet témoigne à la fois du pouvoir d'attraction des grandes institutions culturelles françaises et de la complémentarité des collections et des savoir-faire des musées nationaux. La création d'une structure fédérant douze établissements publics culturels a permis de faire dialoguer entre elles des institutions qui n'en avaient pas forcément l'habitude et de montrer l'intérêt d'une démarche collective associant des établissements dont l'histoire et les modes de fonctionnement diffèrent. Le Louvre Abou Dhabi n'aurait pas pu exister sans le Louvre, mais il est rendu possible par la participation de nombreux musées.

9) Ce projet exceptionnel invite à reconsidérer la politique française de valorisation de notre expertise culturelle. S'il serait vain de chercher à multiplier de tels projets - le partenariat franco-émirien serait en effet presque impossible à répliquer, tant en raison de la rareté de telles demandes que des ressources limitées dont disposent les musées pour y répondre - les enseignements tirés de l'expérience du Louvre Abou Dhabi doivent être mis à profit pour que la France tire pleinement parti du potentiel que représentent ses marques culturelles et son savoir-faire en matière d'ingénierie patrimoniale.

La coopération franco-émirienne autour du Louvre Abou Dhabi a montré que la valorisation de notre expertise en matière patrimoniale était intéressante à trois titres : elle participe du rayonnement de la France dans le monde, constitue une source de recettes supplémentaires pour les établissements - qui ne doit pas conduire à un retrait de l'État - et contribue à faire évoluer les méthodes de travail des établissements publics culturels à travers le contact avec d'autres publics et d'autres administrations.

Les recommandations

Recommandation n° 1 : Afin de rénover l'offre de produits dérivés et ses canaux de distribution, mettre en oeuvre une stratégie plus active de gestion et de valorisation des marques culturelles des grands musées, en lien avec l'Agence du patrimoine immatériel de l'État et la Réunion des musées nationaux (RMN-GP).

Recommandation n° 2 : Renforcer le dialogue entre le ministère de la culture et celui des affaires étrangères et impliquer plus étroitement les services diplomatiques culturels français à l'étranger afin que les projets des opérateurs du ministère de la culture bénéficient de relais jouissant d'une bonne connaissance du terrain et des acteurs locaux.

Recommandation n° 3 : Développer, à moyen terme, une stratégie ministérielle de valorisation de l'expertise française en matière d'ingénierie culturelle à l'étranger en s'appuyant sur la convention conclue avec Expertise France.

Recommandation n° 4 : Pour donner les moyens aux grands musées français de répondre aux nombreuses sollicitations dont ils sont l'objet, autoriser les établissements culturels dont les besoins le justifient à créer une structure dédiée à la valorisation de leur savoir-faire en matière d'ingénierie culturelle, en partenariat avec d'autres établissements publics et des acteurs privés.

Recommandation n° 5 : Pour mettre à profit l'expérience acquise dans le cadre du projet du Louvre Abou Dhabi, étudier les possibilités d'intégration au sein de l'administration du ministère de la culture, ou de certains établissements publics culturels, d'une partie du personnel de l'Agence France-Muséums.

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