CONCLUSION

« Totem » de la protection des artistes et des industries culturelles autant que « tabou » politique, la Hadopi se doit d'être préservée , non pas parce qu'elle représenterait le remède absolu au piratage massif des oeuvres, mais parce que sa disparition constituerait un message démissionnaire incompréhensible à l'heure où les pouvoirs publics et les titulaires de droits renforcent leur mobilisation dans le contexte tendu pour le droit d'auteur et le financement de la création.

Pour autant, l'institution, ni défendue par ses fondateurs ni supprimée par ses détracteurs, doit se réformer : améliorer, par une procédure de sanction plus systématique, l'efficacité de la réponse graduée ; renforcer ses actions pédagogiques dans le cadre de nouveaux partenariats ; réserver ses interventions en matière d'offre légale et d'études aux domaines où n'interviennent pas d'autres acteurs, notamment.

Cette réforme ne pourra, en outre, faire l'économie d' une modification substantielle de sa gouvernance et d'une simplification de son organigramme . Un changement de nom , aussi symbolique qu'indispensable au renouveau de l'institution, devra également être envisagé.

Une Hadopi rénovée et au champ de compétences mieux défini ne pourra en être que plus crédible aux yeux des internautes comme des pouvoirs publics. Dès lors, ces derniers devront sortir d'une attitude, encore maintenue entre la critique et l'indifférence, pour intégrer l'institution à la mise en oeuvre des politiques de lutte contre la contrefaçon sur Internet.

Il n'en demeure pas moins, et votre mission d'information en est convaincue, que le curseur de la politique culturelle doit se déplacer de l'obsession de la défense du droit exclusif, quand bien même il demeure nécessaire de le protéger, vers des impératifs de facilitation de l'accès du plus grand nombre à la culture et d'éducation de tous , notamment au sein des établissements scolaires, aux bons usages du numérique.

Il est temps de dépasser l'opposition entre le monde de la culture et les citoyens internautes . Tiers de confiance, la nouvelle Hadopi devra y contribuer.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 8 JUILLET 2015

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Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteur . - À titre liminaire, je souhaite remercier les circonstances qui m'ont permises d'être co-rapporteur d'une mission qui ne m'était initialement pas destinée et la commission de la culture, de l'éducation et de la communication de m'avoir donné l'occasion de travailler sur un sujet aux multiples enjeux.

Concept plusieurs fois centenaire, le droit d'auteur « à la française » peut être défini par le fait d'accorder, par le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire, une garantie contre la concurrence déloyale et la contrefaçon pour les éditeurs et les producteurs, une reconnaissance de la création d'oeuvre originale pour les auteurs, ainsi que des droits voisins pour les prestations des artistes et interprètes.

Le numérique a profondément modifié les pratiques culturelles et déstabilisé les modalités d'application des droits d'auteur comme de financement de la création. Il a également permis une circulation des oeuvres dans un espace géographique infini et avec une rapidité jamais égalée. Dès lors, une adaptation du droit d'auteur à cette nouvelle réalité s'est imposée, non sans difficultés.

Quelque deux ans après l'adoption de la loi 1 er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite DADVSI, dont les débats ont vu s'opposer vivement deux conceptions antagonistes quant aux solutions à apporter à la lutte contre le piratage et à la rémunération des créateurs, le Parlement est ainsi saisi, à l'automne 2008, du projet de loi favorisant la diffusion et la création sur Internet. Après plusieurs mois de discussions plutôt houleuses et une censure éclatante du Conseil constitutionnel, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) est créée par les lois du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la création sur Internet et du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet.

Avec la Hadopi, le gouvernement d'alors avait cru imaginer la solution au piratage, à l'époque dominé par les réseaux « peer to peer ». Hélas, le bilan que nous allons vous présenter est mitigé. Il faut dire que la Hadopi, née dans la douleur, n'a jamais fait l'objet d'un consensus, ni politique, ni social. Est-ce là la cause de son échec relatif et, surtout, de sa mise à l'écart progressive des politiques de lutte contre la contrefaçon sur Internet ? Serait-ce plutôt les évolutions technologiques qui auraient rendu l'instrument obsolète ? Au contraire, bien pensé, le mécanisme n'aurait-il souffert que de l'opprobre général ?

En remontant aux origines de la Hadopi et en dressant un bilan de son action, nous avons essayé, de façon posée, de répondre à ces questions et d'imaginer un avenir à une institution décriée. Au fil des auditions menées, comme de nos déplacements à Bruxelles et dans les locaux de la Hadopi, il nous est en effet apparu combien le débat entre les « pros » et les « antis » était par trop simpliste. Il est nécessaire de le dépasser.

La Hadopi ne peut en aucun cas être considérée comme le remède absolu au piratage massif des oeuvres. Mais sa disparition constituerait un message démissionnaire incompréhensible à l'heure où les pouvoirs publics et les titulaires de droits renforcent leur mobilisation dans un contexte européen et international tendu pour le respect du droit d'auteur et le financement de la création.

Les missions de la Haute Autorité sont triples. Elle est d'abord chargée d'encourager le développement de l'offre légale et d'observer l'utilisation licite et illicite des oeuvres auxquelles est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin sur Internet. Il lui revient de publier des indicateurs du développement de l'offre légale, d'attribuer un label permettant aux internautes de l'identifier, d'en gérer un portail de référencement, d'évaluer les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance de contenus et de filtrage, mais également d'identifier et d'étudier les modalités techniques permettant un usage illicite des oeuvres protégées.

La Hadopi a également une mission de protection de ces mêmes oeuvres par le biais de la réponse graduée. Ce système a été conçu comme un outil pédagogique d'avertissement destinée à rappeler aux titulaires d'un abonnement à Internet utilisé pour télécharger ou mettre à disposition une oeuvre protégée leur obligation de surveillance de cet accès. En cas de manquement réitéré, après l'envoi, par courrier électronique puis par courrier recommandé, de deux recommandations, la Commission de protection des droits de la Hadopi peut saisir le Procureur de la République au titre de la contravention de 5 e classe de négligence caractérisée. L'amende encourue peut s'établir à 1 500 euros, mais le juge peut également prononcer une peine complémentaire de suspension de l'accès Internet pour une durée maximale d'un mois, sanction jamais appliquée puis supprimée par décret en date du 8 juillet 2013, suivant une proposition de la mission confiée à Pierre Lescure par Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication.

Enfin, la Hadopi doit réguler et assurer une veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres protégées par un droit d'auteur ou un droit voisin.

Structurellement, la Hadopi se divise en deux organes distincts :

- le Collège, composé de neuf membres nommés par le Conseil d'État, la Cour des comptes, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, les ministères concernés et le Parlement, renouvelés par tiers tous les deux ans, et présidé, depuis l'installation de la Haute Autorité, par Marie Françoise Marais, magistrat de la Cour de Cassation, également présidente de la Hadopi. Le Collège a la charge de mettre en oeuvre les missions confiées par la loi à l'institution, à l'exception de la réponse graduée ;

- la Commission de protection des droits, présidée par Mireille Imbert-Quaretta et composée de trois magistrats respectivement issus de la Cour de Cassation, du Conseil d'État et de la Cour des comptes. Elle a, indépendamment du Collège, la responsabilité de la réponse graduée.

Pour mener à bien ses missions, la Hadopi emploie aujourd'hui 52 agents, contractuels ou fonctionnaires détachés, pour un plafond d'emplois de 71 équivalents temps plein. Exception notable au sein d'une autorité publique : près des deux tiers des agents sont des femmes et la moyenne d'âge s'établit à 36 ans.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur . - Je tiens pour ma part à rappeler que ni Corinne Bouchoux ni moi n'étions sénateurs à l'époque des débats ayant présidés à la création de la Hadopi. Cette virginité nous a permis d'aborder nos travaux avec recul, sans a priori et avec un vif intérêt.

Missions et structures de la Hadopi ayant été rappelées, il convient de dresser maintenant le bilan des presque cinq ans d'action de l'institution. S'il peut apparaître en demi-teinte - et il l'est effectivement - la Hadopi est loin d'être la seule à blâmer.

La réponse graduée tout d'abord : dispositif pédagogique progressif contre le piratage « pair à pair » et pour la sensibilisation aux droits d'auteur, elle représente le coeur symbolique de l'institution. Au 31 mai 2015, le bilan de cette mission s'établit, pour un total d'environ 37 millions de saisines par les ayants droit, soit une moyenne de 70 000 par jour, à 4,6 millions de premières recommandations envoyées, 458 000 secondes recommandations, 2 117 délibérations de la Commission de protection des droits, 313 transmissions aux procureurs de la République et 49 décisions de justice.

Le caractère particulièrement régressif de ce résultat conduit l'efficacité de la réponse graduée à constituer un sujet de débat permanent. En réalité, il est difficile d'en dresser un bilan évident, tant le mécanisme pâtit d'une ambiguïté de départ, sorte de malentendu originel entre les espoirs répressifs des titulaires de droits et le choix de ne pas (ou peu) sévir fait par la Commission de protection des droits, qui privilégie systématiquement la pédagogie sans éviter pour autant d'irriter certains internautes.

S'agissant de l'offre légale, après les errements du label PUR et de la plateforme associée, dont il faut rappeler, avant de les railler, que leur création constituait une obligation législative, la Hadopi a modifié son approche en créant le site www.offrelegale.fr et un service de signalement des oeuvres introuvables. Trop tard, cependant, pour rattraper son retard en la matière : l'initiative du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) pour les oeuvres audiovisuelles, louable par ailleurs, est déjà installée et la musique a su proposer seule une offre légale diversifiée et accessible. Qu'on le qualifie ou non de camouflet pour la Hadopi, nous avons choisi d'en prendre acte.

La Haute Autorité peine également à s'imposer en matière d'information et de sensibilisation au droit d'auteur. Faute de moyens et de partenariats, son action demeure limitée à des interventions ponctuelles dans des établissements scolaires.

La mission de régulation des mesures techniques de protection, parfaitement utile et justifiée demeure, pour sa part, rarement mise en oeuvre, en raison de la méconnaissance, par les acteurs concernés de son rôle dans ce domaine. Cette méconnaissance a également des conséquences dommageables sur la reconnaissance de la validité des avis rendus par les professionnels comme par le public.

Pour ce qui concerne enfin la mission d'observation et de veille, l'expertise largement reconnue de la Hadopi l'a conduite à produire des travaux de grande qualité, reconnus comme tels en France comme à l'international. Malheureusement, certains errements, et notamment l'étude controversée relative à la rémunération proportionnelle du partage, ont rendu cette mission douteuse pour les ayants droit comme pour de nombreux chercheurs.

Devant ce bilan on ne peut plus mitigé, l'erreur serait de conclure à la nécessaire suppression d'un outil décevant et impopulaire. Ce serait oublier que la Hadopi n'a jamais bénéficié d'un soutien politique à la hauteur des enjeux - on se souvient des menaces répétées de suppression ou de transfert - et que son asphyxie budgétaire progressive a été programmée dès 2012.

Ce serait également oublier que sa disparition serait malvenue au moment où le Gouvernement s'engage avec détermination dans la lutte contre le piratage mafieux sur Internet.

Il nous a donc semblé qu'il convenait plutôt d'en rénover les missions et la gouvernance pour rendre l'institution plus crédible et son action plus efficace. En effet, l'institution, ni défendue par ses fondateurs ni supprimée par ses détracteurs, doit se réformer : améliorer, par une procédure de sanction administrative plus systématique, l'efficacité de la réponse graduée ; renforcer ses actions pédagogiques dans le cadre de nouveaux partenariats ; réserver ses interventions en matière d'offre légale et d'études aux domaines où n'interviennent pas d'autres acteurs.

Vous trouverez dans la synthèse qui vous a été distribuée la liste exhaustive de nos propositions. Pour limiter la durée de cette présentation, nous ne vous les présentons pas ici en détail mais nous nous tenons à votre disposition, au cours du débat qui suivra, pour vous apporter toutes les précisions que vous souhaiteriez obtenir et répondre à vos interrogations.

Cette réforme ne pourra, en outre, faire l'économie d'une modification substantielle de sa gouvernance et une simplification de son organigramme autour d'un nombre limité de directions. Un changement de nom, aussi symbolique qu'indispensable au renouveau de l'institution, devra également être envisagé.

Au total, nous avons estimé à environ 10 millions d'euros et à une soixantaine d'agents les ressources nécessaires au fonctionnement d'une Hadopi ainsi modernisée, soit l'équivalent des premières années de dotation. Cette somme ne prend toutefois pas en compte l'éventuel remboursement aux fournisseurs d'accès à Internet de leur tâche d'identification des adresses IP au sujet duquel plusieurs contentieux sont en cours, malgré l'absence de base légale à la prise en charge financière de cette mission.

Une Hadopi rénovée et au champ de compétences mieux défini ne pourra, et nous en sommes convaincus, en être que mieux respectée des internautes comme des pouvoirs publics. Dès lors, ces derniers devront sortir d'une attitude, encore maintenue entre la critique et l'indifférence, pour intégrer l'institution à la mise en oeuvre des politiques de lutte contre la contrefaçon sur Internet, notamment s'agissant du suivi de la stratégie « follow the money » en cours d'installation et des mesures de blocage des contenus illicites. La tâche est aussi vaste qu'ardue et l'expertise de la Hadopi dans le domaine de l'Internet ne peut ni ne doit être mésestimée pour les services qu'elle pourrait ainsi accomplir.

Il n'en demeure pas moins que, selon nous, le curseur de la politique culturelle doit se déplacer de l'obsession de la défense du droit exclusif, quand bien même il demeure nécessaire de le protéger, vers des impératifs de facilitation de l'accès du plus grand nombre à la culture et d'éducation de tous, notamment au sein des établissements scolaires, aux bons usages du numérique.

Les enjeux essentiels que représentent la protection des artistes et des oeuvres, comme l'objectif d'un meilleur accès de tous à la culture, nous obligent moralement tous à engager une réflexion sur ce que sera la vie culturelle de demain, dans le respect d'un juste équilibre entre les intérêts des auteurs, des industriels et des citoyens.

Dans ce cadre, une Hadopi modernisée, plus crédible et plus efficace, a indiscutablement un rôle à jouer, aux côtés d'autres outils et d'autres partenaires. Ni solution ultime ni ratage absolu, la réalité de la Hadopi nous est, en effet, apparue plus complexe à l'issue de ces quatre mois de travaux. Il est, selon nous, temps, en conclusion, de dépasser l'opposition entre le monde de la culture et les citoyens internautes. Tiers de confiance, la nouvelle Hadopi devra y contribuer.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Merci à vous, chers collègues, pour cet exposé très clair. N'ayant pas participé aux débats antérieurs, vous apportez un regard distancié enrichissant sur le sujet. Je soumets maintenant vos propositions au débat.

M. David Assouline . - Il était effectivement judicieux de confier ce rapport à des parlementaires qui n'ont pas participé aux débats par le passé. Le sujet de la Hadopi était alors miné par les malentendus et par la panique engendrée par le piratage, avec la conscience de légiférer à contretemps face à l'évolution rapide des pratiques. Au moment de l'adoption de la loi DADVSI, le secteur cinématographique ne se sentait pas tellement concerné car il fallait alors trois jours pour télécharger un film. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et le piratage des oeuvres est devenu massif. Nous sommes face à de nouvelles problématiques, notamment avec le développement du streaming . Le Sénat avait, lors des discussions relatives aux lois Hadopi, dépassé les clivages du débat entre droit à la culture et droit de la culture, jugeant que l'absence de protection des créateurs réduirait l'offre de créations au détriment du consommateur.

Je soutiens deux propositions fortes de votre rapport. Sur le plan politique, je suis partisan du changement du nom de la Haute Autorité. Elle doit regagner en crédibilité. Par ailleurs, vous avez raison, il est nécessaire d'en finir avec la sanction judiciaire. En particulier, il faut réduire le montant de la peine, qui paraît décalé par rapport à la gravité du délit et, dès lors, est rarement appliqué. Or, l'absence de réponse à un manquement revient à l'encouragement ; c'est l'inverse de la pédagogie, qui comporte une part de sanction. Je pense que l'amende systématique - telle que prévue dans votre proposition n° 1 - au bout d'un troisième rappel, serait plus adaptée que le système actuel.

J'approuve également les propositions n° s 2 et 3 de votre rapport : l'essentiel de la lutte contre le piratage doit porter sur les sites contrefaisants. Pour cela, doit être levé un obstacle juridique. Aujourd'hui, lorsqu'on ferme un site, il réapparaît dans les heures qui suivent. Votre proposition consistant à créer une injonction de retrait prolongé éviterait de relancer les procédures de fermeture à l'encontre d'un site contrefaisant et permettrait ainsi une vraie dissuasion. Je vous félicite pour ces décisions de bon sens.

M. Jean-Pierre Leleux . - Ce rapport est très opportun et bienvenu. J'ai soutenu la création de l'Hadopi et je la soutiens encore. Cette institution n'est pas la seule à blâmer, dites-vous, de son bilan en demi-teinte. J'irai plus loin : je la félicite. Certes, les technologies et les comportements des internautes ont évolué. Mais il n'en reste pas moins que cette initiative française a inspiré d'autres pays. Nous savions, lors de l'élaboration du texte, qu'il s'agirait d'une première étape, qui devrait faire l'objet d'un bilan comme celui que nous dressons aujourd'hui. Elle permet de mettre l'accent sur la pédagogie afin d'ancrer le concept de droit d'auteur dans les esprits. En ce sens, l'Hadopi a fait oeuvre utile, bien qu'elle n'ait pas tout réussi.

L'heure est venue aujourd'hui de réorienter, comme vous le proposez, l'action de l'institution vers une protection plus large du droit d'auteur. La répartition des tâches en matière de lutte contre le piratage entre les différents organismes mérite également d'être précisée. Certains ont voulu la fin d'Hadopi. Au contraire, une clarification des rôles est nécessaire.

Je reviens sur un détail qui n'en est peut-être pas un. Vous évoquez le changement de nom de l'Hadopi. J'émets des réserves à ce sujet. Il est vrai que les jeunes internautes n'aiment pas cette institution, pour autant c'est sans doute l'une des rares qu'ils connaissent.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Je vous remercie pour ce travail. On ne soulignera jamais assez combien Internet constitue désormais une condition d'accès à la culture et aux oeuvres au plus grand nombre. Vous soulignez l'impopularité de l'Hadopi mais vous proposez de la faire évoluer sans aller jusqu'à sa suppression. Je salue ce choix.

Lors du démarrage d'Hadopi, nous nous étions inquiétés de faire peser injustement le poids de la culpabilité sur les internautes, notamment parce que ceux susceptibles d'être sanctionnés étaient probablement ceux qui ne disposaient pas de la capacité de masquer leur adresse IP, donc les populations les plus fragiles. C'est pourquoi votre proposition n° 1, relative au passage d'une sanction judiciaire à un système d'amende administrative, me convient. Je soutiens également votre proposition n° 2 sur l'élargissement des compétences de l'Hadopi en matière de lutte contre le piratage.

Je vous remercie pour ce travail, qui fait avancer notre réflexion quant à l'évolution de cette autorité.

M. Philippe Bonnecarrère . - Je remercie M. Hervé et Mme Bouchoux pour leur présentation. Le regard neuf qu'ils apportent est précieux.

Je ferai deux observations. Tout d'abord, je soutiens votre première proposition. Les chiffres que vous donnez - 37 millions de saisines en cinq ans - sont impressionnants, mais ce sont des volumes que le système judiciaire est incapable de traiter. Je dresserai une comparaison entre la notion de saisine par les ayants droit à l'égard de l'Hadopi et les procès-verbaux qui peuvent exister à l'intention des parquets. Selon les chiffres clés de la justice, en 2012, environ 4,2 millions de procès-verbaux ont été établis, ce qui représente un peu moins de cinq millions de saisines. Vous voyez immédiatement l'ordre de grandeur. Seul le nombre des procès-verbaux en matière de stationnement est comparable à celui qui résulte de l'activité de la Hadopi. Face à une telle masse, le juge judiciaire est manifestement inadapté. Le problème ne peut être abordé que par le biais de la sanction administrative. Je me permets de vous suggérer seulement de veiller à ne pas reporter les contentieux sur les tribunaux administratifs.

Je ne partage pas, par ailleurs, complètement votre point de vue sur les propositions n° s 4 et 7. Vous nous avez expliqué que le combat de l'Hadopi est dépassé au regard de l'offre diversifiée qui s'est développée. Je ne comprends donc pas la raison qui vous pousse à maintenir une direction « études et développement de l'offre légale ». Par ailleurs, vous proposez qu'une direction de l'Hadopi « prévention, information et formation » soit chargée d'organiser des modules de formation à la protection des droits sur Internet dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ). Je crains qu'une dispersion des missions à travers la multiplication des directions soit contreproductive, même si cette proposition part d'une bonne intention.

Mme Corinne Bouchoux, co-rapporteur . - La loi fixe déjà à la Hadopi une mission de formation au sein des ÉSPÉ. Il en est de même en ce qui concerne les études et la promotion de l'offre légale. Nous nous contentons en réalité de proposer que l'Hadopi limite cette dernière mission au secteur public. La France a une vision latine de la protection des droits ; elle passe par un appel à la vigilance des parents quant aux éventuels mauvais comportements de leurs enfants : il s'agit d'une pédagogie privative. Or, il convient de remarquer que de nombreux téléchargements illégaux ont lieu sur le lieu de travail. L'Hadopi a mis l'accent sur l'usager et l'internaute, mais n'a peut-être pas assez insisté sur la prévention en milieu professionnel alors que les responsabilités sont partagées.

Dans d'autres pays, on a choisi d'autres modes de pédagogie. En Allemagne par exemple, à la suite de téléchargements d'images pornographiques, tous les ordinateurs des « députés » et de leurs collaborateurs ont été vérifiés et des chargements illégaux ont été observés chez les uns et les autres. Nous sommes donc tous collectivement concernés, et non pas simplement quelques adolescents aux mauvaises manières.

Par ailleurs, il nous semble indispensable de sensibiliser l'ensemble des enseignants à l'enjeu que représente la propriété intellectuelle. L'Hadopi est donc nécessaire même si elle est dépassée : c'est un totem en matière de lutte contre le piratage.

M. Loïc Hervé, co-rapporteur . - Je suis d'accord avec les remarques de David Assouline relatives aux évolutions technologiques, concernant notamment le développement du streaming . L'Hadopi doit s'interroger sur les nouvelles techniques de téléchargement illégal d'oeuvres.

Je tiens également à rassurer Jean-Pierre Leleux. Il n'est pas question de supprimer l'Hadopi. Son changement de nom constitue une simple suggestion ; elle ne figure toutefois pas parmi les propositions. Cette réflexion résulte de l'évolution de ses missions institutionnelles.

La déjudiciarisation de la sanction nous apparaît inévitable. Cela ne doit pas être la priorité des parquets. Elle prendrait la forme d'une amende administrative mais n'aboutirait pas à un transfert vers la juridiction administrative, puisque les appels se feraient devant la Cour d'appel.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie pour ce travail remarquable. C'est un sujet qui me tient à coeur. C'est également un thème sensible que personne n'osait plus aborder, mais il était important de réaliser ce travail de fond avec un regard neuf. Plusieurs parmi nous ont participé aux débats des lois dites Hadopi 1 et 2, ainsi qu'à la discussion de la loi DADVSI. À l'époque, nous avions une vision assez idyllique d'Internet. Depuis, nous en avons analysé les menaces, les rapports de force et avons constaté la nécessité d'une régulation. J'émettrais juste une réserve sur l'assouplissement de la chronologie des médias. Celle-ci permet de financer la création ; il convient donc d'être prudent, d'autant que nous l'avons déjà assouplie. La réflexion doit être poursuivie tout en prenant garde de ne pas remettre en cause les mécanismes de financement de la création. Nous avons également un important sujet de réflexion à venir : il s'agit de l'absence de neutralité des moteurs de recherche et des plateformes, qui bride la circulation des oeuvres.

Je vous propose maintenant d'autoriser la publication du rapport d'information qui, je le rappelle, ne vaut pas approbation de ses conclusions.

La commission autorise la publication du rapport d'information .

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