B. MAIS ILS DEVRONT COHABITER AVEC D'AUTRES PUISSANCES
1. Le monde post-soviétique est plus compliqué qu'on ne l'imaginait
Pour autant, les États-Unis sont conscients des évolutions du monde et de la rapidité de leur vitesse. Ces évolutions sont perçues comme des opportunités mais aussi comme des risques : risque de dissémination des armes et des technologies à des acteurs non-étatiques (terrorisme), risque d'affirmation de puissances étatiques comme la Russie ou la Chine, montée en puissance de pays émergents, ouverture du monde et mondialisation de l'information qui rendent plus que jamais les opinions publiques sensibles aux conflits internes aux États, à l'effondrement de certains, aux soulèvements populaires, aux guerres civiles...
2. Les États-Unis ne sont pas concurrencés par un modèle alternatif
Malgré l'accumulation de zones de tension dans le monde, le contexte géopolitique actuel reste assez favorable aux États-Unis, comparé à la situation de la Guerre froide : la menace terroriste est « gérée » de manière plus discrète et moins coûteuse, la Chine ne sera pas un rival militaire sérieux avant plusieurs années voire décennies, et il n'existe pas de menace majeure sur la sécurité des États-Unis.
En outre, si l'on examine les principales puissances susceptibles de contester leur suprématie, l'interdépendance des économies rendrait les confrontations directes extrêmement coûteuses pour chacun des adversaires. Observons en outre que ces puissances ne sont pas mues par des projets idéologiques les conduisant, comme cela a pu être le cas de l'Union soviétique, à vouloir étendre leur hégémonie. Il n'existe pas aujourd'hui de modèle alternatif à l'économie de marché et à la démocratie, en tous cas de modèle porté par une puissance susceptible de rivaliser avec les États-Unis et ses alliés.
3. Un environnement sécuritaire instable
Les États-Unis distinguent plusieurs types de risques et de menaces pour les intérêts américains et ceux de leurs alliés.
a) Les risques et menaces liés à l'affirmation de la puissance militaire de certains États importants
Il ne s'agit pas, dans la perception américaine, de menaces directes contre les intérêts américains, mais d'affirmation de puissance qui inquiète leurs alliés et trouble la stabilité internationale comme l'agression de la Russie contre d'anciens États soviétiques ou l'essor économique et l'expansion militaire de la Chine.
b) Les risques et menaces liés aux actions d'États imprévisibles et qui se situent délibérément en marge du système international
La Quadrennial review of defense 2014 cite l'Iran et la Corée du nord qui aspirent à se doter d'armes nucléaires et de missiles balistiques et qui, de fait ou par leurs actions, menacent leurs voisins alliés des États-Unis.
c) L'évolution des menaces non-étatiques : terrorisme, criminalité organisée
Les troubles et la violence persistent ailleurs, produisant un environnement fertile pour l'extrémisme violent et les conflits sectaires, particulièrement dans les États fragiles, allant du Sahel à l'Asie du Sud, et menaçant les ressortissants américains à l'étranger.
Même si les capacités d' Al-Qaïda ont été affaiblies dans son sanctuaire d'Afghanistan et du Pakistan, le terrorisme actif à travers ses filiales et, plus globalement l'extrémisme violent continue de menacer les intérêts américains, de ses alliés et partenaires et son territoire. La localisation primaire de cette menace est l'Asie du sud et le Moyen-Orient, mais depuis la mi-2013, les Américains ont étendu la zone infectée de l'Asie du Sud à l'Afrique de l'Ouest.
Moins visible, les États-Unis considèrent que le développement de la grande criminalité internationale, à travers les réseaux de trafics de drogue, d'êtres humains, la piraterie maritime, la fraude informatique, la contrefaçon et le blanchiment d'argent, constitue une menace sous-jacente, d'autant qu'elle est en mesure d'influencer et de déstabiliser des États par la corruption, le financement de forces armées, des alliances d'intérêts avec des groupes terroristes...
d) L'apparition de nouvelles formes de menaces
La guerre moderne évolue rapidement, menant à un espace de combat aérien, maritime, spatial, et cybernétique, disputé, là où les forces américaines bénéficiaient jusqu'à maintenant d'une position dominante lorsqu'elles étaient impliquées.
Dans le « New Strategic Guidance for the Department of Defense » de janvier 2012, il est indiqué que : « Pour soutenir la croissance économique et le commerce, les États-Unis, en coopération avec leurs alliés et partenaires à travers le monde, rechercheront à protéger la liberté d'accès dans les espaces communs (Global Commons), ces zones en dehors des juridictions nationales qui constituent un tissu de relations vital pour le système international. » Les États-Unis sont très sensibles à la préservation de la liberté de circulation sur les voies maritimes qui permettent d'acheminer 90 % du commerce mondial. Il s'agit là d'une constante de la doctrine navale américaine depuis la fin du XIX e siècle, connue sous le nom de « doctrine Mahan » 35 ( * ) .
« La sécurité globale et la prospérité dépendent de façon croissante de la libre circulation des marchandises par air et par mer. Des acteurs étatiques et non-étatiques posent des menaces potentielles pour l'accès à ces espaces communs par leur opposition aux règles existantes ou par des tentatives de dénis d'accès.
Des acteurs étatiques et non-étatiques disposent de capacités et tentent de conduire des actions d'espionnage par le cyber et potentiellement des cyberattaques contre les États-Unis avec de possibles conséquences sur nos opérations militaires et notre sécurité intérieure ». La Défense américaine s'inquiète, en raison de sa dépendance sur le plan technique, de la cybersécurité, des risques de cyberattaque contre le secteur financier ou d'autres secteurs vitaux de l'économie, mais aussi dans le domaine strictement militaire de la corruption des données (précision, navigation et temps) qui entraîne une perte de confiance à l'égard des systèmes opérationnels 36 ( * ) .
« Le nombre croissant de pays accédant à l'espace extra-atmosphérique conduit à un environnement de plus en plus encombré et contesté, menaçant la sécurité et la sûreté. ».
e) La prolifération des armes de destruction massive
Dans le « New Strategic Guidance for the Department of Defense » de janvier 2012, il est indiqué que : « La prolifération des armes nucléaires, bactériologiques et chimiques a la potentialité de décupler les menaces de certains acteurs régionaux, leur donnant plus de liberté d'action pour défier les intérêts américains. L'accès des terroristes à des matières nucléaires laisse en perspective des conséquences dévastatrices pour les États-Unis. En conséquence, le département de la Défense continuera à moderniser les capacités, en agissant avec des partenaires nationaux et étrangers, pour conduire des opérations contre la prolifération des armes de destruction massive. »
* 35 Alfred Mahan (1840-1914), amiral de l'US Navy et historien, a défini les premiers éléments de doctrine navale des États-Unis, fondée notamment sur la maîtrise des espaces maritimes dans un ouvrage « The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783» (1890), http://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Mahan
* 36 Intervention du Général Martin Dempsey, chairman of the Joint Chiefs of Staff devant l'Atlantic Council «Défense déstabilisatrice : la sécurité dynamique à l'ère des nouvelles technologies - 20 mai 2014, http://www.atlanticcouncil.org/events/past-events/dempsey-calls-for-innovation-in-defense