C. UNE SITUATION INACCEPTABLE : L'ABSENCE DES DÉCRETS D'APPLICATION D'UNE LOI CENSÉE GARANTIR LA CONTINUITÉ DE LA VIE NATIONALE
Que la mise en oeuvre de certaines lois très techniques soient momentanément retardée par l'absence des décrets d'application peut se concevoir. Certes, cette situation n'est pas très satisfaisante sur le plan des principes, mais elle n'entraîne pas de préjudice majeur, surtout si le texte non-appliqué ne concerne qu'un secteur limité de l'activité nationale ou seulement une petite partie de la population (une seule profession, par exemple).
En revanche, la situation devient très choquante si la loi en question concerne un très grand nombre de citoyens, et a fortiori si elle touche à la vie même de la Nation et à la continuité de l'État. Or, tel est bien le cas de la loi du 28 juillet 2011.
Si l'on se réfère aux circulaires primo-ministérielles régissant la publication des mesures réglementaires d'application des lois, les décrets nécessaires à la mise en oeuvre de la loi du 28 juillet 2011 auraient normalement dû paraître dans les six mois, soit au plus tard le 31 janvier 2012...
L'absence de décrets d'application trois ans après sa promulgation apparaît comme réellement incompréhensible pour un texte de cette importance , d'autant que le travail réglementaire à effectuer semble d'ampleur limitée : en pratique, deux décrets à publier, le premier pour préciser les modalités de mise en oeuvre du dispositif de réserve de sécurité nationale (notamment les conditions et les modalités de l'augmentation au-delà de 30 jours de la durée d'activité des réservistes, leurs conditions de convocation et le délai minimum qui doit leur être accordé avant le jour de la convocation), le second pour préciser les modalités d'application du régime de service de sécurité nationale (titre 2).
Cette lacune a déjà fait l'objet de plusieurs questions écrites auxquelles, jusqu'à présent, il n'a été apporté aucune réponse convaincante. Ainsi, en juillet 2013, en réponse à une question écrite du 2 mai 2013 (n° 0685) de Mme Joëlle Garriaud-Maylam, le ministre de la défense a apporté la réponse évasive suivante :
« Les dispositions de la loi n° 2011-892 du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure prévoient effectivement la fixation par décret en Conseil d'État de la durée d'emploi et des conditions de convocation des réservistes, ainsi que des modalités de mise en oeuvre du dispositif de réserve de sécurité nationale et du service de sécurité nationale. Un projet de décret en Conseil d'État et en conseil des ministres a donc été élaboré, sous l'égide du secrétariat général du Gouvernement. Le 4 janvier 2012, ce projet a été transmis par le ministre de la défense à son homologue de l'intérieur, à des fins de consultation du comité technique de la police nationale et du comité technique ministériel du ministère de l'intérieur. Dès que ces deux organismes auront fait connaître leur position, le projet de décret pourra être soumis à l'avis du Conseil d'État. Au terme de son examen par la Haute assemblée, il sera proposé à l'ordre du jour du Conseil des ministres ».
Selon les termes de M. Michel Boutant dans une autre question écrite (demeurée sans réponse) « ce retard est particulièrement dommageable au fonctionnement des réserves militaires et civiles et pourrait poser problème dans le cas où une crise majeure surviendrait ».
Des indications téléphoniques officieuses recueillies fin mars 2014 (juste avant le changement de Gouvernement) auprès des administrations civiles et militaires concernées laissent penser que le processus de rédaction se soit révélé laborieux, nécessitant de longues concertations, aussi bien en interministériel qu'avec les instances représentatives des entreprises. Cependant, toujours d'après ces indications, les décrets seraient sur le point d'être finalisés « dans les semaines à venir »...
Le 30 juin 2014, lors du débat en séance publique sur le bilan annuel sur l'application des lois, notre collègue Daniel Reiner, s'exprimant en tant que représentant du Président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, est revenu sur cette question ; il a en effet rappelé à Jean-Marie Le Guen, au banc du Gouvernement comme secrétaire d'État chargé des Relations avec le Parlement, que sa commission continuait « de regretter que la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure demeure totalement inapplicable, aucune des quatre mesures d'application prévues n'ayant été prise trois ans après la promulgation de la loi. Cette situation mérite une explication [...] ».
En réponse, le ministre a confirmé à la tribune du Sénat que le dossier était en effet en passe d'aboutir : « j'indique [...] qu'un projet de décret fait actuellement l'objet de concertations interministérielles. Ce document a déjà été examiné par la direction générale de la gendarmerie nationale et par le comité technique de la police nationale. Il sera, dès le mois de juillet prochain, proposé au comité technique ministériel, et devrait être publié dans la foulée ».
Votre rapporteur veut croire qu'il en sera ainsi, et se plait à imaginer que l'accélération -ou plus exactement, le redémarrage- du processus réglementaire tient au fait que la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois se soit officiellement saisie de la question .
Il conviendra toutefois de rester vigilant , pour vérifier, après la rentrée parlementaire d'octobre 2014 et la reconstitution de la commission, si les décrets manquants sont enfin sortis.