N° 773
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 juillet 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur les centres de rétention administrative ,
Par Mme Éliane ASSASSI et M. François-Noël BUFFET,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Vincent Capo-Canellas, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, René Garrec, Mme Jacqueline Gourault, MM. François Grosdidier, Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Mme Isabelle Lajoux, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Roger Madec, Jean Louis Masson, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendlé, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
SYNTHÈSE
• La rétention administrative est le
dispositif permettant à l'administration de maintenir, pour une
durée limitée et dans des locaux spécifiques, les
étrangers en instance d'éloignement du territoire
français. Bien que privative de liberté, la rétention se
distingue de la détention : c'est une mesure administrative et non une
sanction judiciaire ; elle est exécutée dans des locaux
dépendant non pas de l'administration pénitentiaire mais des
services placés sous l'autorité du ministre de l'intérieur
- les centres de rétention administrative.
• La loi du 16 juin 2011 relative à
l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
a modifié de manière importante le régime juridique du
placement en rétention en tentant de mieux articuler cette mesure avec
les autres mesures de préparation à l'éloignement (aide au
départ volontaire, assignation à résidence) : allongement
de sa durée maximale à 45 jours après une première,
puis une seconde prolongation, de 20 jours maximum chacune, instauration d'un
nouveau recours devant le juge administratif et décalage de
l'intervention du juge judiciaire qui autorise la prolongation de la
rétention décidée par le préfet au cinquième
jour afin de favoriser le contrôle de légalité
exercé par le juge administratif.
En outre, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Popov de 2012, la rétention des familles avec enfants mineurs a été fortement limitée.
Enfin, un décret de 2008 a mis fin au monopole d'une seule association pour assurer l'assistance juridique des personnes placées en centre de rétention ; ce sont désormais cinq associations qui interviennent à ce titre dans les différents centres.
Trois ans après la loi de 2011 et à la suite de ces modifications réglementaires, votre commission a considéré qu'il était opportun de faire un bilan et des propositions d'amélioration.
• Les travaux menés par les rapporteurs -
de nombreuses auditions dont celle de l'ensemble des associations
chargées du soutien aux étrangers dans les centres de
rétention - ainsi que deux déplacements - à Marseille et
en Belgique - les conduisent à présenter deux séries de
propositions, visant, d'une part, à recentrer la rétention sur
les éloignements dont la mise en oeuvre est possible à court
terme et à replacer la rétention dans une échelle
graduée des modalités d'éloignement et, d'autre part,
à améliorer les conditions de vie dans les centres de
rétention administrative.
La rétention : un taux d'éloignement
toujours faible,
des centres sous-occupés
Les modifications introduites par la loi du 16 juin 2011 visent à rendre plus efficace la politique de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Pourtant, en 2012, seuls 23,3 % de l'ensemble des mesures d'éloignement prononcées ont été exécutés, taux qui monte à 47 % cette même année pour l'éloignement des personnes placées en centre de rétention.
Selon le rapport du député Matthias Fekl, si davantage de personnes sont éloignées dans les cinq premiers jours de rétention, cela est compensé par une baisse des éloignements intervenant ultérieurement ; seuls 4 % de ceux-ci ont lieu entre le 32 ème et le 45 ème jour.
Au 1 er août 2013, la France métropolitaine disposait d'un parc de 23 centres de rétention avec une capacité de 1 633 places, caractérisé par une sous-occupation chronique : le taux moyen d'occupation était de 48,3 %, avec toutefois de fortes disparités selon les centres.
Au plan budgétaire, des efforts de rationalisation de la gestion de ces centres de rétention ont été entrepris depuis plusieurs années et semblent commencer à porter leurs fruits en 2013.
Repenser le cadre juridique de l'éloignement
pour réaffirmer que
la rétention est l'ultime modalité
d'éloignement forcé
Devant un bilan mitigé de la loi du 16 juin 2011, les rapporteurs proposent de revoir le régime juridique de l'éloignement.
• Rendre à la rétention sa
vocation première de préalable à un éloignement
certain
La persistance de placements en rétention illégaux ou inutiles - les associations faisaient état de 47,6 % de personnes libérées en 2012 - a conduit les rapporteurs à inviter les autorités administratives à approfondir l'étude des cas en amont de la rétention, grâce notamment à un dialogue avec les associations, et à mettre effectivement en mesure l'étranger retenu pour vérification de son droit au séjour de fournir les pièces justifiant de ce droit. L'objectif est d'éviter que ne se trouvent privées de liberté des personnes pour lesquelles il n'existe pas de perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement. Les rapporteurs souhaitent ainsi cantonner la prolongation de la rétention aux cas pour lesquels l'éloignement effectif reste probable.
• Replacer la rétention dans une
échelle progressive des mesures d'éloignement et
développer les alternatives à la rétention
Afin de mieux transposer l'esprit de la directive « retour » de 2008, les rapporteurs proposent de repenser complétement les mesures d'éloignement afin d'y introduire une véritable gradation. Ils recommandent ainsi en un premier temps d'encourager les départs volontaires en généralisant les obligations de quitter le territoire assorties de délai de départ volontaire. En un second temps, ils estiment nécessaire de développer les alternatives à la rétention, en favorisant l'assignation à résidence et en mettant en place des centres ouverts sur le modèle des « maisons de retour » belges. Enfin, ils souhaitent limiter le recours à la rétention aux cas d'échec d'une mesure coercitive préalable, Mme Éliane Assassi préconisant la suppression à terme de la rétention.
Améliorer les conditions de vie
dans les
centres de rétention administrative
• Améliorer la conception des
locaux
La conception architecturale et la qualité des locaux des centres de rétention administrative jouent un rôle non négligeable dans le bon déroulement de la rétention. En effet, les centres peuvent présenter un aspect très carcéral et interdire toute circulation ou, au contraire, rendre possible, par leur conception même, une certaine liberté de mouvement en leur sein. De même, certains centres permettent les visites des familles dans de bonnes conditions, d'autres non. Les rapporteurs préconisent la prise en compte de ces éléments dès la conception des centres.
• Mieux garantir l'accès aux
droits et aux soins
Si le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que les personnes retenues peuvent bénéficier de certains droits, la mise en oeuvre effective de ceux-ci dans les centres de rétention présente encore des lacunes. Les rapporteurs les ont analysées dans la continuité des travaux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de ceux des associations.
Il en est ainsi de l'assistance juridique fournie par les avocats, qui intervient encore parfois tardivement ou de manière incomplète. De même, le droit à l'interprète n'est pas toujours effectif.
En ce qui concerne l'accès aux soins, des progrès restent à réaliser. D'abord, la prise en charge des troubles psychologiques n'est pas assurée de manière satisfaisante. Ensuite, il existe un problème de continuité des soins en rétention, les traitements étant souvent interrompus lors du placement dans les centres. L'articulation entre la procédure de libération des étrangers en cas de maladie très grave et la procédure d'octroi du titre de séjour accordé pour ce motif est également perfectible.
Enfin, les rapporteurs préconisent la mise en oeuvre d'activités diverses dans les centres de rétention, à l'instar de ce qui est organisé en Belgique, afin de lutter contre les tensions qui naissent nécessairement d'une complète inactivité.
• Mieux articuler l'intervention des
différents acteurs
Des personnels de plusieurs administrations et des représentants des associations d'aide aux étrangers interviennent dans les centres de rétention administrative. Une meilleure articulation de ces interventions serait parfois de nature à améliorer le déroulement de la rétention. Il serait également nécessaire d'affecter davantage de fonctionnaires de police expérimentés dans les centres et de renforcer les moyens de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) pour les mettre en adéquation avec l'ensemble de ses missions.