B. DÉCLINER NOTRE AMBITION STRATÉGIQUE AVEC PATIENCE ET DANS LA DURÉE

1. Miser sur l'ASEAN

Certes, la construction de l'ASEAN n'est en rien un processus comparable à celui de la construction européenne, comme cela a déjà été dit. Processus souple, non contraignant, reposant sur une organisation aux modestes moyens, cette intégration régionale n'en est pas moins devenue, progressivement, de plus en plus centrale.

L'ASEAN constitue de fait l'un des piliers de l'équilibre régional et contribue de facto à la stabilité du continent. L'adhésion de la France au Traité d'amitié et de coopération (TAC, texte fondateur de 1977 visant à promouvoir la stabilité régionale), en 2007, a su témoigner, dès cette date, de notre intérêt pour cette dynamique régionale.

Il nous faut continuer de marquer notre soutien à un processus qui ne peut que se consolider à l'avenir. Comme le font remarquer certains experts, l'émergence de la Chine est un « ciment » qui ne peut que lier de plus en plus étroitement les 10 États membres, au fur et à mesure du rattrapage économique, déjà enclenché, entre eux, et qui ne peut que se renforcer avec la « communauté ASEAN 2015 ».

Au-delà du seul aspect commercial, déjà décisif en soi, il n'est pas utile de rappeler l'intérêt qu'il y a à appuyer la constitution d'une architecture de sécurité collective, qui s'organise aujourd'hui de facto autour de l'ASEAN, même si l'organisation ne sera jamais ni l'OTAN de l'Asie du Sud-Est (alliance militaire régionale centrée sur la défense collective) ni l'UE (approche globale intégrée avec des abandons de souveraineté).

Lorsqu'on interroge les représentants du ministère des affaires étrangères sur cette question, ils jugent en général « prématuré » de renforcer notre présence auprès de l'organisation.

Notre dispositif actuel est jugé suffisant, bien qu'étant très modeste : notre ambassadeur en Indonésie est accrédité auprès de l'ASEAN et ne s'y rend en pratique qu'occasionnellement, compte tenu notamment de sa charge de travail et de la difficulté de circulation à Jakarta. D'autres diplomates de l'ambassade s'y rendent régulièrement, notamment le conseiller de coopération régionale, mais personne n'y est présent à plein temps. La France n'y est pas « installée » dans le paysage, contrairement à l'Allemagne.

Lors de leur mission en Indonésie, vos rapporteurs ont pu s'entretenir avec le Secrétaire général adjoint de l'association ; ce genre d'occasions n'est pas si fréquent pour nos diplomates, alors même qu'il s'agit d'une « petite » organisation, de 300 personnes environ.

L'ASEAN tient aujourd'hui plus de 1000 réunions par an. Le Japon a ouvert il y a déjà trois ans une représentation permanente exclusivement dédiée à l'ASEAN, forte aujourd'hui de 13 personnes à temps plein. Les Allemands, par le biais de la coopération, et pour le compte de l'Union européenne 159 ( * ) , disposent de 6 personnels à temps plein dans les locaux du secrétariat de l'ASEAN 160 ( * ) ...

Typologie des principales représentations européennes à l'ASEAN

Allemagne

Depuis 2005, Berlin veut intensifier ses relations avec l'ASEAN. Six experts de l'agence de coopération allemande, le GIZ, mettent en oeuvre un programme de coopération (70 millions d'euros en 2 ans) de renforcement institutionnel et soutien à l'intégration économique de l'ASEAN.

En outre, une personne à l'ambassade à Jakarta suit à plein temps la coopération allemande avec l'ASEAN (poste créé en 2012).

Royaume-Uni

Le Royaume-Uni est très actif dans les sphères économiques (UK-ASEAN Business Council...) et présent auprès du secrétariat de l'ASEAN sur les thématiques des droits de l'homme. A l'ambassade, une personne dédiée suit à plein temps l'ASEAN , en particulier le volet politique et les développements institutionnels.

France

La France est moins présente que l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Son ambassadeur en Indonésie est accrédité auprès de l'ASEAN depuis 2009. La délégation régionale de coopération pour l'ASEAN (DREG) a pour objectif de promouvoir la coopération avec l'ASEAN, en coordination avec les 10 ambassades de la zone.

Source : Asia center, Observatoire de l'Asie du Sud-Est, étude quadrimestrielle n°1, mars 2014

La France a elle aussi mis en place récemment un dispositif de coopération à l'échelle régionale, avec un conseiller régional (DREG) positionné à Jakarta, à proximité du secrétariat de l'ASEAN, assisté par un volontaire international.

Son budget est modeste (500 000 €) et lui permet de mener quelques actions ponctuelles, avec un positionnement de « niche » par rapport aux moyens japonais ou allemands, telles que :

- Un séminaire sur l'expertise française pour les villes durables ;

- Un séminaire sur le climat ;

- Un séminaire sur la problématique de la « connectivité »,

- Des cycles de formation des fonctionnaires de l'ASEAN,

- De la coopération audiovisuelle ;

- Un projet « santé »...

Il semble important de faire monter ce dispositif en puissance plutôt que de le remettre en cause avant même de lui avoir laissé le temps de produire tous ses résultats.

Votre commission estime qu'il faut miser sur l'ASEAN, résolument. Cet engagement ne pourra que payer sur le moyen terme. Le biais de la coopération et du soutien à l'intégration régionale (une révision de la charte de l'ASEAN est en préparation) peut être un bon point d'entrée. Cette stratégie ne sera d'ailleurs pas facile à mettre en oeuvre : la France n'est pas en tant que telle partenaire de dialogue (contrairement à l'UE), et elle n'est pas « attendue ».

Proposition : avoir un diplomate à plein temps accrédité auprès de l'ASEAN. Consolider notre dispositif régional de coopération et renforcer notre présence auprès du secrétariat de l'ASEAN pour « s'installer dans le paysage », par exemple via le soutien à l'intégration régionale.

2. Pérenniser le flux des visites officielles et intégrer l'importance de la « diplomatie des sommets »

Lorsque Laurent Fabius s'est rendu au siège de l'ASEAN en août 2013, aucun ministre des affaires étrangères ne s'était rendu en Indonésie depuis 17 ans (même si le Premier ministre François Fillon avait fait une visite officielle dans ce pays à l'été 2011).

Certes, le Président de la République et le Premier ministre auront, ces deux dernières années, vu l'intégralité des dirigeants asiatiques.

Mais cette mobilisation, récente, ne doit pas faiblir, et des visites de haut niveau doivent être programmées dans les mois à venir, en particulier du Président de la République (Philippines, si possible Indonésie et Vietnam) et du ministre de la défense (Malaisie).

La présence du ministre de la défense au Shangri-La dialogue est une excellente initiative, à pérenniser. Une délégation de parlementaires des commissions chargées de la défense des deux assemblées pourrait d'ailleurs l'y accompagner, pour approfondir le dialogue au niveau parlementaire.

Nos partenaires du sud-est asiatique sont particulièrement sensibles à la qualité des relations bilatérales et y compris interpersonnelles.

Proposition : maintenir le rythme des visites officielles dans la région, en prévoyant si possible une visite du ministre de la défense en Malaisie et une visite du Président de la République aux Philippines et, une fois le nouveau président élu, en Indonésie.

Pérenniser la présence annuelle du ministre de la défense au Shangi-La de Singapour et réfléchir à la présence d'une délégation de parlementaires des commissions chargées de la défense des deux assemblées à cette occasion.


* 159 Crédits du FED

* 160 Source : entretiens à Jakarta

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