D. DEUX PRIORITÉS : L'ACCESSIBILITÉ NUMÉRIQUE ET LA LUTTE CONTRE LES DÉSERTS MÉDICAUX
1. Assurer enfin une réelle couverture numérique du territoire
La révolution numérique porte en elle de riches promesses et figure au coeur des préoccupations de nos concitoyens. D'une part, en compensant l'absence de services physiques et en proposant de nouvelles modalités d'accès aux services, elle atténue la notion de désertification, même dans les territoires à faible densité de population : la fermeture d'une perception rurale, qui n'a presque plus d'usagers, ne paraît pas anormale, dès lors qu'une couverture numérique suffisante permet d'accéder aux mêmes services en ligne et que la visioconférence permet d'assurer une présence plus consistante et un accès plus facile. D'autre part, elle transforme les comportements humains, par exemple à travers le développement de l'économie collaborative, du e-commerce et des réseaux sociaux, qui favorisent le passage rapide du local au global et projettent nos territoires dans une nouvelle dimension. En permettant l'accès à la connaissance, à la culture, et à un niveau inédit d'échanges, indépendamment du lieu de vie, le numérique contribue également à l'égalité des chances.
Le numérique permet de faire partie du monde, à condition de disposer d'infrastructures performantes. La télémédecine ou le télétravail seront uniquement un levier pour les territoires desservis en très haut débit fixe et mobile. L'approche est différente par rapport aux autres réseaux (eau, téléphone, électricité, etc.) pour lesquels le raisonnement était binaire : soit on est connecté, soit on ne l'est pas. Avec le numérique, l'enjeu principal est celui du débit qui doit permettre de répondre aux besoins croissants de la « Gigabit Society ».
Pour cette raison, le choix a été fait en France de déployer la fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH) à l'horizon 2022. Malgré les coûts de mise en place d'une nouvelle infrastructure, qui implique la création d'une nouvelle boucle locale jusqu'aux habitations, cette technologie présente des avantages incontestables à long terme par rapport au cuivre, dont les possibilités de montée en débit resteront physiquement limitées par l'atténuation des signaux électriques. Seule la fibre optique permet d'abolir la distance et l'isolement géographique.
S'agissant d'un sujet structurant pour l'avenir, une action volontariste de l'Etat aurait été possible pour mettre en oeuvre un déploiement ambitieux. Malheureusement, l'État a - une fois de plus - unilatéralement fait le choix de laisser les opérateurs privés se concentrer dans un premier temps sur les zones les plus denses, qui assurent la meilleure rentabilité des investissements, laissant aux collectivités locales le reste du territoire, c'est-à-dire la partie non rentable. Quant aux réseaux d'initiative publique, l'État se contente de soutenir financièrement l'initiative locale et agit davantage comme un facilitateur et non comme un véritable organisateur du réseau de fibre optique, malgré la complexité des choix pour les collectivités, notamment en termes de modèle économique et de technologies.
Au final, l'absence d'un véritable Etat acteur et la difficulté à mobiliser les fonds publics nécessaires rendent d'ores et déjà illusoire la couverture intégrale du territoire à horizon 2022. Dans un récent rapport 23 ( * ) , la Cour des comptes partage cette inquiétude, soulignant que « si l'objectif de couverture intermédiaire (50 % en 2017) sera bien atteint, l'insuffisance du co-investissement privé compromet l'atteinte de l'objectif de 100 % en 2022 » ; la Cour confirme que la majeure partie des schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique qu'elle a examinés situent le terme des déploiements à 2030.
RÉPARTITION DES ZONES DE DÉPLOIEMENT DU TRÈS HAUT DÉBIT
Source : Agence du numérique.
De cette absence de volontarisme au niveau national, il résulte un déploiement à géométrie variable, dans le fixe comme dans le mobile, et les attentes de la population sont déçues. Pour le très haut débit fixe, la constitution d'une infrastructure nationale par l'agrégation de dizaines de réseaux portés par des maîtres d'ouvrage distincts demeure par ailleurs un choix risqué en termes de rythme de déploiement et d'homogénéité technique, causé par un retrait de l'État. De fait, en termes de débit, la France prend du retard en Europe. Le dernier indice relatif à la société et l'économie numérique ( Digital Economy and Society Index - DESI), publié par la Commission européenne en mars 2017 classe ainsi la France au 27 ème rang des pays européens pour le très haut débit, avec 47% des foyers couverts. Il devient donc urgent de doter à temps notre pays d'un réseau de dernière génération.
POURCENTAGE DE FOYERS COUVERTS EN TRÈS HAUT DÉBIT FIXE EN 2017
Source : Commission européenne - DESI 2017.
Il est également indispensable de combler rapidement les fractures numériques les plus flagrantes. Certains territoires subissent une situation de décrochage numérique, qu'il s'agisse de réseaux fixes ou mobiles, et ne disposent toujours pas d'un accès de base, dont les habitants des grandes villes bénéficient depuis plus d'une dizaine d'années.
S'agissant de l'internet fixe, plus de 10 % des lignes du réseau téléphonique offrent encore un débit inférieur à 4 Mbit/s, niveau pourtant jugé indispensable pour disposer d'un accès correct aux usages numériques, et qui sera certainement dépassé très rapidement. En matière de téléphonie mobile, le problème des zones blanches 2G et 3G n'a toujours pas été entièrement résorbé depuis le lancement du programme de couverture de 2003, ce qui est d'autant plus inacceptable qu'il ne s'agit que d'assurer la couverture des centres-bourgs.
Vos rapporteurs relèvent en particulier qu'en janvier 2017, les centres-bourgs de 296 communes n'étaient toujours pas couverts en 2G 24 ( * ) . Le Gouvernement avait pourtant annoncé l'achèvement du programme au 31 décembre 2016. En réalité, les opérateurs sont tenus de couvrir ces communes dans les six mois qui suivent la mise à disposition des pylônes par les pouvoirs publics. De fait, en l'absence de pylône, la couverture n'a pas progressé dans ces territoires, créant ainsi de nouvelles déceptions. En privant les habitants, les entreprises et les services publics du potentiel offert par le numérique, cette situation inacceptable est un facteur d'exclusion majeur de la modernité. La persistance de ces difficultés, pourtant présente depuis de nombreuses années, témoigne d'une véritable défaillance des pouvoirs publics et des gouvernements successifs. Elle prouve que les forces du marché ne peuvent répondre directement aux enjeux d'aménagement du territoire.
Le groupe de travail considère que l'accessibilité numérique est aujourd'hui le préalable indispensable à toute politique ou projet d'aménagement du territoire. Le développement des réseaux numérique est aussi important pour le développement des territoires que l'a été l'électrification du pays. Dans ce domaine, plus que dans tout autre, il est impératif de se donner les moyens d'une action publique ambitieuse, en garantissant que l'initiative privée, présentant un profil d'oligopole dans ce domaine, prenne sa juste part des déploiements.
En 2012, à la suite d'une mission parlementaire 25 ( * ) et d'un rapport sénatorial 26 ( * ) , une proposition de loi volontariste avait été adoptée par le Sénat 27 ( * ) dans un climat transpartisan. Ce texte prévoyait de vraies avancées pour nos territoires, avec un contrôle strict de la mise en oeuvre des engagements des opérateurs et un dispositif de relai en cas de défaillance privée. Malheureusement, à la demande du Gouvernement, ce texte avait été rejeté à l'Assemblée nationale en novembre 2012. Aujourd'hui, il est dommage de constater que de nombreux risques identifiés lors des travaux préparatoires se sont effectivement réalisés, tandis que certaines situations n'ont que peu évolué alors que cinq années se sont déjà écoulées.
Face à ce constat alarmant, le groupe de travail préconise désormais de mettre en oeuvre sans plus attendre l'intégralité des recommandations du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire 28 ( * ) , qui portent notamment sur le renforcement des moyens de l'État, les obligations imposées aux opérateurs, ou la résorption rapide des fractures territoriales les plus flagrantes en termes de téléphonie mobile et de haut débit fixe.
Proposition : Mettre en oeuvre les recommandations du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire ( v. annexe 1 ). |
2. Lutter efficacement contre la désertification médicale
Dans un contexte de vieillissement de la population et d'augmentation des maladies chroniques, la désertification médicale inquiète particulièrement nos concitoyens. Alors qu'il n'y a jamais eu autant de médecins dans notre pays - le dernier Atlas de la démographique médicale en France , publié par le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), recense 198 144 médecins en exercice régulier au 1 er janvier 2016 -, ils n'ont paradoxalement jamais été aussi mal répartis sur le territoire ce qui pose un réel problème d'accessibilité pour plus de trois millions d'habitants :
- les écarts de densité varient de 1 à 4 entre les départements. Le département de l'Eure a la plus faible densité médicale : il recense 167 médecins pour 100 000 habitants en 2015. À une centaine de kilomètres, le département de Paris se positionne quant à lui au premier rang des départements ayant la plus forte densité médicale : il compte 678,2 médecins pour 100 000 habitants ;
- les écarts de densité varient également d'une profession médicale et d'une spécialité à l'autre : en 2015, ils sont de 1 à 2 pour les médecins généralistes, de 1 à 8 pour les médecins spécialistes, de 1 à 9 pour les infirmiers libéraux, de 1 à 4 pour les masseurs kinésithérapeutes, de 1 à 5 pour les sages-femmes et de 1 à 3 pour les chirurgiens-dentistes.
Les évolutions observées au cours des dernières années témoignent bien d'une aggravation du phénomène : on assiste à un véritable « exode médical » du centre de la France vers les régions littorales et la façade est. Autrement dit, les difficultés continuent de s'aggraver dans les territoires qui sont déjà les plus à la peine. Il ne faut pas oublier également que la disparition des médecins entraîne celle des pharmaciens et de l'ensemble de la chaîne des professionnels de santé, ce qui crée de véritables « déserts médicaux » dans les zones rurales, mais aussi dans certaines villes moyennes ou zones péri-urbaines.
VARIATION DES EFFECTIFS DES MÉDECINS EN
ACTIVITÉ RÉGULIÈRE
ENTRE 2007 ET 2016
Source : Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM).
En pratique, le problème posé n'est pas celui de la distance mais la durée d'attente pour obtenir une consultation médicale, voire l'absence totale de médecins spécialistes dans certaines zones rurales ou certains quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il faut en moyenne 18 jours pour voir un pédiatre, 40 jours pour un gynécologue et 133 jours pour un ophtalmologiste, sachant que les délais maximum dépassent très largement ces moyennes et peuvent atteindre douze à dix-huit mois dans certaines villes.
Ces constats ne sont pas nouveaux, mais l'aggravation du phénomène pose un problème majeur alors que la démographie médicale va connaître un creux dans les dix prochaines années, en raison de l'effet décalé dans le temps des décisions de resserrement du numerus clausus jusque dans les années 1990. L'effet de ciseau est accentué par un temps d'exercice médical qui se réduit, en raison d'aspirations croissantes des médecins à mieux concilier vie professionnelle et vie privée, et par les choix d'installation des jeunes médecins, qui ne s'orientent pas vers les zones fragilisées, mais sont davantage conditionnés par le lieu de leurs études et des considérations familiales.
Si l'objectif de 1400 maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) à horizon 2018 apporte un premier élément de réponse, votre commission défend depuis plusieurs années la mise en place d'un certain nombre de réformes. En 2012, elle avait mis en place un groupe de travail relatif à la présence médicale sur l'ensemble du territoire, dont les conclusions 29 ( * ) sont toujours d'actualité. Parmi les propositions phares qui nécessitent d'être mises en oeuvre, plusieurs pistes témoignent de la nécessité d'un volontarisme plus affirmé de l'Etat régulateur :
- introduire un conventionnement sélectif pour les médecins selon le principe « une installation pour un départ » dans les zones sur-dotées. Ce mécanisme existe déjà pour la plupart des professions de santé (infirmiers, sages-femmes, orthophonistes, chirurgiens-dentistes) et a largement fait les preuves de son efficacité ;
- réformer les études de médecine en prévoyant des stages obligatoires en médecine générale dès le deuxième cycle et en mettant en place une quatrième année professionnalisante en fin de troisième cycle pour les étudiants en médecine générale, accomplie de préférence dans les zones sous denses ;
- faciliter la délégation d'actes entre professions de santé en définissant la prise en charge des patients sur la base d'une notion de mission, et non plus une notion d'actes, dans les textes réglementaires.
Proposition : Mettre en oeuvre les recommandations du groupe de travail relatif à la présence médicale sur l'ensemble du territoire ( v. annexe 2 ). |
* 23 Les réseaux fixes de haut et très haut débit : un premier bilan - Rapport public thématique de la Cour des Comptes (janvier 2017).
* 24 Observatoire de l'ARCEP sur les déploiements mobiles en zones peu denses, 28 février 2017.
* 25 Rapport au Premier ministre remis le 26 octobre 2010 - « Réussir le déploiement du Très Haut Débit : une nécessité pour la France » - Hervé Maurey.
* 26 Rapport d'information du Sénat n°730 - Session ordinaire 2010-2011 - « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes » - Hervé Maurey.
* 27 Proposition de loi n° 118 (2011-2012) visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, de MM. Hervé Maurey et Philippe Leroy, déposée au Sénat le 17 novembre 2011.
* 28 Rapport d'information n° 193 (2015-2016) de MM. Hervé Maurey et Patrick Chaize, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat (25 novembre 2015).
* 29 « Déserts médicaux: agir vraiment » - Rapport d'information n° 335 (2012-2013) de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission du développement durable (5 février 2013).