B. UN DEMI-MILLION D'ACTIVES DANS L'AGRICULTURE : UNE FÉMINISATION EN TROMPE L'oeIL ?
En 2016, la population active féminine dans l'agriculture comprenait plus d'un demi-million de personnes et se déclinait entre :
• 111 000 cheffes d'exploitation ou d'entreprise agricole ;
• 26 000 collaboratrices d'exploitation ;
• et 409 000 salariées 32 ( * ) .
La part importante des femmes dans les métiers agricoles peut être considérée comme le signe d'une véritable évolution de la société : « Les filles s'épanouissent dans des métiers supposés masculins. [...] Les agricultrices ne sont pas des phénomènes ! », a observé Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, lors de son audition par la délégation, le 23 mai 2017.
1. Un quart des chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole
a) Une proportion stable depuis 2000
Sur 462 000 chefs d'exploitation recensés en France, 24 % sont des femmes. Cette proportion, ainsi que le souligne le tableau ci-dessous 33 ( * ) , est stable depuis 2000.
Effectifs des chef-fes d'exploitation par sexe
2000 |
2005 |
2010 |
2016 |
|
Hommes |
445 199 |
421 155 |
380 985 |
350 831 |
Femmes |
141 880 |
134 362 |
121 751 |
110 972 |
Ensemble |
587 079 |
555 517 |
502 736 |
461 803 |
Part des femmes |
24 % |
24 % |
24 % |
24 % |
Selon le ministère de l'Agriculture, 30 % des entreprises 34 ( * ) ou exploitations agricoles sont, en 2016, dirigées ou codirigées par une femme. La part des femmes cheffes d'exploitation ou co-exploitantes était de 8 % en 1970.
L'effectif des cheffes d'exploitation, s'agissant des exploitations traditionnelles individuelles, diminue régulièrement (- 22 % depuis 2000) : l'évolution est d'ailleurs la même pour les hommes (- 21 %). En revanche le nombre de femmes qui dirigent ou codirigent une entreprise agricole augmente (+ 25 % environ depuis 2005).
b) Une démographie encore liée à la succession entre époux
Comme le montre le tableau ci-après, l'âge moyen des cheffes d'exploitations ou d'entreprises agricoles est en 2016 de 51 ans et demi (48 ans pour les hommes) : cette différence s'explique par le fait que les femmes continuent à devenir cheffes lorsque leur conjoint fait valoir ses droits à la retraite . Cette caractéristique explique que l'âge moyen d'entrée dans ce statut soit plus élevé pour les femmes (45 ans) que pour les hommes (36 ans). Selon un document transmis à la délégation par la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, « Les entrées et les sorties dans le métier d'agriculteur sont marquées par l'effet ?transfert entre époux? ».
Au cours de l'année 2016, 2 800 femmes âgées de moins de 40 ans ont acquis le statut de cheffe d'exploitation, soit moins que les hommes (8 700 hommes). Le déséquilibre s'inverse dans la tranche d'âge de 55 ans et plus (2 200 femmes pour 1 200 hommes).
Cette caractéristique se traduit par une forte proportion (43 %) de cheffes d'exploitation âgées de 55 ans et plus et par un important turn over des femmes responsables d'exploitation ou d'entreprises agricoles.
Distribution des chefs par sexe et tranches d'âges 35 ( * )
Moins
|
De 30
|
De 45
|
De 55
|
60 ans
|
Âge moyen |
|
Hommes |
6 % |
29 % |
33 % |
18 % |
14 % |
48 ans |
Femmes |
3 % |
22 % |
31 % |
20 % |
23 % |
51,5 ans |
c) Des cheffes d'exploitation présentes dans toutes les productions agricoles
Comme le relève le ministère de l'Agriculture, « aucune production agricole n'est inaccessible aux femmes ». Le tableau ci-après confirme que la répartition par activité des chefs d'exploitation est indépendante du sexe : l'élevage, les cultures céréalières et industrielles, les cultures et élevages non spécialisés ainsi que la viticulture dominent, pour les hommes comme pour les femmes.
Toutefois les femmes sont en proportion plus nombreuses dans l'élevage (46 % de femmes, 41 % d'hommes), plus particulièrement dans l' élevage bovins-lait , de même que dans les cultures céréalières et industrielles (16 %), dans les cultures et élevages non spécialisés (13 %) et dans la viticulture (12 % de femmes, 9 % d'hommes). Elles sont également très présentes dans la filière cheval . En revanche on compte peu de femmes dans le secteur des jardins et paysages (1 % de femmes, 6 % d'hommes).
Distribution des chefs d'exploitation en 2016 par types d'activité 36 ( * )
Secteurs |
Hommes |
Femmes |
||
Effectifs |
Part |
Effectifs |
Part |
|
Élevage |
145 292 |
41 % |
51 231 |
46 % |
Viticulture |
33 085 |
9 % |
13 138 |
12 % |
Maraîchage - Arboriculture |
18 388 |
5 % |
6 057 |
5 % |
Cultures céréalières et autres grandes cultures |
60 925 |
17 % |
17 910 |
16 % |
Cultures et élevages non spécialisés |
44 974 |
13 % |
14 103 |
13 % |
Entreprises de jardins et paysagistes |
22 185 |
6 % |
913 |
1 % |
Autres |
25 982 |
7 % |
7 620 |
7 % |
Ensemble |
350 831 |
100 % |
110 972 |
100 % |
On remarque en revanche que si les cheffes d'entreprise ou d'exploitation sont présentes dans tous les types de production, elles demeurent rares, selon la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, dans les entreprises de services du secteur agricole : 5 % seulement.
d) Un recours majoritaire aux formes sociétaires d'exploitation
Comme le fait observer la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, « Les femmes dirigent majoritairement des structures de forme sociétaire associées fréquemment à des co-exploitants de sexe masculin ; elles sont 59 % dans ce cas. Elles sont établies en EARL dans 26,5 % des situations et en GAEC pour 17 % d'entre elles » 37 ( * ) .
Une étude du Centre d'études et de prospective de mars 2012 38 ( * ) confirme cette observation et relève quatre caractéristiques des agricultrices exerçant leur activité à la tête d'exploitations agricoles :
• « les femmes sont beaucoup plus fréquemment co-exploitantes que chefs d'exploitation » ;
• « les femmes âgées de plus de quarante ans s'installent principalement sur des exploitations déjà existantes et auparavant dirigées par un homme » ;
• « les femmes sont moins souvent installées à titre individuel que les hommes et privilégient les formes sociétaires, notamment les EARL » ;
• « toutefois, [...] lorsqu'il s'agit d'exploitations dirigées exclusivement par des femmes, la part des exploitations individuelles remonte à 78 %, alors qu'elle n'est que de 56 % pour les hommes dans le même cas ».
Il semble donc que les formes sociétaires conviennent davantage aux femmes installées en couple 39 ( * ) .
Distribution des femmes cheffes d'exploitation selon la forme juridique de l'exploitation 40 ( * )
Forme juridique |
2011 |
2016 |
||
Effectifs |
Part |
Effectifs |
Part |
|
Individuelle |
51 560 |
44 % |
43 119 |
39 % |
GAEC |
19 187 |
16 % |
24 207 |
22 % |
EARL |
30 011 |
26 % |
25 692 |
23 % |
SCEA |
6 216 |
5 % |
6 785 |
6 % |
SA/SARL |
2 210 |
2 % |
2 453 |
2 % |
Autres sociétés |
8 099 |
7 % |
8 716 |
8 % |
Ensemble |
117 283 |
100 % |
110 972 |
100 % |
2. 36 % des salariés du secteur agricole
Les salariées de la production agricole sont présentes dans une proportion importante dans la viticulture (38 %), dans les cultures spécialisées (31 %) ainsi qu'en culture et élevage non spécialisé (16 %) : selon la MSA, cette répartition est stable depuis dix ans. Leur âge moyen est de 39 ans.
Si un quart des salariés permanents de l'agriculture sont des femmes 41 ( * ) , la grande majorité des salariées de l'agriculture sont employées en CDD (83,5 %) : on a recensé 323 300 contrats en 2015. Le recours à cette formule juridique domine dans les activités marquées par le travail saisonnier (viticulture, par exemple). La Commission nationale des agricultrices de la FNSEA fait observer qu'en 2014, la durée médiane d'un CDD féminin était de 288 heures. Selon la MSA, les conditions d'emploi des femmes sont moins favorables que celles des hommes :
• la durée moyenne des CDD est inférieure de 18 % à celle des hommes ;
• en CDI, on relève des temps partiels plus répandus pour les femmes, des temps de travail inférieurs (- 17 % en moyenne par rapport aux hommes) et un écart de rémunération horaire de 6 % environ aux dépens des femmes.
3. La question des conjointes
L'effectif total des conjoint-e-s de chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole s'élève à 252 000 personnes (hommes et femmes) qui n'ont pas le statut de co-dirigeant-e. Les femmes, au nombre de 175 000, représentent 70 % de cette catégorie.
25 000 d'entre elles, actives dans l'exploitation, ont le statut de conjointe collaboratrice , soit 14 % des conjointes. Cette proportion montre que ce statut n'a pas la faveur des jeunes générations : l'effectif de conjointes collaboratrices, dont la moyenne d'âge est de 53 ans (un an et demi de plus que pour les cheffes d'exploitation), diminue d'ailleurs régulièrement (il a été divisé par deux depuis dix ans ). Les conjointes collaboratrices sont principalement présentes, selon la MSA, dans les secteurs d'activité traditionnels : élevage laitier, cultures céréalières et industrielles, polyculture associée à de l'élevage ou élevage de bovins-viande. Les exploitations sont dirigées par leur conjoint sous forme de société.
150 000 conjointes ne sont ni cheffes d'exploitation, ni conjointes collaboratrices : selon le ministère de l'Agriculture, la plupart ont un emploi de salariée dans l'exploitation de leur conjoint ou dans une autre entreprise. Selon la MSA, « elles demeurent incontournables dans la bonne marche de l'exploitation ou de l'entreprise agricole ».
Reste la question, extrêmement préoccupante, des femmes sans statut : selon la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA, entre 2 000 et 5 000 femmes travailleraient dans l'exploitation de leur conjoint sans aucun statut (ni salariée, ni conjointe collaboratrice). Ces femmes ne disposent donc d'aucune couverture sociale : leur situation a été évoquée à de nombreuses reprises lors des échanges auxquels a procédé la délégation. Véronique Léon, ancienne secrétaire nationale de la Confédération paysanne a, lors de son audition par la délégation, le 7 juin 2017, fait observer qu'elle ne bénéficiait d'aucun point de retraite pour les huit années pendant lesquelles elle a travaillé quinze heures par jour comme ayant droit, sans statut, dans l'exploitation de son mari...
4. Les futures agricultrices : plus de la moitié des élèves de l'enseignement agricole
La part des jeunes filles dans l'enseignement agricole augmente rapidement : leur part dans l'effectif total des élèves est passée de 39 % en 1990 à 52 % en 2010.
Certes, leur répartition entre les différentes filières reproduit à certains égards des stéréotypes qui existent dans d'autres secteurs : dans les services, elles représentent ainsi par exemple 88 % des élèves (et 58,5 % dans la transformation). Toutefois, leur présence dans les filières de production a nettement augmenté : de 9 % en 1979, elle est passée à 37 % actuellement.
Il n'en demeure pas moins que les jeunes filles restent orientées vers des formations qui reflètent des activités (élevage équin et canin, maraîchage et horticulture) supposées cohérentes avec les traits de caractère généralement associés à la féminité.
* 32 Chiffres transmis à la délégation aux droits des femmes par le ministère de l'Agriculture. Selon la MSA, l'effectif de salariées représente 387 000 personnes, correspondant à 89 200 équivalents temps plein.
* 33 Source : ministère de l'Agriculture.
* 34 La MSA définit comme suit les entreprises agricoles : « Ce sont les entreprises dirigées par un ou plusieurs non-salariés. Le champ inclut les exploitations agricoles proprement dites, auxquelles s'ajoutent des filières regroupées sous le vocable entreprises agricoles : la conchyliculture, la pisciculture, les marais salants, la filière bois (travaux forestiers, sylviculture, et scieries de petite taille), les entreprises de travaux agricoles, les entreprises paysagistes, et l'ensemble de la filière cheval (centres équestres et entraîneurs de course compris). »
* 35 Source : ministère de l'Agriculture.
* 36 Source : ministère de l'Agriculture.
* 37 Document transmis à la délégation par la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA.
* 38 Les femmes dans le monde agricole , Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012.
* 39 Ce couple peut d'ailleurs être un couple mari-femme (parfois étendu à un beau-frère ou à un tiers), mais aussi un couple père-fille, voire mère-fille ou mère-fils, comme on le verra ci-après.
* 40 Source : ministère de l'Agriculture.
* 41 Selon Les femmes dans le monde agricole , Centre d'études et de prospective, n° 38, mars 2012.