C. LES ÉTATS-UNIS CONTINUERONT DANS LES PROCHAINES ANNÉES À DEMEURER LA « PUISSANCE INDISPENSABLE »
Reprenant la notion de « puissance indispensable », chère à Robert Kagan 37 ( * ) , le Président Obama considère que « l'Amérique doit toujours montrer la voie sur la scène internationale. Si nous ne le faisons pas, personne ne le fera ». Dans son discours de West Point du 28 mai, il définit les contours de cette notion et de fait les modalités d'exercice de cette indispensable puissance.
1. Une puissance indispensable par défaut
Cette conviction que les États-Unis ne peuvent se retirer de l'engagement international est étayée par la demande récurrente d'un engagement américain dans les affaires mondiales par les partenaires (européens ou asiatiques) mais aussi par le Congrès, tandis qu'aucune autre puissance ne saurait véritablement exercer un leadership alternatif. Sous cet angle, que ces autres pôles ne soient pas coopératifs (Russie, Chine), incapables de dépasser leur horizons (Brésil, Inde), évanescents (Union européenne), n'est pas imputable à la politique étrangère américaine.
2. Une puissance indispensable par obligation
Pour le Président Obama : « Au XXIe siècle, l'isolationnisme américain n'est pas une option. Nous n'avons pas le choix de feindre d'ignorer ce qui se passe au-delà de nos frontières. Si du matériel nucléaire n'est pas sécurisé, cela représente un danger pour des villes américaines. Quand la guerre civile syrienne se propage au-delà des frontières du pays, la capacité des groupes extrémistes aguerris de nous prendre pour cible ne fera que s'accroître. Une agression régionale qui n'entraîne pas de réaction - que ce soit dans le sud de l'Ukraine ou en mer de Chine méridionale, ou partout ailleurs dans le monde - aura au bout du compte des conséquences sur nos alliés et pourrait finir par impliquer nos forces armées. Nous ne pouvons pas ignorer ce qui se passe au-delà de nos frontières. »
L'outil de défense des États-Unis, s'il est en cours de redimensionnement, reste de loin le plus puissant et le seul global. Loin de conforter la thèse isolationniste, la volonté de s'engager dans les affaires mondiales à la hauteur de leurs considérables intérêts de sécurité, économiques et politiques, et d'y exercer leur leadership est donc toujours présente même si elle s'exerce d'abord par une mobilisation accrue de la diplomatie .
Le New Strategic Guidance de janvier 2012 qui définit la stratégie américaine de défense s'intitule opportunément « Sustaining U.S. Global Leadership : Priorities for 21 st Century Defense » (Soutenir le leadership global des États-Unis : les priorités pour la Défense au XXI e siècle).
3. Une puissance indispensable mais raisonnable dans son engagement
« La question à laquelle nous faisons face, celle à laquelle chacun de vous aura à répondre, n'est pas de savoir si l'Amérique montrera la voie mais comment nous le ferons - non seulement pour assurer notre paix et notre prospérité, mais aussi pour élargir la paix et la prospérité au reste du monde .
Je suis convaincu qu'un monde où règnent plus de liberté et de tolérance est non seulement un impératif moral, mais aussi un monde qui contribue à notre sécurité.
Mais dire que nous avons intérêt à promouvoir la paix et la liberté au-delà de nos frontières ne signifie pas que tout problème a une solution militaire . Depuis la Deuxième Guerre mondiale, certaines de nos erreurs les plus coûteuses sont venues non pas de notre retenue, mais de notre disposition à nous précipiter dans des aventures militaires sans réfléchir à toutes les conséquences - sans mobiliser un appui international et établir la légitimité de notre action ; sans expliquer franchement au peuple américain les sacrifices requis. Les propos sévères font souvent la une des journaux, mais la guerre se conforme rarement aux slogans. »
Et de citer des propos du général Eisenhower, qui inspire beaucoup sa réflexion stratégique, en 1947 « La guerre est la folie la plus tragique et la plus stupide de l'humanité ; viser ou conseiller délibérément sa provocation est un crime odieux contre toute l'humanité. ».
Le Président Barack Obama souhaite donc privilégier la voie diplomatique sur l'option militaire et contenir les crises qui menacent de dégénérer à tout moment (Syrie, Corée du Nord, Iran, mers de Chine, Ukraine) et d'entraîner les États-Unis dans un conflit où leurs intérêts ne seraient pas directement en jeu, expliquant une prudence à toute épreuve. Surtout, il aspire à redéfinir le rôle des États-Unis et à privilégier une empreinte légère. Plus qu'un désengagement, la politique étrangère américaine correspond à une nouvelle Realpolitik sous contrainte .
* 37 Chercheur à la Brookings Institution et éditorialiste influent au Washington Post , autrefois proche des Républicains.