F. REMETTRE LES INFRASTRUCTURES ET LES RÉSEAUX AU PREMIER RANG DES PRIORITÉS
1. Il est urgent d'enrayer la dégradation tendancielle de nos équipements
Les flux matériels et immatériels façonnent la structure et l'organisation des territoires. Leur circulation s'appuie sur des réseaux et des infrastructures dont le développement est hautement stratégique puisqu'ils contribuent directement à la compétitivité et à l'attractivité des territoires. Pour reprendre une image proposée par le think tank Infrastructure France, si l'on compare le territoire à un système biologique, « les équipements de transport charpentent le squelette, les réseaux d'énergie ou d'eau constituent le système artérioveineux, les réseaux de très haut débit organisent le système nerveux ».
Ce n'est donc pas sans raison que la politique des infrastructures et des équipements est traditionnellement considérée comme l'instrument privilégié de toute politique d'aménagement du territoire. De nos jours encore, l'accessibilité géographique (réseau routier, réseau ferré, réseau fluvial, desserte maritime, réseau aérien) demeure l'une des préoccupations majeures des territoires, dans la mesure où l'organisation des déplacements rend plus facile celle des autres réseaux. En effet, la faculté de se déplacer conditionne de nombreux choix comme les études, l'activité professionnelle, l'accès à la culture et aux loisirs, l'implantation résidentielle. Sur un territoire qui offre des facilités de mobilité, les réseaux d'assainissement sont moins coûteux à mettre en oeuvre et les réseaux scolaires s'organisent plus facilement. Inversement, un territoire mal desservi périclite, faute de nouveaux arrivants et par le départ d'habitants qui ne supportent plus leur confinement géographique.
Certes, la France hérite de réseaux relativement denses, mais il reste encore beaucoup à faire en la matière. Bien sûr, des métropoles sont hautement dotées et extrêmement attentives à leurs réseaux, à l'instar du Grand Paris. Mais le désenclavement des quartiers à l'écart et des territoires isolés demeure un impératif afin d'enrayer les effets cumulatifs : moins d'habitants signifie moins de ressources, et par conséquent moins d'équipements, ce qui fait fuir les habitants restants. Pour autant, il ne s'agit pas uniquement d'un « problème de pauvres » mais également d'une préoccupation majeure de territoires fortement dynamiques sur le plan économique.
Il est donc nécessaire de construire une nouvelle politique de connectivité fondée sur deux piliers : d'une part, des investissements dans certaines infrastructures critiques, et d'autre part, des soutiens ciblés sur les bourgs et petites villes dans les territoires les plus enclavés. Le groupe de travail a été conforté dans cette position par les nombreuses contributions recueillies sur l'espace participatif du Sénat, qui ont souligné le caractère prioritaire de la mobilité et des transports. Le développement d'une offre multimodale (train, bus, vélo ou voiture à la demande, covoiturage) doit permettre de fournir une offre de transport économiquement et écologiquement viable sur chaque portion de notre territoire. Si la multimodalité s'impose naturellement dans les zones denses, elle est souvent la dernière solution qui s'offre à la ruralité, où l'usage des transports collectifs diminue tendanciellement.
Le développement du transport multimodal nécessite en revanche de solides infrastructures à tous les niveaux, à commencer par les principaux noeuds de mobilité. Malheureusement, l'État se heurte aujourd'hui à des problèmes de financement et également d'acceptabilité des grands projets d'infrastructure, dont témoignent les tribulations du projet d'aéroport Grand Ouest. Il fait aujourd'hui montre de son incapacité à lancer le moindre projet structurant, alors même que ces grands projets, à l'instar du tunnel transalpin Lyon-Turin, demeurent de son ressort.
À ces difficultés s'ajoute un sous-investissement chronique dans l'entretien et la maintenance conduisant à un vieillissement généralisé des équipements existants. En dehors des lignes à grande vitesse, nos voies ferrées classiques sont dans un état de délabrement tel que le programme de rénovation d'urgence, porté à 2,5 milliards d'euros par an, ne concerne pour l'instant que le réseau principal. Or ce sont à peu près 20 000 à 25 000 kilomètres sur les 30 000 kilomètres de lignes ferroviaires qui, pendant trente ans, n'ont pas bénéficié des investissements de renouvellement requis.
Le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau, signé le 20 avril 2017 malgré de vives oppositions, ne fixe pas de cap clair dans ce domaine. Comme l'a relevé Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), à l'occasion de son audition devant la commission le 19 avril 2017, le contrat ne comporte aucun objectif précis concernant le périmètre du réseau à la fin de la période de contractualisation. Il ajoute qu' « en particulier, la liste des lignes du réseau à conserver impérativement fait défaut. Notre pays compte 29 000 kilomètres de lignes et 49 000 kilomètres de voies ; les moyens existants ne permettent absolument pas le maintien de la totalité de ces lignes et de ces voies. Or l'État reste muet sur cette question ! Il évoque la rénovation du réseau structurant, c'est-à-dire à la fois de la grande vitesse et des lignes classées UIC 1 à 6, soit à peu près de la moitié du réseau. Pour le reste, il se contente de dire que les lignes UIC 7 à 9, à savoir celles qui sont laissées à la contractualisation avec les régions et les autorités organisatrices de transports (AOT) locales, « seront maintenues en lien avec les autorités locales ». C'est insuffisant ! Le rôle de l'État stratège est de dire les choses ! ».
En ce qui concerne le patrimoine routier, un récent rapport de votre commission 33 ( * ) a également alerté sur sa dégradation rapide au cours des cinq dernières années : alors que plus de 85% du réseau routier national était considéré en état correct entre 2010 et 2012, ce chiffre est progressivement tombé à 83% en 2015, tandis que le réseau départemental connaît des situations variables. Comme l'a rappelé Pierre Calvin, représentant de l'Union des syndicats de l'industrie routière française (Usirf), à l'occasion de la table-ronde sur l'état des infrastructures routières et autoroutières du 8 février 2017, « notre patrimoine routier vaut 2 000 milliards d'euros. Et l'on ne consacre que 15 milliards d'euros par an pour l'entretenir, soit 0,75 % de sa valeur. À ce rythme, il faudra 130 ans pour le renouveler ! »
Cette dégradation des réseaux fait régulièrement perdre des places à la France en termes d'attractivité : selon Infrastructure France, en l'espace de dix ans, notre pays est passé de la 2 ème place à la 6 ème place au niveau mondial pour le ferroviaire, de 10 ème à 26 ème pour le réseau portuaire, de 5 ème à 15 ème dans le secteur aéroportuaire, et de 4 ème à 14 ème pour la distribution d'électricité. Le risque est à terme d'entraîner une dépréciation irréversible de ce capital précieux, constitué sur plusieurs dizaines d'années, et qu'il sera bien plus coûteux de reconstruire qu'il ne l'aurait été de l'entretenir.
Par conséquent, le groupe de travail estime que la remise en état des réseaux actuels est une condition indispensable à l'attractivité de chaque territoire et de notre pays en général. Pour mesurer l'ampleur des besoins et le coût de l'inaction, il souhaite qu'un bilan consolidé du patrimoine des infrastructures et équipements des collectivités et de l'État soit réalisé et recommande de sanctuariser les dépenses d'entretien des réseaux existants.
Enfin, le groupe de travail préconise de réaliser un état des lieux des besoins prioritaires d'infrastructures pour l'aménagement du territoire. Leur réalisation devrait alors être engagée sans délai. La vente de participations de l'Etat dans certaines entreprises pourrait permettre de financer ces infrastructures, s'agissant de projets d'intérêt général à long terme, plutôt que de contribuer au désendettement comme c'est le cas actuellement.
Proposition : Déterminer les projets de nouvelles infrastructures qui présentent un caractère prioritaire au regard de l'aménagement du territoire, tout en sanctuarisant les dépenses indispensables à l'entretien des réseaux existants. Proposition : Réaliser un bilan consolidé des infrastructures et équipements des collectivités et de l'État et prévoir une programmation pluriannuelle des travaux nécessaires pour leur remise à niveau. |
2. L'État doit adapter les modalités de son intervention financière
Le principal défi à relever pour bâtir une nouvelle politique de connectivité est en effet celui du financement. Dans un contexte budgétaire contraint, les investissements nouveaux et la maintenance des équipements existants ne peuvent que rarement être cumulés. La politique d'investissements s'inscrivant dans un horizon de long terme, il appartient donc à la puissance publique de définir les critères guidant les choix de création de nouvelles infrastructures et de modernisation des réseaux existants, en ayant à l'esprit que l'utilité sociale ne se confond pas avec la rentabilité des projets. Il faut passer d'une politique de l'offre à une politique du besoin adaptée aux spécificités de chaque territoire.
À l'heure actuelle, l'approche retenue par le ministère des finances est essentiellement comptable et ne prend pas en compte l'intérêt à long terme des investissements. La question de la rentabilité des lignes nouvelles ou existantes est aujourd'hui trop souvent le principal critère d'analyse des projets, qui conditionne l'effort d'investissement public. Or dans l'économie de réseaux qui nous caractérise aujourd'hui, la connectivité est plus importante que la rentabilité.
L'autre écueil constaté par le groupe de travail est que l'absence de moyens publics devient désormais un argumentaire récurrent qui masque les opportunités de financements privés et les montages financiers innovants. Il est désormais nécessaire de lier les interventions d'acteurs publics et privés, en facilitant la délégation de l'exploitation, de la modernisation et du développement des réseaux à des acteurs privés. Les sociétés d'autoroutes ont par exemple proposé de reprendre à leur charge l'entretien de certaines routes transversales, contre une majoration raisonnable des tarifs autoroutiers, ce qui mérite d'être étudié dans un contexte de pénurie des moyens publics. En parallèle, la réorientation des finances publiques vers l'investissement plutôt que vers les dépenses de fonctionnement pourrait s'opérer à moyens constants, en appliquant les règles de la comptabilité générale à l'État et aux collectivités (amortissement des investissements pour et obligations de provisionnement), en excluant les investissements des règles de calcul du déficit des administrations publiques, ou en soutenant le financement de marché par l'émission d'emprunts obligataires mutualisés.
La puissance publique reste cependant au coeur du dispositif. En matière d'infrastructures et de réseaux, le secteur privé n'intervient spontanément qu'au-delà d'une certaine densité qui assure la rentabilité des investissements. L'État régulateur doit imposer des obligations aux différents opérateurs pour homogénéiser la couverture de chaque réseau sur le territoire. L'État stratège reste quant à lui responsable de la vision prospective, plus que jamais nécessaire dans un contexte où les technologies évoluent rapidement.
Enfin, l'État aménageur ne saurait se désengager de la politique des grands réseaux. Sa part de financement doit nécessairement demeurer significative, au risque que les seuls projets mis en oeuvre soit ceux engagés par les collectivités disposant de moyens financiers importants, ce qui serait contraire au maintien d'une équité territoriale. L'État est également le garant d'une certaine prudence dans la politique des infrastructures, dont certains effets peuvent aller à l'encontre du développement des territoires périphériques. Il est notoire que les activités ont tendance à se concentrer aux noeuds des réseaux au détriment des lieux intermédiaires : une connectivité trop importante de certains territoires risque de faciliter la fuite des activités économiques et sociales, à l'encontre de l'objectif recherché.
Proposition : Prendre en compte l'aménagement du territoire et non la rentabilité économique comme critère principal d'investissement public dans les infrastructures et les réseaux. |
* 33 Rapport d'information n° 458 (2016-2017) de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (8 mars 2017).