B. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 12 FÉVRIER 2015, SUITE AU DÉPLACEMENT DANS LA DRÔME LE 5 FÉVRIER 2015
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Permettez-moi d'abord de souhaiter en votre nom à tous la bienvenue à Mme Patricia Morhet-Richaud au sein de la délégation aux entreprises. Elle remplace notre collègue Jean-Yves Dussere, récemment décédé.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour tirer les enseignements du second déplacement de la délégation effectué le 6 février dans la Drôme. Nos collègues Henri Cabanel, Olivier Cadic, Jérôme Durain, Gilbert Bouchet m'y accompagnaient.
Notre journée a débuté par la visite d'une très belle entreprise, Valrhona, et s'est poursuivie par une table ronde, avec une trentaine d'entrepreneurs au conseil général de la Drôme où nous avons été reçus par son Président, notre collègue Didier Guillaume. Enfin, nous avons clos ce déplacement par la visite d'une plus petite entreprise spécialisée dans la mécanique de haute précision : Vignal Artru Industries.
Je vous propose, tout d'abord, de visionner une vidéo qui vous donnera un aperçu efficace de ce déplacement dans la Drôme, avant de donner la parole à M. Gilbert Bouchet pour le compte-rendu du déplacement. Comme vous le constaterez, nous avons retrouvé sur certains points les mêmes diagnostics et les mêmes attentes des chefs d'entreprise qu'en Vendée, mais nous avons aussi entendu d'autres échos tout aussi édifiants.
M. Gilbert Bouchet.- Madame la Présidente, mes chers collègues, la délégation aux entreprises s'est rendue dans la Drôme pour son deuxième déplacement il y a une semaine, sur ma suggestion. Comme nous l'a fait valoir le conseil général, où le président Didier Guillaume nous a très aimablement accueillis, la Drôme est un département riche de 50 000 entreprises, réparties dans des secteurs très variés, de l'agriculture à l'industrie. C'est bien sûr une terre de vignobles : nous avons pu l'apprécier grâce à la dégustation offerte par la maison Jaboulet pour agrémenter notre déjeuner au conseil général avec les autorités consulaires, patronales et préfectorales. Mais la Drôme, c'est aussi le premier département « bio » français en surfaces cultivées. Par ailleurs, son socle industriel repose aussi bien sur la métallurgie, le nucléaire et l'agroalimentaire, que sur le cuir ou la mécanique.
Les deux entreprises que nous avons visitées sont une parfaite illustration de cette diversité : Valrhona, chocolatier d'excellence, fournit les plus grands chefs et artisans alors que Vignal Artru, spécialisé en mécanique de haute précision, a concouru à l'élaboration du premier coeur totalement artificiel, implanté en 2014.
La chocolaterie Valrhona est la parfaite illustration d'une « success story » qui a débuté en 1922 et a connu un grand essor depuis les années 1990. Elle fait aujourd'hui presque 60 % de son chiffre d'affaires à l'export ; ses clients sont satisfaits à 70 % ; les 800 salariés aussi sont heureux, puisque c'est sur leur jugement que Valrhona est classée 11 ème au fameux classement « Great place to work ».
M. Grisot, son charismatique directeur général, nous a confié le secret de cette réussite : un processus d'amélioration permanente, une remise en cause de tous les jours, qui fait de l'excellence le socle de son schéma organisationnel. Il nous a rapidement présenté les huit concepts fondamentaux de ce modèle fondé sur un management de qualité. Je les cite brièvement. L'essentiel est de diriger en s'appuyant sur une vision. Pour mieux nous l'expliquer, M. Grisot a cité cette phrase de Saint-Exupéry : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le coeur de tes hommes et femmes le désir de la mer ». Mais il faut également savoir « manager » avec souplesse, développer les capacités organisationnelles, soutenir des résultats équilibrés, apporter de la valeur à ses clients, réussir grâce au talent de ses collaborateurs, favoriser la créativité et l'innovation. Enfin, il faut savoir créer un avenir durable. C'est pourquoi Valrhona investit par exemple dans des plantations en Afrique pour s'assurer un approvisionnement de qualité et assumer sa responsabilité sociale et environnementale.
M. Grisot nous a ensuite expliqué que le profit n'était que la conséquence d'une telle organisation de qualité. Il a souligné que la pratique de l'excellence était explicitement prônée tant par l'industrie allemande que par ses dirigeants, sans tabou. C'est pourquoi ce dernier nous a appelés, nous parlementaires, à mieux valoriser les entreprises qui réussissent grâce à des processus fondés sur la qualité. J'espère, Madame la Présidente, que nous saurons répondre à cet appel.
Le dirigeant de Valrhona a également insisté sur la nécessité d'en finir avec l'angélisme en matière d'ouverture commerciale. Sans se plaindre de la mise en place du compte pénibilité en France, il a simplement désiré que les exigences administratives soient harmonisées entre les entreprises nationales et les entreprises étrangères concurrentes. Alors que les entreprises françaises sont confrontées à de nombreuses barrières à l'export et doivent se plier à des exigences normatives de plus en plus complexes, pourquoi ne pas imposer aux produits importés des règles s'alignant sur les standards européens dans les domaines d'éthique sociale ou environnementale par exemple ? Je pense qu'il y a en effet matière à rendre plus intelligente notre politique commerciale européenne, en exigeant une forme de réciprocité en termes d'ouverture et de normes.
Notre seconde visite nous a permis de rencontrer le dirigeant actuel de Vignal Artru, Laurent Le Portz, ainsi que l'un des fondateurs de l'entreprise, Jean Artru. Ce groupe, qui compte 120 salariés, fabrique des pièces clés pour l'industrie aéronautique ainsi que pour le secteur médical. C'est à lui que l'on doit le groupe motopompe qui fait fonctionner le premier coeur totalement artificiel implanté chez un patient en 2014. Ainsi, les perspectives de croissance de l'activité sont réelles, mais Vignal Artru nous a confié ne pas trouver auprès des banques les moyens de se financer à moyen terme.
Outre l'enjeu du financement, M. Le Portz a tenu à souligner le défi que constitue l'apprentissage en France, qui ne progresse pas malgré les milliards d'euros que l'on y consacre chaque année. Il a regretté que les métiers auxquels l'apprentissage forme soient si mal considérés, alors qu'ils ouvrent à de belles carrières : M. Le Portz a estimé que les compagnons étaient, pour son entreprise, aussi précieux que les ingénieurs, si ce n'est plus. Par ailleurs, les règles auxquelles doivent se soumettre les entreprises d'accueil sont très contraignantes et la formation sur les machines de l'entreprise est remplacée par un enseignement en centre d'apprentissage. À titre de comparaison, les apprentis allemands sont formés à utiliser l'outil de travail au sein même de l'entreprise et l'efficacité de leur système d'apprentissage est un ingrédient clef dans la recette de la réussite économique de l'Allemagne. Il a considéré que cette différence majeure tenait à une vision française visant à protéger l'apprenti de l'abus du patron, et a regretté que l'on fasse si peu confiance aux entreprises. Partant, il a réclamé que l'apprentissage soit rendu aux entreprises. Plusieurs autres chefs d'entreprise rencontrés dans la journée ont également insisté sur le rôle que l'apprentissage pourrait tenir pour améliorer l'insertion des jeunes sur le marché de l'emploi. Enfin, M. Le Portz a conclu par une confidence qui nous a laissé un goût amer : fort de ses expériences professionnelles à l'étranger, il a estimé qu'il n'avait jamais autant travaillé qu'en France pour si peu de considération et de résultats...
Comme vous le voyez, ces visites d'entreprises nous ont beaucoup appris et ont été utilement complétées par la table ronde durant laquelle nous avons recueilli d'autres témoignages précieux d'une trentaine d'entrepreneurs drômois. Pour ne pas être trop long, je me contenterai de vous indiquer les points saillants de cette table ronde, sans revenir sur le compte pénibilité ou les difficultés de la transmission qui avaient déjà été évoqués au retour de Vendée.
En toile de fond, nous avons entendu le même appel qu'en Vendée : « Laissez-nous travailler ! » . Cet appel s'est décliné de diverses manières mais les entrepreneurs ont été nombreux à dénoncer les tâches administratives, qui accaparent entre 20 % et 30 % de leur temps. L'instabilité réglementaire a encore été pointée du doigt : l'un des chefs d'entreprise a rappelé que la frilosité des investisseurs s'expliquait en grande partie par l'incertitude quant aux règles fiscales et sociales applicables d'ici deux à trois ans ; il a même parlé de « diarrhée administrative », laquelle s'accompagne d'une « boulimie fiscale » afin de financer cette administration pléthorique. Plusieurs ont regretté la lenteur de parution des décrets d'application mais aussi le pouvoir de nuisance de minorités qui bloquent des projets importants. Comme en Vendée, plusieurs chefs d'entreprises ont manifesté leur crainte de l'embauche, qui est perçue comme un risque, le contentieux aux prud'hommes se profilant à l'horizon. L'un a relevé que le nombre de ruptures conventionnelles avait explosé ces derniers mois, ce qui lui semblait témoigner d'une attente des entreprises comme des salariés. Je me souviens de sa formule pour appeler à plus de flexibilité du marché du travail : « Pour que l'eau puisse rentrer, il faut qu'elle puisse sortir ». L'une des personnes présentes a aussi déploré la perte de compétitivité qu'a provoquée la réduction du temps de travail en France, perte qu'elle a estimée à 10 %, au détriment principalement de l'export.
La différence de statuts entre le secteur privé et le secteur public a également été l'objet de discussions. Outre la sécurité de l'emploi, les fonctionnaires bénéficient d'horaires de travail moins lourds que les salariés du privé. L'un des chefs d'entreprise s'est dit accablé par le poids des charges et tenté, à l'instar de tant de jeunes, de se tourner vers l'étranger. Faute de s'attaquer à ce sujet, « ne resteront que les fonctionnaires et les chômeurs, mais qui va les payer ? », s'est-il inquiété.
Concernant les relations entre PME et grands groupes, certaines PME déplorent que les grands groupes se tournent de plus en plus vers la Chine pour se fournir, nonobstant la signature du pacte PME. Surtout, plusieurs petites entreprises ont dénoncé l'allongement des délais de paiement qui pèse sur leur modèle de financement.
Les représentants d'établissements bancaires qui étaient présents ont pour leur part souligné que la banque ne pouvait pas se substituer au capital-risque, même s'ils ont admis que ce dernier n'était pas assez développé dans notre pays. Ils ont aussi insisté sur la profonde transformation que connaît le modèle économique des banques depuis la crise et ont estimé que la baisse du produit net bancaire (PNB) ne leur permettrait pas de financer la reprise à venir. Trois raisons expliqueraient ce phénomène : des taux réglementés français désynchronisés de la réalité économique, une fiscalité jugée confiscatoire, sans oublier les nouvelles exigences plus strictes en matière de fonds propres.
Quelques anecdotes révélatrices du carcan administratif que ressentent les entreprises méritent d'être rapportées : l'une a dû surélever de 50 cm son bâtiment, soi-disant en zone inondable ; l'autre a indiqué avoir passé 24 heures avec la DGCCRF pour avoir oublié un « s » sur une étiquette ; la même indiquait qu'un de ses jeunes salariés, embauché en septembre dernier, venait seulement d'obtenir sa carte vitale, soit 5 mois plus tard. Enfin, l'une des participantes, seule employée de son entreprise qui produit des aliments sans gluten, nous a décrit la complexité du dispositif de remboursement accessible aux patients munis d'une prescription médicale. Le patient doit justifier chaque achat de produit sans gluten et adresser à la CPAM l'original de ses tickets de caisse, ainsi que les étiquettes que l'entreprise productrice a l'obligation d'accoler sur chacun des produits. On peut se demander si le montant remboursé, plafonné à 45 euros par mois, couvre les frais engagés par l'entreprise productrice qui doit coller une étiquette sur chaque produit, peu importe qu'il s'agisse d'une entreprise unipersonnelle, comme c'était le cas en l'espèce, ou d'une entreprise industrielle avec des moyens d'automatiser le processus ; le patient doit créer un nouveau dossier chaque mois ; la CPAM pour sa part subit des frais de traitement desdits dossiers, outre les frais bancaires inhérents au remboursement lui-même. On le voit, la complexité du système heurte le bon sens et pénalise au premier chef les TPE.
En guise de conclusion, je crois que nous devons veiller à faire simple. Pour reprendre l'idée soutenue par notre collègue Olivier Cadic devant les entrepreneurs, il est temps que le législateur s'inspire de la culture du résultat qui règne dans l'entreprise et qu'il adopte des indicateurs pertinents afin d'étudier l'impact d'une loi en amont d'une part, et d'en évaluer le résultat en aval d'autre part. Notre délégation aux entreprises ne pourrait-elle pas promouvoir ce nouveau regard au sein du Sénat ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Je vous remercie pour ce compte rendu qui retranscrit parfaitement ce que nous avons entendu et ressenti à l'occasion de ce déplacement dans la Drôme. Je retiendrai en particulier les mots avec lesquels nous avons été accueillis chez Valhrona : « bienvenue dans une entreprise qui va bien ». Cette entreprise est en effet florissante, mais n'oublions pas le message qu'a souhaité nous transmettre son dirigeant : les entreprises qui réussissent ne sont pas assez reconnues. Il revient aussi à notre délégation de mettre en avant leur réussite. Par ailleurs, ce compte rendu a très bien décrit l'atmosphère de la table ronde, durant laquelle chacun a pu exprimer avec spontanéité ce qu'il vivait au quotidien dans son entreprise. Enfin, il était important d'évoquer les conséquences que peuvent avoir tous ces freins à l'activité sur le moral des entrepreneurs, comme l'a souligné le dirigeant de Vignal Artru, qui doit faire face à des difficultés de financement pour développer son activité.
Mme Nicole Bricq.- Je voudrais pour ma part revenir sur deux aspects que j'avais déjà soulevés lors de notre précédente réunion : d'une part, la teneur, d'autre part, l'usage des témoignages récoltés lors de nos déplacements.
Concernant le contenu des témoignages, il me semble que si nous demandons systématiquement aux chefs d'entreprise quels sont les freins au développement de leur activité, ils répondront invariablement en évoquant les mêmes sujets. Ainsi, nous avions déjà entendu le même discours de la part des entrepreneurs vendéens. De surcroît, tous ces points de friction ont déjà été, à de nombreuses reprises, portés à notre connaissance par bon nombre de rapports et de travaux d'expertise. L'imprévisibilité des procédures devant les conseils de prud'hommes par exemple, aura l'occasion d'être débattue dans le cadre de l'examen du projet de loi pour la croissance et l'activité.
Ce qui m'amène à aborder la question de l'usage que nous ferons de ces témoignages. Il me semble que, si nous ne sommes pas en mesure d'apporter des réponses à ces entrepreneurs, alors se posera inévitablement la question du sens et de l'utilité de la délégation aux entreprises. Il me paraît nécessaire et urgent de définir l'usage que l'on entend faire de ces témoignages. Je me félicite que de nombreux chefs d'entreprises se déplacent pour participer aux tables rondes. Ils nous expriment avec beaucoup de clarté leur point de vue et il me semble important, à défaut de pouvoir en débattre, d'être à l'écoute de ces éléments récoltés directement sur le terrain. Mais en restant cantonnés à un simple rôle de « réceptacle » de leurs témoignages, faisons-nous vraiment avancer la cause de ces entreprises ?
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Afin de clarifier ce dernier point, je préciserai que l'objectif de ces déplacements est bien d'entendre les entreprises de manière à pouvoir faire des propositions concrètes dans le cadre de notre travail législatif. Il ne s'agit pas de débattre avec les entreprises -ce qui serait, au demeurant, inadapté compte tenu de la durée restreinte de ces tables rondes- mais de recueillir les témoignages des entrepreneurs afin de relayer leurs préoccupations à l'occasion de l'examen des différents textes qui nous seront soumis. Concernant la redondance de certains témoignages, il existe immanquablement un socle de sujets communs à tous types d'entreprises. Pour autant, nous avons également détecté des différences et des nuances en fonction du type d'activité ou de la taille de l'entreprise.
M. Gilbert Bouchet.- Si nous continuons à entendre les mêmes demandes de la part des chefs d'entreprises, n'est-ce pas simplement le signe qu'elles sont entièrement justifiées ?
J'aimerais revenir un instant sur la situation du président de Valhrona qui, pour sa part, recherche avant tout de la reconnaissance. Au-delà des obstacles qui brident la croissance de leur activité, les entrepreneurs qui s'efforcent de donner le meilleur d'eux-mêmes attendent plus de considération. Lorsque ce chef d'entreprise a obtenu un prix qui aurait dû lui être décerné par le Président de la République, quelle ne fût pas sa surprise -après avoir été informé que ce serait un ministre, puis finalement un directeur de cabinet qui le lui remettrait- de n'avoir été, en définitive, reçu par aucun d'entre eux. Aux États-Unis, le Président décerne de tels prix aux entrepreneurs méritants, tout comme en Allemagne, la chancelière récompense elle-même les entreprises performantes. En France, on ne leur réserve pas autant d'égards.
M. Michel Canevet.- J'ai, pour ma part, bien noté cet appel à plus de reconnaissance du travail accompli sur le terrain. J'y vois la preuve que le Sénat doit continuer à se rendre auprès des entreprises, à la fois pour appréhender leur situation et pour témoigner de sa considération pour les entrepreneurs. La délégation s'inscrit ainsi dans le cadre des opérations « hors les murs » que mène le Sénat.
En tant que jeune parlementaire, je suis arrivé en espérant contribuer à la simplification de notre droit particulièrement complexe, et notamment lorsqu'il concerne les entreprises. Si ces rencontres nous permettent d'identifier quelques attentes des entrepreneurs, alors je crois que nous aurons contribué à soutenir l'esprit d'initiative dans notre pays, ce qui est absolument nécessaire pour nous aider à sortir de l'ornière.
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- C'est tout à fait dans cet état d'esprit qu'entend travailler la délégation. Les entreprises apprécient, je le crois, de voir que les parlementaires se déplacent pour venir prendre leur pouls.
M. Henri Cabanel.- J'ajouterais que réciproquement, il est extrêmement plaisant d'être accueillis dans une entreprise qui clame « bienvenue dans une entreprise qui va bien ». Ces exemples de succès ne sont pas assez connus, pas plus d'ailleurs que les raisons qui permettent de les expliquer. Si nous avons rencontré des dirigeants très compétents et très ambitieux, je tiens également à souligner le sentiment de bien-être qui régnait au sein de l'entreprise et que nous avons pu ressentir. Cet état d'esprit est favorisé par une stratégie de management de proximité. Lors de la visite, par exemple, le président directeur général (PDG) saluait chacun des employés qui lui répondait avec le sourire. Une telle expérience managériale porte ses fruits puisque depuis dix-huit ans, l'entreprise connaît une croissance exponentielle et crée en moyenne une trentaine d'emplois par an. Il existe donc des entreprises qui vont bien et qui ont bâti leur succès sur des méthodes éprouvées. Notre rôle est également de le faire savoir et de les mettre en avant, ce qui constituait une demande claire du chef d'entreprise. À propos du prix que ce dernier n'a jamais reçu, ne pourrions-nous pas prendre l'initiative et le recevoir au Palais du Luxembourg ?
Par ailleurs, j'aimerais revenir sur la simplification du droit. Il est indéniable qu'il reste beaucoup à faire. Néanmoins, je tiens à souligner que certaines actions ont déjà été engagées en ce domaine.
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Vous faites bien d'insister sur l'exemple de cette entreprise car cela fait également partie des objectifs de la délégation que de montrer que, dans les territoires, des entreprises réussissent brillamment. Il nous revient d'étudier ensuite les moyens de diffuser ces bonnes pratiques ailleurs. Le président de Valrhona a eu raison de nous interpeller sur le fait qu'on ne valorise pas assez en France les entreprises qui réussissent.
Mme Annick Billon.- Je peux confirmer, pour avoir eu des échos de la part des entrepreneurs vendéens, que les entreprises sont ravies d'accueillir les sénateurs. Néanmoins, j'aimerais insister sur le fait qu'elles attendent aussi un retour de notre part.
Ma remarque suivante se fonde sur un double constat. Alors que les entreprises visitées lors du déplacement dans la Drôme étaient très différentes de celles rencontrées en Vendée, force est de constater que ces entreprises rencontrent les mêmes blocages, tels que le surplus de normes, leur complexité croissante, les difficultés de financement auprès des banques ou l'inadaptation du système actuel d'apprentissage. On aurait pu imaginer que des entreprises si hétérogènes évoqueraient des facteurs de blocage différents. Seule la question des seuils, sur laquelle les entreprises vendéennes avaient spécialement insisté en raison de leur taille plus modeste, a fait l'objet de moins de remarques de la part des entrepreneurs drômois.
Pour conclure, s'il me semble important de continuer nos visites qui apporteront certainement de nouveaux éléments à notre réflexion, il est encore plus crucial de revenir vers les entreprises sollicitées, afin de leur donner des éléments de réponse.
M. Michel Vaspart.- Je rejoins tout à fait mes collègues qui font valoir que la délégation aux entreprises n'a de sens qu'à condition de déboucher sur des mesures concrètes. J'ajoute qu'il sera toujours possible de trouver des entreprises prospères sur des créneaux de niche car elles peuvent dégager de plus fortes marges et par la suite redistribuer leurs résultats. Elles sont dans une situation plus enviable que celles qui sont positionnées sur un marché plus concurrentiel. Or, il s'avère que l'économie française est faite d'une majorité d'entreprises qui, soumises à une concurrence extérieure croissante, rencontrent de réelles difficultés. Un des obstacles parfaitement identifié réside dans l'excès de normes, lois et règlements auxquels doivent se conformer les entreprises. Ce constat est commun à tous les types d'entreprises : TPE, PME commerciales ou artisanales, ETI ou grands groupes. Ainsi, nul n'échappe à cette contrainte, même si les plus grandes entreprises disposent de davantage de moyens pour y faire face. Cela me persuade qu'au-delà de l'écoute apportée aux entrepreneurs lors de nos déplacements, il faut nous attaquer au maquis législatif et réglementaire qui étouffe l'activité des entreprises françaises.
Par ailleurs, je m'inscris en faux contre l'idée selon laquelle les questions soulevées par les entrepreneurs ne seraient que la simple répétition du discours du Mouvement des entreprises de France (Medef). Si les mêmes sujets sont repris par une majeure partie des entreprises rencontrées, c'est que nous sommes collectivement incapables de les traiter depuis des années. Lorsque j'étais à la tête d'une entreprise, j'étais confronté aux mêmes difficultés, et lorsque j'en parlais aux élus locaux, il ne s'agissait en rien de répéter un discours entendu au Medef mais, au contraire, de les avertir sur les contraintes réelles auxquelles mon entreprise devait faire face au quotidien. Soupçonner sans cesse les dirigeants d'entreprises d'une quelconque allégeance au Medef pour se dispenser de traiter des difficultés identifiées de longue date ne me paraît pas à la hauteur des enjeux. Notre économie est au pied du mur et nous n'avons plus de temps pour cela.
M. Henri Cabanel.- Permettez-moi de signaler que Valrhona n'a rien d'une entreprise dont l'activité se déploie sur un marché de niche et, qu'à l'instar de nombreuses entreprises, elle a connu la crise en 2008. En revanche, la différence réside dans l'état d'esprit du dirigeant de Valrhona qui a toujours placé l'équilibre de l'entreprise en tête de ses priorités, alors que d'autres ont préféré la recherche de profits immédiats. Dans cette optique, le dirigeant a privilégié des décisions de long terme comme l'illustre l'exemple suivant : au moment de la crise et alors que tout le monde freinait ses investissements, la direction a précisément décidé d'investir et a fait le pari de l'internationalisation. C'est cette décision courageuse et non l'exploitation d'un marché de niche qui explique la croissance soutenue qu'affiche aujourd'hui l'entreprise.
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Nous partageons tous la volonté de porter la parole des entreprises et de la traduire dans des mesures concrètes. C'est ce qui doit piloter l'action de notre délégation. Dans cette perspective, je vous rappelle que la délégation a prévu de se réunir le 19 mars afin d'examiner les propositions d'amendements au projet de loi relatif à la croissance et à l'activité défendu par le ministre Emmanuel Macron. Je rejoins notre collègue Michel Vaspart : il nous incombe de rappeler les contraintes que subissent nos entreprises et qui pèsent lourdement sur leur activité, comme en attestent nos échanges avec les entrepreneurs. Il ne s'agit en rien de relayer un discours préconçu et déconnecté de la réalité sur le terrain. Ainsi, les quelques propositions que nous pourrions faire sur le projet de loi « Macron » devraient faire écho à ce que nous avons entendu sur le terrain.
Mme Annick Billon.- Je propose que la délégation se saisisse plus particulièrement d'un thème et fasse des propositions ciblées. Par exemple, l'apprentissage me paraît un sujet crucial dans la mesure où l'inefficience de notre système a été unanimement dénoncée par les entrepreneurs français, alors que l'efficacité du modèle allemand est reconnue comme une des sources de la vitalité de l'économie outre-Rhin.
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Je retiens votre suggestion. Le Bureau de la délégation entend faire des propositions sur des sujets de travail à l'issue du premier semestre, à la lumière des enseignements tirés de nos déplacements.
Mme Sophie Primas.- Il me semble judicieux de s'emparer d'un ou deux thèmes de fond. L'apprentissage me paraît, en effet, être un sujet extrêmement important, car il touche à la fois la vie des entreprises et l'accès des jeunes au monde du travail. Par ailleurs, je rejoins notre collègue qui dénonce à juste titre la multitude de petites normes qui gangrènent le quotidien de nos entreprises. Ainsi, se concentrer sur ces petits blocages pour les résoudre pourrait rendre un grand service aux entreprises.
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Il est vrai que nous avons été parfois surpris par certains témoignages qui nous présentaient des situations à peine concevables ! C'est pourquoi nous avons pris soin de prendre en note chacun des témoignages pour nous aider à bâtir nos propositions.
M. René Danesi.- J'aimerais suggérer à la délégation la visite d'une entreprise allemande installée en France afin de comparer les deux systèmes français et allemand. Nous pourrions interroger nos interlocuteurs sur le type de difficultés qu'ils rencontrent en France et qu'ils ne retrouvent pas outre-Rhin : cette démarche comparative permettrait de cibler les obstacles propres à notre manière de fonctionner. À mon sens, il s'agit essentiellement d'un état d'esprit. J'en veux pour preuve notre système d'apprentissage vers lequel on a dirigé durant de nombreuses années les jeunes pour lesquels aucune autre alternative ne semblait possible. Même en Alsace où l'apprentissage bénéficie d'un statut particulier et est piloté par les chambres de métiers, les entreprises rencontrent les plus grandes difficultés à recruter des jeunes qualifiés, faute d'attractivité du système d'apprentissage.
Ma deuxième observation porte sur la question de l'excès de normes. Nous, parlementaires, sommes les premiers à dénoncer la réglementation à outrance et à imaginer de beaux slogans tels que « pour chaque norme ajoutée, deux normes seront supprimées ». Force est pourtant de constater que nous sommes les spécialistes pour inventer de nouvelles mesures par la multiplication d'amendements, qui sont autant de contraintes supplémentaires pesant sur les entreprises. Voyez les milliers d'amendements examinés dans le cadre du projet de loi sur la transition énergétique ! Pour chaque texte, les spécialistes qui s'expriment sont tentés de vouloir imposer leur point de vue et s'évertuent à vouloir faire le bonheur des gens malgré eux. J'ai pu constater très récemment que des collègues de tous bords, et en particulier ceux qui se font les chantres de la simplification, font en séance exactement le contraire de ce qu'ils prônent hors de l'hémicycle. Ainsi, du lundi au vendredi on complexifie et, le samedi et le dimanche, on se bat pour la simplification ! Je suis effaré de constater la propension que nous avons à compliquer toutes choses sans jamais nous poser la question du gain pour la société dans son ensemble.
On peut se demander si cette réglementation à outrance est bien nécessaire dans le monde de l'entreprise. En effet, si les dispositions intéressant au premier chef les relations entre particuliers doivent être précises, les entreprises sont parfaitement à même d'organiser leur activité sans qu'il soit besoin de prévoir pour elles l'ensemble des détails touchant à leur coeur de métier. Il me semble plus judicieux de les inciter à prendre de telles mesures plutôt que de les contraindre par des normes toujours plus nombreuses et plus précises.
Mme Élisabeth Lamure, présidente.- Pour clore cette réunion, je rappellerai simplement que notre prochain déplacement se déroulera dans le département du Rhône le 6 mars prochain. En raison de l'importance qu'y revêt l'industrie de la chimie et de la pharmacie, encore soulignée par l'implantation d'un pôle de compétitivité mondial dans ce domaine, nous avons décidé de réunir les PME et les ETI qui travaillent avec les grands groupes industriels, afin d'orienter les échanges de la matinée sur le fonctionnement des « grappes d'entreprises ». Le déplacement se poursuivra par la visite de deux entreprises très différentes : le groupe Cepovett, leader européen du vêtement de travail, d'une part, le groupe Saint Jean Industries, équipementier travaillant en collaboration avec les plus grands fabricants automobiles, d'autre part.
Enfin, la prochaine réunion de la délégation aura lieu le 19 mars et sera l'occasion de dégager quelques idées fortes de nos déplacements et de répondre aux appels du terrain par la proposition d'amendements au projet de loi « Macron ». À titre d'information, je vous rappelle également que le déplacement suivant, prévu à Londres, se déroulera le 13 avril.