II. UN ENGAGEMENT EURO-ATLANTIQUE INDÉNIABLE
A. L'ADHÉSION À L'OTAN, PRÉALABLE À L'INTÉGRATION EUROPÉENNE ?
1. Un engagement atlantique constant de la part des autorités...
Les autorités monténégrines ont fait de l'adhésion à l'OTAN la priorité de leur politique étrangère, considérant cette intégration comme la première étape en vue de rejoindre l'Union européenne. Le pays a d'ailleurs rejoint le Partenariat pour la paix (PPP), mis en place par l'organisation atlantique dès son accession à l'indépendance en 2006. Le PPP permet à des États tiers de coopérer avec les membres de l'OTAN. Il constitue pour certains une antichambre vers l'Organisation atlantique. Le volontarisme euro-atlantique monténégrin contraste avec la réserve du voisin serbe mais s'inscrit dans une réelle dynamique régionale, puisque la Macédoine et la Bosnie-Herzégovine sont également candidates. Le Monténégro applique le plan d'action pour l'adhésion ( Membership action plan - MAP) depuis 2009. Le gouvernement monténégrin espère qu'une invitation à adhérer à l'OTAN pourra lui être adressée à l'occasion du sommet de l'Alliance atlantique organisé à Cardiff les 4 et 5 septembre 2014.
L'adhésion à l'OTAN est, selon les autorités, avant tout censée permettre de stabiliser la région. Le gouvernement monténégrin met régulièrement en avant le rôle de facilitateur que joue le pays dans un environnement régional complexe mais au sein duquel il n'a aucun contentieux avec ses voisins. L'intégration au sein des structures atlantiques doit dans ces conditions conforter cette position. Elle permet aussi de garantir la sécurité du Monténégro, qui est aujourd'hui le seul pays de la rive nord de la Méditerranée à ne pas avoir rejoint l'OTAN. A contrario , une absence de réponse positive rapide à la demande d'adhésion est présentée comme un risque de fragilisation interne du pays, l'exemple de la Macédoine, en proie à une crise interne latente, étant à cet égard régulièrement avancé. La volonté d'adhérer à l'OTAN n'est pas non plus dénuée d'objectifs économiques. Ses promoteurs estiment que l'intégration renforcerait la crédibilité du pays et attirerait ainsi de nouveaux investisseurs. L'intégration au sein des structures atlantiques élimine en outre les coûts liés au maintien de la neutralité, le gouvernement tablant sur une multiplication par cinq du nombre de soldats pour parvenir à garantir celle-ci.
L'engagement militaire du petit État est par ailleurs indéniable tant au titre des opérations menées par l'OTAN que celles supportées par l'Union européenne. Le parlement monténégrin a ainsi voté un texte autorisant l'envoi de soldats au Mali (mission EUTM Mali) et en République centrafricaine (mission EUFOR RCA). Cette contribution demeure pour l'heure symbolique puisque seul un officier devrait intégrer chacune de ces missions. Trois soldats monténégrins sont, en outre, au service de l'opération Atalante menée par l'Union européenne au large des côtes somaliennes. Vingt-cinq militaires monténégrins sont par ailleurs affectés en Afghanistan.
2. ... qui ne suscite pas d'adhésion populaire
La démarche atlantique rencontre un accueil mitigé au sein de la population. Une enquête d'opinion réalisée en mars 2014 soulignait que 46 % de la population était favorable à une intégration au sein des structures atlantiques (31 % en avril 2013). 30 % de la population affiche dans cette même enquête une opposition irréductible. La question de l'adhésion a d'ailleurs été l'un des thèmes de campagne du scrutin municipal du 25 mai 2014. Certains partis pro-serbes, des associations issues de la société civile, l'église orthodoxe serbe et quelques médias affichent ouvertement leur hostilité à cette intégration. Le souvenir du bombardement meurtrier des Alliés au nord du pays lors des opérations au Kosovo en 1999 est régulièrement avancé. Le coût induit par la participation à des opérations lointaines, le risque de tensions avec la Russie ou la priorité accordée aux questions de défense au détriment de la lutte contre la corruption font également figure d'argument pour les opposants. Une nouvelle campagne de communication valorisant l'adhésion via l'agence de presse monténégrine MINA ou l'ONG « Centre pour la transition démocratique » tente de contrebalancer cette opposition frontale. En cas de référendum, 42 % des électeurs voteraient pour l'heure en faveur de l'intégration, 41 % s'y opposant.
3. Une adhésion conditionnée à la poursuite des réformes
Si l'adhésion semble être aujourd'hui mieux soutenue par les États-Unis et demandée par plusieurs États membres de l'Union européenne (Bulgarie, Croatie, Estonie, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie), l'Allemagne, la Belgique ou le Royaume-Uni semblent plus réticents. Quatre priorités - services de renseignements, État de droit, réforme de la justice et réforme de la défense - ont été ciblées par les États membres dans le cadre du Plan d'action annuel. Leurs principales réserves tiennent pour l'heure à la fragilité du soutien à cette démarche de la part de l'opinion publique monténégrine ainsi qu'à une part du budget de la défense consacrée aux dépenses d'équipement jugée pour l'heure insuffisante. Le gouvernement a d'ores et déjà annoncé une augmentation des dépenses d'équipement en 2014, qui devraient représenter 20 % du budget contre 15 % cette année. Le budget de la défense représente aujourd'hui 1,8 % du PIB. L'essentiel des dépenses concerne pour l'heure les personnels et, plus précisément, les pensions de retraite. Une feuille de route prévoit la poursuite de cet effort en faveur de l'investissement au cours des prochaines années, en dépit des contraintes financières qui pèsent sur l'État monténégrin. Les priorités d'achats visent les véhicules blindés, les radars de surveillance, et les patrouilleurs maritimes. À l'inverse, le Monténégro estime qu'il pourrait en contrepartie contribuer à combler les besoins en équipement de l'Alliance, notamment en ce qui concerne les hélicoptères. La réforme des services de renseignement et la création d'un service de renseignement militaire attendue par les Alliés ont également progressé. Les États membres de l'OTAN attendent notamment de véritables résultats sur la protection des informations classifiées. La question de l'indépendance des services de renseignements est également cruciale, leur proximité avec les services russes ayant été mis en avant à l'occasion de la découverte d'affaires d'espionnage visant les ambassades américaine et britannique à Podgorica. L'indépendance récente n'est pas non plus sans conséquences sur les réformes structurelles à accomplir. La marine, issue de l'ex-Yougoslavie, apparaît clairement surdimensionnée par rapport à la taille du pays. À l'inverse, celui-ci ne disposait pas après la sécession d'avec la Serbie de réseaux informatiques militaires adaptés.
Certaines réserves sur une intégration du pays à l'OTAN s'appuient également sur la faible capacité à déployer des forces sur les théâtres d'opération, ce qui ferait du pays moins un contributeur qu'un consommateur de sécurité. Pour l'heure l'armée monténégrine dispose en effet de 2 100 soldats, ce chiffre devant être ramené à 1 800 à l'horizon 2018.
4. Quelles conséquences sur les relations avec la Russie ?
La question de l'opportunité politique d'une adhésion à l'OTAN dans un contexte marqué par la crise russo-ukrainienne est également posée. Le projet d'intégration au sein des structures atlantiques n'est, en effet, pas sans susciter un certain nombre de réserves auprès de la Russie, partenaire économique important du Monténégro. L'alignement des autorités monténégrines sur la position européenne dans la crise ukrainienne a contribué à tendre un peu plus les relations avec Moscou, déjà fragilisées par le refus d'accorder un accès des ports de Bar et de Kotor à la flotte militaire russe. Le Monténégro avait également critiqué le 14 mars 2014 le changement de statut de la Crimée lors du conseil de l'OTAN. Il a également fait partie des États parrainant le projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la situation en Ukraine le 27 mars 2014.
C'est à l'aune de cette perspective euro-atlantique qu'il convient également d'analyser les tensions constatées au sein du conseil d'administration du combinat d'aluminium KAP , dont une partie du capital appartient à des investisseurs russes : la banque VTB et la société CEAC , filiale chypriote du groupe russe En+ (29 % du capital). Ces entreprises s'opposent à la vente du combinat au seul repreneur déclaré. Deux procédures d'arbitrage international ont été engagées fin 2013 et en mars 2014. Un recours a également été déposé devant la justice monténégrine. Les investisseurs russes réclament une indemnisation à hauteur de 700 millions d'euros.
Il convient en effet de rappeler que la Russie demeure le premier investisseur en Russie. Les investissements directs russes représentaient, en effet, 162 millions d'euros en 2012, soit plus du quart de tous les investissements directs étrangers perçus par le pays. Cette tendance s'est confirmée en 2013 avec 111 millions d'euros investis au cours des neuf premiers mois de l'exercice dont 89 au titre d'opérations immobilières. 300 000 Russes ont également visité le Monténégro en 2013 (244 000 en 2012) soit près du quart du nombre de touristes accueillis cette année-là (22,7 %). Leur présence est facilitée par un accord bilatéral de libéralisation des visas signé entre les deux pays. Cette clientèle n'est pas sans incidence sur les projets immobiliers de la côte ou sur l'augmentation de la capacité d'accueil de l'aéroport de Tivat, à proximité de Kotor. 7 000 Russes résident par ailleurs de façon permanente dans le pays. Ce refroidissement des relations avec la Russie n'est pas non plus sans incidence sur la fréquentation touristique. Une baisse des visites de ressortissants russes a été enregistrée par les mairies de Cetinje et Kotor. L'Organisation monténégrine du tourisme a également souligné les difficultés induites par ce refroidissement des relations entre les deux États.
Dans ces conditions, une adhésion à l'OTAN pourrait être considérée comme une nouvelle provocation par Moscou. Cette perspective pourrait inciter les Alliés à reporter cette intégration tant que la crise russo-ukrainienne n'est pas réglée, au risque de décrédibiliser les autorités monténégrines sur la scène intérieure.