CONCLUSION

Il est difficile de trouver dans la stratégie actuelle du gouvernement grec une véritable lisibilité. Le caractère composite de Syriza , sa relative inexpérience ou le mandat dual qui lui a été donné - se maintenir dans la zone euro et repenser l'ajustement budgétaire - expliquent pour partie ce que l'on peut assimiler à de l'attentisme voire, par moments, à du bluff . La présence de membres d'ANEL au sein du gouvernement, méconnue en Europe, est également à prendre en compte. La partie de poker menteur à laquelle semblent se livrer les autorités grecques pourrait cependant être coûteuse pour une population qui souhaitait avant tout tourner la page de pratiques politiques surannées qui ont largement discrédité un État déjà faible. Au-delà de la crise économique, le pays traverse aujourd'hui une véritable crise de gouvernance, fruit elle-même d'une crise morale, plus profonde et plus ancienne, marquée par une méfiance séculaire à l'égard de l'État et une incapacité manifeste à dépasser ses divisions pour jeter les bases d'une union nationale. Sans celle-ci, il apparaît pourtant difficilement envisageable d'aboutir à un accord raisonnable avec les institutions sur une nouvelle aide internationale et définir demain un modèle de croissance viable pour le pays.

La lenteur des négociations, l'absence de progrès réel comme les postures successives du gouvernement ont contribué à banaliser le risque de défaut de la Grèce et l'hypothèse d'une sortie de la zone euro. Sans pour autant que ne soient véritablement évaluées les conséquences d'une telle option tant pour l'économie grecque, qui devrait faire face à un chaos sans précédent, que pour le projet politique qu'est censée être la monnaie unique. Il n'est plus temps de s'interroger sur l'opportunité d'avoir intégré rapidement la Grèce, après le retour de la démocratie, au sein de l'Union européenne puis de la zone euro. Ces débats n'ont pas leur place face à l'urgence du présent. Il s'agit aujourd'hui de définir la stratégie la plus adaptée pour accompagner le pays sur la voie de sa modernisation. Celle-ci a été entrevue début 2014 avec l'apparition de premiers résultats, qui, s'ils étaient insuffisants au plan social, montraient néanmoins que la fatalité n'avait plus cours dans la Grèce du vingt-et-unième siècle.

EXAMEN PAR LA COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 25 juin pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. Simon Sutour, le débat suivant s'est engagé.

M. Jean Bizet, président. - Je retiendrai deux points du rapport et de l'exposé de notre collègue. L'adhésion à l'Union européenne et a fortiori à la zone euro implique des règles à respecter. L'aide financière qui a été versée à la Grèce par l'Union européenne est conditionnée à l'application de certains engagements, qu'il convient de tenir. Je suis frappé de constater lors des réunions de la COSAC que nos collègues qui sont les plus exigeants à l'égard de la Grèce sont eux-mêmes issus de pays ayant traversé de grandes difficultés et ayant dû demander une aide financière : je pense à l'Irlande, à l'Espagne ou au Portugal.

Demander au gouvernement grec de poursuivre ses efforts ne nous empêche pas de réfléchir à une restructuration de la dette. Les autorités grecques souhaitent un allongement de la durée de remboursement. Portons plutôt des solutions innovantes, à l'image des certificats d'investissement. Leur fonctionnement est détaillé dans le rapport. Il s'agit de mettre en place des partenariats publics-privés qui permettront à la Grèce d'utiliser ses créances pour relancer l'investissement et d'associer ses bailleurs de fonds aux bénéfices. Je vous rappelle que la France est exposée à hauteur de 55 milliards d'euros à la dette publique grecque. Jusqu'alors seuls les investisseurs privés ont été concernés par une restructuration d'ampleur avec, en 2012, l'effacement de 107 milliards d'euros.

En ce qui concerne l'adhésion rapide de la Grèce en 1981, il aurait sans doute fallu prendre un peu plus de temps. Mais nous ne disposions pas à l'époque du cadre que nous fournit aujourd'hui la politique de voisinage.

M. Éric Bocquet. - Je salue le travail conséquent du rapporteur. Je regrette cependant que le rapport soit trop souvent à charge contre le gouvernement grec. C'est particulièrement manifeste dans la conclusion où sont mis en avant la « posture » du gouvernement, le manque de lisibilité de son action, ses coups de « bluff » et la partie de « poker menteur » à laquelle il se livrerait. Je retiens le mot « posture ». Mais enfin, peut-on dire d'un gouvernement ayant des convictions qu'il se situe dans la posture ? Je ne suis pas d'accord !

La conclusion est par contre éclairante lorsqu'elle rappelle que la crise grecque actuelle est avant tout une crise morale, marquée notamment par une défiance séculaire à l'égard de l'État. Ce qui n'est pas aujourd'hui sans rapport avec la question de la place de la Grèce au sein de l'Union européenne L'adhésion de la Grèce à l'Union européenne était évidente. Par contre, son intégration au sein de zone euro pose question. Elle a été portée par des personnalités qualifiées comme Jacques Delors, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn ou même Valéry Giscard d'Estaing !

Au-delà des négociations et du modèle de croissance, la principale urgence à laquelle est confronté le gouvernement est avant tout de permettre à sa population de subvenir à ses besoins élémentaires. Parallèlement, il importe effectivement qu'elle remette en place des structures administratives adaptées, pour lutter contre l'évasion fiscale et la corruption. Au plan économique, je m'interroge sur sa capacité à se redresser avec une telle charge de la dette. Elle représentait 112 % du PIB avant la crise, elle atteint aujourd'hui 176 %.

Je reviens enfin sur le problème démocratique que pose aujourd'hui la crise grecque. Jean-Claude Juncker oppose régulièrement les engagements de la Grèce à l'égard de l'Union européenne au choix des électeurs le 25 janvier dernier. À quoi sert de voter finalement ? Est-ce l'Europe dont nous voulons pour demain ?

M. Jean-Paul Emorine. - Je constate que le gouvernement grec a été élu sur un programme populiste et qu'il se heurte aujourd'hui à la réalité. Celle-ci implique qu'il fasse des efforts pour pouvoir obtenir un accord.

Je suis inquiet par rapport à ce que nous a indiqué le rapporteur sur la polarisation des Grecs sur l'Allemagne. Il est nécessaire que la Commission incarne les négociations et non pas l'Allemagne. Elle ne doit plus être autant en première ligne, tant elle cristallise les ressentiments dans ce pays.

M. Jean Bizet, président. - Je vous rejoins. La question de l'ambiance entre les États membres, qui sont avant tout des partenaires, est primordiale.

M. Richard Yung. - Je n'oublie pas, avant tout de chose, le rôle de la résistance grecque dans la défaite du nazisme. En obligeant Hitler à retirer des troupes du front de l'Est pour soutenir l'armée italienne empêtrée en Grèce, elle a sans doute influé sur le cours des choses...

Nous devons aujourd'hui arriver à un accord. Nous connaissions avant même le déclenchement de la crise les problèmes de la Grèce. Mais nous les taisions, qu'il s'agisse du poids des dépenses militaires - 2 milliards d'euros - qui servait nos industries de l'armement ou de l'inefficacité de l'administration grecque. Nous devons maintenant avancer, en ouvrant un débat sur la restructuration de la dette. L'allongement de la maturité est une piste à suivre.

M. Jean-Yves Leconte. - L'adhésion grecque a peut-être été trop rapide mais elle a eu un effet indéniable sur l'économie du pays. Le PIB a été multiplié par 7 en 25 ans. Et ce n'est pas seulement l'effet des fonds structurels. Les cinq dernières années ne sauraient masquer cette réalité, il ne s'agit pas d'un échec absolu.

On ne peut préjuger de l'issue des négociations mais nous devons effectivement trouver des solutions innovantes pour relancer le pays.

M. Michel Billout. - Je suis un peu déçu par la tonalité du rapport. Je conçois qu'il réponde à une exigence de sincérité du rapporteur au regard de ce qu'il a ressenti sur place mais il y a des manques dans son exposé. Les origines de la crise auraient mérité d'être rappelées et notamment le rôle de la banque Goldman Sachs. Le problème de la légitimité de la dette ne doit pas non plus être écarté. Finalement, comme l'a rappelé Éric Bocquet, la question de fond est celle du droit d'un gouvernement qui n'épouse pas les grands dogmes de l'économie libérale de pouvoir diriger un pays.

Il est nécessaire aujourd'hui de formuler des solutions innovantes et de dépasser une lecture trop comptable. Il faut redonner de la confiance aux Grecs. Les efforts demandés ont été inéquitablement répartis. Et seule l'économie grise a pu permettre à ce pays de se maintenir. Mais il ne s'agit pas d'une réponse viable à long terme.

M. Simon Sutour. - Je pense que votre conviction aurait été ébranlée si vous aviez pu assister aux entretiens que j'ai menés là-bas.

M. Michel Billout. - Ce gouvernement n'a même pas six mois.

M. Simon Sutour. - J'en conviens mais il faut bien qu'il commence à agir ! Un seul de mes interlocuteurs nous a tenu un langage de vérité, il s'agit du gouverneur de la Banque centrale ! Heureusement que la population grecque dispose aujourd'hui d'amortisseurs sociaux non gouvernementaux comme l'économie grise, la famille, l'Église orthodoxe ou les Fondations pour lui permettre de survivre...

J'entends vos remarques sur le problème démocratique. Je souhaite moi aussi que l'Europe soit réorientée vers plus de social. Il s'avère que nous ne sommes pas seuls et que la majorité de nos partenaires sont gouvernées par des partis conservateurs... Par ailleurs, tout gouvernement est comptable des engagements de ses prédécesseurs. Le gouvernement Syriza doit donc assumer les traités européens.

Si l'on aime, si l'on souhaite aider le peuple grec, il est indispensable de tenir un langage de vérité. Même s'il ne fait pas plaisir.

M. Jean Bizet, président. - Je propose que le rapporteur intègre dans le rapport final les résultats des négociations en cours quand nous pourrons en disposer et que le document soit publié à ce moment-là. Nous pouvons cependant d'ores et déjà autoriser sa publication.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du rapport.

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