B. LE RÉGIME DES MONUMENTS HISTORIQUES
Les propriétaires privés de monuments historiques (classés ou inscrits) ou assimilés 16 ( * ) bénéficient, en contrepartie des charges qu'ils supportent, de modalités dérogatoires de calcul du revenu foncier en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu .
Monuments inscrits et monuments classés D'après le code du patrimoine, les immeubles classés sont ceux « dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt public 17 ( * ) » tandis que l'inscription correspond à des immeubles « qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation 18 ( * ) ». Sur le plan de l'intérêt patrimonial , la distinction entre ces deux catégories d'immeubles peut donc être ténue . Sur le plan juridique, le régime qui s'attache à l'inscription ou au classement diffère sur plusieurs points . D'une part, ce ne sont pas exactement les mêmes autorités qui interviennent pour prononcer le classement ou l'inscription : le préfet peut prendre un arrêté d'inscription, tandis que le classement relève de la responsabilité du ministre de la culture et de la communication. D'autre part, les obligations qui découlent de l'inscription sont moins fortes que celles qui sont liées au classement : si les travaux ne sont pas soumis à permis 19 ( * ) , les propriétaires d'un monument inscrit ont une simple obligation déclarative. Ils doivent seulement avoir « quatre mois auparavant, avisé le préfet de région de leur intention et indiqué les travaux qu'ils se proposent d'effectuer 20 ( * ) » . En revanche, les propriétaires de monuments historiques sont soumis à autorisation préalable puisqu'ils ne peuvent procéder à aucun « travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, sans autorisation de l'autorité administrative 21 ( * ) ». La dissymétrie entre ces deux régimes explique pour partie que les monuments historiques détenus par des personnes privées soient dans leur grande majorité inscrits et non classés , tandis que les monuments historiques publics sont le plus souvent classés. Source : commission des finances du Sénat, d'après la législation en vigueur |
Trois conditions cumulatives , définies par l'article 85 de la loi de finances pour 2009, doivent cependant être remplies : le propriétaire doit conserver la propriété de l'immeuble pendant une période d'au moins quinze ans, en détention directe, et en l'absence de mise en copropriété. Ces deux dernières exigences connaissent trois exceptions : les sociétés civiles immobilières 22 ( * ) (SCI) familiales, les SCI non soumises à l'impôt sur les sociétés et ayant obtenu un agrément du ministère du budget ainsi que les copropriétés ayant obtenu ce même agrément.
Si ces trois conditions sont respectées - sous réserve des exceptions précitées - le propriétaire peut déduire certaines charges foncières de son revenu imposable . La nature exacte des charges déductibles ainsi que le revenu concerné (foncier ou global) dépendent de deux principaux paramètres : l'occupation de l'immeuble et la perception, par le propriétaire, de recettes imposables liées à la gestion de l'immeuble en question. Trois situations peuvent être distinguées.
Dans le premier cas, l'immeuble ne procure aucune recette au propriétaire . Celui-ci peut alors déduire de son revenu global tout ou partie de ses charges foncières selon que l'immeuble est ouvert ou non à la visite et selon la qualité du bâtiment (monument historique ou monument labellisé par la Fondation du patrimoine). En revanche, l'imputation du déficit foncier sur le revenu global des années suivantes n'est pas autorisée .
Dans la deuxième éventualité, l'immeuble procure des recettes à son propriétaire, qui ne l'occupe pas . Si l'immeuble donne lieu à la perception de recettes accessoires (dans la majorité des cas, de droits d'entrée), les charges de la propriété peuvent être déduites du revenu foncier, déduction à laquelle s'ajoute un abattement dont le montant est modulé selon que l'immeuble comprend ou non un parc ou jardin ouvert au public. L'imputation du déficit foncier sur le revenu global, sans limitation, est possible, avec un report éventuel jusqu'à la sixième année suivante (inclue) .
La troisième possibilité est celle d'un propriétaire qui occupe son immeuble mais qui perçoit également des recettes imposables liées au bâtiment . Certaines charges foncières peuvent alors être déduites du revenu foncier, d'autres du revenu global - la détermination exacte de la nature des charges déductibles et du taux auquel elles sont prises en compte dépend de la qualité de l'immeuble et de son ouverture à la visite. Enfin, de façon identique au cas où le propriétaire n'occupe pas l'immeuble, l'imputation du déficit foncier sur le revenu global, sans limitation, est possible, avec un report éventuel jusqu'à la sixième année suivante (inclue).
Le schéma suivant récapitule les principales caractéristiques du régime fiscal des monuments historiques.
1
Schéma : principaux éléments du
régime fiscal des monuments historiques
au titre de l'imposition sur
le revenu
Champ d'application
Qualité de l'immeuble
Immeubles inscrits
Label de la Fondation du patrimoine
Immeubles classés
2
Conditions relatives à la détention de l'immeuble
(conditions cumulatives)
Conservation propriété pendant 15 ans
Détention directe
Absence de mise en copropriété
Aucune exception
SCI agréée
Exceptions
SCI familiale
Copropriété agréée
Exception
Conditions d'application
3
Modalités de déduction des charges foncières
Revenu foncier
Revenu global
Déduction des charges foncières
Néant
Déduction des charges foncières
Imputation du déficit foncier sans limite de montant
Déduction d'une partie des charges foncières
Imputation du déficit foncier sans limite de montant
Déduction d'une partie des charges foncières
L'immeuble ne procure aucune recette
L'immeuble procure des recettes imposables et n'est pas occupé par le propriétaire
L'immeuble procure des recettes imposables et est occupé par le propriétaire
Source : commission des finances du Sénat, d'après la législation fiscale
L'examen du montant de la dépense fiscale liée au régime des monuments historiques sur les dix dernières années laisse apparaître trois temps : le premier, de 2005 à 2008, voit une augmentation très forte du coût de la dépense fiscale, qui décroît à partir de 2009 pour se stabiliser entre 55 et 59 millions d'euros à partir de 2010.
Évolution de la dépense fiscale au titre
du régime des monuments historiques,
de 2005 à
2015
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du ministère du budget au questionnaire du rapporteur spécial
La baisse observée après 2008 provient sans doute de l'application de la réforme prévue à l'article 85 de la loi de finances pour 2009 23 ( * ) qui a créé l'article 156 bis du code général des impôts . Celui-ci prévoit les trois conditions relatives à la détention de l'immeuble évoquées supra , qui ont conduit à l'exclusion du dispositif de la majorité des SCI et des copropriétés. Le renforcement des contraintes pesant sur les propriétaires paraissait alors nécessaire pour éviter les cas d'optimisation fiscale et s'assurer que la niche remplissait bien son objet d'incitation à la préservation du patrimoine historique bâti : selon l'exposé des motifs de l'amendement parlementaire présenté par les députés Gilles Carrez et Didier Migaud, « ces conditions empêcheront de fait l'utilisation du dispositif comme produit de défiscalisation ». L'amendement adopté à l'Assemblée nationale prévoyait aussi le plafonnement de cette dépense fiscale à un montant de 200 000 euros, contre l'avis du Gouvernement. Le plafonnement n'a finalement pas été retenu à la suite du vote du Sénat.
Il est également à noter que la loi de finances initiale pour 2014 24 ( * ) a exclu du dispositif les immeubles « ayant fait l'objet d'un agrément par le ministre chargé du budget en raison de leur caractère historique ou artistique particulier » au motif qu'il semblait souhaitable de « recentrer le régime fiscal des monuments historiques ». Cet agrément se distinguait de l'agrément relatif aux SCI ou aux copropriétés en ce qu'il n'avait pas pour objet d'autoriser la dérogation à l'une des conditions prévues à l'article 156 bis du code général des impôts, mais était relatif à la qualité même de l'immeuble. La délivrance de cet agrément permettait alors à son propriétaire de prétendre au bénéfice du régime fiscal relatif aux monuments historiques.
Le dispositif a été réformé de nouveau par la loi de finances rectificative pour 2014 25 ( * ) . Introduit par amendement gouvernemental, le nouveau dispositif a modifié les conditions de délivrance de l'agrément permettant à une SCI ou à une copropriété de bénéficier du régime fiscal des monuments historiques . Le texte antérieur prévoyait que l'agrément était octroyé par le ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de la culture, « lorsque l'intérêt patrimonial du monument et l'importance des charges relatives à son entretien justifient le recours à un tel mode de détention ». Ces deux critères, jugés insuffisamment précis par l'administration fiscale, ont été abandonnés pour restreindre le bénéfice de l'agrément aux seuls monuments classés (l'arrêté doit avoir été pris au moins un an avant la demande d'agrément). Au surplus, l'usage de l'immeuble est désormais strictement encadré : pour prétendre à l'agrément, le bâtiment doit être affecté à l'habitation pour au moins 75 % de ses surfaces habitables . Une dérogation est également possible dans le cas d'un espace culturel non commercial et ouvert au public pendant quinze ans . Votre rapporteur spécial ne partage ni la méthode ni la logique de cette réforme ( cf . troisième partie : « Les recommandations de votre rapporteur spécial »).
* 16 C'est-à-dire ayant obtenu le label de la Fondation du patrimoine
* 17 Article L. 621-1 du code du patrimoine.
* 18 Article L. 621-25 du code du patrimoine.
* 19 Travaux soumis à permis de construire, à permis de démolir, à permis d'aménager ou à déclaration préalable au titre du code de l'urbanisme.
* 20 Article L. 621-27 du code du patrimoine.
* 21 Article L. 621-9 du code du patrimoine.
* 22 La société civile immobilière associe au moins deux personnes, associées. En créant une SCI, chacun des associés reçoit des parts sociales en contrepartie de son apport. Chaque associé est propriétaire de parts de la SCI, qui détient le patrimoine immobilier.
* 23 Loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.
* 24 Article 26 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
* 25 Article 90 de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.