B. LA POLOGNE EN JUIN 2016
1. La nouvelle donne introduite par les élections depuis 2015
L'année 2015 marque un tournant en Pologne avec le retour aux affaires du très conservateur parti « Droit et justice » (PiS 11 ( * ) ) qui a remporté les élections présidentielles (en mai) puis législatives et sénatoriales (en octobre).
Le Parti Droit et Justice, créé en 2001 par les frères Lech et M. Jaroslaw Kaczynski, était déjà arrivé en tête aux élections législatives de 2005 avec 155 députés (la Diète polonaise en compte 460 au total). Il était alors parvenu à former un gouvernement de coalition avec le parti populiste Auto-défense de la République polonaise et le parti nationaliste de la Ligue des familles polonaises. Compte tenu de la fragilité de la coalition, le Premier ministre Jaroslaw Kaczynski fut contraint de démissionner en août 2007, moins de deux ans après son accession au pouvoir. Depuis les élections qui ont suivi la démission du gouvernement Kaczynski, la Pologne était gouvernée par le parti de centre droit, Plate-forme civique (PFC), en coalition avec le parti des paysans polonais (dit aussi parti agrarien).
Dès 2014, le mécontentement populaire à l'endroit du gouvernement et du Président de la République Bronislaw Komorowski (élu en 2011 des rangs du PFC), augmenta fortement, alimenté par un scandale lié au dévoilement de propos tenus par des ministres placés sur écoute. Ce climat favorisa un regain de vigueur du parti Droit et Justice qui emporta l'élection présidentielle du 24 mai et les élections parlementaires du 25 octobre 2015.
a) L'élection présidentielle des 10 et 24 mai 2015
Le président sortant, M. Bronislaw Komorowski, a été devancé au premier tour et battu au second par le jeune candidat du PiS, M. Andrzej Duda , qui a recueilli 51,55 % des suffrages. Âgé de 43 ans et député européen depuis 2014, M. Andrzej Duda avait été élu député de sa ville natale, Cracovie, en 2011. M. Andrzej Duda a bénéficié du report des voix qui s'étaient portées au premier tour sur le candidat antisystème, M. Pawel Kukiz (20,8 % des voix).
b) Les élections législatives et sénatoriales du 28 octobre 2015
La Pologne a donné, lors des élections législatives du 25 octobre 2015, au PiS la majorité absolue des sièges à la Diète (235 sièges sur 460), avec 37,58 % des suffrages, et au Sénat polonais, élu au suffrage universel direct (61 sièges sur 100). Il s'agit d'une victoire d'une ampleur sans précédent depuis 1989 . La Plate-forme civique a obtenu 138 sièges à la Diète, avec 24,09 % des voix, et 34 sièges au Sénat. La gauche n'est plus représentée au Parlement polonais, ce qui constitue une autre première depuis la chute du communisme .
Résultats des élections législatives (25 octobre 2015)
37,6 %, 235 sièges (en 2011 : 29,9 % et 157 sièges)
24,1 %, 138 sièges (en 2011 : 39,2% et 207 sièges)
8,8%, 42 sièges
7,6 %, 28 sièges
5,1 %, 16 sièges (en 2011 : 8,4 % et 28 sièges)
1 siège (en 2011 : 1 siège) Résultats des élections sénatoriales (25 octobre 2015)
61 sièges (en 2011 : 29 sièges)
34 sièges (en 2011 : 63 sièges)
1 siège (en 2011 : 2 sièges)
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c) La formation du nouveau gouvernement
M. Jarosaw Kaczyñski, président-fondateur du PiS (aujourd'hui officiellement simple député) a choisi Mme Beata Szydo pour occuper le poste de Premier ministre. Elle succède à Mme Ewa Kopacz (Plate-forme civique), qui avait elle-même pris la suite de M. Donald Tusk, président du Conseil européen depuis le 1 er décembre 2014. Le nouveau gouvernement est entré en fonction le 16 novembre 2015.
Dans son discours de politique générale tenu le 18 novembre devant la Diète, Mme Beata Szydo a mis l'accent sur les questions sociales 12 ( * ) , économiques 13 ( * ) et culturelles, avec, pour ce dernier point, la volonté de renforcer le sentiment patriotique des Polonais.
L'analyse par le PiS de sa première expérience gouvernementale (2005-2007) peut contribuer à la compréhension des réformes engagées par le gouvernement depuis octobre 2015. Selon ses leaders, le PiS a été contraint à la démission pour deux raisons principales : le comportement hostile des médias à son égard, et l'attitude du tribunal constitutionnel qui bloquait les lois au motif qu'elles violaient les droits garantis par la Constitution. La direction prise par le gouvernement Szydlo dès son entrée en fonction semble fortement inspirée par cette expérience et suscite de vives inquiétudes parmi les responsables européens.
2. La Pologne sujet de préoccupations
Ces derniers mois, la réforme du tribunal constitutionnel et la loi sur la nomination des directeurs de l'audiovisuel public ont alimenté un débat sur la remise en question de l'État de droit et sur l'affaiblissement des contre-pouvoirs en Pologne. En outre, le discours du PiS a alimenté des interrogations sur l'engagement européen du pays notamment à Bruxelles, dans les médias et parmi les chancelleries de ses partenaires.
Ces sujets ont bien entendu été les premiers que notre délégation a souhaité aborder lors de chacune de ses rencontres avec des autorités polonaises : lors du dîner informel du 16 juin avec les sénateurs de la commission des affaires étrangères et européennes du Sénat présidée par M. Marek Rocki (sénateur de l'opposition), mais aussi lors des entretiens officiels avec MM. Konrad Szymañski, secrétaire d'Etat aux affaires européennes et M. Stanisaw Karczewski, maréchal (président) du Sénat, accompagnés de M. Micha Seweryñski, président de la commission des droits de l'homme, tous trois membres de la nouvelle majorité.
a) L'affaire du tribunal constitutionnel
Adopté le 22 décembre 2015, l'amendement à la loi du 25 juin 2015 sur le tribunal constitutionnel a été l'une des premières dispositions adoptées par le nouveau gouvernement .
Le 25 juin 2015, le précédent gouvernement, qui anticipait une victoire du PiS aux élections législatives d'octobre, avait adopté une loi controversée sur le tribunal constitutionnel lui permettant de remplacer cinq de ses juges avant la fin de leur mandat . Cette loi lui a ouvert la possibilité de désigner cinq nouveaux juges par une résolution adoptée le 8 octobre 2015. Ces juges devaient ainsi remplacer par anticipation ceux dont les mandats expiraient en novembre et en décembre 2015.
À son arrivée au pouvoir, le gouvernement nouvellement élu a fortement contesté ces dispositions.
Par le biais de cinq résolutions adoptées le 25 novembre par les députés du PiS et du Kukiz', le gouvernement a annulé ces nominations avant de procéder, le 2 décembre 2015, à la désignation des juges constitutionnels qu'il souhaitait voir succéder à ceux dont le mandat touchait à sa fin.
En outre, la Première ministre polonaise a décidé de suspendre la publication au Journal officiel de la décision rendue le 3 décembre 2015 par le tribunal constitutionnel qui reconnaissait la constitutionnalité de la nomination de trois des cinq juges par le précédent gouvernement . Cette manoeuvre a suscité une opposition du tribunal constitutionnel dont la publication des décisions est une obligation en vertu de l'article 190, alinéa 2 de la Constitution, comme rappelé par son président dans une réponse du 11 décembre 2015.
C'est donc dans un contexte très tendu que le gouvernement a présenté à la Diète l'amendement à la loi du 25 juin sur le tribunal constitutionnel .
L'amendement à la loi du 25 juin, adopté par le PiS, introduit plusieurs éléments nouveaux :
- tout d'abord, il instaure une majorité qualifiée difficile à réunir (13 juges sur 15) pour statuer sur les affaires les plus importantes. Par conséquent, le président du tribunal constitutionnel polonais est désormais obligé de prendre en compte, lors du délibéré, les voix des cinq juges nommés par le PiS ;
- ensuite, elle oblige le tribunal constitutionnel à traiter les dossiers dans un délai d'au moins trois mois contre 14 jours auparavant. Cette disposition est susceptible d'aboutir à l'entrée en application d'une loi inconstitutionnelle avant que le tribunal constitutionnel ne puisse s'en saisir ;
- enfin, elle dispose que le Président de la République et le ministre de la justice possèdent le droit d'ouvrir la procédure disciplinaire concernant les juges du tribunal constitutionnel, sauf si son président la considère sans fondement.
Le tribunal constitutionnel polonais a rejeté cette nouvelle loi au titre de son incompatibilité avec les dispositions constitutionnelles polonaises . Tandis que de nombreuses manifestations de soutien au tribunal constitutionnel ont été organisées par la société civile polonaise, ces réformes ont suscité de vives réactions de la part de la communauté internationale : la commission de Venise du Conseil de l'Europe a invité le Parlement polonais à « trouver une solution sur la base de l'État de droit, respectant le jugement du tribunal constitutionnel ».
Cette dernière avait été saisie à la demande de M. Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, dans le cadre de la procédure de dialogue au titre du « cadre pour l'État de droit » que la Commission de Bruxelles a engagé avec la Pologne depuis le 13 janvier 2016. Les autorités polonaises ont certes demandé une appréciation juridique à la commission de Venise (le 23 décembre 2015), mais elles ont mené leur processus législatif à terme avant de recevoir cet avis.
À ce jour, le problème n'est pas résolu, comme en témoigne l'avis adopté par la Commission européenne le 1 er juin dernier, qui s'inscrit toujours dans la phase I dans la procédure prévue par le « cadre pour l'État de droit ».
Le cadre pour l'État de droit Le cadre pour l'État de droit, adopté le 11 mars 2004, permet à la Commission d'entamer préventivement un dialogue avec un État membre afin d'empêcher « les menaces systémiques envers l'État de droit » qui pourraient se muer en « risque clair de violation grave » , susceptibles d'entraîner le recours à la procédure de sanction prévue à l'article 7 du traité sur l'Union européenne. Le cadre pour l'État de droit comprend trois étapes : 1°) L'évaluation de la Commission : dans un premier temps, la Commission rassemble et examine toutes les informations utiles et apprécie s'il existe des indices clairs d'une menace systémique envers l'État de droit. 2°) L'édiction d'une recommandation : dans un deuxième temps, si le problème n'a pas trouvé de solution satisfaisante, la Commission peut adresser à l'État membre une « recommandation sur l'État de droit ». 3°) Le suivi de la recommandation de la Commission : dans un troisième temps, la Commission contrôle le suivi donné à sa recommandation par l'État membre. Faute de suite satisfaisante donnée dans le délai imparti, la Commission, le Parlement européen ou un groupe de dix États membres pourra recourir à la procédure prévue l'article 7 du traité sur l'Union européenne. Cette dernière peut déboucher in fine sur la prise de sanctions par le Conseil européen à l'issue d'une nouvelle procédure spécifique (cf infra). |
b) La loi sur les médias publics
En écho à l'opposition dont faisaient preuve les médias face à la coalition menée par le PiS entre 2005 et 2007, le gouvernement de Mme Beata Szydlo a entrepris une réforme perçue comme portant atteinte à l'indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique.
Dès le 8 janvier 2016, le président Duda a promulgué une loi qui prévoit notamment :
- la nomination des dirigeants de l'audiovisuel public par le ministre du Trésor ;
- la suppression des concours pour désigner les patrons des médias, jusqu'alors organisés sous la surveillance du Conseil national de la radio et de la télévision (équivalent du CSA) et des universités polonaises ;
- et la révocabilité des dirigeants de l'audiovisuel public.
En outre, le gouvernement envisage d'adopter une grande loi portant réforme des médias dans le courant de l'année 2016 qui prévoirait :
- la possibilité d'un limogeage de tous les journalistes qui pourront être réembauchés « après vérification 14 ( * ) » ;
- la transformation des médias publics - actuellement sociétés de droit commercial - en « médias nationaux », ce nouveau statut juridique traduisant un rapprochement par rapport à l'État accompagné d'une redéfinition de leur mission de service public.
Selon la même procédure qu'à propos du tribunal constitutionnel, le vice-président Timmermans a adressé aux autorités polonaises une lettre, en date du 30 décembre 2015, dans le but d'obtenir des informations complémentaires au sujet des projets de réforme dans le domaine de la gouvernance des organismes de l'audiovisuel public.
À l'occasion d'un débat en séance plénière au Parlement européen consacré à la situation en Pologne, le 19 janvier dernier, soit quelques jours après la première réforme de l'audiovisuel, la Commission a entamé un dialogue avec les autorités polonaises sur cette situation.
Ce dialogue a ouvert une première phase d'évaluation qui a donné lieu à l'avis publié du 1 er juin 2016 (cf supra), par lequel la Commission constate que la situation n'a pas été résolue par les autorités polonaises. La deuxième étape consisterait pour la Commission, si elle le décide, en la formulation de recommandations en vue de résoudre la situation de risque en Pologne.
c) Une Pologne eurosceptique ?
Le parti Droit et Justice a été volontiers qualifié d'eurosceptique par les observateurs, notamment à l'aune des discours tenus lors de la campagne mais aussi à l'occasion de la crise des migrants. Le rapprochement des nouvelles autorités avec la Hongrie de M. Viktor Orban fait aussi craindre la constitution d'un nouveau bloc eurosceptique au sein de l'Union européenne. D'une façon plus générale, c'est sans doute la mise en avant de discours sur la souveraineté et l'identité nationales (celles de la « Pologne éternelle » invoquée par le PiS) qui nourrit ces appréhensions.
3. Les enseignements de votre délégation
a) Sur l'État de droit
La majeure partie de nos discussions se sont concentrées sur la question du Tribunal constitutionnel qui place aujourd'hui les institutions polonaises en situation de blocage systématique, empêchant le contrôle de constitutionnalité des lois.
Nous retenons principalement que :
- tout d'abord, il s'agit d' une affaire essentiellement politique de manoeuvres et de contre-manoeuvres de l'ancienne et de la nouvelle majorité. On ne peut que regretter qu'un tribunal constitutionnel soit l'otage de tels enjeux ;
- ensuite, et tout en respectant pleinement l'autonomie institutionnelle de la Pologne, il nous semble que, de ce que nous en avons compris, le système actuel présente certains facteurs de vulnérabilité qui ont facilité ces blocages. D'une part, il soumet au contrôle du tribunal constitutionnel des lois portant sur son propre fonctionnement et sa composition et, d'autre part, il subordonne la valeur juridique des décisions du tribunal constitutionnel à leur publication par le chef de l'État ;
- enfin, au-delà du règlement de la question spécifique de juges nommés en 2015, la délégation a bien pris note des propos du président du Sénat sur les travaux d'un groupe d'experts qui devraient déboucher sur un retour aux règles initiales de fonctionnement du tribunal, c'est-à-dire celles mises en place en 1997, ce qui pourrait contribuer à apaiser le conflit. Il est souhaitable qu'en toute hypothèse le format qui sera retenu apporte toutes les garanties d'indépendance des juges et préserve le Tribunal constitutionnel de toute interférence politique.
S'agissant des médias, les échanges que nous avons eus sont restés très généraux. La Commission européenne s'étant montrée très réactive dans le lancement de la procédure d'évaluation, on peut espérer que ceci porte ces fruits s'agissant du projet de loi sur les médias en préparation. Le dialogue est à privilégier, ne serait-ce que parce que la procédure prévue par l'article 7 du traité sur l'Union européenne rend la prise des sanctions très peu probable.
La procédure instituée par l'article 7 du TUE Pour constater l'existence d'une violation grave et persistante de l'État de droit, le Conseil européen doit statuer à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. L'État membre concerné doit d'abord être invité à présenter ses observations. Pour sanctionner un État membre pour violation grave et persistante de l'État de droit, le Conseil européen doit statuer à la majorité qualifiée. Pour annuler ou modifier ces sanctions, le Conseil doit aussi statuer à la majorité qualifiée. Conformément à l'article 354 du TFUE, le membre du Conseil européen ou du Conseil représentant l'État membre en cause ne prend pas part au vote et l'État membre en cause n'est pas pris en compte dans le calcul des majorités nécessaires à ces constatations. Cette procédure n'a jamais été utilisée à ce jour. |
Sur un autre plan, la délégation tient à observer qu'elle a eu, dans ses échanges officiels et informels avec des sénateurs de la majorité et de l'opposition, le sentiment que le débat politique polonais était tout à fait conforme à ce que l'on peut imaginer d'une démocratie européenne. Les règles de la sociabilité parlementaire et la liberté dans l'expression des différentes opinions sont tout à fait comparables à ce que nous pouvons connaître. Les échanges présentent même une certaine vigueur tant le discours du PiS est bien entendu de nature à accuser le clivage entre majorité et opposition.
b) Sur la Pologne en Europe
De nos entretiens sur la vision de l'Europe par les nouvelles autorités polonaises, en particulier avec le secrétaire d'Etat Konrad Szymañski, nous retenons principalement les éléments suivants :
- d'une part, nos interlocuteurs n'ont cessé de répéter et de manifester leur attachement à l'Europe , nous rappelant que la Pologne était le pays où l'Union était la plus populaire. À ce titre, ils ont exprimé leurs inquiétudes de voir l'Europe se fracturer à l'issue du référendum britannique. Ils nous ont rappelé que c'est précisément cette inquiétude qui a conduit leur pays à consentir beaucoup d'efforts pour aboutir au compromis de Bruxelles le 19 février avec M. David Cameron.
On pourrait bien entendu ne lire, derrière cette demande d'Europe, que l'intérêt financier bien compris d'un pays très bénéficiaire des financements européens mais, plus profondément, l'appartenance à l'Union européenne (comme à l'OTAN) constitue aussi pour la Pologne contemporaine un élément fondamental de son identité notamment en ce qu'elle l'éloigne de la sphère d'influence russe. Ces réalités n'ont à ce jour pas été remises en cause par l'alternance. C'est pourquoi il est sans doute excessif d'assimiler les nouvelles autorités polonaises aux « eurosceptiques » au sens habituel , c'est-à-dire aux opposants à la construction européenne dont l'idéal serait le plus souvent de voir leur pays quitter l'Union ;
- d'autre part, la nouvelle majorité polonaise défend toutefois une conception de la construction européenne assez éloignée de celle mise en avant traditionnellement par la France .
Après avoir exprimé de différentes façons leur souci de voir la souveraineté nationale mieux respectée au sein de l'Union, nos interlocuteurs ont résumé leur point de vue de la façon suivante : « L'Europe devrait faire un demi-pas en arrière dans l'intégration politique et aurait dû aller plus loin dans l'intégration économique ». Il n'est pas nécessaire ici de rappeler qu'à nos yeux, il est difficile d'avancer dans l'intégration économique sans une plus forte capacité à fixer des règles communes par une forme d'intégration politique. Nous retenons surtout que les nouvelles autorités de Varsovie se posent, au sein de l'Union européenne, comme les défenseurs d'une autre conception du fonctionnement de l'Union dont elles pensent qu'elle finira par s'imposer , notamment à la faveur des crises.
Cette conception, centrée sur la souveraineté des États membres, est défendue avec constance et cohérence. Ceci conduit par exemple le secrétaire d'État aux affaires européennes à l'appliquer aussi aux difficultés de la zone euro 15 ( * ) . À ses yeux, il est difficile d'imposer à certains pays de la zone des réformes ou une discipline dont leurs peuples ne veulent fondamentalement pas et, à l'inverse, il est tout aussi problématique de vouloir imposer à d'autres pays de la zone une solidarité financière plus grande si leurs peuples souverains ne l'acceptent pas non plus.
Lorsque votre délégation a soumis l'idée d'une possible nouvelle méthode dans la construction européenne passant par la constitution d'un « noyau dur ouvert », le ministre polonais a admis que certains pays pouvaient librement décider d'avancer plus vite dans un certain nombre de domaines (il a cité la monnaie, les migrations et aussi, de façon plus surprenante, ...le climat). Il a toutefois exprimé ses craintes de voir les pays fondateurs ou les membres de la zone euro faire cavaliers seuls.
Une certaine lecture pourrait conduire à interpréter ce discours comme la simple expression des intérêts nationaux de la Pologne consistant à ne pas être dans toutes les politiques qu'elle ne souhaite pas, sans perdre aucun des bénéfices liés à l'appartenance à l'Union.
Il convient toutefois de ne pas perdre de vue le poids de l'histoire .
Après avoir été rayée de la carte pendant 123 ans, la Pologne a recouvré son existence comme État souverain en 1919 avant d'être, juste vingt ans plus tard, soumise au joug du Troisième Reich puis à celui de l'Union soviétique. Ensuite, c'est moins de 15 ans après la chute du Mur de Berlin que la Pologne est devenue membre d'une Union européenne dont elle a dû reprendre l'acquis. Dans un tel contexte, il n'est pas incompréhensible que l'attachement à la souveraineté nationale dans ses différentes dimensions puisse s'exprimer de façon particulièrement aiguë.
Ceci ne signifie évidemment nullement que tous les pays d'Europe centrale et orientale - dont l'histoire est assez proche - sont nécessairement appelés à faire le même type de choix que les Polonais, ni même que le PiS constitue la seule façon d'exprimer l'attachement à une souveraineté somme toute récente. De façon pragmatique, votre délégation en tire surtout comme conséquence la nécessité de dialoguer de façon franche avec les autorités polonaises , notamment pour leur faire valoir :
- tout le bénéfice que représente le choix européen pour leur pays ;
- que si tous les États membres (en particulier les contributeurs nets au budget) hésitaient eux aussi à accepter toutes les contraintes liées à cette appartenance, la Pologne perdrait probablement ces bénéfices ;
- enfin et surtout, qu'un repli sur soi ou une trop grande prévention face aux risques qu'implique nécessairement une aventure collective ne constitue pas l'attitude la plus utile pour qui est appelé à jouer pleinement le rôle d'un grand pays au sein de l'Union européenne.
Les échanges que nous avons eus lors des sessions de travail thématiques n'ont fait que confirmer cet intérêt des échanges avec nos homologues polonais.
* 11 Prawo i Sprawiedliwooeæ.
* 12 Allocation familiale mensuelle dès le second enfant, retour de l'âge de départ à la retraite à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes, relèvement du seuil d'imposition, augmentation du salaire horaire minimal et gratuité des frais médicaux pour les plus de 75 ans.
* 13 Réduction du taux d'imposition pour les PME, mesures fiscales pour favoriser l'investissement.
* 14 En fonction de critères non connus.
* 15 Dont la Pologne n'est pas membre.