C. LES TÉMOIGNAGES RECUEILLIS PAR LES CO-RAPPORTEUR-E-S
1. Profils d'agricultrices
a) Des parcours diversifiés
En 2006-2007, 82 % des femmes installées étaient des conjointes du précédent chef d'exploitation ; 13 % étaient des parentes 42 ( * ) .
Le schéma traditionnel d'accès à la profession a longtemps été fondé sur le mariage avec un agriculteur . Ainsi que l'ont fait observer des agricultrices rencontrées par les co-rapporteur-e-s en Vendée, certaines sont venues à l'agriculture « par hasard d'abord, par amour après », en tant que « femmes d'agriculteurs ». Lors de son audition par la délégation, le 23 mai 2017, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a toutefois relevé que « de plus en plus de conjointes d'agriculteurs travaillent en dehors de l'exploitation, comme infirmière, enseignante, etc. », sans plus épouser le travail de leur mari.
D'autres, issues ou non du milieu agricole, sont devenues agricultrices après une formation non agricole et, parfois, après avoir exercé une autre activité professionnelle dans un tout autre secteur (commerce, coiffure, secrétariat, comptabilité, restauration rapide, usine de confection). Le point de départ de cette orientation a dans certains cas été le fait que l'exploitation, à la suite d'une maladie ou d'un décès, manquait de bras. Lors de leur déplacement en Vendée, les co-rapporteur-e-s ont d'ailleurs entendu des témoignages d'attachement à un métier auquel certaines sont arrivées « par défaut » .
Au cours du colloque du 22 février 2017, Catherine Laillé, présidente de la Coordination rurale de Loire-Atlantique, a fait état d'un parcours de ce type. Salariée d'une coopérative, elle s'est formée pour rejoindre son mari sur l'exploitation. Marie-Christine Le Quer, associée avec son mari en EARL en 1988, a, dans le même esprit, exprimé le besoin de formation qu'elle avait ressenti, n'étant pas issue d'une famille d'agriculteurs, pour travailler avec son conjoint dans son exploitation laitière. Catherine Faivre-Pierret, installée en GAEC avec son mari dans le Doubs, a témoigné d'un itinéraire semblable : travaillant dans la restauration, elle est devenue l'associée de son mari après avoir poursuivi conjointement deux activités professionnelles (la restauration et l'exploitation) pendant plusieurs années 43 ( * ) .
Le témoignage vidéo de Christine Mougin (exploitation laitière et céréalière dans les Vosges), lauréate 2015 du prix Femmes en agriculture de Lorraine, projeté lors du colloque du 22 février 2017, illustre un parcours comparable : après avoir travaillé plusieurs années dans le commerce, elle a rejoint son mari dans l'exploitation et s'est découvert sur le tard une passion pour ce métier.
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a noté que, dans le cadre de ce type de parcours, les épouses d'agriculteurs ne « subissaient » plus le métier d'agricultrice comme l'avaient fait les générations précédentes : « Désormais, les agricultrices choisissent leur métier. Elles ont parfois un métier tout autre mais sont attirées par la qualité de travail de leur mari et trouvent plus agréable de travailler avec lui qu'à l'extérieur de leur exploitation. Elles rejoignent l'exploitation vers l'âge de trente ans après avoir suivi une formation, puisqu'on ne peut s'improviser éleveur, agriculteur ou maraîcher ». Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale de la Confédération paysanne , entendue par la délégation le 7 juin 2017, a pour sa part évoqué son « véritable coup de foudre » de Parisienne pour l'agriculture.
Toutefois, ainsi que l'a souligné lors du colloque du 22 février 2017 Karen Serres, ancienne présidente de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA et présidente de la commission régionale des agricultrices de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles de Midi-Pyrénées, « L'agriculture reste [...] aujourd'hui encore très liée à ce qu'on appelle un patrimoine familial ». Les jeunes filles qui font le choix de l'enseignement agricole initial sont ainsi souvent issues de familles d'agriculteurs .
La reprise de l'exploitation semble de surcroît plus facile pour celles qui ne sont pas en concurrence avec un frère auquel il pourrait sembler naturel de léguer l'exploitation, même si Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a estimé lors de son audition que « Les pères qui voient leur fille s'installer éprouvent une vraie fierté ».
La délégation a ainsi entendu des témoignages d'agricultrices qui, pour reprendre l'exploitation familiale, n'ont pas été confrontées à cet obstacle, comme Marie-Blandine Doazan, issue d'une fratrie de cinq filles : « je n'ai pas été en rivalité avec un frère », a-t-elle fait observer lors du colloque du 22 février 2017. D'autres témoins rencontrés au cours des déplacements des co-rapporteur-e-s ont estimé que, face à un frère qui n'était pas candidat à la reprise de l'exploitation familiale, le fait de succéder à leurs parents ne leur avait pas posé de problème.
Parmi les profils d'agricultrices qui, issues de familles agricoles, ont suivi un cursus initial qui les préparait au métier qu'elles avaient choisi, certaines s'installent avec leur mari, comme Anne Leclerq, exploitante agricole dans le Loiret entendue lors du colloque du 22 février 2017 qui, fille d'agriculteur, s'est installée avec son mari après des études d'ingénieure. Karen Chaleix, secrétaire générale de Jeunes agriculteurs , entendue le 1 er juin 2017, offre un exemple similaire : après un DUT d'agronomie et une école d'ingénieurs spécialisée en agriculture, elle rejoint son mari, déjà installé.
D'autres en revanche mènent leur propre projet d'installation , comme Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, qui après une formation initiale spécialisée lui ayant donné un bon « bagage agricole et technique », s'est dans un premier temps installée seule dès l'âge de 19 ans, en reprenant une exploitation voisine de celle de ses parents, dans le Cantal, avant de s'installer avec son mari dans le Maine-et-Loire.
Lors de leur déplacement en Vendée, les co-rapporteur-e-s ont entendu des témoignages d'agricultrices qui se sont, elles aussi, installées relativement jeunes, après avoir suivi un cursus d'enseignement agricole ; l'une d'elles a souligné que son conjoint exerce une profession étrangère au milieu agricole, montrant que les parcours actuels inversent dans certains cas les schémas traditionnels.
b) Des projets d'installation autonomes
De plus en plus de femmes ne sont toutefois ni héritières d'une exploitation, ni épouses d'agriculteurs et s'installent aujourd'hui dans le cadre d'un projet professionnel personnel , longuement mûri.
Au cours de leur déplacement en Vendée, les co-rapporteur-e-s ont entendu des agricultrices militer pour que les femmes puissent exercer ce métier « par elles-mêmes », en conduisant un projet professionnel personnel et autonome.
Ainsi que l'a fait observer la sociologue Sabrina Dahache lors du colloque du 22 février 2017, les agricultrices aujourd'hui « créent leur propre poste ». Le parcours de Sarah Bourtembourg, qui exploite seule une ferme équestre dans le département des Ardennes et possède 100 % des parts de cette EARL, témoigne de ce profil de femmes qui mettent en place un projet spécifique et, en l'occurrence, réalisent ce faisant un « rêve d'enfant » 44 ( * ) . Dans la même logique, Christine Riba, secrétaire nationale de la Confédération paysanne , entendue par la délégation le 7 juin 2017, dont les « envies d'installation remontent à [ses] quinze ans », a travaillé comme salariée agricole après un BTS agricole puis s'est installée à l'âge de quarante ans, après la naissance de ses enfants, créant un gîte rural adossé à son exploitation de raisin de table bio.
Émeline Lafon, présidente de la coopérative agricole Lapins d'Occitanie , installée assez tardivement après des études de commerce et une expérience professionnelle dans la grande distribution, a qualifié pour sa part sa décision de « choix de vie » : « Plus le projet est réfléchi et plus les femmes sont armées pour faire face aux difficultés », a-t-elle estimé.
Aujourd'hui, des témoignages d'agricultrices montrent une inversion des parcours traditionnels par rapport au modèle du mari qui s'installe, rejoint ensuite par sa femme. Lors du colloque du 22 février 2017, plusieurs intervenantes ont relevé que, installées en premier, elles avaient été rejointes par leur conjoint une fois l'exploitation consolidée : citons par exemple Élodie Petibon (exploitante d'une ferme avicole dans la Drôme) et Marie-Blandine Doazan. Les co-rapporteur-e-s ont entendu un témoignage comparable lors de leur déplacement en Vendée. Christiane Lambert a fait observer lors de son audition que son mari avait pu bénéficier de la réforme des statuts et « passer du statut de conjoint-collaborateur à celui de co-gérant ! ».
c) Une agriculture au féminin ?
(1) La diversification : une « marque de fabrique » féminine ?
Selon la sociologue Sabrina Dahache, les agricultrices « proposent d'autres manières de faire, de travailler, de produire » 45 ( * ) .
Les femmes seraient ainsi des « forces motrices pour le développement de nouvelles activités » 46 ( * ) et pour la diversification des activités agricoles , dont font partie la commercialisation des produits fermiers (transformation et vente directe) et les activités touristiques (accueil à la ferme, gîtes ruraux...). Le témoignage de Sarah Bourtembourg, exploitante d'une ferme équestre dans le département des Ardennes, va dans ce sens : « Généralement, les hommes s'occupent de l'aspect technique et de la production, tandis que les femmes sont plus actives dans l'aspect relationnel et dans la commercialisation » 47 ( * ) .
Lors de son audition par la délégation, le 20 juin 2017, Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB), a fait valoir que, dans son exploitation, hommes et femmes ont décidé de s'intéresser à la commercialisation, alors que cette fonction revient souvent aux femmes : elle a estimé que « ce contact avec les consommatrices et les consommateurs aide à comprendre pourquoi il faut travailler différemment en amont ».
Les exploitations féminines auraient plus souvent que les exploitations masculines (20 % contre 15,8 %) recours à la vente en circuits courts . Elles proposent deux fois plus souvent que les hommes un hébergement touristique et des activités de loisirs (4,8 % contre 0,8 %). L'agrotourisme reste ainsi marqué par des initiatives le plus souvent féminines. Marie-Christine Le Quer a ainsi fait état, lors du colloque du 22 février 2017, de sa volonté d'étendre l'exploitation familiale, centrée sur la production laitière, à des gîtes, puis de son souhait de contribuer à développer le tourisme rural dans l'environnement de l'exploitation.
La ferme équestre de Sarah Bourtembourg illustre, elle aussi, cette appétence : centrée au départ sur des activités telles que la randonnée, l'enseignement, la pension et l'élevage, elle s'est étendue par la suite à un camping dénommé Bienvenue à la ferme ; l'accueil du public s'est amplifié avec la création d'une ferme pédagogique.
Selon le témoignage d'Anne-Marie Crolais, agricultrice dans les Côtes-d'Armor, pionnière du militantisme syndical et auteure, en 1982, d'un ouvrage remarqué, L'agricultrice 48 ( * ) , la diversification revêt aussi un enjeu spécifique de lutte contre l'isolement des femmes en milieu rural : « [...] pour les femmes d'agriculteurs, le gîte rural ou le camping à la ferme, c'est plus qu'un complément de revenu. C'est l'occasion, aussi, de lier amitié avec des citadins » 49 ( * ) .
Les innovations portées par les femmes, observe par ailleurs la sociologue Sabrina Dahache, « consistent à introduire de nouvelles activités afin que chaque valeur ajoutée apporte une amélioration de performance générale ». La diversification n'est toutefois pas qu'un enjeu de performance : elle vise aussi à introduire « de nouveaux rapports aux territoires » 50 ( * ) .
En effet, les initiatives des agricultrices contribuent souvent à l'animation de la vie locale . Une universitaire relève ainsi que « le tourisme rural est révélateur de la capacité des femmes à interagir entre les individus et dévoile un nouveau potentiel pour catalyser les énergies existantes sur un territoire » 51 ( * ) .
Parmi les témoignages qui, entendus lors du colloque du 22 février 2017, relèvent de cette thématique, notons celui d'Élodie Petibon, à la tête d'une ferme avicole dans la Drôme : « Nous avons la volonté de faire vivre notre ferme au coeur de notre territoire » ; « Notre objectif est vraiment de nous intégrer dans notre territoire ». L'organisation d'événements festifs, la vente directe, les visites régulièrement organisées pour des classes de lycées agricoles et de collèges visent précisément à « créer du lien social » 52 ( * ) .
Au cours du colloque du 22 février 2017, Nathalie Marchand, membre de la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA et présidente du groupe « Égalité parité : agriculture au féminin » de la Chambre d'agriculture de Bretagne, a souhaité relativiser cette assimilation de la diversification des activités agricoles aux initiatives d'agricultrices : « Mesdames et Messieurs les élus, il faut éviter de nous cantonner, nous, les femmes, à la diversification », a-t-elle protesté, faisant observer : « Nous sommes aussi des professionnelles de l'environnement, de l'élevage et de bien d'autres domaines ! » ; « Au regard de nos collègues hommes, nous devons faire valoir nos compétences techniques ». Elle a portant reconnu l'utilité économique de la diversification, « qui permet de ne pas placer tous ses oeufs dans le même panier, ce qui est très précieux en cas de difficultés financières » 53 ( * ) . Lors de la visite en Bretagne des co-rapporteur-e-s, le 14 juin 2017 54 ( * ) , elle a rappelé l'exigence de ne pas limiter l'apport des femmes à l'agriculture à la diversification, tout en convenant que celle-ci représente une chance pour les exploitations , car elle contribue à sécuriser des revenus .
Il faut rappeler aussi que la contribution des agricultrices à l'animation de la vie locale est parfois indépendante de toute activité agricole, mais relève aussi de solidarités intergénérationnelles et locales qui s'exercent naturellement. Brigitte Fischer-Patriat, agricultrice et conseillère départementale en Haute-Marne, a ainsi rappelé à l'occasion du colloque du 22 février 2017 que lors de son installation, « seule jeune femme de la commune », les autres femmes actives étant en dehors du village toute la journée, elle était sans cesse sollicitée pour « donner un coup de main » : « On a l'impression d'être la petite assistante sociale du coin » 55 ( * ) , a-t-elle conclu.
Durant son audition par la délégation, le 23 mai 2017, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a par ailleurs souligné le rôle précurseur de « laboratoire social » joué de manière naturelle par le monde agricole : « quand on est loin de tout, il faut tout inventer » : elle a cité à cet égard les coopératives d'utilisation du matériel en commun, qui « ne sont rien d'autre qu'un Blablacar physique et non numérique » et les services de remplacement, comparables à des « services à domicile appuyés sur des plateformes numériques ».
(2) Femmes et agriculture biologique
Dans le même esprit, les femmes semblent davantage présentes dans l'agriculture biologique même si, à cet égard, on manque de données statistiques précises 56 ( * ) . Il conviendrait d'ailleurs, pour obtenir des données fiables dans ce domaine, de faire procéder à un croisement des éléments chiffrés dont disposent la MSA et l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, ainsi que cela a été suggéré lors de l'audition, le 20 juin 2017, de la présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB). Celle-ci a estimé souhaitable que « l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, dite « Agence bio », oriente ses recherches sur les agricultrices bio », tout en observant que déjà, lors du recensement agricole de 2010, il apparaissait qu'il y avait « plus de femmes dans les fermes bio et que les exploitations les plus féminisées sont celles qui font de la vente directe - ovins, caprins, plantes aromatiques et médicinales -, c'est-à-dire celles qui sont proches de l'agriculture biologique ».
Parmi les moins de quarante ans, la part des exploitations certifiées bio gérées par des femmes (6,9 %) est légèrement supérieure à la proportion des mêmes exploitations gérées par des hommes (5,3 %) 57 ( * ) . L'attirance exercée par l'agriculture bio sur les femmes semble dérivée de la proportion de consommatrices de produits bio, plus élevée que la proportion de consommateurs. Cette question a été abordée le 20 juin 2017, lors de l'audition de la présidente de la FNAB.
Cette attirance peut s'expliquer, selon Stéphanie Pageot, sa présidente, par divers facteurs : « Les femmes sont plus sensibles à l'environnement, aux consommateurs, à la santé, à la qualité de l'alimentation. Cela joue dans leur choix du mode de production biologique, de même peut-être que la sensibilité aux aspects financiers. En effet, beaucoup de femmes sont chargées de la comptabilité, elles sont plus attentives à l'équilibre financier, et elles se rendent compte que l'agriculture bio permet de vivre mieux. Ainsi, les femmes ont un rôle déterminant dans certaines conversions à l'agriculture bio, et, a contrario , quand elles s'y opposent, elles ont aussi un rôle majeur ».
Le délégué général de la FNAB a, lors de cette audition, souligné les points communs entre les caractéristiques de l'agriculture bio et les spécificités du profil des agricultrices en général : la jeunesse, un niveau de diplômes généralement supérieur, une forte proportion de « hors cadre familial ». Ces caractéristiques sociologiques jouent, selon lui, « en faveur de la féminisation » de l'agriculture bio. S'y ajoutent le choix fréquent, par les agricultrices, de productions s'accommodant d'une « moindre mécanisation » : élevages ovins ou caprins, maraîchage diversifié, plantes aromatiques ou médicinales.
Le témoignage d'Élodie Petibon, exploitante d'une ferme avicole dans la Drôme, lors du colloque du 22 février 2017, confirme cette dimension : « Le bio s'est un peu imposé ensuite, dans la mesure où il était sans problème avec notre mode de production » 58 ( * ) .
Le délégué général de la FNAB a par ailleurs noté, le 20 juin 2017, que les activités de diversification, inhérentes aux filières bio, relevaient généralement d'initiatives féminines dans l'agriculture traditionnelle, ce qui soulignait selon lui une sorte de lien objectif entre le bio et les méthodes professionnelles privilégiées par les femmes . De plus, il a relevé une convergence entre les changements de parcours professionnels vers la production bio et le choix de jeunes femmes d'« aligner leur vie sur leurs valeurs ». « Il y a donc bien un effet « femmes » qui sera certainement déterminant pour l'avenir de l'agriculture en général, qui tend vers des systèmes plus diversifiés, des filières plus équilibrées entre circuit court et circuit long et des modes de production plus liés à la consommation. De ce point de vue, l'agriculture biologique est au coeur d'une évolution plus générale de l'agriculture, au sein de laquelle la question féminine est centrale », a-t-il conclu.
2. Les remontées du terrain : des sujets de préoccupation communs aux interlocutrices de la délégation
Qu'il s'agisse des témoignages recueillis lors du colloque du 22 février 2017 et à l'occasion des quatre déplacements des co-rapporteur-e-s dans la Drôme, en Vendée, en Haute-Garonne et en Bretagne, des auditions et tables rondes auxquels la délégation a procédé ou des documents qui lui ont été transmis 59 ( * ) pour son information, les remontées du terrain font état de préoccupations communes aux interlocutrices de la délégation sur des sujets divers en lien avec la situation des agricultrices.
a) Sur la crise et le malaise de la profession dans son ensemble
Dans ce domaine, les points suivants ont émergé des contacts entre les co-rapporteur-e-s et les témoins entendus pendant la préparation de ce rapport :
• le constat de l'insuffisance des revenus et l'impression d'une dégradation régulière de la situation . « On travaille pour payer les factures » ; « Ce que nous voulons, c'est un revenu qui nous permette de vivre de notre métier », ont entendu les co-rapporteur-e-s lors de leurs déplacements. « Les agriculteurs qui vendent en-dessous des coûts de production se lèvent le matin pour perdre de l'argent », a regretté Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, lors de son audition du 23 mai 2017 ;
• le sentiment, exposé par plusieurs témoignages, que garder une exploitation est un combat de chaque jour , a fortiori en période d'alerte sanitaire ou de sécheresse ;
• les défis de l'installation des enfants , vécue à la fois comme une fierté et comme une difficulté en raison d'un accès au foncier particulièrement complexe et de financements improbables, alors même que les aides à l'installation encouragent dès le début des investissements importants 60 ( * ) ;
• la difficulté d'acquérir des terres agricoles pour ceux et celles qui s'installent, face à des cédants qui, en raison de la modicité de leur retraite , ne sont pas en mesure de laisser leur terre pour un prix raisonnable ;
• la nécessité de considérer l'agriculture comme une « véritable source de développement économique » : « les zones commerciales et industrielles ne sont pas les seules perspectives d'avenir pour les collectivités territoriales », comme l'a fait observer le 20 juin 2017 devant la délégation la présidente de la Fédération nationale d'agriculture bio ;
• l'importance fondamentale de la préservation des terres agricoles et la question de la perte de surface agricole disponible liée aux implantations d'entreprises locales 61 ( * ) , les difficultés imputables à l'obtention de permis de construire pour des bâtiments agricoles, au classement de terres agricoles en terrains à bâtir ou au remembrement, et une gestion particulièrement complexe des quotas laitiers ;
• le constat que le « métier a besoin d'être défendu » , car il pâtit d'une image négative qui contribue à l'isolement du monde agricole . « Nous sommes la profession oubliée », a déclaré Christiane Lambert lors de son audition par la délégation, le 23 mai 2017. La volonté de faire reconnaître les exploitations agricoles comme des entreprises « normales » et d'intégrer les exploitations agricoles dans le réseau des entreprises locales s'inscrit dans ce besoin de revaloriser l'image de l'agriculture .
b) Sur les difficultés spécifiques aux agricultrices
Les co-rapporteur-e-s ont été frappé-e-s par les remarques suivantes :
• la crise oblige le plus souvent les femmes à travailler à l'extérieur de l'exploitation pour rapporter un revenu, ce qui multiplie par deux leur charge de travail et rend leur situation précaire, car il est fréquent que de ce fait elles cessent d'avoir un statut sur l'exploitation ;
• de manière générale, le problème des agricultrices sans statut demeure récurrent, a fortiori parce que la crise fait des cotisations une charge dont il peut être tentant de faire l'économie : la nécessité d'un changement de regard sur les cotisations a été à plusieurs reprises évoquée.
c) Sur les obstacles à l'installation des jeunes agricultrices
Ces difficultés concernent des aspects divers des débuts du parcours professionnel des agricultrices :
• dans le cadre de l'enseignement agricole, il a été déploré que trop peu de jeunes filles choisissent des filières orientées vers la production , au profit de filières telles que l'élevage canin ou hippique ;
• l'accès aux stages a également été mentionné comme l'une des manifestations des inégalités entre filles et garçons au sein de l'enseignement agricole ;
• les difficultés de l'accès au foncier , qui constitue un défi pour les agricultrices, ont été imputées, entre autres causes, d'une part aux réticences de certains cédants, lors de leur départ en retraite, à vendre leurs terres à une femme et, d'autre part, à la priorité dont bénéficient les jeunes agriculteurs pour l'attribution du foncier, qui peut s'exercer aux dépens de projets d'installation d'agricultrices plus âgées ;
• l'accès à la DJA 62 ( * ) est plus difficile pour les femmes pour diverses raisons :
- elles s'installent en général sur des surfaces plus petites que les hommes (36 hectares contre 62 en 2010 63 ( * ) ) ; cette caractéristique n'est pas sans conséquences sur l'obtention de la DJA, subordonnée à une surface minimale ;
- leur âge moyen à l'installation est également plus tardif : 31 ans (29 pour les hommes) ; or la DJA est soumise à des conditions d'âge 64 ( * ) ;
- elles ont également moins fréquemment suivi une formation agricole (moins de la moitié des exploitantes de moins de 40 ans sont passées par l'enseignement agricole, contre un cinquième des hommes), qui elle aussi conditionne l'obtention de la DJA 65 ( * ) .
d) Sur les contraintes particulières ressenties par les agricultrices en termes d'articulation des temps de vie professionnelle et familiale
Les co-rapporteur-e-s ont constaté que les difficultés de ce que l'on appelle l'articulation des temps tiennent à diverses caractéristiques du métier d'agricultrice :
• des horaires exigeants , plus particulièrement dans l'élevage où ces contraintes sont très importantes, ont été soulignés, de même que les conséquences de cette situation sur la vie familiale : certaines agricultrices conseillent le recours à une assistance maternelle ou à une crèche pour une séparation plus sereine entre temps professionnel et temps parental, d'autres font état des difficultés à recourir à une nourrice compte tenu d'horaires imprévisibles et préfèrent les solutions familiales ;
• le manque de moyens financiers pour l'emploi d'une aide-ménagère a été évoqué comme une véritable difficulté de la vie d'agricultrice, a fortiori pour celles qui exercent ce métier seules ;
• les limites des services de remplacement face aux contraintes spécifiques aux agricultrices : le « reste à charge » diffère selon les territoires, voire selon les époques, et il n'existe pas d'harmonisation entre les caisses dans ce domaine ;
• le fait que les grossesses pathologiques ne permettent pas de faire appel au remplacement a également été perçu comme une insuffisance du système ; dans le même esprit, il a été regretté que le mi-temps pathologique ne soit pas prévu par la MSA. Le fait que la MSA ne prévoie, en cas de burn out , qu'un remplacement de quelques jours a par ailleurs été évoqué au cours du déplacement des co-rapporteur-e-s en Bretagne.
e) Sur la persistance des stéréotypes sexistes dans une profession dont les usages demeurent masculins
Les co-rapporteur-e-s ont entendu le témoignage du combat quotidien que doivent mener certaines agricultrices :
• pour être reconnues comme des exploitantes à part entière , et non comme des employées ou des stagiaires, par leurs différents interlocuteurs (exemple d'échange téléphonique évoqué lors du déplacement des co-rapporteur-e-s en Vendée : « - Vous pouvez me passer le patron ? - C'est moi » ; « - Où est le chef ? - C'est moi ») : « Devoir se justifier en permanence est frustrant ». Dans le même esprit, Ghislaine Dupeuble, viticultrice dans le Rhône, a fait état lors du colloque du 22 février 2017 de ses difficultés à faire reconnaître ses compétences à ses débuts : « On me prenait pour la stagiaire » 66 ( * ) ;
• pour faire reconnaître leurs compétences par certaines structures comme les CUMA (Coopératives d'utilisation du matériel agricole, créées à la fin de la deuxième guerre mondiale) ; une agricultrice rencontrée en Vendée rapportait le sentiment d'être « transparente » lors des réunions de ces organismes. En Bretagne, les co-rapporteur-e-s ont entendu un témoignage édifiant sur les difficultés des femmes à se faire entendre dans les coopératives, vécues comme un « milieu d'hommes » qui « ont beaucoup de mal à accepter les femmes : il faut faire du forcing », mais « ça vaut le coup de persister car de petites choses commencent à bouger : maintenant on me demande mon avis... ».
Leur attention a été attirée sur la nécessité de mettre en valeur l'apport des femmes à la profession pour attirer les jeunes femmes et pour faciliter l'accès des agricultrices aux responsabilités.
f) Sur les difficultés d'organisation liées à l'exercice de responsabilités dans les organisations professionnelles
La nécessité de donner aux femmes les moyens (remplacement, aide aux tâches ménagères) a été évoquée de manière récurrente comme une condition de l'exercice par les femmes de responsabilités dans les organisations professionnelles. Les mêmes besoins ont été exprimés pour faciliter la participation des agricultrices à des stages de formation continue .
g) Sur la faiblesse des retraites des agricultrices
La bonification forfaitaire pour enfants a paru nécessaire pour remédier à cette inégalité flagrante, de même que la définition de nouvelles modalités de calcul. Les conditions d'accès aux pensions de réversion ont par ailleurs été évoquées.
h) Sur les contraintes liées à l'imbrication entre lieu de vie et lieu de travail
Certains témoignages ont fait état de l'incompréhension à laquelle se heurtent les agricultrices pour faire reconnaître comme telle une activité professionnelle qui se déroule chez elles, et que certains confondent avec les activités jugées normales d'une mère de famille.
La cohabitation avec la belle-famille , tant dans la vie professionnelle que dans la vie personnelle, a été évoquée par certaines comme un aspect parfois complexe de la vie agricole.
* 42 Les femmes dans le monde agricole , Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012.
* 43 Voir les actes du colloque, Être agricultrice en 2017 , Sénat, Chantal Jouanno, 2016-2017.
* 44 Voir les actes du colloque, Être agricultrice en 2017 , Sénat, Chantal Jouanno, 2016-2017.
* 45 Voir les actes du colloque, Être agricultrice en 2017 , Sénat, Chantal Jouanno, 2016-2017.
* 46 Les femmes dans le monde agricole , Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012.
* 47 Voir les actes du colloque, Être agricultrice en 2017 , Sénat, Chantal Jouanno, 2016-2017.
* 48 Éditions Ramsay, 1982.
* 49 Op. cit., p. 148.
* 50 Voir les actes du colloque, Être agricultrice en 2017 , Sénat, Chantal Jouanno, 2016-2017.
* 51 Sophie Louargant, L'approche de genre pour relire le territoire , 2003.
* 52 Voir les actes du colloque, p. 56.
* 53 Voir les actes du colloque, p. 63.
* 54 Voir en annexe le compte rendu de ce déplacement.
* 55 Voir les actes du colloque, p. 74.
* 56 Les représentantes de la Confédération paysanne entendues le 7 juin 2017 ont fait observer que « 60 % de leurs adhérents ont une ferme en bio » mais n'ont pas été en mesure de déterminer si le choix de la production bio était davantage le fait d'exploitations féminines.
* 57 Les femmes dans le monde agricole , Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012.
* 58 Voir les actes du colloque, Être agricultrice en 2017 , Sénat, Chantal Jouanno, 2016-2017.
* 59 Par la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, par le syndicat Coordination rurale , dont sa présidente pour la Loire-Atlantique, Catherine Laillé, est intervenue lors du colloque du 22 février 2017 et par les chambres d'agriculture.
* 60 Ce point a plus particulièrement été développé le 7 juin 2017 par les représentantes de la Confédération paysanne , qui ont par ailleurs plaidé pour une homogénéisation, au niveau national, des conditions d'accès aux stages « reprise d'une installation agricole » et pour une généralisation de la déclaration d'intention de cessation d'activité agricole ou DICAA, document qui, envoyé à la chambre d'agriculture, permet de mettre en relation les cédants et les candidats à la reprise d'une installation (voir en annexe le compte rendu de cette audition).
* 61 Lors de son audition, le 20 juin 2017, Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d'agriculture biologique, a évoqué les questions posées par le projet de Notre-Dame-des-Landes, où selon elle « se joue un usage aberrant de terres agricoles ».
* 62 Voir la présentation de la DJA ci-après (II-B-1).
* 63 Les femmes dans le monde agricole , Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012.
* 64 Être âgé-e de plus de 18 ans et de moins de 40 ans au moment de la présentation de la demande d'aides à l'installation.
* 65 Disposer de la capacité professionnelle à la date du dépôt de la demande d'aide à l'installation, attestée par la possession d'un diplôme agricole conférant le niveau IV et par la possession d'un plan de professionnalisation personnalisé (PPP).
* 66 Voir les actes du colloque, p. 59.