C. LE DISPOSITIF « MALRAUX »

1. Un dispositif complexe associant protection patrimoniale et politique de la ville

Le régime « Malraux » a été pensé dans le contexte de l'urbanisation d'après-guerre, où l'important besoin de logements et les nécessités de la reconstruction ont pu conduire à dégrader des centres-villes historiques . Si la loi du 4 août 1962 26 ( * ) qui l'a créé porte le nom du ministre des affaires culturelles de l'époque, le dispositif s'insère en réalité dans une politique plus large que la seule conservation patrimoniale : il s'agit certes de requalifier le patrimoine historique et architectural ancien, mais aussi d'en moderniser les logements. La loi de 1962 fait d'ailleurs suite à l'inventaire des tissus anciens effectué en mai 1959 à l'initiative non pas d'André Malraux mais de Pierre Sudreau, ministre de la construction. Le dispositif s'appuie sur la notion de « secteurs sauvegardés », dont la loi prévoit qu'ils peuvent être créés et délimités lorsqu'ils « présentent un caractère historique, esthétique ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d'un ensemble d'immeubles ». Un « plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur » (PMSV) est établi par décret en Conseil d'État au sein des secteurs sauvegardés : tous travaux ayant pour effet de modifier l'état des immeubles sont soumis à permis ou à déclaration préalable et doivent, pour être autorisés, être jugés « compatibles » avec ce plan. Aucune disposition fiscale n'est intégrée au texte de 1962, qui précise simplement que « la loi de finances déterminera chaque année les conditions de financement des opérations prévues par la présente loi ».

Quinze ans plus tard, la loi de finances pour 1977 27 ( * ) associe aux secteurs sauvegardés une fiscalité dérogatoire à caractère incitatif, précisée et codifiée à l'article 31 du code général des impôts par la loi de finances rectificative pour 1994 28 ( * ) : les opérations de restauration immobilières sont encouragées par un droit offert à l'investisseur de déduire de ses revenus les dépenses résultant des travaux. Le contribuable déduit d'abord les dépenses de ses revenus fonciers ; le reliquat constitue un déficit foncier qui pourra être imputé sur le revenu global sans limitation. L'accès au dispositif est conditionné par différents critères relatifs non seulement à l'emplacement de l'immeuble, mais aussi à son affectation : il doit s'agir d'un immeuble d'habitation destiné, après l'opération, à la location pour une durée de six ans, à usage de résidence principale du locataire.

Le dispositif a connu depuis lors deux grandes évolutions.

D'une part, le bénéfice de l'avantage fiscal a été étendu à de nouveaux secteurs protégés, qui ne sont pas créés dans les mêmes conditions que les secteurs sauvegardés et n'obéissent pas aux mêmes règles .

Il s'agit d'abord des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) , créées par l'article 70 de la loi de décentralisation du 7 janvier 1983. Celles-ci relèvent du code du patrimoine et constituent une servitude d'utilité publique se substituant, le cas échéant, au plan local d'urbanisme (PLU) sur le territoire qu'elles concernent. Dans le périmètre d'une telle zone, tous travaux de construction, démolition, déboisement, transformation et modification de l'aspect des immeubles sont soumis à autorisation spéciale accordée par l'autorité administrative compétente en matière de permis de construire après avis de l'architecte des bâtiments de France. À la différence des PSMV liés aux secteurs sauvegardés, une ZPPAUP n'a pas le caractère d'un document d'urbanisme contraignant pour la préservation des immeubles existants et ne s'accompagne pas de prescriptions sur le traitement interne des immeubles. Les collectivités territoriales ont tendance à privilégier la mise en place de ZPPAUP : celles-ci offrent les mêmes avantages fiscaux que les secteurs sauvegardés pour un niveau de contraintes moindre en termes d'urbanisme et de patrimoine.

Elles sont remplacées par les « aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine » (AVAP) , créées par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Les principes fondamentaux de la ZPPAUP ne sont pas remis en cause ; la principale innovation des AVAP réside dans l'introduction d'une obligation de prise en compte des objectifs de développement durable et dans leur création exclusivement décentralisée : la mise à l'étude d'une telle aire est décidée par délibération de l'organe délibérant de la collectivité intéressée, qui crée alors une commission locale à ce titre.

Doivent également être évoqués les « quartiers anciens dégradés » (QAD) prévus par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion 29 ( * ) et dont la liste est fixée par décret 30 ( * ) . Les opérations de restauration immobilière dans le périmètre des QAD peuvent ouvrir droit au bénéfice de l'avantage fiscal « Malraux » jusqu'au 31 décembre 2015.

Répartition catégorielle des espaces protégés créés entre 2005 et 2014
et ouvrant droit au bénéfice de l'avantage fiscal « Malraux »

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du ministère du budget au questionnaire du rapporteur spécial

Répartition géographique des espaces protégés créés entre 2005 et 2014
et ouvrant droit au bénéfice de l'avantage fiscal « Malraux »

Région

Secteur sauvegardé avec PSMV

Secteur sauvegardé sans PSMV

ZPPAUP

AVAP

Quartiers dégradés

Total

ALSACE

0

0

2

0

0

2

AQUITAINE

2

1

25

0

2

30

AUVERGNE

0

0

18

10

1

29

BASSE-NORMANDIE

0

0

7

0

0

7

BOURGOGNE

3

2

11

3

0

19

BRETAGNE

0

0

8

3

1

12

CENTRE

0

2

6

8

2

18

CHAMPAGNE-ARDENNE

1

0

3

0

4

8

CORSE

0

FRANCHE-COMTÉ

1

0

5

4

0

10

HAUTE-NORMANDIE

0

0

3

0

2

5

ÎLE-DE-FRANCE

0

0

7

7

7

21

LANGUEDOC-ROUSSILLON

3

2

23

2

5

35

LIMOUSIN

0

1

3

0

0

4

LORRAINE

0

0

1

1

0

2

MIDI-PYRÉNÉES

0

0

12

2

1

15

NORD-PAS-DE-CALAIS

0

0

4

0

4

8

PAYS DE LA LOIRE

1

0

27

13

0

41

PICARDIE

0

0

1

1

1

3

POITOU-CHARENTES

1

1

14

2

1

19

PACA

5

0

6

0

5

16

RHÔNE-ALPES

1

0

15

15

3

34

LA RÉUNION

0

0

0

0

0

0

GUYANE

0

0

0

0

0

0

MARTINIQUE

0

0

0

0

1

1

TOTAL

18

9

201

71

40

339

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du ministère du budget au questionnaire du rapporteur spécial

D'autre part, la nature de l'avantage fiscal octroyé aux investisseurs est profondément redéfinie par la loi de finances pour 2009 31 ( * ) , qui codifie les dispositions liées au nouveau régime « Malraux » à l'article 199 tervicies du code général des impôts . Les changements opérés vont dans le sens des préconisations formulées par le rapport remis au Parlement en avril 2008 « évaluant l'utilisation et l'impact économique et social des dispositions permettant à des contribuables de réduire leur impôt sur le revenu sans limitation de montant » : la déduction accordée dans le cadre de ce régime est transformée en réduction d'impôt sur le revenu, laquelle se trouve soumise à un mécanisme de plafonnement. En effet, les propriétaires procédant à des opérations de restauration immobilière « Malraux » pour lesquelles une demande de permis de construire ou une déclaration de travaux est déposée à compter du 1 er janvier 2009 bénéficient non plus d'un régime d'imputation des déficits mais d'une réduction d'impôt, assise sur le montant des dépenses exposées dans un délai de quatre ans à compter de la délivrance de l'autorisation de travaux et dans une limite de 100 000 euros par an. En outre, les taux sont différenciés selon que l'immeuble est situé en secteur sauvegardé (40 %) ou en ZPPAUP (30 %). La durée de l'engagement de location est allongée à neuf ans. Une condition relative à l'absence de liens de parenté entre le locataire et le contribuable est également instaurée : la location ne peut pas être conclue avec un membre du foyer fiscal, un ascendant ou un descendant du contribuable. Si la plupart des modifications ont pour effet de réduire l'ampleur de la dépense fiscale, le dispositif est élargi sur un point : son champ d'application est étendu aux locaux autres que d'habitation afin, en particulier, de favoriser la restauration complète d'immeubles à usage d'habitation comprenant des locaux commerciaux - par exemple de commerces au rez-de-chaussée.

À cette réforme de structure du dispositif se sont ajoutées plusieurs modifications paramétriques : les taux ont été abaissés à deux reprises 32 ( * ) par réduction homothétique ou « rabot » pour atteindre 30 % en secteur sauvegardé ou en quartier ancien dégradé et 22 % dans les autres cas (ZPPAUP ou AVAP). Le régime « Malraux » a été dans un premier temps soumis au plafonnement global des réductions et crédits d'impôts, avant d'en être de nouveau exclu par la loi de finances pour 2013 33 ( * ) . Enfin, la durée au cours de laquelle les dépenses peuvent être prises en compte a été réduite de quatre à trois ans à compter de la date de délivrance du permis de construire.

Les deux schémas ci-après récapitulent les principaux éléments du dispositif « Malraux ».

Schéma 1 : champ d'application du dispositif « Malraux »

1

Champ d'application

Secteur sauvegardé

Locaux à usage d'habitation

Personne physique

Domicile fiscal en France

Restauration complète

Déclarée d'utilité publique

Accord ou avis ABF

ZPPAUP

QAD

AVAP

Locaux destinés originellement à l'habitation et réaffectés à cet usage

Locaux affectés à un usage autre que l'habitation n'ayant pas été originellement destinés à l'habitation

Exception

Non nécessaire si l'immeuble est en QAD

Exception

Dépenses de réparation et d'entretien

Primes d'assurance

Dépenses d'amélioration

Exception

Les dépenses de construction, reconstruction ou agrandissement ne sont pas prises en compte

Frais de gestion

Impôts locaux n'incombant pas normalement à l'occupant

Non nécessaire si le PSMV est approuvé au sein d'un secteur sauvegardé

Exceptions

Conditions relatives à l'emplacement de l'immeuble (conditions alternatives)

Conditions relatives au contribuable

Conditions relatives à la restauration de l'immeuble

Dépenses prises en compte

(liste limitative)

Conditions relatives à la nature de l'immeuble

Source : commission des finances du Sénat, d'après la législation fiscale

2

Schéma 2 : conditions d'application et modalités de déduction
du dispositif « Malraux »

3

Mise en location de l'immeuble

(conditions cumulatives)

Location dans les 12 mois qui suivent l'achèvement des travaux

Résidence principale du locataire

Durée de 9 ans, effective et continue

Conditions d'application

Le locataire n'est pas le propriétaire, il n'appartient pas à son foyer fiscal et n'est ni son ascendant ni son descendant

Modalités de déduction de l'impôt sur le revenu

Assiette

Limite de 100 000 euros

Déduction aides et subventions

Pas de report possible si la réduction est supérieure à l'impôt dû

Taux

Si QAD ou secteur sauvegardé : 30 %

Si AVAP ou ZPPAUP : 22 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après la législation fiscale

Ces différentes réformes ont contribué à réduire l'ampleur de la dépense fiscale associée au dispositif, qui est passée de 50 millions d'euros en 2005 à 30 millions d'euros en 2015 (chiffre prévisionnel) . L'extinction progressive de l'ancien dispositif n'est pas complétement compensée par la montée en puissance du nouveau régime, ce qui s'explique pour partie du fait que les biens réellement adaptés à un investissement « Malraux » sont structurellement rares. Il faut également noter que la rentabilité des opérations de ce type reste généralement faible en raison des surcoûts liés au périmètre protégé dans lequel s'effectuent les travaux.

Évolution de la dépense fiscale au titre du dispositif dit « Malraux »
de 2005 à 2015

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du ministère du budget au questionnaire du rapporteur spécial

2. Une évolution à venir du dispositif Malraux avec la loi « Liberté de création, architecture et patrimoine »

Le projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine » propose de regrouper sous l'appellation unique de «cité historique» 34 ( * ) les différentes catégories d'espaces protégés relevant du code du patrimoine : secteurs sauvegardés, zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et aires de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP) se verraient donc regroupées au sein d'un seul document d'urbanisme.

Les immeubles situés dans ces « cités historiques » seront donc intégrés au dispositif Malraux, comme le prévoit l'article 24 du projet de loi . Dans le cas où la cité historique recouvrirait le périmètre d'une ancienne ZPPAUP mais y substituerait un plan de sauvegarde et de mise en valeur, comme le projet de loi en prévoit la possibilité, se pose la question du taux applicable à la réduction d'impôt : l'existence d'un PSMV approuvé pourrait conduire à l'application du taux le plus élevé malgré l'absence de « secteur sauvegardé » à proprement parler. En tout état de cause, l'article 199 tervicies du code général des impôts devra être adapté afin de clarifier les conditions d'application du dispositif aux cités historiques.


* 26 Loi n° 62-903 du 4 août 1962.

* 27 Article 3 de la loi n° 76-1232 du 29 décembre 1976 de finances pour 1977.

* 28 Article 40 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994 de finances rectificative pour 1994.

* 29 Articles 25 à 27 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.

* 30 Décret n° 2009-1780 du 31 décembre 2009 fixant la liste des quartiers bénéficiaires du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés.

* 31 Article 84 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.

* 32 Décret n° 2011-520 du 13 mai 2011 pris pour l'application de l'article 105 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 et décret n° 2012-547 du 23 avril 2012 pris pour l'application de l'article 83 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

* 33 Article 73 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

* 34 L'article 23 du projet de loi précise que « les cités historiques sont classées par décision du ministre chargé de la culture, après avis de la Commission nationale des cités et monuments historiques et enquête publique conduite par l'autorité administrative, sur proposition ou après accord de l'autorité compétente en matière de plan local d'urbanisme » .

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