B. LE PROCESSUS NORMATIF EUROPÉEN PEUT MIEUX FAIRE...ET TENTE EFFECTIVEMENT DE LE FAIRE

1. Les dysfonctionnements traditionnels du processus normatif européen

Au-delà de la complexité intrinsèque à la notion même de norme, le processus normatif européen n'est pas toujours un facteur de simplification de la vie des citoyens et des entreprises. C'est la conséquence de ses principaux dysfonctionnements.

a) Des véhicules législatifs parfois mal calibrés

D'une façon générale, si les directives sont en principe plus souples que les règlements européens, elles peuvent aussi constituer un facteur de complication juridique. En effet, plutôt que de soumettre de façon certaine et uniforme tous les États membres aux mêmes prescriptions, le principe de la directive est de renvoyer à des mesures de transposition nationales. Au départ pensé comme un élément de souplesse, le recours aux directives peut être un facteur de complexité et d'incertitudes compte tenu des délais et des modalités différentes dans lesquels les directives européennes sont transposées.

Ces inconvénients des directives tendent à être amplifiés par deux évolutions :

- d'une part, l'adoption de directives de plus en plus précises qui cumulent des exigences précises et un aléa sur la façon dont celles-ci seront atteintes dans les faits. Tel est par exemple le cas de la directive CEM 2014/30/UE (compatibilité électromagnétique applicable notamment aux ascenseurs) qui fixe des règles d'émission très contraignantes sans préciser les moyens de les atteindre et renvoyant à un dispositif d'essais très longs et coûteux,

- d'autre part, la plus grande hétérogénéité des pratiques nationales depuis l'élargissement de l'Union en 2004 et 2007 augmente les écarts d'interprétation et de mise en oeuvre du droit européen qui sont, par définition, plus sensibles lorsqu'il s'agit de directives.

Bien entendu, parfois le problème ne tient pas au choix d'un véhicule législatif mais plus profondément à la légitimité de l'Union européenne à intervenir dans tel ou tel domaine. Ainsi en est-il lorsque l'Europe interdit la commercialisation des aspirateurs de plus de 900 watts à compter du 1 er janvier 2017 18 ( * ) ou finance pour près de 100 000 euros une étude pour fixer le volume des chasses d'eau 19 ( * ) occasionnant à cette occasion, une opposition avec certains États membres 20 ( * ) . Le problème ici posé est celui des priorités de l'action de l'Union ainsi que du respect du principe de subsidiarité.

b) Des législations partielles

Le caractère parfois partiel du processus normatif peut aboutir à cumuler les inconvénients d'une législation européenne harmonisée avec ceux de la reconnaissance mutuelle des législations nationales. Le fait de se retrouver au milieu du gué est alors un facteur de complexité voire d'incohérences . C'est par exemple le cas concernant les matériaux entrant en contact avec les aliments (emballages et équipements) pour lesquels coexistent une réglementation communautaire et une grande diversité de réglementation nationale du fait d'une normalisation européenne incomplète.

Le règlement (CE) n°1935/2004 concernant les matériaux entrant en contact avec les aliments

Le règlement (CE) n°1935/2004 pose les principes des exigences applicables à ces matériaux et liste les différents types de matériaux pour lesquels des textes spécifiques doivent être adoptés. Or, à ce jour, seuls quatre types de matériaux ont fait l'objet de règlements spécifiques, notamment les matériaux plastiques très couramment utilisés comme emballages alimentaires. Pour les autres matériaux d'emballages, tels que les encres, les papiers cartons, etc, les réglementations nationales des différents pays de l'Union Européenne s'appliquent, et encore lorsqu'elles existent.

c) Des législations européennes inadaptées voire irréalistes

L'Union européenne a parfois adopté des réglementations manifestement complètement inadaptées aux réalités.

En novembre 2015, la Commission européenne a ainsi présenté une proposition de directive prévoyant l'interdiction complète des chargeurs fixes ou amovibles de grande capacité pour toutes les armes à feu et surtout une interdiction complète de possession privée pour les armes de chasse ou de sport ressemblant esthétiquement ou techniquement à une arme à feu militaire moderne. Ce texte avait donc comme effet non négligeable de rendre de facto impossible les activités des chasseurs et des tireurs sportifs. Leur réaction ne se fit pas attendre et conduisit la Commission à préparer un nouveau texte 21 ( * ) .

De même, en 2004, la Commission européenne avait adopté une directive sur la protection des travailleurs contre les champs électromagnétiques (directive 2004/40/CE). Une fois le texte adopté, les entreprises et le monde médical découvrirent que la directive allait interdire l'utilisation sur le territoire de l'Union européenne des scanners médicaux par résonance électromagnétique, des procédés industriels de soudage, d'induction et d'électrolyse. La Commission a fini par se rendre à l'évidence. La directive fut abrogée et remplacée par un texte plus raisonnable (directive 2013/35/UE). La nouvelle directive fut toutefois considérée comme incompréhensible par l'immense majorité des acteurs concernés, conduisant la Commission à publier un guide pratique plus lisible par les entreprises et donnant des solutions pragmatiques. Au-delà des questions de fond, cet exemple soulève aussi un problème de subsidiarité.

Face à de tels exemples de décalage entre les textes et la réalité, la question se pose quant aux causes de ces dysfonctionnements.

Certes, dans le cas de la directive sur les armes, la cause semble résider pour une large part dans la précipitation des travaux de la Commission dans le contexte des attentats. Toutefois, d'une façon plus générale, de telles situations ne sont possibles que par les lacunes des études d'impact et de la concertation avec les parties prenantes.

Une telle situation peut a priori sembler contradictoire avec la réputation faite aux institutions de l'Union européenne de prendre au contraire trop en compte les intérêts privés du fait d'une intense activité de lobbying.

Certes, l'importance du lobbying demeure forte à Bruxelles, parfois de manière retentissante.

Quelques démonstrations de lobbying particulièrement éloquentes

- L'interdiction des sacs plastiques par l'UE

Lancée en 2013, une initiative de la Commission européenne visait à interdire à terme l'usage de sacs plastiques à usage unique dans l'Union.

Le cabinet d'avocats Alber & Geiger se présente comme un leader en termes de lobbying à Bruxelles. Il a travaillé récemment sur une proposition européenne d'interdiction des sacs plastiques. Au vu de la popularité de cette proposition, Papier-Mettler, le plus gros producteur de sacs plastiques de l'Union européenne s'est offert les services de ce cabinet pour contrer cette proposition législative.

Au cours de la phase de discussion de cette même initiative, l'eurodéputée danoise Margrete Auken a rendu publiques des accusations visant deux anciens eurodéputés britanniques conservateurs, Martin Callanan et Nirj Deva. Selon elle, ils auraient utilisé leurs réseaux d'influence pour repousser l'interdiction de l'une des alternatives aux sacs plastiques (les sacs oxodégradables) qu'elle défendait sous la forme d'un amendement.

Finalement, l'interdiction des sacs plastiques a été revue à la baisse, visant une réduction de 75 % de leur usage d'ici 2025. De l'aveu même du cabinet concerné, il s'agit de l'un de ses succès d'influence des politiques européennes, au point d'en faire état sur son propre site internet. C'est le fruit d'un lobbying persistant qui a mis une halte au projet d'interdiction et qui a même eu un impact sur des projets similaires au niveau national. M. Mettler, le propriétaire de Papier-Mettler, a qualifié le travail du cabinet d'avocats de « rapide et convaincant ».

- La directive dite secret des affaires

La controversée directive sur le secret des affaires a été adoptée par l'Union européenne le 14 avril 2016. Cependant, sa genèse semble beaucoup devoir au travail de lobbying des grands groupes industriels opérant au sein de l'UE.

En effet, dès septembre 2006, les représentants de grandes entreprises industrielles ont réuni à Bruxelles un grand colloque visant à démontrer que les différentes réglementations à visée environnementales, et plus particulièrement les exigences de transparence en termes de processus de production et de composition des produits, étaient nuisibles à la compétitivité. Cette alliance de circonstance a conduit à la création de la Coalition pour les Secrets d'Affaires et l'Innovation (TSIC - Trade Secret and Innovation Coalition), dont les membres sont entre autres Alsthom, Dupont, General Electric, Intel, Michelin et Nestlé, qui a milité pour l'adoption d'un texte définissant le secret des affaires de manière unifiée au niveau de l'Union européenne.

De nombreux éléments indiquent qu'un cabinet d'avocats (White & Case) a directement fait du lobbying pour demander une initiative qui a conduit à cette directive, dans un domaine non encore réglementé au niveau européen, pour le compte de la TSIC.

Plus précisément, il s'agissait d'influencer la rédaction de la définition du secret des affaires qui n'a pas été modifiée depuis la publication du projet de directive dans des termes très proches des voeux de la TSIC. Elle est définie comme portant sur toute information secrète, qui a une valeur commerciale parce qu'elle est secrète, et dont le secret a fait l'objet de mesures de protection raisonnables. De nombreuses réactions ont pointé le flou, et donc l'insécurité juridique, introduit par cette définition sans qu'elle soit retouchée.

D'autre part, d'après l'analyse des échanges de courriels menée par le Bureau de l'Investigation journalistique, la consultation de la Commission n'a pas intégré d'ONG dans les tout premiers stades de l'élaboration du projet. Malgré les oppositions qu'un certain nombre d'entre elles ont soulevées, et une certaine mobilisation citoyenne, les seules modifications apportées par la consultation de la société civile ont été des exceptions bénéficiant aux journalistes et aux lanceurs d'alerte.

- La fin des frais d'itinérance de la téléphonie portable en Europe

La surfacturation des usages mobiles dans un autre pays européen que celui dont on est originaire a longtemps été un sujet de travail pour la Commission européenne, sans que celui-ci aboutisse à des mesures concrètes. Discutée publiquement depuis 2006, cette mesure a été repoussée par plusieurs interventions successives du lobby de l'industrie concernée. Dans un premier temps, pour éviter une règlementation contraignante, il a été proposé des réductions volontaires de ces tarifications. Elles ont effectivement eu un impact sur les frais facturés, mais ceux-ci restaient significatifs pour les utilisateurs.

Après plusieurs années de discussion, une réglementation visant à totalement supprimer les frais d'itinérance a été votée en avril 2014, prévoyant une disparition du roaming le 15 décembre 2014. Après différentes interventions des industriels du secteur, la date a été modifiée par le Conseil européen et repoussée à une application en 2018. Finalement, un accord entre le Parlement et le Conseil a permis d'imposer une période transitoire, d'avril 2016 à juin 2017, pendant laquelle ces frais sont encadrés, avant de disparaître totalement 22 ( * ) .

Toutefois les dysfonctionnements du processus normatif européen prenant la forme de « malfaçons » des textes semblent avoir des causes plus structurelles. Le processus normatif semble, en effet, par construction, propre à faire primer un intérêt en particulier, de la conception d'un texte jusqu'à sa présentation finale.

Cet intérêt particulier peut être le fruit d'un lobby mais aussi d'une préoccupation spécifique comme ce fut le cas de la volonté de protéger la santé des travailleurs pour la directive sur les champs électromagnétiques. L'orientation originelle d'une proposition de la Commission est généralement peu modifiée au cours du processus décisionnel interne alors même qu'elle pourrait poser des problèmes majeurs.

La non prise en compte de certains intérêts ou aspects tient sans doute au mode de concertation interservices au sein de la Commission européenne. Par exemple, le dispositif français est celui de réunions interministérielles pouvant donner lieu, à tous les stades de la procédure, à des arbitrages du Premier ministre. Or, à Bruxelles, cette capacité d'arbitrage est beaucoup moins forte tant au niveau administratif (des consultations interservices) qu'au niveau politique (fonctionnement du collège des commissaires davantage par consensus que par arbitrage du président).

Il est ainsi ressorti de nos auditions concernant plusieurs secteurs d'activités que plusieurs textes européens avaient été marqués initialement par les préoccupations ou les conceptions de grandes entreprises et qu'ils étaient de ce fait mal adaptés aux activités artisanales ou des PME . Il ne s'agit alors pas nécessairement d'une volonté d'éliminer des petits concurrents en imposant des normes difficiles à atteindre pour eux, mais plutôt d'une méconnaissance de la situation ou des activités des PME.

Un exemple d'actualité en est donné par la proposition de directive, déposée le 13 mai 2016, modifiant la directive 2004/37/CE concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail. Elle prescrit par exemple l'équipement du lieu de découpe et des travailleurs confrontés à des poussières de silice selon des modalités tout à fait adaptées à des installations industrielles mais manifestement sans prise en compte des travaux en petite série exécutés par exemple dans l'habitation d'un particulier par un artisan du bâtiment.

Parfois, sans être à proprement parler irréalistes, les normes européennes s'avèrent très coûteuses et complexes à respecter, alimentant la crainte de se voir sanctionner si l'on ne la satisfait pas malgré les efforts déployés. Un exemple parmi d'autres de prescriptions difficiles à satisfaire est celui des coulis de tomates.

La réglementation sur les coulis de tomates

La directive européenne 1764/86 du 27 mai 1986 interdit complètement la présence de morceaux de peau dans les conserves et les petits défauts tels qu'une légère entaille n'y sont tolérés qu'à hauteur de 300 cm² de surface totale pour dix kilos de fruits (pour les tomates entières) ou 1 250 cm² (pour les tomates en morceaux). Dans les boîtes, « les tomates et le liquide de couverture [...] doivent occuper au moins 90 % de la capacité en eau du récipient » . Sauf si le bocal est en verre : dans ce cas, « la capacité en eau est réduite de 20 millilitres avant le calcul des pourcentages » . Les fabricants n'ont plus qu'à faire marcher leurs calculettes.

Enfin, au-delà du processus normatif stricto sensu , il convient de rappeler que les normes communautaires sont parfois considérées comme difficiles à accepter du fait de la structure des politiques de l'Union européenne .

D'une part, l'alourdissement des normes notamment techniques rend toujours plus sensible le déséquilibre entre les domaines dans lesquels l'Europe intervient dans le détail et ceux où il y a un manque cruel d'harmonisation européenne, par exemple en matière sociale et fiscale . Cette perception est très prégnante dans des secteurs comme le bâtiment.

D'autre part, bien que la Commission européenne veille en principe au respect du droit de l'Union, sa mise en oeuvre effective, et notamment la surveillance des marchés, est en fait confiée aux États membres avec des interprétations et des niveaux d'exigences souvent très différents d'un pays à l'autre, ce qui peut là encore donner le sentiment que la recherche d'harmonisation européenne est déséquilibrée.

Face à ces situations, quels peuvent être les enjeux en matière de simplification du processus normatif européen lui-même , indépendamment des besoins touchant aux contenus et réglementations dans tel ou tel domaine spécifique (développés dans le II. du présent rapport) ?

En fait, si la simplification passait par un allègement des procédures décisionnelles, elle présenterait le risque de laisser la Commission européenne décider davantage en allégeant les besoins d'évaluation, préalables de concertation et de contrôle démocratique sur ses décisions. Notre commission n'a d'ailleurs eu de cesse de rappeler l'importance de ces contrôles entourant l'action de la Commission européenne, notamment sur la question des actes délégués 23 ( * ) .

En fait, l'enjeu nous semble être celui d'un encadrement du processus normatif de façon à aboutir à des textes européens plus pertinents car :

- prenant davantage en compte les différentes dimensions ou implications des normes produites,

- davantage adaptés aux réalités (différences nationales, cas des PME, effets sur la compétitivité et l'attractivité de l'Europe vis-à-vis de ses concurrents),

- faisant en sorte que l'Europe intervienne là où l'on l'attend et où il existe une véritable valeur ajoutée à agir au niveau européen.

En un mot, l'enjeu est de faire en sorte que les normes européennes constituent bien un élément qui simplifie et donne de nouvelles opportunités aux activités de nos concitoyens, ou encore qu'elles améliorent leur qualité de vie.

Force est de constater que les évolutions récentes du processus normatif européen vont dans ce sens.

2. L'amélioration du cadre normatif européen, une réalité et un sujet d'actualité

Des changements favorables ont été introduits à la fois par le traité de Lisbonne (a) et par la politique engagée à son arrivée par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker (b).

a) Un meilleur contrôle de la subsidiarité

Le principe de subsidiarité est consacré par le traité de Lisbonne comme principe fondamental de l'Union, aux côtés des principes d'attribution et de proportionnalité (art. 5 TUE).

Il y est précisé que « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres (...) »

Aux termes de l'article 5, paragraphe 3, deuxième alinéa, et de l'article 12, point b), du traité UE, les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue dans le protocole n° 2.

En vertu de cette procédure dite d'alerte précoce, toute chambre d'un parlement national dispose de huit semaines à compter de la date de transmission d'un projet d'acte législatif, pour adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles elle estime que le projet en cause ne respecte pas le principe de subsidiarité.

Lorsque des avis motivés émanent d'au moins un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux 24 ( * ) , cela signifie qu' un carton jaune 25 ( * ) a été adopté et que le projet doit être réexaminé . Après ce réexamen, l'institution dont émane le projet d'acte législatif peut alors décider de le maintenir, de le modifier ou de le retirer, en motivant dans tous les cas sa décision.

Lorsque, dans le cadre de la procédure législative ordinaire, au moins une majorité simple des voix attribuées aux parlements nationaux conteste la conformité d'une proposition législative avec le principe de subsidiarité et que la Commission décide de maintenir sa proposition, la question est renvoyée au législateur (le Parlement européen et le Conseil), qui se prononce en première lecture. Si le législateur estime que la proposition législative n'est pas compatible avec le principe de subsidiarité, il peut la rejeter à la majorité de 55 % des membres du Conseil ou de la majorité des voix exprimées au Parlement européen ; on parle alors de carton orange .

Les trois cartons jaunes adoptés à ce jour

En mai 2012 , le premier carton jaune a été émis envers une proposition de règlement de la Commission concernant l'exercice du droit de mener des actions collectives dans le contexte de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services (« Monti II »). 12 parlements nationaux/chambres de ces parlements sur 40 ont alors considéré que la proposition n'était pas conforme au principe de subsidiarité du point de vue de son contenu. La Commission a finalement retiré sa proposition, estimant toutefois que l'infraction au principe de subsidiarité n'était pas constituée.

En octobre 2013 , un autre carton jaune, a été émis par 14 chambres des parlements nationaux dans 11 États membres (18 voix) suite à la proposition de règlement portant sur la création du Parquet européen. La Commission, après avoir analysé les avis motivés reçus des parlements nationaux, a décidé de maintenir la proposition, en indiquant que celle-ci, conforme au principe de subsidiarité, serait probablement mise en oeuvre au moyen d'une coopération renforcée.

Enfin, un troisième carton jaune a été dressé par 14 chambres de 11 États membres en mai 2016 contre la proposition de révision de la directive concernant le détachement de travailleurs. Ici encore, la Commission a décidé de maintenir sa proposition, considérant qu'elle n'enfreignait pas le principe de subsidiarité, la question des travailleurs détachés étant, par définition, transfrontalière.

b) Le mieux légiférer introduit par la Commission Juncker

Indépendamment des règles du traité visant à assurer un meilleur contrôle du principe de subsidiarité, la Commission européenne issue des élections de 2014 a lancé quelques mois après son installation une nouvelle initiative intitulée « Mieux légiférer » 26 ( * ) . Marquée par la volonté de privilégier une approche « plus politique » et moins technocratique 27 ( * ) , cette initiative a été confiée pour sa mise en oeuvre, au Premier vice-président de la Commission, M. Frans Timmermans. Elle comprend quatre composantes et dépasse la cadre de la seule Commission.

(1) Le retrait d'un grand nombre de projets de textes

L'orientation de la nouvelle Commission européenne s'est très rapidement traduite par la volonté de se concentrer sur les projets de textes européens présentant un caractère prioritaire conformément au discours de Jean-Claude Juncker selon lequel : « Chaque problème existant en Europe n'a pas vocation à devenir un problème de l'Union européenne. Ce sont les grandes affaires dont nous devons nous occuper . »

Le programme de travail de l'exécutif européen pour le mandat 2014-2019 a ainsi été concentré sur ses priorités politiques. En 2015, 80 propositions de textes ont été retirées par la Commission sur les 450 en attente de décision du Parlement et du Conseil 28 ( * ) .

Le programme de travail de 2016 prévoyait 23 initiatives contre 130 les années précédentes ainsi que 20 modifications ou retraits de propositions. La tendance se précise et s'accentue pour 2017 puisque le programme de travail de la Commission européenne comprend 21 initiatives.

(2) La création d'un Comité indépendant d'examen de la réglementation

Afin de renforcer le contrôle de la pertinence et des effets possibles de ses projets de réglementation, la Commission européenne a installé le 1 er juillet 2015 un comité d'analyses d'impacts indépendant chargé d'assurer un contrôle central de la qualité et une fonction générale de soutien aux services dans le cadre des travaux d'évaluation et d'analyse d'impacts de la Commission. Il examine l'ensemble des projets d'analyse d'impacts de la Commission, ainsi que les évaluations et bilans de qualité de la législation en vigueur, et il émet des avis et des recommandations sur ceux-ci.

La volonté d'accroître l'importance des études d'impacts à travers ce nouveau comité semble indéniable.

S'agissant de son caractère indépendant, il convient de préciser que :

- son indépendance est protégée par les règles régissant les relations entre le comité et les services de la Commission, et le caractère non renouvelable de ses membres,

- mais que la moitié de ses membres sont originaires de l'administration de la Commission,

- enfin, que le comité rapporte directement à M. Frans Timmermans.

Au final, le niveau hiérarchique, la qualité des membres du comité ainsi que le lien direct avec le Premier vice-président Timmermans nous semblent des gages de succès. L'essentiel est en effet de ne pas aboutir à un processus technocratique transférant à des experts un pouvoir de décision qui revient aux responsables politiques.

(3) L'amélioration des consultations

Les citoyens et les parties intéressées peuvent désormais, à l'occasion de consultations publiques systématiques, donner leur avis sur :

- les feuilles de route et les analyses d'impacts initiales, dans lesquelles la Commission présente de nouvelles idées de politiques et de législations ou d'évaluations des politiques existantes ;

- les analyses d'impact, dans lesquelles la Commission analyse les éventuelles incidences économiques, sociales ou environnementales d'une proposition ;

- les propositions législatives, une fois qu'elles ont été approuvées par la Commission, les projets d'actes délégués 29 ( * ) ou d'actes d'exécution 30 ( * ) ;

- les évaluations et des «bilans de qualité» des politiques et législations en vigueur.

Ces consultations font l'objet d'un rapport public de la part de la Commission européenne.

(4) La plateforme REFIT

Depuis janvier 2016, a été lancée la plateforme internet REFIT 31 ( * ) sur laquelle les citoyens et « parties prenantes » (associations, entreprises, collectivités) d'une part, et les administrations nationales d'autre part, peuvent faire part des difficultés posées par les différentes réglementations européennes ainsi que proposer des améliorations 32 ( * ) .

(5) Un mouvement qui dépasse la Commission européenne

La préoccupation de « mieux légiférer » n'est plus l'exclusivité de la Commission européenne, chargée de proposer des textes européens et d'en superviser et contrôler d'application. Elle est depuis quelques mois officiellement partagée par les deux institutions législatives de l'Union européenne.

En effet, la Commission, le Parlement et le Conseil ont signé un accord relatif à l'amélioration de la réglementation, entré en vigueur le 13 avril 2016, en remplacement de celui en vigueur depuis 2003 et qui prévoit en particulier :

- la transparence tout au long du processus législatif (par la création d'une base de données commune sur l'état d'avancement des dossiers législatifs dans les trois institutions) ;

- l'élaboration de politiques et d'actes législatifs « fondés sur des données probantes » par le recours aux études d'impact 33 ( * ) pour les modifications substantielles proposées par le Parlement ou le Conseil ;

- l'évaluation de la législation existante de l'Union européenne en vue de la simplifier et d'éviter la réglementation excessive et les lourdeurs administratives, notamment dans le cadre d'un examen annuel de la charge ;

- la discussion chaque année des priorités législatives de l'Union européenne et ils fixeront les principales priorités communes pour l'année à venir.

La mise en place du nouveau cadre « mieux légiférer » 34 ( * ) est déjà sensible au niveau de la Commission européenne. Nous estimons l'action conjointe des trois institutions indispensable. Si le Parlement européen semble relativement bien armé pour s'engager dans cette politique au travers notamment de son service des recherches parlementaires 35 ( * ) , il faut souhaiter que le Secrétariat général du Conseil soit pleinement en état de participer à ce mouvement et que les trois institutions enclenchent effectivement un cercle vertueux.


* 18 Ce qui constitue une réelle contrainte car, avant l'entrée en vigueur du règlement 666/2014, les aspirateurs commercialisés en Europe présentaient des puissances allant jusque 2 400 watts.

* 19 Décision de la Commission du 22 juillet 2013 établissant les critères écologiques pour l'attribution du label écologique de l'UE aux toilettes à chasse d'eau et urinoirs.

* 20 À commencer par les Britanniques qui souhaitaient pouvoir utiliser 4 litres d'eau pour leur « demi-chasse » contre 2,5 pour la norme européenne.

* 21 Qui débute actuellement son parcours législatif.

* 22 Le rôle du Parlement européen dans cette évolution doit être salué.

* 23 Cf. le rapport d'information de notre collègue Simon Sutour, fait au nom de la commission des affaires européennes n° 322 (2013-2014) du 29 janvier 2014.

* 24 Une voix par chambre pour les parlements bicaméraux, deux voix pour les parlements monocaméraux.

* 25 En ce qui concerne les textes relatifs à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ce seuil est abaissé à un quart des voix des parlements nationaux.

* 26 Le programme « Mieux légiférer » a été présenté le 19 mai 2015.

* 27 L'objectif poursuivi est notamment que les textes européens répondent davantage aux orientations politiques définies au niveau des commissaires qu'à la simple volonté de réglementer leurs administrations.

* 28 Alors que le nombre des retraits oscillait traditionnellement ente 30 et 40.

* 29 Actes qui complètent ou modifient certains aspects de la législation en vigueur.

* 30 Actes qui définissent des règles visant à garantir l'application uniforme des actes législatifs dans toute l'Union.

* 31 Programme pour une réglementation affûtée et performante.

* 32 Ces éléments sont ensuite analysés et traités par deux instances : d'une part, d'un « groupe de réflexion des parties intéressées », qui compte 18 représentants de divers secteurs, un représentant du Comité économique et social européen et un représentant du Comité des régions ; et d'autre part, un « groupe de réflexion des États membres », composé d'un expert de haut niveau issu de chacun des 28 États membres de l'UE.

* 33 Il est prévu que les analyses d'impact des nouvelles initiatives soient plus complètes en tenant compte d'un éventail plus large d'aspects, dont l'incidence en termes de compétitivité, en particulier pour les PME, la charge administrative et le coût de l'inaction au niveau de l'Union européenne.

* 34 Nouvel accord par distinction avec l'accord interinstitutionnel du 16 décembre 2003 dénommé lui aussi « mieux légiférer ».

* 35 En anglais : European Parliamentary Research Service .

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