DEUXIÈME PARTIE : BILAN ET PROSPECTIVE - DES AMÉLIORATIONS ATTENDUES
Tirer un bilan de l'application concrète des dispositions de la loi de 2006, dix ans après son entrée en vigueur, permet de relever un certain nombre de difficultés, d'obstacles qu'il reste à surmonter ou de dispositifs à améliorer, voire à simplifier. Au temps de la loi succède le temps de la confrontation au réel. Et le législateur, qui a également une mission de contrôle de la loi, se doit d'évaluer les normes qu'il a votées, et d'énoncer des recommandations adaptées.
Après avoir entendu vingt-huit organismes et plus de soixante personnes, votre rapporteur constate que dix ans après son adoption par le Parlement, la loi sur l'eau de 2006 restait un jalon structurant de l'histoire de l'organisation de la politique de l'eau en France , étape essentielle de modernisation dont l'objectif de rationalisation était attendu par l'ensemble des acteurs concernés. Ainsi, la quasi-totalité des acteurs rencontrés par votre rapporteur soulignent les apports positifs de cette loi , notamment sur les grands principes qu'elle a permis de poser (droit d'accès à l'eau potable pour tous) et sur la sécurisation juridique du système des redevances perçues par les agences de l'eau, sur lequel repose l'ensemble de l'édifice de la gouvernance.
En revanche, la mise en oeuvre concrète des mesures votées en 2006 fait apparaître, dix ans plus tard, un certain nombre de difficultés, voire de résultats contre-productifs par rapport à l'intention initiale du législateur. Votre rapporteur a identifié quatre domaines dans lesquels l'application de la LEMA pose encore aujourd'hui des problèmes , souvent préjudiciables aux acteurs de terrain. Il s'agit des dispositions relatives :
- à la gestion qualitative de l'eau ;
- à la gestion quantitative de l'eau ;
- aux autorisations dites « loi sur l'eau » ;
- à la gouvernance et à la planification .
Votre rapporteur a choisi d'examiner successivement chacun de ces secteurs afin de proposer un certain nombre de recommandations.
Il a également effectué un déplacement dans le Cher le 15 janvier 2016 , afin de pouvoir constater sur place les difficultés posées notamment par l'application du principe de continuité écologique et d'entendre les organisations régionales des acteurs concernés.
DÉPLACEMENT DANS LE CHER - VENDREDI 15 JANVIER 2016 Visite de terrain avec le Président du Syndicat Intercommunal pour l'aménagement de la vallée de l'Arnon Aval. Auditions à Bourges : - FDSEA du Cher et Irrigants du Cher - Moulins du Cher - Propriété privée rurale - Pêcheurs |
BERGES DE RIVIÈRES DÉGRADÉES DUES À L'ARASEMENT DE BARRAGES DANS LE CAS OÙ ON NE PROCÈDE PAS AU RÉTRÉCISSEMENT DE LA RIVIÈRE
SUR L'ARNON
I. LA GESTION QUALITATIVE DE L'EAU
La directive cadre sur l'eau (DCE) du 23 octobre 2000 a fixé aux États membres un objectif de non dégradation et d'atteinte du bon état des cours d'eau d'ici à 2015 . Le « bon état » est fondé sur l'évaluation de l'état chimique et écologique des cours d'eau. L'état écologique comprend des paramètres physico-chimiques et biologiques, dont la diversité et l'abondance des espèces animales et végétales présentent dans nos rivières.
A. DES RÉSULTATS QUI NE REFLÈTENT PAS ASSEZ LES EFFORTS DÉJÀ MIS EN oeUVRE
1. Le « thermomètre » permettant d'évaluer les résultats évolue tous les ans
2015 a constitué une année importante dans le cadre de l'évaluation de notre politique de l'eau. En effet, l'article 27 de la loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement avait fixé un objectif de bon état écologique de 66 % des masses d'eau en 2015.
En 2013, la France atteignait un taux de 43 % et elle ne devrait pas atteindre 50 % en 2015 (les chiffres seront connus en 2017). Il apparaît même aujourd'hui que l'objectif des 66 % pourrait ne pas être atteint par la France avant 2021. Pourtant, la France se situait en 2009 au 14 ème rang européen (avec 41 % de masses d'eau en bon état écologique contre 39% en moyenne pour l'ensemble des États membres et 43 % en bon état chimique contre 35 % en moyenne en Europe).
Dans un rapport sur les progrès de mise en oeuvre de la directive-cadre sur l'eau du 9 mars 2015 , la Commission européenne a invité la France à « renforcer les mesures de lutte contre la pollution par les nutriments (azote et phosphore), compte tenu de leur impact sur l'état écologique ».
À l'époque de l'adoption de la loi Grenelle, cet objectif était vu comme un objectif mobilisateur, mais était en réalité trop ambitieux et ne correspondait pas à une stricte transposition stricte de la DCE. D'autres États membres se sont contenté de fixer des objectifs moins stricts.
En outre, la directive prévoit la possibilité pour les États membres de prévoir des cas d'exemption motivée par des coûts disproportionnés (économiques et sociaux), la faisabilité technique ou les conditions naturelles (inertie du milieu). La mise en oeuvre de ces exemptions justifie des reports temporels ou des objectifs moins stricts pour les masses d'eau concernées. Mais, comme le met en exergue le rapport d'« Évaluation de la politique de l'eau » établi par Anne-Marie Levraut en septembre 2013 au nom du CGEDD, du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, de l'Inspection générale des finances, de l'Inspection générale de l'administration, du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies et de l'Université Paris-Diderot, « la France a fait appel aux reports de délais plutôt qu'aux objectifs moins stricts et à une interprétation plus contraignante des causes d'exemptions » : un recours plus limité que d'autres pays au motif d'exemption pour coûts disproportionnés, en conduisant à relativement peu de reports à ce titre (par exemple pour l'état écologique 12 % contre 42 % au Royaume-Uni, 51 % en Autriche, 55 % aux Pays-Bas) par exemple.
Les agences de l'eau ont indiqué à votre rapporteur que la question de l'atteinte de cet objectif était en réalité largement biaisée par une « évolution constante du thermomètre » retenu. En effet, depuis quinze ans, des critères supplémentaires sont ajoutés tous les ans , ce qui donne l'impression que les résultats se dégradent alors que ce n'est pas le cas : ils sont seulement appréciés à l'aune de critères ou de seuils plus restrictifs que l'objectif initial.
À titre d'exemple, en Artois-Picardie, le bon état atteindrait aujourd'hui un objectif de 86% si l'on était resté sur les critères de 1971, utilisés jusqu'en 1995 : ce résultat redescend à 20% avec les critères actuels.
Votre rapporteur déplore que les résultats de la France ne reflètent pas les progrès réels qui ont été accomplis pour atteindre l'objectif de bon état des eaux. Des efforts considérables ont en effet été effectués, notamment sur le plan des pratiques agricoles ou encore par les collectivités territoriales. Les pratiques s'améliorent, une dynamique vertueuse a été mise en place et qui a porté ses fruits mais les résultats affichés n'en tiennent pas compte dans la mesure où la barre est fixée toujours de plus en plus haut.
Proposition 1 : Garantir le strict respect des directives européennes sans « surtransposition » française et fixer des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, afin de pouvoir mesurer les progrès réels effectués en matière de politique de l'eau. |
2. Des moyens insuffisants pour atteindre les objectifs ambitieux fixés par la DCE
Votre rapporteur regrette également que l'élévation du niveau d'ambition des objectifs aille de pair avec une baisse constante des ressources financières des agences de l'eau , qui doivent faire toujours mieux avec moins.
Il s'inquiète notamment du prélèvement de 175 millions d'euros sur le budget des agences de l'eau , prévu pour 2015, 2016 et 2017, par l'article 16 du projet de loi de finances pour 2015. Un prélèvement de 210 millions d'euros, présenté comme unique et exceptionnel, avait déjà été opéré l'année précédente sur le fonds de roulement des agences.
Or, si ce premier prélèvement pouvait être absorbé par la trésorerie des agences, un grand nombre d'entre elles se retrouvent aujourd'hui dans une situation financière plus difficile. Conscientes de la nécessité de participer au redressement des finances publiques, les six agences avaient d'ailleurs voté elles-mêmes ce prélèvement mais elles ne pourront faire face à cette nouvelle ponction, à missions constantes.
Cette nouvelle logique d'un prélèvement, non plus exceptionnel, mais pérenne, fait peser un réel danger sur l'investissement des collectivités et donc sur l'emploi local , et ne peut que nous pénaliser dans la réalisation de nos engagements européens.
Proposition 2 : Interdire le prélèvement par l'État sur le fonds de roulement des agences de l'eau afin de garantir un financement stable de la politique de l'eau et d'atteindre les objectifs de qualité de l'eau fixés au niveau européen. |
3. Le principe de « l'eau paye l'eau » en danger
En outre, le projet de loi de reconquête de la biodiversité prévoit d'étendre les missions des agences de l'eau à la biodiversité terrestre , et donc également leur périmètre d'intervention. L'objectif est ainsi que les agences de l'eau financent, au-delà de la biodiversité « humide » relative aux milieux aquatiques, la biodiversité « sèche » dans le cadre de conventions avec la future Agence française pour la biodiversité.
Or, les agences de l'eau mettent en oeuvre les SDAGE dans le but de répondre aux objectifs de la DCE et peuvent à ce titre endosser des missions concernant la préservation de la biodiversité, dès lors que ces dernières concernent le milieu aquatique. Les usagers, redevables aux agences de l'eau, sont concernés exclusivement pour des usages liés à l'utilisation de l'eau. En outre, la contribution financière versée par les agences de l'eau à la future AFB n'a pas vocation à être affectée à des missions particulières . Votre rapporteur considère que « l'eau doit payer l'eau » et que ce principe fondateur de la politique de l'eau ne peut être remis en question.
Proposition 3 : Supprimer l'extension des missions des agences de l'eau à la biodiversité terrestre. Le budget des agences de l'eau ne doit pas être utilisé pour financer la biodiversité terrestre, conformément au principe de « l'eau paye l'eau ». |