CONCLUSION

La Turquie est aujourd'hui un partenaire incontournable, dans le contexte de la guerre syrienne et de l'afflux de migrants d'une rive à l'autre de la Méditerranée. Des accords ont été conclus dans l'urgence en 2015 et 2016 pour répondre à cette situation. Mais ces accords, qui sont avant tout des déclarations politiques, ne modifiant pas le droit européen en vigueur, ne devraient pas avoir d'impact sur les principes définis pour les autres processus en cours entre l'Union européenne et la Turquie, à savoir d'une part les négociations d'adhésion, et, d'autre part, la libéralisation des visas.

Plutôt que de focaliser sur ces processus de long terme, dont la logique est autonome, il serait souhaitable de tout mettre en oeuvre pour développer les solidarités concrètes avec la Turquie, en favorisant un rapprochement politique, économique et culturel, incluant un dialogue entre sociétés civiles. Beaucoup reste à faire, de part et d'autre, pour surmonter les préjugés qui entravent la relation euro-turque : « syndrome de Sèvres » d'un côté, « angoisse de Vienne » de l'autre, sont des réalités qui ne pourront être dépassées que par le dialogue à tous les niveaux, et non en situation d'urgence et de tensions.

Tout marchandage ponctuel constitue une impasse, conduisant à plus ou moins long terme à des tensions supplémentaires. Une volonté forte, ainsi que le partage de valeurs et d'intérêts communs, sont, pour l'avenir, les seuls fondements possibles de la réussite du dialogue UE-Turquie, et de l'ancrage de celle-ci à l'Europe.

Pour progresser dans cette voie, l'application de la feuille de route pour la coopération entre la France et la Turquie, décidée conjointement après la visite du président François Hollande en Turquie en 2014, doit être considérée comme une priorité, de même que sa réactualisation, à la lumière des évolutions de la situation internationale.

FEUILLE DE ROUTE

I. Les relations UE-Turquie

? Négociations d'adhésion :

- La question de la poursuite des négociations d'adhésion se pose, étant donné l'évolution du régime turc et la situation créée dans l'Union européenne par le référendum britannique. L'urgence est à la consolidation de l'UE, le « Brexit » ayant engendré une situation d'incertitude impropre à toute initiative d'élargissement. L'avenir du partenariat avec la Turquie pourra être redéfini en fonction de la nature géopolitique de la refondation que l'Europe doit engager.

- Le processus d'adhésion a eu, en Turquie, de nombreux effets -politiques, juridiques, économiques- bénéfiques. L'interrompre brutalement risquerait de remettre en cause de façon difficilement réversible ces bénéfices et de fragiliser un peu plus la Turquie qui doit pouvoir rester amarrée, à long terme, aux idéaux européens.

- Toute forme de marchandage à l'adhésion doit être exclue. Le niveau d'exigence, s'agissant de l'intégration de l'acquis communautaire, doit être maintenu. In fine , le consentement du peuple français à toute nouvelle adhésion est garanti par les dispositions de l'article 88-5 de la Constitution.

? Libéralisation des visas :

- Pour obtenir cette libéralisation, il importe que la Turquie respecte strictement les 72 critères de la feuille de route de l'UE en vue d'un régime d'exemption de visa avec la Turquie. Ces critères ne sauraient être respectés simplement « sur le papier », de façon formelle, par le vote de normes non encore réellement mises en application. Par ailleurs, dans son rapport du 4 mai 2016, la Commission indique que sept critères sur 72 ne sont pas encore conformes. Ces sept critères sont tous essentiels.

- L'un d'eux est un préalable particulièrement crucial à toute avancée dans les relations UE-Turquie : il s'agit de la révision, exigée par l'UE, de la législation et des pratiques dans la lutte contre le terrorisme. Cette législation est aujourd'hui utilisée de façon abusive pour réprimer des journalistes, universitaires, avocats... En particulier, les levées d'immunités, susceptibles de concerner plus de 50 députés d'opposition, constitueraient une atteinte manifeste aux institutions démocratiques. Votre commission exprime sa solidarité avec les membres de la Grande Assemblée nationale de Turquie visés par cette mesure.

- Le processus de libéralisation des visas doit poursuivre, lui aussi, une logique autonome. Le couplage avec le traitement de la question des réfugiés, dans l'urgence et à l'initiative allemande, a été critiqué, notamment par les ONG. Votre commission a désigné un groupe de travail, et le Sénat a nommé une mission d'information à ce sujet, à qui il reviendra de formuler des propositions en vue d'une gestion à long terme par l'UE de la crise migratoire. En tout état de cause, toute forme de marchandage doit être exclue.

? Chypre

- Il convient de profiter d'un contexte politique actuellement favorable à Chypre pour soutenir le processus de négociations en cours entre les deux parties de l'île.

II. Les relations France-Turquie

? Une initiative diplomatique sur la Syrie

- Les négociations de Genève sont aujourd'hui suspendues et la France ne pèse guère dans le processus. La France doit reprendre l'initiative sur le plan diplomatique, en associant mieux la Turquie, avec qui elle partage l'objectif d'une Syrie pacifiée et unifiée.

- La Turquie doit être rassurée sur la pérennité de ses frontières. Il convient de veiller à ce que le soutien au PYD ne serve pas à alimenter le PKK dans sa lutte contre le pouvoir turc. Ce soutien ne doit pas être exclusif, mais concomitant au soutien apporté à des forces arabes syriennes. L'objectif en Syrie est la création d'un seul État démocratique, unitaire, multiconfessionnel et laïque.

- La France devra soutenir, le moment venu, l'objectif turc d'instauration d'une « zone sûre » pour les réfugiés en Syrie, assortie d'une zone d'exclusion aérienne, dès que les conditions de sécurité seront réunies et afin de permettre aux déplacés de rester en sécurité dans leur pays et non pas d'être contraints de migrer.

? Intensifier les échanges à tous les niveaux

- Le dialogue politique, certes difficile, doit être entretenu, par la mise en oeuvre d'un plan d'action volontariste : visites de haut niveau, dialogue régulier à tous les échelons politiques et administratifs. La coopération dans le domaine de la sécurité doit être renforcée, notamment les échanges d'informations et la coopération institutionnelle pour combattre toutes les formes de terrorisme.

- L'intensification des échanges en vue d'une meilleure compréhension interculturelle dans tous les secteurs d'activité (politique, économique, associatif etc.) doit être considérée comme une priorité. Le développement des échanges universitaires, linguistiques et culturels, est, en particulier, souhaitable, ainsi qu'un renforcement de la coopération dans le domaine de la recherche.

- Le dialogue stratégique sur les questions militaires entre la France et la Turquie doit être développé, étant donné l'engagement commun dans la lutte contre Daech. En outre, la Turquie investit dans sa défense, ce qui ouvre des opportunités de coopération entre industries de défense française et turque, en vue de créer des partenariats.

- Il est nécessaire de soutenir les échanges commerciaux et l'investissement bilatéral, ainsi que de promouvoir une meilleure connaissance des opportunités économiques réciproques, grâce à des échanges d'informations et d'expertise, en particulier à l'intention des PME. Parallèlement, la Turquie doit être incitée à garantir un environnement des affaires stable et concurrentiel.

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