B. UNE ÉCONOMIE EN TRANSITION, FRAGILISÉE PAR LA CRISE
1. Un pays endetté qui peine à moderniser ses structures...
L'économie du Monténégro, très dépendante des investissements directs étrangers, a été fortement impactée par la crise financière de 2008. Le retour au pouvoir de M. Djukanoviæ s'est traduit au plan économique par la mise en place d'un programme de rigueur sans précédent : le taux de la TVA a été augmenté de 17 à 19 %, les impôts visant les salaires supérieurs à 720 euros mensuels ont été majorés de 9 à 12 % et une diminution drastique des frais de fonctionnement, visant à la fois l'administration mais aussi les entreprises publiques et les universités. Un plan de lutte contre la fraude fiscale et l'économie informelle a également été mis en place. Ce dispositif - qui affecte la popularité du Premier ministre dans les enquêtes d'opinion - reste cependant insuffisant aux yeux des observateurs, faute de réformes structurelles visant les retraites ou le secteur public. Le déficit public initialement estimé à 3,9 % du PIB fin 2013 devrait atteindre en réalité 5 %. Le gouvernement estime néanmoins ramener ce déficit à 1,9 % du PIB à la fin de l'exercice 2014.
Le complexe d'aluminium KAP grève, en outre, les comptes publics (300 000 euros par jour), l'État s'étant porté garant de la dette du groupe. Le plan de restructuration élaboré par le gouvernement et prévoyant le licenciement de plus de la moitié des 1 200 ouvriers (4 000 emplois indirects) n'a pas obtenu la majorité au Parlement. KAP ne paye pas, par ailleurs, l'électricité utilisée qui représente la moitié de l'électricité consommée dans le pays. La compagnie publique détenue à 43 % par des actionnaires italiens refuse d'ailleurs désormais de livrer de l'énergie à KAP , le gouvernement souhaitant qu'un tarif réduit soit mis en place en faveur du complexe d'aluminium. C'est dans ce contexte qu'est intervenu le placement en faillite de KAP . La privatisation annoncée et la vente à un repreneur local n'ont, pour l'heure, toujours pas été finalisées. Le financement, estimé à 30 millions d'euros n'est pas encore réuni, alors que les investissements prévus - 76 millions d'euros - pour rendre le projet viable apparaissent sous-dimensionnés. L'opposition, appuyée par le SDP, qui conteste les choix gouvernementaux en la matière, a, en outre, fait adopter une loi obligeant le gouvernement à demander l'accord du parlement avant de procéder à la vente de KAP . Au-delà de KAP , l'impact sur le budget de l'État des entreprises publiques en difficulté, à l'image de la compagnie Monténégro Airlines et du quotidien Pobjeda , n'est pas non plus dédaignable.
La situation des banques reste également délicate, le niveau de créances douteuses détenues par celle-ci étant estimé à 17,5 %. Le secteur n'a pas été assaini faute d'une supervision adaptée par le ministère des finances ou la Banque centrale. L'encours des banques aux entreprises reste, par ailleurs, inférieur de 30 % au niveau enregistré en 2009. Seuls les prêts accordés aux particuliers et aux administrations a augmenté en 2013.
Si les indicateurs économiques semblent plus favorables en 2013 qu'en 2012 - la croissance du PIB passant de 0,5 à 3,5 % sur la période, le chômage étant ramené de 18 à 15 % de la population active -, l'hypothèse d'une intervention du FMI en 2015 n'est pas à exclure. Le pays sera alors confronté au remboursement d'une partie de sa dette. La dette publique représentait, fin 2013, 73 % du PIB (dont 7 % au titre des garanties publiques apportées au groupe KAP et 260 millions d'euros au titre des municipalités). Elle a doublé depuis 2007.
2. ... mais qui dispose d'un potentiel indéniable
L'endettement extérieur du Monténégro représente, quant à lui, plus de 107 % du PIB. La balance des paiements est, pour l'heure, alimentée par le tourisme - 1,2 million de visiteurs annuels, 721 millions d'euros de revenus en 2013 soit 22 % du PIB - et l'exportation d'aluminium. L'énergie pourrait constituer à l'avenir un nouveau relais de croissance, via l'exploitation de réserves d'hydrocarbures dans l'Adriatique, la construction de centrales hydrauliques sur la rivière Moraèa et d'un câble sous-marin reliant l'Italie et le Monténégro pour la fourniture d'électricité. La poursuite des investissements dans le domaine du tourisme apparaît en outre indispensable (baies de Lutica - 1 milliard d'euros - et de Kotor, Port Monténégro). La modernisation des infrastructures (autoroute entre Podgorica et Kolain au centre du pays, mine de charbon, énergie éolienne) font également figure de priorité en vue de rendre crédibles les projections du gouvernement en matière de croissance : 3,6 % en 2014, puis 3,5 % et 3,8 % lors des deux exercices suivants. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement et la Banque mondiale tablent, quant à elles, sur une croissance avoisinant 3 % en 2014.
Les projets d'infrastructure ne sont pas, cependant, sans incidence sur la dette du pays. L'autoroute entre Podgorica et Kolain devrait ainsi être financée par un prêt d'une banque chinoise de 809 millions d'euros - soit 24 % du PIB monténégrin -, la China road and bridge corporation assurant la maîtrise d'ouvrage. L'impact sur la dette de ce prêt sur 20 ans à 2 % est estimé à 100 millions d'euros en 2014 et 200 millions d'euros en 2015. Dans ce contexte, la Banque mondiale a annoncé le retrait de son offre de prêt de 36 millions d'euros destiné à accompagner les efforts du gouvernement en vue de réduire son endettement. La BERD, la Banque mondiale et l'Union européenne estiment que ce projet n'a pas été précédé d'une analyse coûts/bénéfices suffisante, le gouvernement se contentant d'annoncer qu'il génèrerait 4 000 emplois, dont 30 % seraient occupés par des Monténégrins. L'intention reste néanmoins louable puisqu'il s'agit de désenclaver le Nord du pays et de permettre à la côte de se développer un peu plus en drainant le fret routier en provenance de la Serbie. Reste que la priorité accordée à la construction de cette autoroute semble s'effectuer au détriment d'autres projets qui auraient eu, selon certains observateurs, un impact direct sur la croissance.
L'ensemble de ces projets témoignent pour autant d'une reprise des investissements directs étrangers dans le pays, après une baisse constatée de 30 % en 2013 par rapport à 2012. Là encore, les niveaux enregistrés demeurent largement en deçà de ceux constatés avant la crise.
3. L'euro : atout ou handicap ?
Le Monténégro utilise l'euro depuis 2002, sans accord préalable des institutions européennes. Elle a engagé des démarches avec la Banque centrale et l'Union européenne afin de régulariser cette situation et se placer dans la même situation que les micro-États du continent qui utilisent la monnaie unique sans adhérer formellement à l'Union européenne : Andorre, Monaco, Saint-Marin et le Vatican. Le recours à l'euro a permis au pays de stabiliser ses prix, même si les taux d'intérêts y demeurent plus élevés qu'au sein de l'Union économique et monétaire. Reste que si l'utilisation de la monnaie unique est pertinente sur la côte très exposée au tourisme, elle peut constituer un frein au développement économique du Nord du pays, qui commerce essentiellement avec la Serbie. Le taux de chômage y frôle 40 %, contre 8 % en bordure maritime. L'utilisation de l'euro prive, par ailleurs, la banque centrale du contrôle de la politique monétaire.
Le Monténégro souffre plus largement de handicaps structurels importants, tenant à son enclavement, à la qualité de sa main d'oeuvre, à un niveau de rémunération relativement élevé comparativement à ses voisins mais aussi à un climat des affaires qui demeure relativement difficile, en dépit des progrès observés récemment par la Banque mondiale.