B. DEUX RÉGIMES JURIDIQUES NOUVEAUX POUVANT FAIRE APPEL À DES RÉSERVISTES CIVILS OU MILITAIRES
Constatant l'inadaptation d'un système de mobilisation purement volontaire en cas de crise majeure, une des propositions phare du rapport était la création d'un « dispositif de réserve de sécurité nationale », ne remettant pas en cause le principe de l'engagement volontaire ni l'organisation des réserves au quotidien, mais permettant aux ministères concernés, en cas de crise majeure, de mobiliser de manière plus efficace leurs forces de réserve.
À cet effet, la proposition de loi instituait un nouveau régime juridique d'exception temporaire, déclenché par décret du Premier ministre et définissant une durée de préavis et une obligation de mobilisation dans la limite de 30 jours, chaque autorité civile ou militaire restant compétente pour convoquer les forces dépendant d'elle (système n'aboutissant donc pas à une fusion des forces ou de leur encadrement propre).
La loi du 28 juillet 2011 a validé ce nouveau régime, intitulé « dispositif de réserve de sécurité nationale », et l'a assorti au cours de la navette (à l'initiative du rapporteur de la commission des Affaires étrangères, M. Josselin de Rohan) d'un certain nombre de mesures d'accompagnement ayant pour objet, notamment, d'adapter et de moderniser les règles encadrant l'ancien « service de défense », rebaptisé « service de sécurité nationale ».
Depuis lors, toutes les dispositions de la loi de 2011 ont été codifiées dans le Code de la défense ou dans le Code général des collectivités territoriales.
1. La création d'une réserve de sécurité nationale susceptible de seconder les forces d'active en cas de crise majeure
Alors que la participation des réservistes aux activités de leur formation est essentiellement fondée sur le volontariat, la loi de 2011 a institué un système exceptionnel et dérogatoire qui devrait permettre au Premier ministre, en cas de survenance, sur tout ou partie du territoire national, d'une crise majeure dont l'ampleur met en péril la continuité de l'action de l'État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation, de recourir à un dispositif de mobilisation obligatoire des réservistes. Ce dispositif est légalement désigné « réserve de sécurité nationale ».
a) Le cadre général de mise en ouvre du dispositif
Le recours à la réserve de sécurité nationale s'opère par décret, sans préjudice, le cas échéant, du déclenchement d'autres régimes exceptionnels pouvant être mis en oeuvre par l'État pour faire face à différentes situations exceptionnelles (l'état de siège, l'état d'urgence, la mise en garde, la réquisition, voire le régime de l'article 16 de la Constitution, etc...).
L'appel à la réserve de sécurité nationale concerne les réservistes appartenant, selon le cas, à la réserve opérationnelle militaire, à la réserve civile de la police nationale, à la réserve sanitaire, à la réserve civile pénitentiaire ou aux réserves de sécurité civile, étant observé que certains personnels concernés appartiennent conjointement à plusieurs réserves (ce qui conduit à devoir préciser l'articulation entre les régimes dont ils relèvent).
La réserve de sécurité nationale a pour objectif de renforcer les moyens mis en oeuvre par les services de l'État, les collectivités territoriales ou par toute autre personne de droit public ou privé participant à une mission de service public, cette précision légale quant aux finalités du dispositif ayant surtout pour objet, le cas échéant, de permettre aux juridictions compétentes d'apprécier la légalité de l'appel aux réservistes en cas de contentieux.
b) Des contraintes dérogatoires dans le cadre de la réserve de sécurité nationale
Le système est dérogatoire au régime de droit commun sur plusieurs points : la définition d'une période légale d'emploi du réserviste, le raccourcissement du délai de convocation du réserviste, l'obligation de déférer à la convocation et l'opposabilité de la convocation à l'employeur du réserviste, ces points devant être précisés par un décret qui, à cette date, n'a pas encore été publié. Pour le reste, la loi a prévu que les réservistes exerçant au titre du dispositif de réserve de sécurité nationale demeurent soumis aux dispositions législatives et réglementaires régissant leur engagement.
Il est ainsi prévu que le décret du Premier ministre fixe la durée d'emploi des réservistes appelés à participer à la réserve de sécurité nationale, sans qu'elle puisse normalement excéder trente jours consécutifs. Cette durée d'activité pourrait cependant être augmentée dans des conditions et selon des modalités fixées par un décret en Conseil d'État (non encore publié).
De même, le décret en Conseil d'État doit fixer les conditions de convocation des réservistes et déterminer, notamment, le délai minimal de préavis de convocation.
Lors du recours au dispositif de réserve de sécurité nationale, les réservistes sont tenus de rejoindre leur affectation, dans les conditions fixées par les autorités civiles ou militaires dont ils relèvent au titre de leur engagement. Toutefois, en cas de nécessité inhérente à la poursuite de la production de biens ou de services ou à la continuité du service public, les réservistes employés par certains opérateurs publics et privés ou gestionnaires d'établissements désignés par l'autorité administrative peuvent être dégagés de cette obligation.
En contrepartie, la loi de 2011 protège théoriquement les réservistes appelés dans le cadre de la réserve de sécurité nationale contre les incidences préjudiciables que leur absence pourrait entraîner sur le plan professionnel et dans leurs rapports avec leur employeur.
Ainsi, aucun licenciement ou déclassement professionnel et aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés à l'encontre d'un réserviste dans cette situation. De même, aucun établissement ou organisme de formation public ou privé ne peut prendre de mesure préjudiciable à l'accomplissement normal du cursus de formation entrepris par un étudiant ou un stagiaire en raison des absences résultant de sa participation aux opérations de réserve de sécurité nationale.
2. La création d'un service de sécurité nationale dédié à la continuité de la vie de la Nation
L'autre volet de la loi de 2011, ou « service de sécurité nationale » -qu'il convient de bien distinguer du système de la réserve de sécurité nationale- ne figurait pas dans la proposition initiale de M. Michel Boutant et de Mme Joëlle Garriaud-Maylam : il a été introduit en cours de navette en remplacement de l'ancien « service de défense », en vue de mieux assurer la continuité de l'action de l'État, des collectivités territoriales, et des organismes qui leur sont rattachés, ainsi que des entreprises et établissements dont les activités contribuent à la sécurité nationale.
Un décret en Conseil d'État devrait là encore préciser les modalités d'application du nouveau dispositif, mais il n'est toujours pas publié.
a) Un régime prévu pour maintenir la continuité des services indispensables à la sécurité nationale dans des situations très graves
Le service de sécurité nationale peut être déclenché par décret en conseil des ministres dans des circonstances bien précises : menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population (article L. 1111-2 du Code de la défense), survenance, sur tout ou partie du territoire national, d'une crise majeure dont l'ampleur met en péril la continuité de l'action de l'État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation (article L. 2171-1), péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique (article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955).
Le service de sécurité nationale est applicable au personnel visé par un plan de continuité ou de rétablissement d'activité, d'un des opérateurs publics ou privés ou des gestionnaires d'établissements désignés par l'autorité administrative conformément aux articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du Code de la défense, qui regroupent :
- « les opérateurs publics ou privés exploitant des établissements ou utilisant des installations et ouvrages, dont l'indisponibilité risquerait de diminuer d'une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation » et qui sont tenus « de coopérer à leurs frais [...] à la protection desdits établissements, installations et ouvrages contre toute menace, notamment à caractère terroriste » (article L. 1332-1) ;
- certains établissements mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement (en gros, les installations classées au titre de la protection de l'environnement) ou comprenant une installation nucléaire de base quand la destruction ou l'avarie de certaines installations de ces établissements peut présenter un danger grave pour la population (article L. 1332-2).
L'obligation de service de sécurité nationale ne peut être imposée qu'aux personnes majeures de nationalité française, ressortissantes de l'Union européenne, sans nationalité ou bénéficiant du droit d'asile.
Lors du recours au service de sécurité nationale, les personnes placées sous ce régime sont maintenues dans leur emploi habituel ou tenues de le rejoindre. Elles continuent d'être soumises aux règles de discipline et aux sanctions fixées par les statuts ou les règlements intérieurs de leur organisme d'emploi.
b) L'obligation d'établir et de notifier des plans de continuité
La loi de 2011 a également prévu que les opérateurs d'importance vitale soient tenus d'élaborer des plans de continuité ou de rétablissement d'activité et de notifier aux personnes concernées par ces plans qu'elles sont susceptibles d'être placées sous le régime du service de sécurité nationale .
Cette obligation de notification est justifiée par le fait qu'à la différence de la réserve de sécurité nationale -qui ne s'adresse par définition qu'à des réservistes, donc des personnes volontaires et informées des contraintes qui peuvent en résulter- les obligations du service de sécurité nationale peuvent être imposées à des personnes qui n'en ont pas exprimé le souhait et qui, au moment de leur engagement, n'en étaient pas nécessairement informées.
Là encore, le décret en Conseil d'État devait préciser les modalités d'application de cette disposition.