AVANT-PROPOS
Madame, Monsieur,
La loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, dite « LEMA », fêtera fin 2016 ses dix ans. Au moment de son adoption, elle poursuivait deux objectifs principaux : moderniser le dispositif juridique de la gestion de l'eau, qui reposait sur les grandes lois sur l'eau du 16 décembre 1964 et du 3 janvier 1992 et atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre du 23 octobre 2000, et notamment l'obligation de résultats pour atteindre le « bon état écologique des eaux » en 2015.
Comprenant 102 articles , elle a notamment reconnu un droit à l'eau pour tous , réformé le régime d'autorisation des installations ayant un impact sur l'eau , modifié le régime dit « du débit affecté », réformé les critères de « classement des cours d'eau » pour préserver leur bon état écologique et celui des milieux aquatiques, introduit des dispositions pour lutter contre les pollutions diffuses dues à l'emploi des produits phytosanitaires, réformé la gouvernance de l'eau , créé des redevances pour pollution de l'eau, pour modernisation des réseaux de collecte, pour pollutions diffuses, pour prélèvements sur la ressource en eau, pour stockage d'eau en période d'étiage, pour obstacles sur les cours d'eau et pour protection du milieu aquatique, mis en place l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) , renforcé la portée juridique des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), amélioré la transparence de la gestion des services d'eau et d'assainissement ou encore modernisé l'organisation de l'activité de pêche professionnelle en eau douce .
Le Sénat avait été la première assemblée saisie de l'examen de ce projet de loi réformant la politique de l'eau, présenté par le Gouvernement 40 ans après la loi fondatrice du 16 décembre 1964 décentralisant la gestion de l'eau au niveau des bassins hydrographiques. Le rapporteur de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat, Bruno Sido, avait d'emblée identifié trois enjeux majeurs 1 ( * ) . Comment satisfaire à nos obligations communautaires en conciliant les différents usages de l'eau ? Comment parvenir au « bon état écologique de l'eau » en associant réglementation et redevances de bassin ? Comment conforter la définition territorialisée de la politique des agences de l'eau et assurer la pérennité de leurs ressources financières ?
Les débats en séance publique avaient souligné l'importance de ce texte pour les élus et les collectivités territoriales, dont les responsabilités sont lourdes en matière d'eau potable et d'assainissement.
Dix ans après l'entrée en vigueur de la loi, votre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a considéré qu'il était naturel que le Sénat se penche sur l'application de cette importante réforme , sur l'impact qu'elle a eu sur les collectivités territoriales mais également sur les différents acteurs de la politique de l'eau et sur les difficultés qui sont apparues dans la mise en oeuvre des changements et des principes portés par le texte. Elle a ainsi nommé, le 30 septembre 2015, votre rapporteur pour lui présenter un rapport d'information relatif à l'application de la LEMA.
Comme en 2006, votre rapporteur a pu se rendre compte, au fil de ses auditions et de ses déplacements, que l'eau constitue une ressource unique, au centre de nombreuses activités humaines (agriculture, industrie, tourisme, énergie, transports, pêche, etc.) et que le coeur de l'action publique en matière de politique de l'eau se concentre aujourd'hui sur les potentiels conflits d'usages entre ces différentes activités. Quelle hiérarchie faut-il donner à ces usages ? Quelle articulation faut-il leur trouver sur le terrain ? Comment y associer l'ensemble des acteurs ? Quelles difficultés concrètes et quels obstacles font le quotidien de ceux qui ont à mettre en oeuvre les dispositifs juridiques imaginés et adoptés par le législateur ?
En outre, comme l'a très récemment mis en lumière le rapport d'information de la délégation à la prospective du Sénat intitulé « L'eau, urgence déclarée » 2 ( * ) , l'eau est un élément essentiel de l'adaptation au changement climatique, ce dernier ayant sur l'eau et sa gestion un impact quantitatif, qualitatif ainsi qu'un impact en termes de prix.
Dans ce contexte, dix ans après le vote de la loi, le bilan de son application semble mitigé. Votre rapporteur a perçu, au fur et à mesure de ses travaux, deux retours différents - sans être contradictoires - en interrogeant les différents acteurs concernés par la loi de 2006 : un constat très largement partagé d' attachement aux grands principes posés par le texte et de l'équilibre de la loi mais un bilan unanimement plus contrasté quant à la mise en oeuvre concrète des différentes mesures contenues dans la loi.
De la simple incompréhension aux rapports conflictuels avec l'administration, un grand nombre de mesures posent aujourd'hui problème et semblent soit mal appliquées ou mises en oeuvre en vertu d'une interprétation trop idéologique, soit trop complexes et floues juridiquement. Votre rapporteur a pu également constater que les situations peuvent être très différentes en fonction des territoires, ce qui montre la très grande latitude donnée à l'interprétation de la loi par les services qui prennent les décisions locales.
En outre, si le contexte est à un encadrement communautaire de plus en plus important avec les risques de contentieux qu'il comporte, votre rapporteur s'est beaucoup interrogé sur les risques d'un excès de « surtransposition » de la directive cadre sur l'eau , qui impose aux États une logique de résultats, et non de moyens.
Dans ce cadre, votre rapporteur a identifié quatre grands pans de la loi au sein desquels persistent des difficultés, et qui pénalisent les acteurs directement impactés par celle-ci :
- la gestion qualitative de l'eau , dans le cadre des objectifs fixés par la DCE mais dont l'évaluation est faite à l'aune de critères de plus en plus exigeants, et avec notamment des tensions encore très présentes sur le terrain en ce qui concerne l'application du principe de continuité écologique, la préservation de l'eau potable avec le double dispositif des périmètres de protection (code de la santé publique) et des aires d'alimentation de captage (code de l'environnement) et les difficultés liées aux pollutions diffuses, oubliant la conciliation avec les activités économiques de ces territoires ;
- la gestion quantitative de la ressource avec notamment les conflits d'usages qui apparaissent conjoncturellement, la gestion collective des prélèvements, prévue par la LEMA qui mutualiser les droits d'eau par des organismes uniques de gestion ;
- la simplification des procédures et l'allègement des normes notamment dans le cadre des autorisations des installations « loi sur l'eau » (installations, ouvrages, travaux et aménagements) ;
- la planification et la gouvernance , avec notamment l'équilibre de la représentation des différents acteurs au sein des instances de bassin.
* 1 Rapport n° 271 (2004-2005) de M. Bruno SIDO, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 30 mars 2005
* 2 Rapport d'information n°616 (2015-2016) fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective par MM. Henri TANDONNET et Jean-Jacques LOZACH, 19 mai 2016.