ANNEXES
- Annexe 1 : comptes rendus des auditions
- Annexe 2 : Programme des auditions de M. Roland Courteau, rapporteur
Annexe 1 - Comptes rendus des auditions
Table ronde
Lancement de la thématique et
état des lieux
Audition de Mmes Mélanie Gratacos,
directrice du Centre Hubertine Auclert, et
Amandine Berton-Schmitt,
chargée de mission Éducation
(30 janvier 2014)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Dans la lignée des travaux rendus en juin 2013 et consacrés aux femmes et à la culture, notre délégation a décidé d'approfondir sa réflexion sur les stéréotypes sexués à partir des représentations des hommes et des femmes dans les manuels scolaires.
L'enfance, et tout particulièrement la période scolaire, constitue un moment-clef dans la construction des représentations. Nos travaux sur les viols de guerre et, en ce moment même, nos réflexions sur la prostitution confortent cette conviction.
Notre délégation a toujours considéré que c'est dès le plus jeune âge que les stéréotypes doivent être déconstruits et appréhendés. Aussi, les livres dans lesquels nos élèves étudient devraient-ils être un vecteur fondamental de transmission d'une culture de l'égalité.
Je remercie Mmes Mélanie Gratacos et Amandine Berton-Schmitt, directrice et chargée de mission Éducation, d'être venues nous présenter les travaux du Centre Hubertine Auclert, qui publie une étude par an sur les représentations sexuées dans les manuels scolaires.
Ces études ont passé au crible, en 2011, les nouveaux manuels d'histoire de seconde et de certificat d'aptitude professionnelle (CAP) puis, en 2012, les manuels de mathématiques et enfin, en 2013, les manuels de français.
Pouvez-vous nous exposer les principales conclusions de votre étude, nous indiquer quelles pistes vous avez déjà trouvées pour lutter contre ces stéréotypes, et dans quelles directions notre délégation doit travailler pour avancer sur ce sujet ? Les évènements récents au sein de l'Éducation nationale nous inquiètent quelque peu et soulignent l'importance de la réflexion que nous engageons.
Mme Mélanie Gratacos, directrice du centre Hubertine Auclert . - Le centre Hubertine Auclert a été créé en 2009 à l'initiative de la région Ile-de-France et d'associations féministes. Il regroupe plus de 80 associations, syndicats et collectivités territoriales désireux de promouvoir une culture de l'égalité femmes-hommes. Il centralise des ressources, outils et documents destinés aux porteurs de projets en faveur de l'égalité. Il accompagne ces acteurs et actrices dans le cadre d'un appui personnalisé ou d'échanges collectifs. Il réalise un travail d'éducation à l'égalité auprès des établissements scolaires, des enseignants et des acteurs de l'éducation. Il accueille également depuis juillet 2013 un observatoire régional des violences faites aux femmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous avons ardemment milité en faveur de la création de cet observatoire !
Mme Mélanie Gratacos . - L'analyse des supports éducatifs constitue un volet de notre travail en faveur de l'éducation à l'égalité. Nous nous concentrons sur les manuels scolaires, parce qu'au travers de la vision du monde et de la société qu'ils véhiculent, ils peuvent contribuer à transmettre la culture de l'égalité. Nous choisissons une matière par an et examinons comment les femmes sont, ou ne sont pas, représentées dans ces ouvrages.
Au-delà de l'intérêt propre de ce travail, nous sensibilisons tous les acteurs de la chaîne scolaire, notamment les éditeurs et éditrices de manuels. Nous souhaitions décerner chaque année un prix d'excellence à un manuel exemplaire en matière d'égalité : nous avons dû renoncer, faute de candidat irréprochable dans ce domaine. Mais nous remettons chaque année un prix d'encouragement pour valoriser les bonnes initiatives et créer un cercle vertueux auprès des éditeurs. Nous offrons des outils aux éditeurs qui ont pris conscience des enjeux de l'égalité entre les hommes et les femmes et des grilles d'analyse aux professeurs pour les guider dans le choix des manuels.
Mme Amandine Berton-Schmitt, chargée de mission éducation au centre Hubertine Auclert . - Les manuels scolaires rendent accessibles les connaissances dans une matière donnée. Ils devraient aussi véhiculer une culture de l'égalité puisque l'égalité, comme il est dit dans le code de l'éducation, s'inscrit dans les valeurs de l'école républicaine. Or, au risque de briser immédiatement toute illusion sur le sujet, je dois dire qu'ils ne remplissent pas cet office.
Ce constat est ancien et partagé. Il a émergé d'études réalisées sous l'égide de l'UNESCO dans les années 1980 ; en France, la prise de conscience est plus récente. Elle doit beaucoup à quatre travaux, et tout d'abord à l'étude fameuse de Sylvie Cromer et Carole Brugeilles. Le rapport remis au Premier ministre en 1997 par la députée Simone Rignault et le sénateur Philippe Richert sur la représentation des femmes et des hommes dans les manuels scolaires a, lui aussi, été déterminant, de même que le rapport réalisé en 2004 par Annette Wievorka pour le Conseil économique et social sur la place des femmes dans l'histoire enseignée. Je cite également une importante étude de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) de 2009, qui a malheureusement été insuffisamment relayée, probablement en raison de l'évolution du contexte institutionnel : disparition de la HALDE et création du Défenseur des droits.
Pour mettre en lumière les représentations sexuées qui existent à un moment donné, nous utilisons la méthodologie exposée par Sylvie Cromer et Carole Brugeilles : nous choisissons une discipline et un corpus de manuels nouvellement parus destinés aux séries générales et professionnelles et réalisons une étude quantitative et qualitative. L'analyse quantitative fait la force de cette méthode : il est fondamental de disposer d'un décompte précis des données que nous extrayons du corpus et qui représentent des stéréotypes. L'époque des ouvrages où l'on montre que « Papa lit et maman coud » est heureusement révolue. Mais les stéréotypes subsistent sous des formes plus sournoises. L'analyse qualitative seule ne permettrait pas d'en rendre compte de manière adéquate.
Les trois études que nous avons réalisées sur les manuels d'histoire, de mathématiques et de français révèlent d'une part, une sous-représentation très importante des femmes, qui résulte à la fois d'un déséquilibre numérique et de procédés « d'invisibilisation » ; d'autre part, la persistance des stéréotypes sexués.
Nous avons comptabilisé les personnages historiques féminins cités dans les manuels d'histoire de seconde générale et de CAP, ainsi que le nombre de femmes auteures des documents présentés (schémas, articles de presse...). Nous avons constaté l'absence quasi-totale des femmes dans les développements relatifs à la production économique de l'Antiquité à 1848, notamment au Moyen-Âge. De même, les femmes sont absentes des notices biographiques : sur 339 biographies proposées, 11 seulement sont consacrées à des femmes, soit 3,2 % ! Les éditeurs expliquent que la parité est difficile à atteindre... mais entre 50 % et 3,2 %, il y a une nette marge de progression... Enfin, sur 1 537 documents proposés à l'étude dans les manuels - textes, articles de presse, images, photos - 65 seulement sont réalisés par des femmes, soit 4,2 %. Les manuels traitent certes de l'histoire des femmes, mais en annexe. Selon l'heureuse expression de l'historienne Annie Rouquier, « les femmes sont reléguées dans les marges du récit historique » .
Des dossiers thématiques ponctuels ou des encadrés sont consacrés à la place des femmes dans la Révolution ou à leur exclusion de la citoyenneté athénienne. Mais il s'agit de « doubles pages », pas véritablement intégrées au cours dans lequel elles s'insèrent, de telle sorte que les femmes n'apparaissent pas de manière régulière dans le texte enseigné.
Enfin, les manuels présentent des clichés tenaces : absente de la sphère économique, la femme est en revanche surreprésentée dans la sphère privée : elle est nécessairement fille, soeur, mère...
Les arts et les sciences demeurent des domaines masculins. Dans l'ensemble des manuels que nous avons étudiés, les oeuvres des femmes sont 25 fois moins nombreuses que celles des hommes ; une seule femme peintre - Barbara Krafft, portraitiste de Mozart - est présente : encore est-elle relativement méconnue. Les personnages féminins sont représentés au travers du seul prisme du désir masculin : la femme du Moyen-Âge n'est représentée que par trois figures stéréotypées : la pècheresse tentatrice, la Vierge, ou la dame de l'amour courtois.
Nous relevons quelques évolutions positives : alors qu'en 2004, le suffrage universel désignait le suffrage masculin sans préciser que les femmes en avaient été exclues jusqu'à une date récente, ce n'est plus le cas aujourd'hui. De même, certaines pages d'histoire sont bien traitées, comme l'exclusion des femmes de la citoyenneté athénienne et romaine. Certaines figures féminines, telles Hildegarde de Bingen, Émilie du Châtelet ou Jeanne Deroin ont fait leur apparition dans les livres d'histoire. A l'inverse, on peut s'étonner que, sur le tout petit nombre de femmes qui ont les honneurs d'une notice biographique, figure Roxelane, la favorite de Soliman le magnifique, image féminine ambiguë.
J'ai évoqué le phénomène « d'invisibilisation » des femmes : un exemple topique est donné par un manuel qui consacre une double page à la diffusion de la pensée de Newton par Voltaire. Le rôle d'Émilie du Chatelet, qui a traduit les ouvrages du savant anglais et qui a donc directement permis leur diffusion en France, est tout simplement occulté.
Quant aux stéréotypes, une leçon, consacrée par un manuel de CAP à l'industrie textile, indique, au-dessus d'une photographie montrant des femmes debout dans une usine, que cette industrie a été la première à employer des femmes et souligne que les machines « ne demandent pas de force musculaire mais de l'habileté et de la concentration » . Le cliché de la « petite main » n'est pas loin... L'auteur omet de rappeler que pour rester debout douze heures dans la chaleur et le bruit de ces ateliers, il fallait en réalité une certaine force physique !
Mme Marie-Annick Duchêne . - Dans l'esprit des auteurs, cela était peut-être flatteur : l'habileté et la concentration sont des qualités nobles. Ici l'homme est réduit à la force brute.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Cela manifeste surtout la prédestination des femmes pour un rôle donné.
Mme Amandine Berton-Schmitt . - Sous un aspect apparemment positif, l'image et son commentaire enferment l'ouvrière dans une représentation univoque. C'est un stéréotype sournois. Dans le même esprit, un autre manuel intitule une double page « être ouvrier au XX ème siècle » et présente des photos de métallurgistes au début du siècle et de cégétistes à Gandrange, tous masculins, avec ce commentaire : « être ouvrier au XX ème siècle, c'est d'abord être un homme » !
Enfin, un manuel se termine par plusieurs pages de notices biographiques, rassemblées par ordre alphabétique : de l'empereur Auguste à l'empereur Yongle, point de femme !
Beaucoup d'historiens ont imputé la surreprésentation des hommes dans les manuels d'histoire au primat de l'histoire politique et militaire dans l'enseignement de cette discipline. Dans cette logique, un domaine scientifique comme celui des mathématiques ne permettrait pas une approche aussi biaisée. Qu'à cela ne tienne ! Nous avons étudié les nouveaux manuels de mathématiques de Terminale S et de Terminale bac pro parus en 2010 et en 2011.
Qu'y constatons-nous ? La sous-représentation numérique des femmes se retrouve dans ces ouvrages : nous en avons compté 672 seulement sur 3 348 personnes sexuées mentionnées, soit une femme pour cinq hommes ! La proportion de femmes parmi les personnages historiques cités est rigoureusement la même que dans les manuels d'histoire, soit 3,2 % ! « L'invisibilisation » des femmes est également à l'oeuvre dans ces manuels : le rôle des femmes citées est minimisé. Marie Curie, par exemple, est toujours associée aux travaux de son mari. Certains noms de femmes ne sont employés qu'en épithètes : les manuels évoquent la courbe d'Agnesi ou les nombres de Sylvie Germain sans présenter ces savantes, alors que l'explication du théorème de Pythagore s'accompagne d'une notice biographique du mathématicien grec. D'autres femmes disparaissent purement et simplement : Ada Lovelace, précurseure de la programmation informatique, et dont le prénom fut donné à l'un des tout premiers langages de programmation, n'est pas mentionnée. Quant aux personnages fictifs requis par les exercices d'application, les femmes y sont prisonnières de stéréotypes : elles ne peuvent être que gérantes de parfumeries ou de cabinets d'esthétique...
Il y a quelques signes encourageants : un ouvrage invite à aborder l'étude des inégalités hommes-femmes au travers d'un chapitre sur les probabilités et statistiques ; il propose des exercices de calcul sur la parité dans les assemblées parlementaires.
Cependant, l'iconographie demeure stéréotypée : un manuel de Terminale S comporte une seule représentation féminine. Elle figure sur la double page consacrée aux nombres complexes : il s'agit d'une jeune fille, face à son miroir, qui prononce ces mots : « ils disent tous que j'ai un complexe mais je le vois bien, j'ai encore grossi » !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Quelle caricature ! Et quelle imprudence, vu l'âge de ces jeunes filles !
Mme Amandine Berton-Schmitt . - Un autre manuel représente une femme debout à côté d'une machine à laver et un homme assis au volant d'une camionnette ! Un autre encore publie une photo de Marie Curie, mais l'accompagne de développements sur la curiethérapie, en ne citant son nom que pour signaler qu'elle « a été souvent associée aux travaux de Pierre Curie » ...
Mme Marie-Annick Duchêne . - C'est une erreur historique !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - C'est honteux !
Mme Amandine Berton-Schmitt . - Les couvertures sont aussi édifiantes : un même manuel de Terminale bac pro a une couverture bleue pour les élèves de la filière industrielle et une couverture rose à destination des élèves de la filière tertiaire ! Les premières informaticiennes, qui travaillent sur l'ENIAC (Electronic Numerical Integrator and Analyser), c'est-à-dire le premier ordinateur conçu aux États-Unis dans les années quarante, apparaissent sur une photographie, où elles semblent être des standardistes, mais ne sont pas identifiées.
Les résultats quantitatifs sont tout aussi mauvais pour les manuels de français. Sur 13 192 noms mentionnés en histoire littéraire et artistique, 6,1 % appartiennent à des femmes. Les femmes représentent 3,7 % des auteurs cités, 6,7 % des artistes et 0,7 % des philosophes. Sur 254 biographies recensées, 11 seulement sont consacrées à des femmes, comme dans les manuels d'histoire. Les femmes sont réduites au rôle d'épouses, d'amantes ou de muses. L'exemple de Louise Collet est frappant : elle est décrite comme la confidente de Flaubert mais jamais comme la poétesse qu'elle est aussi. Les manuels minimisent le rôle des femmes dans la production littéraire. 5 % des textes littéraires étudiés sont l'oeuvre de femmes, sans que cette exclusion des femmes du champ littéraire ne soit questionnée. Sur l'ensemble du corpus artistique présenté, 93,3 % des auteurs sont des hommes.
La représentation du féminin est dépendante du regard masculin. Les femmes sont davantage étudiées comme des sujets de romans ou de poèmes qu'en tant que créatrices ou artistes. Le terme de « héros » ne se décline guère au féminin : il y a très peu d'héroïnes... On relève une essentialisation de la femme par opposition à l'universalité du genre masculin.
Néanmoins, les ouvrages destinés aux élèves des filières professionnelles abordent des thèmes tels que l'éducation des filles, les mariages forcés, les femmes sportives, l'image des femmes dans la publicité. A l'inverse, la partie du programme de seconde générale consacrée à l'argumentation aux XVII ème et XVIII ème siècles, qui pourrait se prêter à l'étude d'auteurs de ce temps intéressés par la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, tel Condorcet, n'est pas traitée sous cet angle.
Après un tel état des lieux, quelles pistes pouvons-nous proposer afin de promouvoir l'égalité entre les sexes ? Nous recommandons l'utilisation de l'ouvrage de Sylvie Cromer et Carole Brugeilles, édité par l'UNESCO, « Analyser les représentations du féminin et du masculin dans les manuels scolaires » , du guide méthodologique belge « Sexes et Manuels » et de l'ouvrage collectif publié chez Belin sous le titre « La place des femmes dans l'Histoire » . Le site Genrimages propose aussi des outils et ressources intéressantes, tout comme notre site www.hubertine.fr .
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous avions beau être averties, notre indignation a cru au fil de votre exposé.
Mme Mélanie Gratacos . - Notre base de données, « l'égalithèque », accessible sur notre site, recense plus de 600 références et outils. Nous travaillons avec le ministère des Droits des femmes pour les mutualiser.
Nous envisageons trois leviers d'action pour l'avenir : connaître, alerter et progresser.
Il nous faut d'abord produire de la connaissance afin d'objectiver la vision inégalitaire de la société véhiculée par les manuels scolaires. Il s'agit à la fois de valoriser la recherche existante et de susciter de nouveaux travaux. Nous organiserons un colloque en septembre 2014 afin de mettre en lumière les études menées sur cette thématique ; je me permets d'indiquer que nous cherchons un lieu et que nous serions heureuses si le Sénat pouvait accueillir cette manifestation...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - C'est une question à étudier de près !
Mme Mélanie Gratacos . - Il importe, ensuite, de signaler et de dénoncer les inégalités. Nous travaillons avec les éditeurs et éditrices dans une logique d'encouragement, que nous souhaitons poursuivre. La carotte doit s'accompagner du bâton, dans la logique du « naming and shaming » ! Nous projetons de mettre en ligne un site sur lequel les internautes pourront signaler les stéréotypes sexués relevés dans les manuels, que nous vérifierons. Nous attirerons ensuite l'attention des éditeurs sur ces références afin qu'ils les suppriment.
Enfin, nous souhaitons mener une démarche constructive en faveur de l'égalité. Le centre est de plus en plus sollicité par les établissements scolaires et par le corps enseignant. Nous proposons désormais un module de formation à destination des professeurs : ce module pourrait être étendu aux éditeurs. Nous avons monté une exposition sur les manuels scolaires que nous mettons à disposition des établissements qui le désirent, pour accompagner les enseignants. Nous lançons un groupe de travail avec les maisons d'édition auquel participera une responsable du syndicat national de l'édition.
Mme Amandine Berton-Schmitt . - Tous les acteurs qui participent à l'élaboration des manuels scolaires se renvoient la balle sur la question des inégalités hommes femmes. A l'occasion du colloque, notre projet est de les rassembler tous autour d'une même table, de manière à progresser réellement.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous souhaitons construire un dispositif efficace en faveur de l'égalité. Votre sollicitation pour l'organisation d'un colloque nous intéresse. Il nous sera toutefois peut-être difficile d'y répondre positivement en raison des élections sénatoriales de cette année qui peuvent créer des difficultés de calendrier. En tout état de cause, vos travaux seront pour nous une source d'inspiration. Je vous remercie beaucoup pour votre contribution et votre disponibilité.
Audition de Mme Sylvie Cromer,
sociologue à
l'Université de Lille II, chercheure à l'Institut national
d'études démographiques (INED)
(30 janvier 2014)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous sommes heureux de pouvoir entendre maintenant Mme Sylvie Cromer, sociologue et responsable scientifique du programme de recherche européen « Attention Album ! » sur les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés de 1996 à 1999.
Votre recherche porte, Madame, sur les représentations du genre, c'est-à-dire les constructions sociales du masculin et du féminin dans les albums, la littérature jeunesse, la presse magazine et les manuels scolaires. À ce titre, votre expérience et votre éclairage nous seront particulièrement précieux.
Ainsi, vous êtes co-auteure du « Guide méthodologique sur l'égalité entre les sexes par les manuels scolaires » coordonné par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) à l'attention des acteurs et actrices de la chaîne du manuel scolaire. Vous avez participé dans ce contexte, notamment, à un colloque « Filles, garçons : une même école ? », en avril 2012, qui est désormais une référence.
Nous commençons notre série d'entretiens sur les stéréotypes dans les manuels scolaires qui sera notre thème annuel d'étude.
Pouvez-vous nous dire si vos recherches vous ont permis de constater des évolutions en la matière, quels efforts ou dispositifs ont déjà été mis en place en France et, enfin, nous indiquer des pistes de travail pour que notre délégation contribue à faire avancer les choses ?
Mme Sylvie Cromer, sociologue, chercheure à l'Institut national d'études démographiques (INED) . - Comme vous venez de le rappeler, je travaille depuis plus de quinze ans sur les représentations du masculin et du féminin dans les divers outils d'éducation et, notamment, dans les manuels scolaires.
En préambule, il me semble important de replacer le sujet qui nous occupe aujourd'hui dans un cadre plus général : celui de l'égalité entre les sexes, sans le réduire à la seule question de la lutte contre les stéréotypes.
Nous nous sommes toujours attachés, les équipes avec lesquelles j'ai travaillé et moi-même, à placer nos recherches sous le sceau du principe d'égalité.
Rappelons tout d'abord que ce principe, qui est l'une des valeurs fondamentales de notre République, sert aussi de fondement à de nombreux outils internationaux.
Ayant travaillé sous l'égide de l'UNESCO, mais aussi avec le Canada ainsi qu'avec divers pays d'Afrique (Togo, Cameroun, Sénégal, République démocratique du Congo, Maroc...), je peux dire qu'il existe un consensus au niveau international sur l'objectif de lutter contre les stéréotypes et de promouvoir l'égalité entre les sexes dans les manuels d'éducation.
Même nos collègues étrangers travaillant dans des pays dont la Constitution ne reconnaît pas le principe d'égalité entre les hommes et les femmes peuvent s'appuyer sur la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), aujourd'hui ratifiée par 99 pays.
Je ne vais pas ici détailler tout ce que nous avons écrit dans le « Guide méthodologique à l'attention des acteurs et des actrices de la chaîne du manuel scolaire » , publié sous l'égide de l'UNESCO en 2008. Cet ouvrage est aujourd'hui en cours de traduction en arabe après avoir été traduit en anglais, mais je crois qu'il est important de replacer nos travaux dans une perspective historique.
Dès 1925, la Société des Nations (SDN) s'était emparée de la question des manuels scolaires, notamment pour y traquer les dérives xénophobes ; l'UNESCO s'est employé à relayer cette préoccupation dès sa création en 1945. La question n'est donc ni nouvelle, ni originale.
Pour autant, les premières études et le combat contre les stéréotypes sexués datent des années 1970 et c'est aussi à partir de cette époque que se sont multipliées les recherches sur le sujet.
Il est intéressant de comprendre pourquoi les instances internationales se sont emparées du sujet. Comme le démontrent les instituts de recherche - et notamment le Centre Hubertine Auclert auquel je rends hommage - qui en ont fait un objet d'étude, le manuel scolaire fait partie des biens communs d'une société. Au-delà de sa fonction d'organisation des connaissances à un moment donné, le manuel est aussi un lieu symbolique de construction et d'expression des valeurs d'une société. C'est la raison pour laquelle, partout dans le monde, les manuels scolaires font l'objet de controverses et suscitent des polémiques - même entre les pays - bien au-delà de la seule sphère éducative.
Les institutions internationales ont donc bien pris conscience qu'il constituait un puissant levier de changement social, parce qu'il est utilisé non seulement par les enseignants et les élèves, mais aussi par les familles.
C'est en ce sens qu'il peut être un vecteur extraordinaire de promotion de l'égalité entre les sexes et c'est dans cette perspective que nous avons travaillé sous l'égide de l'UNESCO, en particulier dans certains pays du continent africain.
Évidemment, vous pourriez me rétorquer qu'avec la numérisation des documents, le manuel scolaire tendrait à perdre sa valeur de référence.
C'est d'ailleurs cette conviction qui m'avait amenée à m'intéresser, au début de mes recherches, plutôt à la littérature destinée à la jeunesse, puis à la presse magazine, en réservant les études sur les manuels scolaires à certains pays d'Afrique où les livres sont très rares et où les manuels sont quasiment les seuls outils de transmission.
Pourtant, je me suis vite aperçue qu'en France également le manuel restait un outil fondamental, notamment à l'école primaire : dans une matière comme les mathématiques, les enseignants s'appuient en effet encore essentiellement sur le manuel, notamment pour les exercices. N'oublions pas qu'il est également l'outil de transmission entre l'école et les parents des élèves !
J'en viens maintenant à vos questions.
Sur les constats, tels qu'ils résultent des différentes études publiées, je ne vais pas m'attarder, le centre Hubertine Auclert ayant précédemment dressé un tableau complet.
Pourtant, il me semble important d'apporter un éclairage sur l'utilisation de l'outil « genré », notamment pour répondre à la controverse actuelle sur la question du genre.
Je vous rappelle que le genre est un outil d'analyse, qui consiste en une lecture sexuée du monde social. Il a permis de mettre en évidence les inégalités entre les sexes et, ce faisant, de renouveler notre connaissance des manuels scolaires.
C'est dans cet esprit que, dans les années 1970, l'UNESCO a initié un programme dans plusieurs pays dont les résultats ont donné lieu à la publication d'un ouvrage de compilation écrit par la sociologue Andrée Michel et intitulé « Non aux stéréotypes » . Cet ouvrage a permis de mettre en lumière une surreprésentation des personnages masculins, une opposition entre les personnages masculins et féminins et, enfin, une survalorisation du masculin au dépend du féminin.
L'appropriation par les chercheurs de l'outil d'analyse « genre », qui s'est développé dans ces années-là, a permis de dépasser la recherche simple des images stéréotypées pour aller plus loin et traquer ce qui se joue dans la relation entre le masculin et le féminin. Ainsi, de même qu'on prend en compte le rapport social de classe pour traquer les inégalités sociales, on a utilisé le rapport social de sexe comme critère de recherche des inégalités entre les femmes et les hommes. Cela revient à dire que, comme dans les autres matières, les inégalités entre les sexes reflètent un rapport de forces qu'il s'agit de détecter pour le faire évoluer.
À la fin des années 1990, j'ai ensuite été à l'initiative, avec ma collègue Carole Brugeilles et ma soeur Isabelle Cromer, de la mise en place d'un nouvel outil quantitatif, qui est encore utilisé aujourd'hui dans la détection des inégalités entre les hommes et les femmes.
À l'époque, nous rencontrions, au cours de nos recherches, des interlocuteurs qui, encore très dubitatifs face aux études qualitatives, pointaient du doigt les inégalités de sexe, notamment dans la littérature de jeunesse et la presse magazine.
Nous cherchions à renforcer la légitimité de nos travaux, d'une part en objectivant les données et, d'autre part, en élargissant nos recherches à l'étude de corpus très importants.
Nous avons donc élaboré une méthode quantitative qui consistait à analyser tous les personnages des manuels, en passant au crible un ensemble de critères liés pas seulement au sexe, mais aussi à l'âge, à la couleur de peau, à la qualité et aux actions des personnages et permettant également d'analyser leurs relations.
Bien que complexe, cette méthode, simplifiée et réappropriée, sert encore pour passer au crible les inégalités dans les manuels.
Je tiens à dire que les résultats auxquels nous sommes parvenus grâce à cette méthode nous permettent aujourd'hui de dire que, dans la société fictive que montrent les manuels scolaires comme dans la société réelle, on a constaté une réelle évolution : les représentations de sexe dans nos manuels scolaires ne sont pas aujourd'hui les mêmes que dans les années 1960.
Ce qu'on voit apparaître aujourd'hui - et qui est caractéristique de l'évolution des rapports de sexe -, c'est l'émergence d'un masculin neutre : les personnages de sexe masculin continuent à être majoritaires (de l'ordre de 60 %) et ceci dans tous les corpus, au détriment des personnages féminins. Ainsi, les femmes ne représentaient-elles que 5 % des personnages dans les manuels de mathématique étudiés en 2008.
Parallèlement, le personnage masculin étend son domaine de compétences dans tous les domaines sociaux. Déjà omniprésent dans la sphère publique, il étend son domaine d'action dans la sphère privée : on voit de plus en plus d'hommes s'occupant de leurs enfants, par exemple.
Ce que nous regrettons, c'est que cette extension de compétences n'ait pas aussi inversement bénéficié aux personnages féminins, qui restent pour la plupart enfermés dans des caractéristiques physiques attribuées par rapport à un modèle masculin : un noeud dans les cheveux, une jupe longue, etc. Cette « iconographie » stéréotypée empêche les enfants qui en sont la cible d'accéder à l'universel.
Ainsi, « la femme », au même titre que « la personne de couleur », reste un « cas particulier » au sein d'une composante majoritaire qui reste masculine. Je pense que ce constat rejoint les analyses du Centre Hubertine Auclert.
Les études que j'ai pu mener sur les collections de manuels scolaires en Afrique me permettent néanmoins d'apporter une note encourageante. Bien que conçus majoritairement dans les pays du Nord, les manuels observés présentaient des représentations de genre différentes de celles observées dans nos manuels. Ce qui m'amène à dire que l'on peut faire évoluer les systèmes de représentation et, donc, qu'on peut espérer faire changer les choses.
Par ailleurs, je veux insister sur un autre point qui me paraît essentiel en rappelant que les manuels ne sont jamais le reflet du monde dans lequel on vit, mais toujours une projection imaginaire d'un ordre social sexué qui ne correspond pas à la réalité. Ils montrent les représentations stéréotypées dans lesquelles nous baignons tous et que nous reproduisons, même de façon inconsciente.
Il est important de reconnaître cette reproduction inconsciente pour déculpabiliser, en particulier les auteurs des manuels, d'autant plus que les auteurs des textes ne sont souvent pas les mêmes que ceux qui font les choix iconographiques : les illustrateurs et les auteurs sont la plupart du temps déconnectés.
Moi-même, en tant que professeur, il m'est arrivé d'illustrer une démonstration par un exemple de grammaire sans prendre en compte le fait que, par cet exemple, je tombais peut-être, aussi, dans le piège du stéréotype !
J'en viens donc maintenant aux pistes possibles d'évolution. Je vois aujourd'hui émerger une « peur de l'égalité » qui gagne y compris les personnes qui ne sont pas farouchement hostiles au principe.
Le discours consensuel, quasi mythique, qui prévalait dans les années 1980, se fissure aujourd'hui. C'est pourquoi nous devons inlassablement faire oeuvre de pédagogie pour expliquer ce qu'est l'égalité. Je m'attache à valoriser les recherches que j'effectue en tant que sociologue pour qu'elles aient une utilité sociale. Paradoxalement, je trouve moins de résistance dans les pays d'Afrique - et notamment au Maroc où j'ai travaillé en corrélation avec des cadres de l'éducation nationale - qu'en France ! Il nous faut donc inlassablement rappeler que l'objectif d'éduquer à l'égalité des sexes poursuit l'ambition de permettre à chacun et chacune de se construire selon ses potentialités et ses désirs.
Il s'agit de ne pas enfermer les petites filles ou les petits garçons dans un rôle « prêt-à-porter ». Il faut s'adresser aux parents : c'est à l'adulte de comprendre qu'offrir à son enfant toujours la même catégorie de jeux (la poupée, les jeux de construction...) et cela dès la crèche, revient à le couper de certaines de ses potentialités et à l'empêcher de développer certaines compétences.
L'exemple de cette petite fille, Wajda, privée du droit de faire du vélo en Arabie saoudite, personnage principal d'un film qu'on a pu voir l'année dernière au cinéma, l'a admirablement illustré : cette privation affecte véritablement sa personnalité !
Il en va de même de la reproduction de l'orientation professionnelle en fonction de l'origine sociale.
Il me semble qu'être éducateur au XXI ème siècle, c'est permettre à chaque enfant de se développer en fonction de ses potentialités sans être assigné à son sexe ou à sa classe sociale, et donc ouvrir tous les possibles humains.
S'agissant des manuels scolaires, nous avions distingué, dans le guide méthodologique précité, trois pôles interactifs dans la chaîne du manuel scolaire (politique éducative, utilisation et édition).
Parallèlement, nous avions considéré deux sphères (universitaire et médiatique) pour mener les recherches et les vulgariser.
Le premier pôle - majeur - est celui de la politique éducative. C'est à ce niveau - essentiellement au niveau de l'État - que se définissent les objectifs et les contenus. A ce stade, il est essentiel que soient inscrits dans toutes les disciplines et dans tous les curricula (ensemble plus large qu'un programme qui inclut tous les objectifs d'un enseignement, son contenu global, mais aussi quelques indications pour guider sa mise en oeuvre et les modalités nécessaires à son évaluation) la préoccupation d'égalité entre les sexes. Attention, il ne s'agit pas de falsifier la réalité, mais de rendre compréhensible l'évolution historique de la place des femmes. Si, à un certain moment de l'histoire, les femmes ont été marginalisées, il s'agit d'expliquer pourquoi et d'analyser le processus. Inversement, quand les femmes ont regagné des places, qu'on explique aussi les processus d'égalisation !
Le second axe réside dans la formation des enseignants. Je voudrais insister sur le fait que les voies d'amélioration sont ici importantes. Il est relativement facile d'éduquer le regard des professeurs sur les stéréotypes, d'autant que de nombreux outils sont disponibles et que les enseignants y sont très réceptifs. Mais cela suppose de donner le temps aux enseignants d'avoir un retour réflexif sur la question de l'égalité. Pour moi, l'axe principal consiste à convaincre que gagner en égalité est un moyen d'apporter du bonheur individuellement et collectivement.
Bien sûr, l'exigence d'égalité fragilise parfois les situations acquises, dans les relations de couple notamment. Je pense qu'il faut accepter le fait que les sociétés traversent des périodes d'ajustement nécessaires pour gagner en liberté et en perspective d'émancipation. Il est important de faire comprendre que l'on peut trouver plus de bonheur dans un rapport égalitaire.
Certaines expériences étrangères répertoriées dans l'ouvrage au titre volontairement provocateur « Sexes et manuels : promouvoir l'égalité dans les manuels scolaires » , financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, peuvent nous servir d'exemple. Ainsi, la Belgique francophone a choisi de délivrer un agrément aux manuels exemplaires en matière d'égalité hommes-femmes. Mais, plus simplement, le ministère de l'Éducation nationale pourrait engager un dialogue constructif avec les maisons d'édition.
Pour caricaturer les travaux portant sur les stéréotypes sexués dans les manuels scolaires, on leur fait souvent grief de rechercher la parité à tout prix, alors qu'ils s'attachent d'abord à comprendre les raisons qui expliquent la faible représentation des femmes dans les manuels - notamment ceux d'histoire - pour constater ensuite les éventuels progrès en la matière. La définition des programmes demeure fondamentale pour guider la conception des manuels scolaires.
Même si le ministère de l'Éducation nationale peut aussi travailler de concert avec les éditeurs lors de l'élaboration des manuels, le contenu de ceux-ci pourra déjà changer si les programmes scolaires sont clairement définis et comportent des exemples illustrant les bonnes pratiques.
Quand bien même les manuels ne changeraient pas, ce qui est le cas dans certains pays africains, au grand désespoir des enseignants de ces pays, il suffit que les équipes éducatives abordent l'étude de ces manuels avec un regard critique, en veillant à susciter aussi le regard critique de l'enfant, d'autant qu'un manuel ne sera sans doute jamais parfait, car son contenu doit s'adapter à une société en constante évolution. C'est d'ailleurs l'une des missions de l'Éducation nationale que de faire éclore une vision critique du monde chez les citoyens en devenir.
Quand j'enseignais le français à des classes de 6ème, je travaillais beaucoup avec le support de contes, même si ceux-ci ont été écrits à une époque où l'égalité des sexes n'existait pas ; il ne faut cependant pas se priver de toute cette littérature et renier notre fonds culturel mais, au contraire, et c'est là l'une des missions de l'école, apprendre à relire ces oeuvres et à les interpréter d'une manière critique. C'est ainsi que l'on peut contribuer à l'éducation des futurs citoyens.
En ce qui concerne le pôle de l'édition, il faut sensibiliser les éditeurs et les amener à faire évoluer leurs pratiques ; j'ai d'ailleurs constaté un début de prise de conscience des maisons d'édition, celles-ci mettant souvent en scène dans leurs manuels de mathématiques de l'école primaire du CP au CM2 un couple d'enfants - garçon et fille - qui accompagne le lecteur tout au long de l'ouvrage. En revanche, perdurent les inégalités quantitatives dans les représentations masculines et féminines, tant dans le texte des exercices que dans l'iconographie.
Des outils et des grilles d'analyse existent pour tester le contenu des manuels scolaires ; il reste à y sensibiliser par des formations appropriées les enseignants qui conçoivent ces manuels, sans oublier leur hiérarchie ; cela apparaît cependant plus problématique en France que dans d'autres pays.
Quant au troisième pôle, celui des utilisateurs, dont font partie notamment les professeurs qui sélectionnent les ouvrages, il convient que le ministère de l'Éducation nationale leur adresse des instructions pour qu'ils veillent à demeurer attentifs à cette dimension de l'égalité des sexes lors de leur approche pédagogique.
A l'instar des chartes adoptées par certaines maisons d'édition il y a quelques décennies, il faudrait que les auteurs et les illustrateurs s'engagent à respecter une charte de bonnes pratiques en matière d'égalité.
La rédaction d'ouvrages transversaux en littérature et en mathématiques tel que celui, remarquable, rédigé par des historiens et intitulé « Une histoire mixte » , aux éditions Belin, permettrait aux enseignants d'y puiser matière à étoffer leurs outils pédagogiques. On peut aussi proposer la publication d'un livret « Égalité des sexes » , par exemple sous l'égide du Centre national de documentation pédagogique (CNDP), pour rappeler en quelques pages ce que recouvre ce concept et comment il peut se décliner dans ses interactions avec les élèves au sein des espaces de la classe et de la cour de récréation. Une telle initiative accompagnerait utilement le livre du maître qui est associé à chaque manuel scolaire.
À ce propos, conjointement avec Suzanne Robichon de l'Observatoire de l'égalité de la mairie de Paris, Danielle Hourbette et moi-même avons, sur commande de la mairie de Paris, réalisé un guide-ressources à destination de l'ensemble des agents municipaux en relation avec des enfants. En raison de la diversité du public concerné - bibliothécaires, animateurs et éducateurs de jeunes enfants -, c'était une gageure.
Ce guide de quelques pages, compilation de différentes études sur l'égalité des sexes, brosse tout d'abord un état des lieux circonscrit à ce que l'on observe dans la littérature de jeunesse et le sport et s'agissant du traitement du sujet de la violence, sans qu'il soit nécessaire de lire in extenso les études sources. Ce guide très opérationnel donne aussi des pistes très pratiques à l'égard des séances d'activités. Il invite à lire les manuels en se posant trois questions :
- les personnages féminins et masculins sont-ils représentés de manière paritaire ?
- quelles sont les qualités et les actions attribuées aux hommes et aux femmes ?
- quelles sont les interactions entre hommes et femmes, en particulier un sexe y est-il discriminé ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Votre intervention complète les éléments statistiques d'appréciation communiqués par le centre Hubertine Auclert et nous aidera à dégager les problématiques de notre thème de travail portant sur les stéréotypes sexués dans les manuels scolaires. Le traitement des représentations des hommes et des femmes, que d'aucuns pourraient considérer comme anodin, est au contraire le creuset d'une culture commune et du vivre-ensemble.
L'ouvrage « Sexes et manuels » pourrait-il servir de guide pratique joint au livre du maître ?
Mme Sylvie Cromer . - Cet ouvrage, rédigé à l'attention de tous les acteurs, enseignants ou cadres, dans des pays anglophones et francophones, me paraît trop complexe. Il n'a pas été conçu à cette fin ; on pourrait cependant s'en inspirer.
Madame la Présidente, je rejoins vos propos sur l'importance de cette question, qui structure la cohésion sociale et notre culture commune, non seulement en France mais aussi à l'échelle mondiale. Il serait donc intéressant, à moins que vous auditionniez l'UNESCO qui travaille sur ces questions depuis déjà 60 ans.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Le Conseil supérieur des programmes (CSP) au sein duquel siègent des parlementaires, a entrepris une réflexion sur les programmes scolaires. Avez-vous été consultée et associée à ces travaux ?
Mme Sylvie Cromer . - J'ai participé au comité de pilotage des ABCD de l'égalité et mon laboratoire travaille actuellement conjointement avec une association, le Collectif régional pour l'information et la formation des femmes (CORIF), sur un projet dénommé « Chercheurs citoyens » pour évaluer des actions d'égalité.
Dans le guide que nous avions réalisé pour l'UNESCO, il est proposé d'évaluer chacun des trois pôles que j'ai précédemment cités au titre de l'orientation, la mise en application et les moyens à mettre en oeuvre. Demeure cependant un problème qui perdure depuis des décennies : assurer le développement d'une synergie entre ces trois pôles.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - On constate en effet depuis quelques temps des résistances importantes, très inquiétantes à mon avis, contre ce combat pour l'égalité, dont certains, au nom de combats idéologiques qui font fi des valeurs républicaines, en altèrent le sens et les objectifs.
Mme Sylvie Cromer . - On peut néanmoins trouver quelques encouragements en remarquant que les choses évoluent dans un sens favorable dans d'autres pays. En travaillant avec des collègues de pays africains, qui n'ont pas inscrit l'égalité des sexes dans leur Constitution, j'ai constaté que ces pays s'appuyaient, à défaut, sur des textes internationaux.
On ne peut que regretter qu'en France, les professeurs de l'école primaire qui travaillent sur la question de l'égalité entre les sexes, lorsqu'ils ont été interrogés dans le cadre du projet « NoREVES » (normes de genre et réception de la valeur égalité des sexes par la jeunesse, les parents et les professionnels-les de l'éducation) soutenu par le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais, n'avaient même pas connaissance des textes fondateurs, par exemple de la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons et les femmes et les hommes dans le système éducatif, parue il y a 14 ans ; les écoles supérieures du professorat et de l'éducation devraient y remédier car ces textes sont fondamentaux.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie de votre intervention.
Table ronde
Établir un diagnostic partagé
et tracer les pistes de réflexion
Mme Françoise Vouillot, membre de la commission
stéréotypes
et rapporteure du groupe
« éducation » du Haut conseil à
l'égalité
entre les femmes et les hommes (HCE
f/h)
M. Pascal Tisserant, enseignant chercheur,
coordinateur de l'étude rendue en 2009 à la Haute
autorité de lutte contre la discrimination et pour
l'égalité (HALDE)
Mme Christine Guillemaut,
coordinatrice du
Laboratoire des stéréotypes au Laboratoire de
l'égalité
Mme Emmanuelle Latour,
adjointe à la cheffe
du Service des droits des femmes et de l'égalité entre les hommes
et les femmes,
en charge des ABCD de l'égalité au
ministère des droits des femmes
Mme Johanna Barasz,
conseillère technique en
charge des ABCD de l'égalité
au ministère de
l'Éducation nationale
Mme Amandine Berton-Schmitt,
chargée de
mission éducation au Centre Hubertine Auclert
(20 février 2014)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je suis heureuse d'ouvrir ce matin cette table ronde consacrée aux stéréotypes dans les manuels scolaires. Permettez-moi tout d'abord de saluer la qualité des intervenants qui ont positivement répondu à notre invitation : Mme Françoise Vouillot, membre de la commission stéréotypes, rapporteure du groupe « éducation » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE f/h) ; M. Pascal Tisserant, enseignant chercheur, coordinateur de l'étude rendue à la Haute autorité de lutte contre la discrimination et pour l'égalité (HALDE) en 2009 ; Mme Christine Guillemaut, coordinatrice du Laboratoire des stéréotypes au Laboratoire de l'égalité ; Mme Emmanuelle Latour, adjointe à la cheffe du Service des droits des femmes et de l'égalité entre les hommes et les femmes, en charge des ABCD de l'égalité au Ministère des droits des femmes ; Mme Johanna Barasz, conseillère technique en charge des ABCD de l'égalité au Ministère de l'éducation nationale et Mme Amandine Berton-Schmitt, chargée de mission éducation au Centre Hubertine Auclert, que nous avons entendue le 30 janvier 2014 pour un premier échange sur ce sujet sur lequel elle a une expertise particulière.
Comme vous le savez, à la suite des travaux rendus en juin 2013 et consacrés aux femmes et à la culture, notre délégation a décidé d'approfondir sa réflexion sur les stéréotypes sexués à partir des représentations des femmes et des hommes dans les manuels scolaires, notre collègue Roland Courteau en sera le rapporteur.
L'enjeu de cette nouvelle étude, sur laquelle les rapports et les textes abondent, nous semble essentiel.
Comme le rappelait Sylvie Cromer devant notre délégation le 30 janvier 2014, le manuel scolaire fait partie des biens communs d'une société, en ce sens que, au-delà de sa fonction d'organiser des connaissances à un moment donné, le manuel est aussi un lieu symbolique de construction et d'expression des valeurs d'une société.
Pour notre délégation, il est primordial que le manuel scolaire soit un vecteur de promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes :
- tout d'abord parce que nos représentations se construisent dès l'enfance : au travers de la vision du mode et de la société qu'ils véhiculent, les manuels peuvent contribuer à transmettre la culture de l'égalité ;
- ensuite, parce que le manuel scolaire est un outil de transmission entre l'école et les parents d'élèves, parfois même le seul. En cela il constitue un puissant levier de changement social et d'évolution des mentalités des enseignants et des élèves, mais aussi des familles ! Or, le constat est unanime et partagé : les manuels scolaires sont loin de remplir cette fonction.
Les récents travaux du Centre Hubertine Auclert, qui publie une étude par an sur les représentations sexuées dans les manuels scolaires depuis 2011 - et dont je salue la représentante, présente parmi nous ce matin - ont abouti aux mêmes conclusions que l'importante étude remise en 2009 à la HALDE, coordonnée à l'époque par M. Tisserant, également parmi nous aujourd'hui, ce dont je le remercie.
Ces travaux révèlent une sous-représentation très importante des femmes, qui résulte à la fois d'un déséquilibre numérique et de procédés d'invisibilisation et de la persistance de stéréotypes sexués. Ainsi, l'étude quantitative et qualitative des manuels d'histoire de 2de générale et de CAP par le Centre Hubertine Auclert est édifiante : les femmes y sont quasiment absentes des notices biographiques, dont seulement 3,2 % leur sont consacrés, et elles ne représentent que 4,2 % des auteurs des documents proposés à l'étude dans ces manuels...
Le récent rapport sur la lutte contre les stéréotypes filles-garçons, remis à la ministre des droits des femmes en janvier 2014 par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, est également très sévère. En effet, on peut y lire que, « malgré une évolution qui, ces dernières années, va dans le sens de l'égalité et qui a été rendue possible par plusieurs travaux de recherche et par la mobilisation de certains acteurs associatifs et politiques, les livres, les manuels mais aussi les programmes scolaires restent fortement prisonniers des stéréotypes de genre » .
Nous attendons donc beaucoup de nos travaux et de votre précieuse collaboration. Je laisse la parole à mon collègue et rapporteur, M. Roland Courteau, pour animer notre discussion.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Comme vient de le rappeler Madame la Présidente de notre délégation, nous entamons ce matin une étude dont les enjeux dépassent les seuls contenus des manuels scolaires.
Les représentantes du Centre Hubertine Auclert - dont je salue la qualité du travail - nous ont présenté le 30 janvier 2014 les conclusions de leurs études sur les manuels scolaires et nous ont permis de mesurer le chemin qui reste à accomplir.
Ce matin, nous souhaitons dépasser le stade du constat pour envisager les pistes de travail qui nous permettront d'avancer sur des propositions concrètes.
Je vous propose d'organiser nos débats autour de trois questions.
En premier lieu, il faut repérer, dans la chaîne du manuel scolaire, les endroits de blocage qui expliqueraient la permanence de la sous-représentation numérique des femmes et la reproduction des clichés de genre : est-ce au moment de la conception ou de l'édition du manuel ?
En second lieu, quels sont les leviers de changement dont nous disposons : faut-il et peut-on imposer des « quotas » de représentation ? Dans quelle mesure les éditeurs de manuels peuvent-ils être contraints ou incités à faire évoluer les contenus ? Quelle est la responsabilité des enseignants et peuvent-ils y apporter des modifications et, si oui, à quel moment ?
Enfin, la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, signée en 2012 pour la période 2013-2018, met l'accent sur l'importance d'intégrer des formations à l'égalité et à la déconstruction des stéréotypes dans le cahier des charges de la formation - initiale et continue - des personnels enseignants, d'éducation et d'orientation.
Sur ce point, je m'adresse plus particulièrement aux deux représentants des ministères en charge des ABCD de l'égalité (Éducation nationale et Droits des femmes) : pouvez-vous nous dire si ces modules existent effectivement, s'ils sont effectivement dispensés et sous quelle forme, en particulier dans les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) ?
Je vous propose d'examiner chacune de ces trois importantes questions successivement, et vous suggère de vous présenter avant d'intervenir et de présenter succinctement vos travaux.
J'invite Mme Françoise Vouillot à répondre à notre première question : où se situent les points de blocage dans la chaîne du manuel scolaire qui pourraient expliquer la permanence de la sous-représentation numérique des femmes et la reproduction des clichés de genre. Est-ce au moment de la conception du manuel ou au moment de l'édition ?
Mme Françoise Vouillot, membre de la commission stéréotypes, rapporteure du groupe « éducation » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE f/h) . - Je suis maîtresse de conférences en psychologie de l'orientation à l'Institut national d'étude du travail et d'orientation professionnelle (INETOP) du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). C'est au titre de rapporteure du groupe « éducation » du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE f/h) que j'interviendrai. Dans une première phase de travail, notre groupe a traité deux sujets : la formation des enseignants et les manuels scolaires. Dans ce cadre, nous avons mené de nombreuses auditions et tenu une longue réunion avec le Syndicat national de l'édition (SNE), représenté par Mme Pascale Gélébart, chargée de mission « éducation » et directrice générale de « Savoir Livre », et Mme Magnart, présidente-directrice-générale des Éditions du même nom.
Les deux représentants du SNE que nous avons rencontrés se sont montrés quelque peu critiques vis-à-vis des méthodologies employées dans les études dénonçant les stéréotypes, notamment l'étude remise à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Ils estiment que la situation s'améliore s'agissant des stéréotypes dans les manuels scolaires et sont prêts à travailler sur le sujet. Ils sollicitent un appui dans cette démarche, qui pourrait prendre la forme de recommandations d'experts ou d'une meilleure diffusion des recherches universitaires sur la question, auxquelles ils ont difficilement accès, apparemment. Les représentants des éditeurs sont par ailleurs opposés à toute labélisation et nous ont clairement indiqué qu'ils n'accepteraient pas d'avancer sous la contrainte.
En psychologie, on appelle cela le « contrôle externe » : les facteurs de blocage leur paraissent extérieurs à leurs organisations. Ils estiment que leurs manuels appliquent scrupuleusement les programmes scolaires - l'amont -, premier critère de choix des enseignants, qui je le rappelle, sont les prescripteurs - l'aval -. Par ailleurs, il ne leur semble pas opportun d'intégrer, comme je leur ai suggéré, un spécialiste du genre dans les équipes d'auteurs qui regroupent des enseignants choisis notamment pour leur technique pédagogique innovante. Il serait envisageable, à leur sens, d'impliquer un tel spécialiste dans la phase de relecture des manuels, mais cela même semble peu réaliste.
En résumé, le ministère de l'Éducation nationale doit mieux diffuser les travaux des chercheurs pour les rendre accessibles aux éditeurs ; les auteurs, qui sont des professeurs, doivent être sensibilisés et donc leur formation doit être adaptée en conséquence.
Par conséquent, les éditeurs restent ouverts à la réflexion et disent adhérer à l'objectif d'égalité. Les principaux leviers qu'ils envisagent sont la formation des enseignants et la conception des programmes.
Mme Amandine Berton-Schmitt, chargée de mission éducation au Centre Hubertine Auclert . - Je partage les conclusions de Mme Vouillot ; les obstacles se situent à chaque maillon de la chaîne du manuel scolaire, le problème étant que chacun se renvoie la responsabilité : les éditeurs renvoient à l'absence d'analyses sur le genre dans les programmes et les enseignants, aux défaillances des manuels scolaires sur cette question.
Les enseignants ne sont pas formés pour questionner les manuels scolaires qu'ils utilisent. Les éditeurs sont, quant à eux, peu sensibilisés au sujet. Pour expliquer la persistance de stéréotypes dans les manuels, ils invoquent souvent la problématique des délais de conception des manuels suite aux changements dans les programmes scolaires du lycée, trop courts pour favoriser l'innovation, voire même l'actualisation des sources iconographiques. Les derniers changements dans les programmes scolaires, révélés au printemps 2013 pour la rentrée de la même année, illustrent bien ce point. Aussi, nous observons que les manuels d'histoire de 2010-2011 utilisent les mêmes sources iconographiques, où les femmes sont invisibles, que les manuels conçus au début des années 2000.
Afin d'impliquer et de sensibiliser les éditeurs, le Centre Hubertine Auclert a conçu un prix pour valoriser le manuel le plus égalitaire dans le corpus de ses études. Je signale, qu'à ce jour, nous n'avons jamais réussi à décerner le prix égalitaire, mais seulement des encouragements, car aucun manuel ne satisfaisait aux critères fixés. Nous constatons par ailleurs le peu d'intérêt que manifestent les éditeurs lorsque nous les sollicitons pour participer à des sessions d'information, à des réunions de présentation de nos études ou ne serait-ce qu'à la remise du prix mentionné.
Je terminerai en reprenant la proposition de Sylvie Cromer, qui préconise de donner aux éditeurs des outils d'analyse concernant le genre. Nous pourrions envisager des manuels de l'enseignant traitant systématiquement de la manière d'intégrer le genre dans l'approche disciplinaire. À ce titre, le manuel réalisé par l'association Mnémosyne, association pour le développement de l'histoire des femmes et du genre, paru aux éditions Belin, propose des pistes pédagogiques concrètes à tous les niveaux de scolarité et dans tous les thèmes des programmes abordés, de l'école primaire à la classe de terminale.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Permettez-moi de poser deux questions. Qui sont les auteurs des manuels scolaires ? S'agit-il d'enseignants en activité, d'enseignants retraités ou d'autres professionnels ? Et, par ailleurs, qu'en est-il de la formation délivrée aux enseignants pour leur permettre de détecter les clichés de genre ?
Mme Françoise Vouillot . - Les auteurs sont généralement des enseignants en activité, rémunérés pour cette tâche bien que la rémunération ne semble pas être le motif principal de leur participation. Les auteurs sont choisis par les éditeurs, le premier critère de choix étant l'innovation pédagogique. Peut-être fait-elle partie de ces méthodes novatrices ?
Mme Michelle Meunier . - Combien d'hommes et de femmes compte-t-on parmi les auteurs ?
Mme Amandine Berton-Schmitt . - Cela varie largement selon les matières à l'image de la supposée répartition « genrée » des disciplines. Néanmoins, d'après nos études, la répartition entre les hommes et les femmes n'a aucune influence sur le contenu du manuel. Nous ne pouvons donc tirer aucune conclusion sur le lien entre la composition mixte ou paritaire des équipes de rédaction et l'amélioration de la qualité des manuels du point de vue du genre.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - En tant que membre de la mission chargée de dresser un premier bilan de la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), je m'interroge sur les modalités pratiques de la prise en compte du genre dans les formations délivrées par ces nouvelles écoles.
Mme Emmanuelle Latour, adjointe à la cheffe du Service des droits des femmes et de l'égalité entre les hommes et les femmes, en charge des ABCD de l'égalité au ministère des droits des femmes . - Le Service des droits des femmes et de l'égalité a contribué à l'étude produite pour la HALDE en 2009 et s'associe aux recommandations qui en résultent, qui, vous vous en souvenez, ont, à l'époque, heurté le Syndicat national de l'édition (SNE). La réticence dont le SNE peut faire preuve en matière de lutte contre les stéréotypes dans les manuels scolaires tient certainement à l'absence de prise en compte de la problématique de l'égalité au sein de cette profession. Or, l'égalité entre hommes et femmes est une construction qui s'organise, qu'il s'agisse des pouvoirs publics, des collectivités territoriales ou de tout autre organisme.
L'approche intégrée de l'égalité ne s'improvise pas, c'est une compétence. Pour penser le contenu des enseignements à la lumière de l'égalité, en se méfiant des stéréotypes sexués ou sexistes, il faut disposer d'une grille de lecture, d'un savoir-faire et donc d'une formation. Cette approche repose sur la reconnaissance de compétences en la matière, identifiables au même titre que toutes les autres compétences techniques. Si, comme l'indiquait Mme Berton-Schmitt, les obstacles sont partout, c'est parce que la compétence « égalité » n'est nulle part. Or, lorsque le SNE demande une meilleure diffusion des résultats de la recherche ou de pouvoir disposer de manuels d'accompagnement en la matière, nous ne sommes pas dans une logique de transfert de compétences nécessaires. Les éditeurs devraient intégrer cette compétence parmi les critères de choix des enseignants-auteurs.
Une interrogation récurrente porte sur l'organisation adéquate pour assurer une approche intégrée de l'égalité : est-il préférable de désigner une personne référente dans la structure ou d'introduire la problématique aux différents niveaux de l'organisation ? Question qui s'est posée dans le cadre du comité interministériel pour l'égalité. Cette analyse nous a conduits à créer un Ministère des Droits des femmes et à déployer une « feuille de route » dans chacun des ministères. Cette analyse peut être dupliquée pour aboutir à une organisation performante et efficace sur l'égalité dans la chaîne du manuel scolaire.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Existe-t-il un dialogue entre le ministère de l'Éducation nationale et les éditeurs ?
Mme Johanna Barasz, conseillère technique en charge des ABCD de l'égalité au ministère de l'Éducation nationale . - Ce dialogue est permanent, évidemment. Je me permets juste de signaler que, bien que parlant aujourd'hui des ABCD de l'égalité, je n'en suis pas directement chargée au sein du ministère : les ABCD sont pilotés par la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), c'est-à-dire par les services techniques, alors que je représente ici, pour ma part, le cabinet du ministre. Ceci étant dit, s'agissant des blocages sur la chaîne du manuel scolaire, le premier maillon est celui des programmes. Ce n'est pas seulement une manière de « botter en touche » pour les éditeurs, c'est aussi une réalité. Sur ce point, l'égalité entre les filles et les garçons fait partie intégrante de la lettre de mission du Conseil supérieur des programmes (CSP), au sein des priorités fixées dans le cadre de la refondation de l'école et des programmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Encore une fois, je m'interroge sur les modalités pratiques de prise en compte de la question du genre. Nous allons entendre les sénateurs membres du CSP et nous leur poserons la même question : qui porte cette exigence au sein du CSP ?
Mme Johanna Barasz . - Vous soulevez un point important. Au-delà de l'élaboration des textes et de l'expression de la volonté politique, se pose effectivement la question de la mise en oeuvre opérationnelle. Je souligne néanmoins qu'il s'agit de la première fois qu'une telle volonté est exprimée dans le cadre d'une saisine officielle. Les travaux du CSP seront évalués à l'aune de la mission qui lui est confiée.
De la même manière, la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République rappelle la mission des ESPE d'organiser des formations de sensibilisation à l'égalité entre les hommes et les femmes. Elle inscrit par ailleurs, dans le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation, la mission de « se mobiliser et de mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre et promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes » . En théorie, les bases sont donc aujourd'hui posées. Et ce n'est pas rien.
Nous savons néanmoins, à l'Éducation nationale, que de grandes intentions ont souvent été portées sans qu'elles soient suivies d'une traduction opérationnelle cohérente, pensée et intégrée. Beaucoup d'enseignants sont investis sur le terrain, mais il manque parfois un pilotage efficace qui permette de systématiser les choses. Les ABCD de l'égalité doivent répondre à cette exigence d'opérationnalité. Le programme sera énergiquement piloté, intégrera un module de formation des formateurs et de chacun des enseignants engagés dans ce programme, et fera l'objet d'une évaluation.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Concrètement, combien d'heures de formation seront consacrées à la question de l'égalité ?
Mme Johanna Barasz . - Dans le cadre des ABCD de l'égalité, les formateurs bénéficieront d'une journée, voire une journée et demie, de formation. Le nombre d'heures de formation sera légèrement moindre pour les enseignants engagés dans le programme - de l'ordre d'une journée. Compte tenu de la manière dont fonctionne la formation continue, il est impossible de fixer un nombre moyen d'heures à consacrer à cette question. La formation continue découle du Plan national de formation (PNF) et les ESPE, en charge de mettre en oeuvre les formations sur les stéréotypes, ne disposent pas de cadre horaire précis pour le faire. Pour donner un point de comparaison, avant la création des ESPE, la formation initiale des enseignants à l'apprentissage de la lecture, au coeur de leur mission, représentait de l'ordre de dix à quinze heures. Le cadre horaire à consacrer à la formation aux stéréotypes est donc extrêmement contraint.
Mme Emmanuelle Latour . - Je souhaite apporter un complément d'information sur les ABCD de l'égalité. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'ajouter des modules de cours dans les programmes scolaires, mais bien de proposer des séquences pédagogiques produites par les enseignants eux-mêmes. Dans le cadre de la présentation de ces séquences pédagogiques, une formation pluridisciplinaire « Sensibilisation aux stéréotypes sexistes » a été délivrée aux inspecteurs d'académie, aux conseillers pédagogiques et, enfin, aux enseignants des 600 écoles engagées dans l'expérimentation. À l'issue de l'évaluation opérée par l'Inspection générale de l'Éducation nationale (IGEN) à la fin du premier semestre, nous étudierons le rythme de déploiement de l'expérimentation.
Si nous parlons « d'expérimentation », je précise que les enseignants réalisent des séquences pédagogiques sur l'égalité depuis des dizaines d'années. L'École a vécu 40 ans de mixité, 30 ans de politiques en faveur de l'égalité et 10 ans de conventions interministérielles pour l'égalité entre les filles et les garçons. Il existe de nombreux travaux, guides et séquences pédagogiques sur ce thème. Les ABCD de l'égalité constituent un outil complémentaire, qui vise à intégrer la question dans les programmes disciplinaires classiques, à travers notamment le choix d'exemples non sexistes.
Mme Johanna Barasz . - Les enseignants sont libres de mettre en oeuvre les ABCD de l'égalité à partir des séquences qui leur sont proposées et reçoivent une formation sur l'analyse de leurs propres pratiques, en matière par exemple de notation ou de distribution de la parole en classe. Avant même l'évaluation, les premiers retours de terrain sont très positifs. Ils révèlent un véritable impact de ces formations sur la manière dont les enseignants pensent leur travail et se projettent dans leurs missions.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Les ABCD de l'égalité sont aujourd'hui au stade de l'expérimentation dans une dizaine d'académies. Mme Latour évoquait le bilan prévu pour la fin de l'année scolaire. Peut-on affirmer dès maintenant que le programme sera généralisé ?
Mme Johanna Barasz . - Le programme ne sera généralisé que si l'évaluation est concluante. Toutes les remontées de terrain dont nous disposons aujourd'hui nous laissent penser que ce sera le cas. Bien sûr, nous ne sommes pas sourds aux bruits venant du dehors. Pourtant, les ministres ont confirmé qu'ils ne montreraient aucune faiblesse face aux polémiques montantes au sujet des ABCD de l'égalité.
Une question demeure quant aux modalités de la généralisation, car il n'est pas envisageable de déployer dès la rentrée 2014 cet effort de formation pour les 200 000 enseignants du primaire. Cette question sera traitée dans le cadre de l'évaluation. Ce qui est sûr, c'est qu'il y aura un déploiement progressif.
M. Roland Courteau, rapporteur . - J'invite Mme Christine Guillemaut à nous présenter l'action du Laboratoire de l'égalité.
Mme Christine Guillemaut, coordinatrice du Laboratoire des stéréotypes au Laboratoire de l'égalité . - Le Laboratoire de l'égalité est une association « loi de 1901 », créée en 2010. Si, comme l'a indiqué Emmanuelle Latour, l'Éducation nationale travaille depuis longtemps en faveur de l'égalité, les manuels scolaires restent largement empreints de clichés et de stéréotypes. Au-delà du travail que nous pouvons réaliser auprès des enseignants, il nous paraît essentiel d'aborder la question des stéréotypes de manière large : les enseignants sont aussi des parents, des citoyens et, en tant que tels, ils véhiculent des représentations stéréotypées.
Le Laboratoire de l'égalité s'est donné la mission de « rendre visible l'invisible ». En 2012, il a lancé une campagne de sensibilisation, en diffusant un film publicitaire et des cartes postales - que je vous distribue pour les faire connaître - sur le thème des stéréotypes et des inégalités de genre. Cette campagne a donné lieu au Pacte pour l'égalité entre les femmes et les hommes, présenté à tous les candidats à l'élection présidentielle. Certaines de nos propositions ont d'ailleurs été retenues par l'équipe gouvernementale actuelle.
En 2013, le Laboratoire a identifié trois champs principaux de diffusion des stéréotypes : l'éducation, les médias et le monde du travail. Des ateliers thématiques ont été organisés, associant la Ligue de l'enseignement, France Télévisions et l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Pour déraciner les stéréotypes, il convient en effet de ne pas déconnecter l'éducation des autres sphères de la vie que sont les médias et le monde du travail.
À défaut d'éliminer les stéréotypes, nous travaillons à favoriser le regard critique sur les représentations stéréotypées. Dans le cadre de nos ateliers de travail, nous avons identifié sept familles de représentations au fondement des stéréotypes :
- il existerait des compétences spécifiques des femmes et des hommes : or, c'est toujours la compétence des femmes qui est questionnée et non celle des hommes ;
- il existerait une complémentarité entre les hommes et les femmes, à utiliser et valoriser ;
- l'égalité risquerait de gommer les différences entre les femmes et les hommes ;
- le faible nombre de femmes occupant des postes à responsabilité résulterait d'une autocensure des femmes, liée à un manque de confiance en elles ;
- il existerait des « qualités » et des « compétences » naturelles des femmes et des hommes ;
- les hommes ne seraient ni disponibles, ni capables de s'occuper des enfants (en témoignent les publicités présentant les hommes dans des postures déplorables lorsqu'ils s'occupent d'enfants) ;
- l'égalité engendrerait un risque de masculinisation des femmes et de perte de virilité des hommes.
Le Laboratoire a élaboré un document intitulé « Les stéréotypes, c'est pas moi, c'est les autres » , qui vise à comprendre les stéréotypes et les raisons de leur ancrage. Le document, élaboré avec Catherine Vidal, neurobiologiste française, auteure de l'ouvrage « Le cerveau a-t-il un sexe ? » , aborde la « fabrication des filles et des garçons », questionne le lien avec les facteurs biologiques et propose des « clés de décryptage » des stéréotypes. À travers plusieurs exemples, parmi lesquels l'idée largement véhiculée que « les garçons seraient plus doués en mathématiques », le document montre en quoi les inégalités renforcent les stéréotypes, qui eux-mêmes outillent les discriminations. Celles-ci viennent à leur tour alimenter les inégalités. De la même manière, les stéréotypes légitiment les inégalités, qui inspirent des discriminations, celles-ci renforçant aussi les stéréotypes.
En termes de préconisations, s'agissant des manuels scolaires, si les éditeurs se montrent réticents quant à un label sur les résultats, nous proposons de réfléchir à une labélisation de la démarche, qui valoriserait les éléments de méthode et d'organisation mis en place par les éditeurs - par exemple, des comités de relecture - pour aboutir progressivement à une amélioration de la qualité des manuels du point de vue du genre.
Mme Françoise Laborde . - Je trouve dommage que le document « Les stéréotypes, c'est pas moi, c'est les autres » adopte les couleurs rose et bleu. Je remarque tout de même que ces couleurs ne désignent pas les filles et les garçons, mais le rose pour les inégalités et le bleu pour les discriminations.
Mme Christine Guillemaut . - Dans ce document, le violet fait la synthèse du bleu et du rose.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Je m'adresse à présent à Monsieur Tisserant. Quelles pistes ont été dressées suite à l'étude produite pour la HALDE et quelles mesures concrètes en ont découlé ?
M. Pascal Tisserant, enseignant chercheur, coordinateur de l'étude rendue à la Haute autorité de lutte contre la discrimination et pour l'égalité (HALDE) en 2009 . - Je suis maître de conférences en psychologie sociale à l'Université de Metz. J'associe Anne-Lorraine Wagner, aujourd'hui en poste à l'École de management de Strasbourg, aux éléments que je vous présenterai.
Conformément à la commande de la HALDE, notre étude analyse la place de cinq groupes cibles dans les manuels scolaires : les femmes, les minorités visibles, les personnes en situation de handicap, les personnes homosexuelles et les séniors. C'est un angle d'observation très particulier.
Une revue de la littérature nous a permis de constater l'avance de certains pays, tels que le Canada, s'agissant des travaux concernant la place des femmes dans les manuels scolaires. Cette analyse souligne également une certaine hiérarchie des intérêts : on constate un très faible nombre de travaux portant sur les autres groupes cibles.
La méthode adoptée dans notre étude mêle des approches qualitatives et quantitatives. Elle comprend une analyse des manuels en fonction d'une grille de lecture, l'élaboration de questionnaires destinés aux enseignants et aux élèves et, enfin, une enquête auprès des responsables de huit maisons d'édition de manuels scolaires pour commenter les résultats de l'étude et identifier des pistes d'action.
Notre analyse souligne bien l'existence de stéréotypes de genre dans les manuels scolaires, bien que plus subtiles et insidieux que l'image « papa lit le journal et maman cuisine ». Néanmoins, nous constatons une amélioration par rapport à ce que révélaient de précédentes études. Les trois approches méthodologiques confirment par ailleurs la hiérarchie des intérêts révélée par la revue de la littérature : les stéréotypes sexistes sont moins présents que les stéréotypes relatifs aux autres groupes cibles.
Lors de nos échanges avec les huit responsables des maisons d'édition - toutes des femmes - nous avons constaté qu'étant pour la plupart engagées pour l'égalité entre les hommes et les femmes, elles ne voyaient pas de stéréotypes sexistes dans leurs manuels. Ces personnes se font confiance, comme nous tous avons confiance en la bonne éducation que nous avons reçue et estimons que nous ne sommes porteurs ni de stéréotypes, ni de préjugés. « Les stéréotypes, c'est les autres », comme Mme Christine Guillemaut l'a très bien dit. Notre enquête date de 2007, mais il semble que la situation ait très peu évolué depuis.
Par chance, certaines équipes de rédaction peuvent compter une personne particulièrement sensibilisée et dès lors produire un manuel de qualité au regard de la représentation de certains de ces groupes cibles. Ce constat rejoint une recommandation déjà évoquée : les maisons d'édition doivent progresser en compétence ou s'entourer d'experts sur ces questions.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Est-il envisageable d'introduire un référent égalité au sein des comités d'auteurs ?
M. Pascal Tisserant . - Cela fait partie des mesures que nous pourrions préconiser. Aujourd'hui, avec du recul, je recommanderais d'inviter ces maisons d'édition à s'engager dans le « Label Diversité », un label d'État qui relève du ministère de l'Intérieur. Ce label, accordé après audit par des experts de l'AFNOR, me semble préférable au « Label Égalité », beaucoup plus facile à obtenir en présentant un simple rapport auprès de l'AFNOR. Toutes les entreprises engagées dans cette démarche de diversité, telles que TF1, France Télévisions ou encore Radio France, indiquent qu'il s'agit du meilleur cadre pour impulser une dynamique d'égalité dans leurs structures.
Mme Michelle Meunier . - Où peut-on trouver davantage d'informations sur ce label ?
M. Pascal Tisserant . - Vous pouvez vous référer au site Internet de l'AFNOR.
Mme Emmanuelle Latour . - Je souhaite apporter une précision. Le « Label Égalité » n'est pas plus facile à obtenir que le « Label Diversité ». Comme ce dernier, il est géré par l'AFNOR, par délégation de service. Ne concernant que l'égalité entre les hommes et les femmes, le « Label Égalité » est un moyen d'inciter les entreprises à s'y conformer. A l'heure actuelle, nous réfléchissons à une manière de rendre ce label plus attractif pour les entreprises : nous observons en effet que le « Label Diversité » est beaucoup plus diffusé dans le monde de l'entreprise, justement parce qu'il est peut-être plus facile à obtenir que le « Label Égalité ». Nous pourrons vous apporter des éléments précis en la matière si vous souhaitez engager un débat sur ce sujet.
M. Pascal Tisserant . - Les stéréotypes s'inscrivent dans un processus général : ils s'observent pour tous les groupes cibles, à des degrés divers. Aussi, la prise en compte de ces questions doit valoir pour tous les groupes. De nombreux travaux portent sur la place des femmes dans les manuels scolaires. Il serait intéressant de s'en inspirer pour en faire bénéficier les autres groupes cibles.
Au-delà de l'argument de la facilité, le « Label Égalité » ne concerne que l'égalité entre les femmes et les hommes, tandis que le « Label Diversité » aborde les vingt critères de discrimination recensés par la loi française. Pour reprendre l'expression de Jacqueline Laufer, directrice-adjointe du Groupe de recherche européen (GDRE) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sans vouloir « diluer » la question du genre dans celle de la diversité, j'estime que, d'un point de vue stratégique, il est intéressant d'adopter une approche transversale aux différents critères de discrimination. Une telle approche aurait certainement permis d'éviter l'émotion engendrée par l'incompréhension à l'égard du dispositif, par ailleurs très intéressant, des ABCD de l'égalité. La réflexion autour de la diversité me semble ainsi être l'un des meilleurs leviers pour réduire les discriminations.
Mme Christine Guillemaut . - S'agissant de la labélisation en général, j'estime que la contrainte constitue l'une des manières les plus efficaces de progresser. Il me semble essentiel de poser un impératif, un objectif à atteindre en un temps donné, comme cela a été fait pour la parité.
Le débat portant sur la diversité et l'égalité est ancien. À mon sens, une approche sous l'angle de la diversité risque de noyer l'exigence d'égalité entre les femmes et les hommes. Les critères de discrimination que vous évoquez concernent des groupes de personnes minoritaires. Or, comme vous le savez, les femmes représentent la moitié de la population et peuvent cumuler les différents critères, qu'il s'agisse du handicap, de l'origine ou encore de l'orientation sexuelle. Les retours d'expérience dans le monde de l'entreprise montrent que l'on travaille beaucoup, à raison, sur les questions des origines et du handicap, mais bien moins sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
M. Pascal Tisserant . - Nous observons le contraire.
Mme Christine Guillemaut . - Votre perception ne correspond pas aux remontées de terrain dont nous disposons. Nos différences d'appréciations soulignent bien l'importance d'évaluer les impacts de ces travaux et dispositifs de manière plus approfondie.
M. Pascal Tisserant . - Je peux vous transmettre des articles et bilans attestant d'une prise en compte plus importante du genre que de l'origine dans les entreprises.
Mme Amandine Berton-Schmitt . - L'utilisation par M. Tisserant du terme « dilution » illustre bien à mon sens le caractère contre-productif d'une approche fondée exclusivement sur la diversité pour traiter du genre. Comme Christine Guillemaut l'a rappelé, les femmes ne sont pas un « groupe » au même titre que les autres groupes que vous mentionnez. Les retours d'expérience soulignent l'intérêt d'une approche forte et intégrée en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes. Les outils critiques d'analyse que pourra fournir la formation des équipes enseignantes, des auteurs et des éditeurs, pourront servir à l'analyse des autres critères de discrimination.
Paradoxalement, l'école a pu souffrir de la forte charge symbolique de l'École républicaine, qui n'admet pas de différenciation entre les uns et les autres, et plus particulièrement, entre les unes et les autres. Cette conception, louable à de nombreux égards, a contribué à dissimuler les inégalités et donc à masquer la nécessité de former les enseignants à la problématique de l'égalité entre les genres. Les travaux menés depuis de nombreuses années par Nicole Mosconi, professeure en sciences de l'éducation à l'université Paris X-Nanterre, soulignent l'importance de placer le curseur sur ces inégalités et de considérer l'égalité entre les hommes et les femmes comme un champ de compétences à part entière.
Enfin, en termes de pistes, je rappelle que les éditeurs s'opposent formellement à toute mesure fondée sur la contrainte.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Je vous propose de poursuivre nos discussions autour de la deuxième question de notre table ronde. De quels leviers de changement disposons-nous ?
Mme Françoise Vouillot . - Dans le cadre du groupe « éducation » du HCE f/h, j'ai eu des contacts avec la rectrice de l'Académie de Créteil, également co-pilote du comité de pilotage de la Convention interministérielle, le secrétaire général adjoint du CSP, la cheffe du Bureau de la formation des enseignants à la Direction générale de l'enseignement scolaire, et le chef du Département de l'architecture et de la qualité des formations de niveau master et doctorat à la Direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP).
À travers ces différents échanges, nous avons perçu l'intérêt d'agir en amont et en aval des éditeurs dans la chaîne du manuel scolaire afin de les prendre en quelque sorte « en étau ». En amont, les éditeurs doivent mettre en oeuvre les programmes scolaires ; en aval, ils doivent s'assurer que leurs manuels seront achetés.
Les programmes scolaires ne sont pas élaborés par le CSP lui-même, mais par des groupes de travail qu'il pilote et dont il désigne les membres. Nous avons sondé le secrétaire général-adjoint du CSP sur l'éventualité d'y intégrer des référents sensibilisés à la question du genre. Les textes des programmes sont ensuite examinés par des commissions, puis arrêtés par les ministres compétents. Une piste envisageable serait d'intégrer un regard expert dans ces commissions. Le ministère de l'Éducation nationale a donc un rôle à jouer pour inviter le CSP à aller dans cette direction.
En aval, les prescripteurs sont les enseignants, d'où l'enjeu d'intégrer l'égalité de genre dans leur formation initiale et continue. Bien que la DGESCO et la DGESIP assurent que l'égalité tient toute sa place dans la formation des enseignants, les remontées d'information de certaines ESPE soulèvent quelques inquiétudes sur la place de l'égalité dans la formation initiale des équipes éducatives (enseignants, professeurs documentalistes, conseillers principaux d'éducation et conseillers d'orientation). Il convient que le ministère de l'Éducation nationale et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche garantissent une présence significative de la question de l'égalité dans les formations. Lors des auditions que nous avons organisées, nous avons par ailleurs évoqué l'opportunité d'intégrer la formation à l'égalité entre les genres parmi les critères requis pour l'accréditation des universités.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Serait-il envisageable de conditionner l'accréditation à la présence effective de cette formation ?
Mme Johanna Barasz . - Comme cela a été souligné, la difficulté réside dans le passage de l'intention à la réalité de terrain.
S'agissant du CSP, dès lors que lui est assigné un objectif d'égalité entre les filles et les garçons et entre les hommes et les femmes, il est évident qu'il devra mobiliser des personnes formées à cette question dans les phases de relecture des programmes. Le ministère de l'Éducation nationale ne peut que répondre positivement à cette demande et s'emploiera à la relayer au CSP.
En ce qui concerne les ESPE, la problématique dépasse très largement la question de l'égalité. Si, je le confirme, les formations sur l'égalité ne sont pas toujours présentes, il en est de même pour toutes les formations concernant la transmission des valeurs de la République, qu'il s'agisse de la laïcité ou de la lutte contre toutes les discriminations. Aussi, il ne serait pas légitime de fonder une décision d'accréditation ou de non-accréditation sur la seule entrée du genre. La mise en oeuvre du tronc commun de formation doit être considérée dans son ensemble. Bien entendu, compte tenu de l'engagement du ministère de l'Éducation nationale en faveur de l'égalité, cette question ne sera pas négligée.
Enfin, sans entrer dans un débat de fond sur l'égalité et la diversité, il convient de tenir compte des contraintes de temps et de ressources que nous pouvons mettre à disposition des enseignants. Il semble essentiel, si nous mettons en place des sites de ressources sur les stéréotypes à l'usage des enseignants, de proposer des entrées communes à toutes les discriminations, afin de favoriser la circulation entre les sujets et de ne pas prêcher que des convaincus. J'ajoute que, du point de vue du ministère de l'Éducation nationale, le risque est avant tout celui de voir la question du genre « écraser » celle des autres discriminations. Nous observons en effet un certain consensus quant à l'importance de lutter contre les discriminations fondées sur le genre, ce qui n'est pas le cas, par exemple, s'agissant de l'homophobie.
Mme Françoise Vouillot . - Outre l'intégration de l'égalité dans la formation initiale et continue des enseignants, nous insistons sur l'importance de sensibiliser le corps des inspecteurs aux questions de genre. La rectrice de l'académie de Créteil suggérait que les rectorats le soient à travers le comité de pilotage de la Convention interministérielle. Nous préconisons par ailleurs d'intégrer la lutte contre les stéréotypes au Plan national de formation (PNF) qui, en 2013, ne comprend qu'une action sur la question, consacrée aux parcours scolaires différenciés des filles et des garçons.
Mme Johanna Barasz . - Le PNF propose tout de même une entrée par les stéréotypes.
Mme Françoise Vouillot . - Enfin, nous nous sommes intéressés aux acteurs qui achètent effectivement les manuels. Dans le primaire, il s'agit des communes ; au collège, du ministère de l'Éducation nationale qui finance le rectorat, lui-même subventionnant les établissements ; et au lycée, des régions, qui depuis 2004, réalisent directement l'achat pour les établissements ou fournissent des chèques-livres aux familles. Il conviendrait de réfléchir à des actions de sensibilisation de ces prescriptions.
Mme Françoise Cartron . - Il est vrai que les communes, l'État ou les régions financent l'achat de manuels scolaires, mais les seuls prescripteurs restent les enseignants. Les collectivités n'ont aucun pouvoir de décision en matière de livres scolaires. Il convient donc, avant tout, d'éclairer les choix des enseignants, dont la compétence pédagogique est exclusive. S'ils ne choisissent plus les manuels porteurs de stéréotypes, la production de ceux-ci se tarira. Les éditeurs ne comprendront que ce message.
Mais cela suppose que les principes de l'égalité soient intégrés à la formation des enseignants, aujourd'hui insuffisante sur ce plan, notamment dans les ESPE. Il convient, à travers un tronc commun, d'aiguiser le regard critique des enseignants sur les manuels, mais également sur les comportements différenciés qu'ils peuvent avoir vis-à-vis des filles et des garçons en classe, par exemple en matière d'activités proposées dès la maternelle, d'appréciation de la notation ou encore d'orientation au lycée. Notre système d'éducation est en effet marqué par des inégalités considérables, qui touchent à l'équilibre même de notre société. Aujourd'hui, à résultat égal, voire inférieur, les garçons seront davantage orientés vers les classes préparatoires que les filles.
Pour mettre en place la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École, il est essentiel de mobiliser les corps intermédiaires. Aussi, j'insiste sur l'importance de la formation des cadres et des inspecteurs. À ce propos, l'École supérieure de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la recherche (ESEN) dans sa forme actuelle ne me paraît pas être un outil de formation adapté.
Enfin, il est essentiel d'éduquer les enfants à décrypter les images qu'ils reçoivent, dans leurs manuels notamment, et à comprendre ce qu'elles véhiculent. En d'autres termes, il s'agit de leur apprendre à exercer leur esprit critique. L'enseignant a pour mission de transmettre un savoir, mais également de former les citoyens de demain, libres, égaux et critiques.
Mme Gisèle Printz . - Nous constatons que, bien que l'Éducation nationale se féminise, les stéréotypes persistent dans les manuels scolaires. Les enseignantes se sentent-elles concernées par cette question ? Ne disposent-elles pas de leviers d'action ?
Mme Françoise Vouillot . - En 1995, j'ai été nommée experte pour évaluer des actions académiques portant sur l'égalité des chances entre les filles et les garçons. Cette évaluation a permis de pointer un maillon faible dans le système : les corps intermédiaires, inspecteurs et recteurs. Tant que ce niveau n'est pas mobilisé, la volonté politique n'est pas relayée au niveau académique et les enseignants sensibilisés s'épuisent.
Je rejoins ainsi les propos de Mme Françoise Cartron : un chantier majeur est à ouvrir en matière de formation de ces corps intermédiaires, à travers l'ESEN et le PNF.
Mme Françoise Cartron . - Même les enseignants les plus mobilisés s'épuisent en raison du manque d'accompagnement. Certains sont découragés de s'entendre dire que la promotion de l'égalité n'est pas ce que l'on attend d'eux.
Mme Emmanuelle Latour . - La formation mise en place dans le cadre des ABCD de l'égalité s'inscrit bien dans un objectif de sensibilisation de tous les maillons de la chaîne afin de construire une culture commune de l'égalité. L'occasion est donnée de partager une même formation de sensibilisation à l'égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre les stéréotypes sexistes. Au-delà de la connaissance théorique transmise, l'effet levier de la formation tient avant tout à la réflexivité qu'elle induit, conduisant chacun à interroger ses propres pratiques et à construire des solutions communes.
Dans le cadre de la Convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons a été soulevée l'idée d'élaborer un palmarès des manuels scolaires. Il serait en effet envisageable d'établir un classement exhaustif des manuels sur des critères d'égalité, comme le ministère des droits des femmes l'a fait pour les entreprises en matière de respect de la parité dans les conseils d'administration. L'expérience nous indique que le secteur privé est sensible à ces distinctions.
M. Pascal Tisserant . - Le manuel scolaire est l'arbre qui cache la forêt, ou du moins, la symbolise. Aussi, il est essentiel de ne pas focaliser nos réflexions uniquement sur cette question. À cet égard, les discussions que nous tenons aujourd'hui me semblent aller dans le bon sens.
Je distinguerai deux sens aux actions que nous pouvons préconiser. En premier lieu, les actions peuvent s'adresser directement aux éditeurs. Elles prennent alors la forme de labels, voire de chartes, qui offrent un cadre de réflexion et permettent de fixer un cap. En second lieu, les actions peuvent viser les acteurs de l'Éducation nationale en général, qui peuvent faire peser une contrainte sur les programmes et sur le marché du livre scolaire, poussant alors les éditeurs à adapter leurs manuels. Il convient alors d'inciter les établissements d'enseignement supérieur à investir la problématique de l'égalité et de la diversité, dans l'enseignement, dans la recherche et dans le « vivre ensemble ». Il pourrait s'agir par exemple d'inviter les ESPE et l'ESEN à se rapprocher du « Label Égalité » ou du « Label Diversité ».
Mme Christine Guillemaut . - De manière paradoxale, la grande motivation que l'on observe sur le terrain contraste avec un certain immobilisme, sans doute lié à des noeuds gordiens qu'il faudra trancher. Aujourd'hui, nous avons pu identifier certains de ces blocages.
J'évoquerai un aspect que nous n'avons pas encore abordé. Il concerne le monde du travail, vers lequel se tournent les actions du Laboratoire de l'égalité. A l'occasion du Salon de l'éducation de 2013, plusieurs entreprises, telles que la RATP, Cap Gemini, Orange, l'Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH) et Vivendi, ont signé le Pacte du Laboratoire de l'égalité sur les stéréotypes. Ces entreprises s'inscrivent dans une démarche de changement culturel et de valorisation des talents et se disent aujourd'hui prêtes à embaucher des femmes et des hommes sur des postes « atypiques ». Pour appuyer cette dynamique, il convient de développer des passerelles entre l'Éducation nationale et le monde du travail. La RATP indique par exemple qu'à Paris, seulement 7,5 % des conducteurs de bus sont des femmes, faute de vivier suffisant de femmes formées pour ce poste.
Enfin, l'actualité souligne l'inquiétude des familles, qui certes sont instrumentalisées dans le débat qui a lieu dans la presse. Or la famille peut être un vecteur essentiel de lutte contre les stéréotypes, pour peu que nous fassions l'effort de fournir des explications, sur le choix des manuels scolaires notamment.
Mme Johanna Barasz . - J'apporterai des éléments de réflexion sur les démarches de labélisation ou de palmarès, en particulier sur la question de l'institution en charge de labéliser ou de distinguer les manuels. Le ministère de l'Éducation nationale ne pourrait pas distinguer un document sur des critères relatifs à l'égalité ou à la diversité, si celui-ci est susceptible de poser des difficultés au regard d'autres sujets critiques. Le contexte actuel de pression vis-à-vis de la littérature jeunesse et des manuels, en particulier la polémique récente relative au livre « Tous à poil » , montre bien les difficultés que poserait la labélisation par l'État d'un document que d'aucuns pourraient contester. Par ailleurs, l'absence de contrôle des manuels scolaires par l'Éducation nationale découle d'une histoire, qui ne peut se lire qu'à l'aune de l'égalité entre les filles et les garçons. Elle implique une notion de liberté pédagogique, dont il faut tenir compte.
Ces propos ne visent pas à fermer la porte à la réflexion sur la labélisation. J'insiste simplement sur l'importance de pousser la réflexion dans ses détails pour mesurer toutes les implications des processus envisagés.
Mme Emmanuelle Latour . - Contrairement à une loi, le label n'est contraignant que pour les organismes qui s'y engagent. En termes de contrainte, le palmarès que j'évoquais est encore plus léger.
Je souhaite revenir sur la notion de compétences. Si la compétence pédagogique reste dévolue à l'enseignant, celle de l'État est de rappeler les valeurs de la République. Nous ne pourrons avancer que si nous reconnaissons à chacun son espace de compétence et d'intervention, et si nous appuyons l'idée que la compétence en matière d'égalité doit être construite et partagée. Le manuel scolaire n'est qu'un révélateur des stéréotypes sexistes, il agit comme un thermomètre. Or ce n'est pas en cassant le thermomètre que l'on pourra faire diminuer la température. Seule une compétence partagée permettra de faire reculer les stéréotypes.
A l'occasion d'une discussion sur le sujet qui nous réunit, Geneviève Fraisse, philosophe et historienne de la pensée féministe, nous expliquait qu'en détectant et en pointant les exemples sexistes, il était possible de transformer tout manuel scolaire ou livre de littérature jeunesse en outil d'éducation contre les stéréotypes. Dans cette perspective, au-delà de la réforme des manuels scolaires, l'enjeu est bien d'éduquer les enseignants à ce regard critique.
Mme Amandine Berton-Schmitt . - Je souhaite porter à votre attention une démarche intéressante pilotée par l'équivalent du secrétariat d'État à l'Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui a réuni les acteurs du champ éducatif pour réaliser un outil intitulé « Sexes et manuels » . Cette initiative, qui se distingue d'une démarche de labélisation, présente des exemples de mauvaises et de bonnes pratiques dans les manuels pour sensibiliser à la question.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous propose de clore notre matinée, en vous remerciant très chaleureusement d'avoir participé à cette réflexion. Les prochaines réunions sur les « stéréotypes féminins et masculins dans les manuels scolaires » se tiendront les 17 avril et 15 mai 2014.
Table ronde
Préciser les responsabilités
entre les concepteurs et les éditeurs de programmes
scolaires
MM. Xavier Turion, chef de service, Pierre Seban,
chef de la mission « contenus d'enseignement et ressources
pédagogiques » et
Mme Judith Klein, cheffe de la Mission
« prévention des discriminations et égalité
filles-garçons »,
représentant la Direction
générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du Ministère
de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche
M. Pierre Laporte, adjoint de Mme Véronique Fouquat, secrétaire générale du Conseil supérieur des programmes (CSP)
Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jacques Legendre et Jacques-Bernard Magner, sénateurs, membres du CSP
Mme Pascale Gélébart, chargée de mission éducation, directrice générale de « Savoir Lire » au Syndicat national de l'édition (SNE)
Mme Sophie Le Callenec, auteure, et Mme Sylvie Milochevitch, directrice éditoriale du secteur scolaire primaire des Éditions Hatier
Mme Elina Cuaz, responsable de département aux Éditions Bordas
Mme Françoise Fougeron, directrice générale des Éditions Nathan
(29 avril 2014)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Après avoir entendu les conclusions des travaux du Centre Hubertine Auclert puis nous être entretenus avec la sociologue Sylvie Cromer et après avoir dressé les premières pistes de travail lors d'une table ronde organisée le 20 février 2014 pour établir un constat partagé et dresser des premières pistes de travail, nous poursuivons aujourd'hui, avec vous, notre étude consacrée à la lutte contre les stéréotypes dans les manuels scolaires confiée à notre rapporteur Roland Courteau.
Nous sommes heureux d'accueillir dans le cadre de cette table ronde les trois sénateurs membres du Conseil supérieur des programmes (CSP) qui nous font l'honneur de leur présence parmi nous aujourd'hui : Marie-Christine Blandin, Jacques Legendre et Jacques-Bernard Magner, que je salue.
Pour participer à cet échange, nous avons réuni, pour ce qui est de la conception des programmes, les représentants de M. Jean-Paul Delahaye, directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) : MM. Xavier Turion, chef de service, Pierre Seban, chef de la mission « contenus d'enseignement et des ressources pédagogiques » et Mme Judith Klein, cheffe de la mission « prévention des discriminations et égalité fille-garçon », ainsi que M. Pierre Laporte, adjoint de Mme Véronique Fouquat, secrétaire générale du Conseil supérieur des programme.
Du côté des éditeurs, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Pascale Gélébart, chargée de mission Éducation au Syndicat national de l'édition (SNE) et directrice générale de Savoir Livre ; Mmes Sophie Le Callenec, auteure, et Sylvie Milochevitch, directrice éditoriale du secteur scolaire primaire des Éditions Hatier ; Mme Elina Cuaz, responsable de département aux Éditions Bordas, ainsi que Mme Françoise Fougeron, directrice générale des Éditions Nathan.
Après la phase de constat qui nous a permis de prendre la mesure de la permanence des stéréotypes et de la sous-représentation des femmes dans les manuels - en dépit d'améliorations que nous ne contestons pas - nous souhaiterions aujourd'hui continuer à avancer sur des pistes concrètes.
Nous le savons, au-delà de sa fonction de transmission des savoirs, le manuel scolaire reste encore aujourd'hui un « totem » - comme nous le disait la sociologue Sylvie Cromer lors de son audition du 30 janvier 2014 - car il est le reflet des valeurs d'une société à un moment donné et ce, quelle que soit la discipline considérée.
De plus, le manuel circule entre les professeurs, les élèves et les parents : il est donc aussi un outil de transmission, voire le seul parfois, de toute la communauté éducative. C'est la raison pour laquelle il est l'objet de tant d'attentions, point de focalisation d'une institution qui se doit de bâtir les représentations des citoyens de demain.
Les clichés mis au jour par le Centre Hubertine Auclert notamment, et l'invisibilisation des femmes dans les manuels d'histoire en particulier, y semblent d'autant plus graves, et leurs conséquences sur la construction des représentations de nos enfants inacceptables.
Interrogée sur les moyens d'action possibles, une des représentantes du Centre Hubertine Auclert participant à la table ronde que nous avons organisée le 20 février 2014 nous disait regretter que chacun s'en renvoie la responsabilité : les éditeurs disent mettre en oeuvre les programmes ; les responsables des programmes appellent les maisons d'édition à être vigilantes ; les enseignants, enfin, se disent submergés par l'ampleur des missions qui leur sont assignées et, bien que sensibilisés au problème, peu formés à déjouer les pièges de la reproduction des stéréotypes.
Afin d'organiser concrètement nos débats, je donne la parole au rapporteur.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Je vous remercie, Madame la Présidente, d'avoir rappelé le cadre dans lequel se situe notre étude.
Comme vous venez de le dire, nous avons tous été surpris de ce qu'ont pu nous apprendre les études annuelles du Centre Hubertine Auclert, qui passe chaque année au crible des stéréotypes une série de manuels scolaires dans chaque discipline.
Ainsi, il ressort de l'étude quantitative et qualitative des manuels d'histoire de 2de générale et de CAP que les femmes y sont quasiment absentes des notices biographiques, dont seulement 3,2 % leur sont consacrés et qu'elles ne représentent que 4,2 % des auteurs des documents proposés à l'étude dans ces manuels...
Pour la bonne organisation de nos débats, je vous propose de commencer par répondre aux questions qui ont été soulevées lors de notre dernière table ronde.
- Selon le ministère de l'Éducation nationale, la question de l'égalité fait partie intégrante de la lettre de mission du Conseil supérieur des programmes (CSP). Concrètement, cet objectif est-il réellement pris en considération au moment de la conception des programmes et, si oui, comment ? Cette question s'adresse en priorité, bien entendu, à nos collègues membres du Conseil supérieur des programmes, dont je salue la présence à nos côtés ce matin.
- Par ailleurs, on nous décrit les éditeurs comme sensibilisés à la question des stéréotypes, mais peu outillés pour les déjouer. Vous paraît-il envisageable d'intégrer un expert de cette question au sein des comités d'auteurs ou au moment de la relecture ? Plus largement, vous paraît-il possible d'améliorer la prise en compte de cette question et, si oui, comment ?
- La piste d'une meilleure diffusion des travaux des chercheurs sur l'histoire des femmes vous paraît-elle être une perspective intéressante ?
- Enfin, quelles autres actions concrètes pouvons-nous envisager pour faire évoluer la question ?
Je vous remercie de vous présenter rapidement avant de prendre la parole.
Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, membre du Conseil supérieur des programmes . - La loi et les lettres de commande du ministre de l'Éducation nationale confèrent une légitimité au Conseil supérieur des programmes (CSP) pour que ses travaux prennent en compte l'axe structurant qui veillera à l'égalité entre les hommes et les femmes.
La première lettre de commande du ministre au CSP précise que « le respect de l'égalité entre les sexes » est un élément transversal qui doit transparaître dans les travaux du CSP ; la seconde lettre de commande, en date du 4 décembre 2013, indique que l'égalité des sexes est l'un des enjeux contemporains de la société, au même titre que l'éducation au numérique, ce qui prouve qu'il fait partie intégrante des mutations à l'oeuvre dans la société. Toutes les expressions démocratiques consultatives montrent l'intérêt de tous les acteurs, dont les parents d'élèves, pour le sujet. Il est intéressant de noter qu'ils les considèrent comme une valeur nécessaire au vivre-ensemble.
L'égalité entre les femmes et les hommes apparaît à trois occurrences dans la loi de refondation de l'école ou le code de l'éducation, notamment dans la seconde phrase de l'article L. 311-4 du code de l'éducation : « L'école, notamment grâce à un enseignement moral et civique, fait acquérir aux élèves le respect de la personne, de ses origines et de ses différences, de l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de la laïcité » .
Dans la section 5 de la loi de refondation de l'école, relative à l'enseignement du premier degré, l'article 45 dispose : « elle transmet également l'exigence du respect des droits de l'enfant et de l'égalité entre les femmes et les hommes » .
Nous avons aussi pensé à la formation des enseignants, l'article 70 de la loi de refondation de l'école qui crée les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) disposant : « Elles organisent des formations de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes [...] , dont des formations à la prévention et à la résolution non violente des conflits » .
Les enseignants de grande section de maternelle et de cours préparatoire assureront une première acquisition des principes de la vie en société et de l'égalité entre les filles et les garçons.
En outre, pour instituer un lien civique entre tous les membres de la communauté éducative, il convient de prévenir au sein de l'école toutes les formes de discrimination et de favoriser la mixité sociale et l'égalité entre les hommes et les femmes.
Voici les références sur lesquelles s'appuient nos travaux.
Le CSP a rédigé une charte qui, bien qu'elle ne comporte aucune référence explicite à l'égalité femmes-hommes, se réfère aux dispositions correspondantes du code de l'éducation.
La rédaction de cette charte ne fait pas appel à des dénominations « genrées » mais emploie des substantifs mixtes, tels que « élève » et « enfant ».
Sur 52 occurrences du mot « élève », 45 se trouvent dans une phrase sans marquage de genre, et sept dans une phrase où il est accordé au masculin (une au singulier, six au pluriel).
Sur trois occurrences du mot « enfant », deux ne sont pas marquées par le genre et une l'est au masculin singulier. Par contre, en ce qui concerne la description des professionnels, c'est le masculin qui l'emporte malgré l'utilisation de l'expression « équipes éducatives ».
Le second volet des travaux du CSP concerne la définition du socle des programmes scolaires.
Nous n'en sommes encore qu'à la phase des définitions, mais il est d'ores et déjà acquis de reconnaître enfin le rôle des femmes dans l'histoire universelle en remplaçant la traditionnelle expression « les grands hommes » par la formulation « les grandes figures de l'histoire ». La rédaction précise des recommandations de ce socle sur la base duquel seront élaborés les programmes sera confiée à des groupes d'élaboration de projets de programme au sein desquels travailleront des inspecteurs, des experts ainsi que des chercheurs. Le CSP devra veiller à ce que leurs écrits respectent le cadre de ses préconisations.
Si nous sommes encore bien loin de la mise en production d'ouvrages scolaires confectionnés sur la base des travaux du CSP, je tiens à rassurer les éditeurs en leur indiquant qu'ils recevront en temps utile les éléments leur permettant d'élaborer leurs manuels dans de bonnes conditions.
Au cours des ateliers qui se sont tenus dans le cadre des États généraux de l'école à la Sorbonne, il avait été émis la suggestion de soumettre les ouvrages scolaires à une labellisation préalable à leur mise en vente ; je vous indique que cette suggestion n'a pas été retenue.
Je rappelle que la loi confère à l'État et non aux éditeurs la responsabilité de la production de contenus en numérique : l'État devra donc veiller à lutter contre les discriminations dans ce domaine.
Malgré la bonne volonté qui règne au CSP, l'impératif démocratique de l'égalité entre les hommes et les femmes auquel nous sommes très attachés se heurte aux procédures imprécises comme d'autres volontés exprimées par le Parlement et le Gouvernement, notamment à une certaine inertie, mais aussi à l'autonomie mal comprise de certaines universités. Mon collègue Jacques-Bernard Magner, qui mène pour la commission du Sénat une mission sur les ESPE, pourra témoigner que les dispositions législatives ne sont pas appliquées à la lettre par les universités qui hébergent ces écoles car elles ne souhaitent pas que l'on interfère avec leur fonctionnement.
Nous préconisons de conjuguer l'alerte en amont à une approche consensuelle tissée au quotidien et de garantir une relecture thématique par les éditeurs de tous les programmes et des manuels pour y détecter les erreurs et combler leurs manques. Les éditeurs devront aussi porter une attention particulière au renouvellement des fonds documentaires et iconographiques pour que les manuels soient un reflet de la société d'aujourd'hui et du regard qu'elle porte sur l'Histoire.
M. Jacques Legendre, sénateur, membre du Conseil supérieur des programmes . - Je rappelle que la composition du CSP est strictement paritaire, les six parlementaires sont trois hommes et trois femmes, ce qui a d'ailleurs donné lieu à des ajustements entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Cette volonté du législateur se retrouve dans l'état d'esprit qui préside à nos travaux menés avec une volonté d'aboutir, comme l'a souligné Mme Blandin, même si nous sommes sollicités par des débats et des demandes diverses : la question des stéréotypes dont nous débattons aujourd'hui, mais aussi celles portant sur le socle de formation et les curricula.
J'observe que les éditeurs scolaires sont représentés aujourd'hui par des éditrices. Leur collaboration avec un CSP égalitaire est le gage d'une sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes afin d'opérer des avancées significatives sur ce point.
M. Jacques-Bernard Magner, sénateur, membre du Conseil supérieur des programmes . - Lors de leur formation dans les ESPE, les enseignants sont sensibilisés aux notions portant sur l'égalité entre les sexes qu'ils auront à développer devant leurs futurs élèves. Ils sont également sensibilisés à l'importance de la parité vers laquelle doivent tendre les conseils de gouvernance des écoles supérieures de professorat. Cette parité est cependant difficile à obtenir dans certains organismes de gouvernance des écoles supérieures ou des conseils d'enseignants car les femmes sont majoritaires dans les métiers de l'enseignement, représentant parfois jusqu'à 80 % des effectifs de certains secteurs.
En ce qui concerne la mise en place des nouveaux programmes, bien que nous n'en soyons pas encore à leur rédaction, j'ai constaté au cours de mon activité d'enseignant, depuis une trentaine d'années, une évolution favorable de la représentation, dans les manuels scolaires, de la parité entre les hommes et les femmes, en phase avec l'évolution de la société. S'il reste encore beaucoup à faire, nous veillerons à obtenir une égalité aussi parfaite que possible.
M. Pierre Laporte, adjoint de Mme Véronique Fouquat, secrétaire générale du Conseil supérieur des programmes . - Je voudrais apporter quelques compléments techniques aux propos précédents.
Le ministre de l'Éducation nationale a souhaité renouveler le processus de conception des programmes pour le rendre plus transparent et plus cohérent. Le CSP a confié à des groupes techniques de spécialistes l'élaboration des programmes des différents cycles qui seront proposés.
Pour assurer une certaine cohérence, chaque groupe technique comprend au moins un membre du CSP qui joue le rôle de référent entre le groupe technique et les dix-huit membres du conseil, ce qui permet d'avoir une vision d'ensemble pour rendre compte des débats au sein des groupes techniques. Le référent doit aussi s'assurer que les groupes techniques respectent bien la feuille de route qui leur a été donnée, notamment sur les questions dont le législateur souhaite qu'elles soient prises en compte dans le cadre des futurs programmes.
Le CSP est aussi une instance opérationnelle qui élabore des projets de programmes qui seront ensuite soumis au ministre de l'Éducation nationale pour être examinés dans le cadre de consultations avec les professionnels, avant de devenir les programmes fixés par le ministère.
Les groupes examinent actuellement la question de l'égalité filles-garçons et celle de la lutte contre les préjugés et les discriminations. Il est donc trop tôt pour donner des premiers éléments sur leurs préconisations.
Le nouveau ministre de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche reprend à son compte le projet de son prédécesseur sur l'enseignement moral et civique. L'égalité filles-garçons y sera mentionnée ; elle s'inscrira dans le contexte plus large de lutte contre toute forme de préjugés.
Le projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui constituera le programme général de formation pour la scolarité obligatoire, l'école élémentaire et le collège, et qui fixera les grands objectifs de formation à atteindre pendant la période de scolarité obligatoire, sera rédigé non pas par des équipes techniques mais directement par les membres du CSP, comme cela a été le cas pour la charte.
Ce programme, valable pour la scolarité obligatoire, comprendra un socle consacré à la formation de la personne et du citoyen et intégrera cette question des préjugés, des stéréotypes et du respect de l'autre sexe.
Le texte de ce projet sera rendu public vers la fin du printemps. Il donnera une indication forte au monde éducatif sur cette question de l'égalité filles-garçons.
M. Xavier Turion, chef de service à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) . - Mme Marie-Christine Blandin a résumé de manière complète les bases législatives sur lesquelles s'appuie le CSP dans la matière qui nous intéresse ainsi que les recommandations qui figurent dans les deux lettres de commandes adressées par le ministre de l'Éducation nationale au CSP.
Le ministère, une fois saisi des propositions du CSP, sera appelé à vérifier la conformité de celles-ci aux commandes passées par le ministre.
Le ministère s'en tient aux principes de liberté et de responsabilité pour la conception des programmes et des manuels : liberté et indépendance totale du CSP tout d'abord, ainsi qu'en dispose la loi, mais aussi liberté et responsabilité des éditeurs qui ont la charge de concevoir les manuels, d'en choisir les auteurs, d'en vérifier la rédaction, toutes tâches qui sont de leur seul ressort ; liberté enfin dans le choix des manuels par les enseignants.
Ce jeu de liberté et de responsabilité induit des mécanismes d'autorégulation qui, certes, n'ont pas suffi aujourd'hui à réduire les stéréotypes dans le milieu scolaire, mais peuvent y concourir. L'autorégulation peut provenir du jeu du marché dans l'offre éditoriale et de la diversité de cette offre qui induit un traitement différencié ; la liberté de choix des enseignants peut elle-même avoir des vertus de régulation puisqu'ils peuvent ne pas sélectionner les manuels qui comporteraient des stéréotypes.
Enfin, j'admets que ces mécanismes ne sont guère maîtrisables et n'ont encore guère porté leurs fruits.
Faut-il cependant aller jusqu'à instituer des dispositifs d'habilitation ? Nous ne le croyons pas, les expériences qui ont pu être menées dans d'autres pays n'ayant pas donné de résultats probants. Le ministère ne souhaite pas développer de solutions dirigistes consistant à vérifier la conformité des manuels aux principes républicains, et notamment à celui de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Néanmoins, on pourrait concevoir, sous forme de « documents conseils » n'ayant pas de force juridique par eux-mêmes, que soit élaborée une charte précisant les attentes de l'institution et clarifiant par là même l'articulation entre les programmes d'enseignement et leur déclinaison dans les manuels. Un tel dispositif devrait certainement permettre d'améliorer la conformité des manuels à la lettre et à l'esprit des programmes, de veiller précisément à la question qui nous occupe, celle des stéréotypes, et donc d'atténuer les risques liés à certains choix éditoriaux qui peuvent donner lieu à contestation et à polémique.
Une expérience a été engagée en ce sens pour les manuels de cycle 2 : le ministère a tenu dans ce contexte une importante réunion qui a donné lieu à de vifs débats avec le Syndicat national de l'édition (SNE) et un grand nombre d'éditeurs. Un document de synthèse, que l'on avait appelé à tort « cahier des charges pour l'élaboration des manuels de français et de mathématiques » avait été proposé. Ce terme de « cahier des charges » a été très mal reçu par les éditeurs et catégoriquement rejeté par eux. Cependant, lors de cette réunion s'est fait jour une convergence possible si l'on considérait ce document d'orientation non pas comme un cahier des charges s'imposant formellement aux éditeurs, comme c'est le cas dans le cadre d'un appel d'offres, mais plutôt comme un document de référence dont les auteurs et les éditeurs sont susceptibles de s'inspirer, de même que les enseignants et les corps d'inspection lorsqu'ils procèdent aux choix des manuels.
Nous ne sommes pas allés plus loin pour le moment. Cette idée fait peut-être partie des pistes à explorer pour l'avenir.
Pour améliorer la prise en compte par les manuels des principes fondamentaux de la République, et notamment de l'égalité, il nous semble important de respecter des dispositions du code de l'éducation et, en particulier, l'article D. 311-5 qui fait obligation aux ministres de l'Éducation nationale de ne pas mettre en oeuvre des programmes avant un an après la date de publication desdits programmes. Cette période entre la publication des programmes et leur mise en oeuvre effective, et donc la date à partir de laquelle le manuel sera proposé au choix des enseignants, donne du temps à la réflexion, à l'appropriation des programmes et à leur bonne compréhension.
Par ailleurs, le contact qui a toujours existé entre les concepteurs de programmes et les éditeurs dans toutes les différentes phases d'élaboration de ces programmes peut incontestablement concourir à la bonne compréhension de ceux-ci.
Nous n'avons pas encore étudié cette question avec le CSP. Le ministère est prêt à prendre contact avec les éditeurs une fois que les propositions du conseil lui auront été transmises ; un tel contact nous apparaît en effet capital.
Enfin, au moment où s'élaborent les nouveaux programmes qui aboutiront à un renouvellement complet des contenus d'enseignement pour la scolarité obligatoire, on peut considérer que le moment est opportun pour renouveler le stock de manuels dont certains comportent beaucoup de stéréotypes. Nous pouvons raisonnablement espérer que cette nouvelle génération de manuels, prenant appui sur de nouveaux programmes qui intègrent mieux l'impératif d'égalité, permettra d'atteindre les objectifs que nous nous fixons.
Mme Judith Klein, cheffe de la Mission « Prévention des discriminations et égalité filles-garçons » à la Direction générale de l'enseignement scolaire . - Sur cette question de la lutte contre les stéréotypes véhiculés dans les manuels, la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), et notamment la mission dont j'ai la charge, a des contacts réguliers avec le centre Hubertine Auclert et le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE f/h), qui mènent une réflexion et formulent des propositions sur la manière de réduire ces stéréotypes.
Se pose aussi la question des ressources avec lesquelles on peut éduquer à l'égalité de manière efficace, comme par exemple la récente expérimentation dans l'enseignement primaire d'un outil d'éducation à l'égalité - les ABCD de l'égalité - dont un certain nombre de séquences pédagogiques ont été élaborées dans le cadre des programmes existants. Les enseignants doivent cependant être formés à leur utilisation.
Si la question des manuels est très importante, le choix par le professeur du document pertinent et de son utilisation dans une démarche pédagogique en vue d'éduquer à l'égalité l'est tout autant.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Monsieur Turion, pourriez-vous apporter des précisions sur la proposition de « charte » destinée aux éditeurs et qui n'a jamais été mise en oeuvre ? Pouvez-vous nous éclairer sur le renouvellement du stock des anciens manuels comportant des stéréotypes ?
M. Xavier Turion . - Aujourd'hui, le ministre tient absolument à respecter scrupuleusement la période de douze mois qui doit s'écouler entre la publication des programmes et leur mise en application, en vertu de l'article D. 311-5 du code de l'éducation. Cela n'a pas toujours été le cas. Nous avons tous en mémoire la réforme du lycée sous le précédent quinquennat. C'est la raison pour laquelle les programmes sur lesquels le CSP commencera à travailler au début de l'année 2015 n'entreront en vigueur qu'à la rentrée 2016.
Nous comptons mettre à profit ce long temps d'appropriation pour former les enseignants et bâtir des ressources pédagogiques d'accompagnement. J'insiste donc sur l'importance du respect de ce délai, qui doit aussi permettre au ministère d'entretenir des relations régulières avec les éditeurs afin de s'assurer qu'il n'y a aucune ambigüité sur l'interprétation qu'il faut faire des programmes.
S'agissant de la charte précédemment évoquée, proposée aux éditeurs lors d'une précédente réunion à laquelle Mme Gélébart, ici présente, participait, nous n'avons pas été tout à fait adroits dans la présentation qui en a alors été faite. Je suis convaincu que nous aurions quand même pu trouver un terrain d'entente.
Le texte « chapeau », notamment, n'avait pas suscité d'opposition car y étaient formulées assez clairement cinq exigences dont : le respect des valeurs républicaines - parmi lesquelles figurent l'égalité et la non-discrimination ; la pertinence des contenus disciplinaires - et notamment l'exactitude scientifique ; le strict respect des programmes, ou encore l'organisation pédagogique des manuels. On déclinait là de manière succincte des principes tels que la nécessité de présenter préalablement l'objectif et la démarche pédagogique proposés dans le manuel, d'assurer la cohérence et la pertinence dans l'agencement des différentes rubriques, de présenter une structure facilitant le maniement du manuel par l'élève, de distinguer clairement les différents types d'exercice, de faire figurer des résumés et des synthèses... et enfin le respect d'aspects formels, touchant aux textes et à l'iconographie, parmi lesquels on aurait facilement pu faire figurer des exigences d'égalité entre les filles et les garçons.
Ce texte était complété par ce qui s'appelait à l'époque un « cahier des charges des manuels de lecture et de mathématiques pour le cycle 2 », sous la forme de deux fiches assez précises.
Le Syndicat national de l'édition nous avait suggéré d'adresser ces fiches, plutôt qu'aux éditeurs, aux établissements et aux enseignants pour les guider dans leur choix de manuels. Elles auraient alors pu prendre la forme de circulaires. Nous ne sommes pas allés plus loin, mais je pense que nous n'étions pas véritablement en désaccord sur le fond.
Mme Pascale Gélébart, chargée de mission éducation au Syndicat national de l'édition (SNE), directrice générale de « Savoir Livre » . - Je voudrais commencer par rappeler la définition légale du manuel scolaire, telle qu'elle résulte de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre.
Ainsi, le décret n° 2004-922 du 31 août 2004 précise que « sont considérés comme livres scolaires, au sens de l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi du 10 août 1981 susvisée, les manuels et leur mode d'emploi, ainsi que les cahiers d'exercices et de travaux pratiques qui les complètent ou les ensembles de fiches qui s'y substituent, régulièrement utilisés dans le cadre de l'enseignement primaire, secondaire et préparatoire aux grandes écoles, ainsi que des formations au brevet de technicien supérieur, et conçus pour répondre à un programme préalablement défini ou agréé par les ministres concernés » .
Le manuel scolaire répondant à un programme précis, les éditeurs sont dans l'obligation d'établir des contacts étroits avec les concepteurs de ces programmes car, au-delà de la lettre du programme, il s'agit aussi de bien en comprendre et donc en restituer l'esprit.
Depuis huit ans que je suis responsable du Syndicat national de l'édition, je constate que l'évolution va dans le sens d'une collaboration rapprochée. La réforme du lycée de 2010, mise en place « dans la douleur », en particulier eu égard aux délais - intenables pour les éditeurs - marque, à cet égard, un tournant.
Si je devais souligner les facteurs clefs, indispensables à l'édition d'un manuel scolaire, je mettrais en avant deux éléments que je considère comme essentiels : le temps, d'abord, et la possibilité de disposer de documents d'accompagnement des programmes, ensuite.
Le manque de temps, tout d'abord, est un élément que soulèvent unanimement les éditeurs de manuels scolaires. En effet, outre la compréhension et l'appropriation du programme, la recherche de documentation et d'illustrations originales demandent beaucoup de temps. C'est précisément cela qui est sacrifié lorsque les délais sont trop courts ! Par conséquent, nous nous réjouissons de la volonté du ministre de respecter le délai d'un an.
Les documents d'accompagnement des programmes fournis par la DGESCO, ensuite, sont destinés à guider les professeurs dans leurs classes, ce que nous estimons essentiel pédagogiquement. La qualité de ces documents est donc d'une grande importance pour les éditeurs et constitue un outil précieux qui nous donne une trame pour l'organisation du manuel.
Je voudrais rappeler également que les éditeurs sont très ouverts à tous les regards extérieurs qui permettent d'améliorer le contenu des manuels. Ainsi, nous travaillons toujours activement avec les chercheurs à l'origine des études que vous avez citées. Nos manuels sont disséqués, étudiés, critiqués et nous sommes preneurs de ces études. Par exemple, la collaboration entreprise avec le Laboratoire République et diversité, en 2011, à l'occasion de la mise en place des programmes sur l'orientation et l'identité sexuelles, a été particulièrement nécessaire.
Il est important de rappeler que notre métier d'éditeur scolaire nous amène à collaborer avec ces chercheurs. En effet, il est vital pour nous d'accéder à des corpus de recherche qui éclairent nos démarches et il n'est pas rare que nous fassions appel, pour tel ou tel aspect du programme, à un universitaire ou à un chercheur spécialisé.
En matière de lutte contre les stéréotypes, les travaux existent et ils sont nombreux ! Certains sont même disponibles sur le site EDUSCOL du ministère. À cet égard, nous sommes sensibles à la question des discriminations entre les filles et les garçons. Mais nous sommes aussi vigilants aux autres discriminations, telles qu'elles ont notamment été répertoriées dans le rapport rendu en 2009 par l'Université Paul Verlaine à ce qui s'appelait alors la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Sachez que tous ces documents circulent dans les maisons d'édition. Ils sont nombreux. Ce dont nous avons besoin, c'est de temps pour les mettre en pratique et c'est précisément ce qui nous fait le plus défaut.
Mme Françoise Fougeron, directrice générale des Éditions Nathan . - Je peux vous assurer que la question de l'égalité et de la lutte contre les stéréotypes n'est pas un sujet que les Éditions Nathan prennent à la légère.
En tant que directrice générale de cette maison, j'oeuvre auprès des auteurs avec lesquels nous collaborons comme auprès de toute l'équipe pour que cette question devienne une priorité et que la vigilance ne fléchisse pas sur le sujet.
Je crois que nous pouvons réellement nous féliciter que les efforts énormes engagés dans cette voie aient aujourd'hui porté leurs fruits. La plupart du temps, les manuels qui sont montrés du doigt comme étant porteurs de stéréotypes sont des manuels anciens, soit que les programmes n'aient pas encore évolué, soit que des questions de financement dans les écoles n'aient pas permis de les renouveler.
En revanche, les manuels récents, sans être irréprochables, ont énormément évolué et la place des femmes s'y est énormément améliorée. La reconnaissance à notre maison donnée par les deux prix décernés par le Centre Hubertine Auclert nous conforte dans cette conviction. En particulier, le prix récompensant un manuel de mathématiques de terminale S nous a particulièrement touchés et permis de comprendre que la recherche de l'illustration - qui consiste à mettre en situation autant de femmes que d'hommes pour illustrer un problème de mathématiques - était essentielle. La dimension historique, qui vise à mettre en valeur des mathématiciennes a aussi été prise en compte. Nous sommes déterminés à avancer dans cette voie et je pense que les Éditions Nathan ne sont pas les seules !
À cet égard, le dialogue engagé avec les techniciens du Centre Hubertine Auclert est très fructueux. Ainsi, nous prenons en compte toutes les remarques que nous avons entendues pour la préparation des nouvelles moutures des manuels d'histoire de classe de seconde, dont on a dit qu'ils avaient été édités avec une certaine précipitation en 2010. Je tiens à vous dire que les équipes sont motivées par cette question de l'égalité et cherchent toujours à trouver des solutions authentiques. Cela est plus intéressant et plus stimulant que de trouver des alibis qui ne seront toujours que des prétextes.
À la question de savoir si nous sommes correctement outillés pour prendre en compte la dimension de l'égalité, j'estime que l'on peut répondre « oui ». Nous travaillons avec des équipes responsables, qui poursuivent les mêmes objectifs que les membres du CSP. Si nous disposions de plus de temps, nous mettrions réellement à profit l'accès aux travaux de recherche qui nous sont accessibles.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Vous soulevez la question de l'accès aux travaux de recherche. À cet égard, l'association Mnémosyne a publié un ouvrage remarquable sur « La place des femmes dans l'histoire » qui peut servir de banque de ressources aux auteurs de manuels. Cet ouvrage est-il utile et pensez-vous qu'il pourrait en être édité d'autres sur le même modèle dans toutes les disciplines ?
Mme Françoise Fougeron . - Je vais laisser la parole à Mme Sophie Le Callenec, auteure, pour vous répondre.
Mme Sophie Le Callenec, auteure aux Éditions Hatier . - Je souhaite d'abord vous rassurer sur le fait que les auteurs de manuels sont très sensibilisés à la question de l'égalité entre les femmes et les hommes, pas seulement parce que nous sommes en majorité des femmes - ce qui, soit dit en passant, n'est pas toujours un gage d'implication sur le sujet - mais surtout parce que nous avons conscience de participer à la formation et à la construction des futurs citoyens. Et ceci est particulièrement vrai lorsque nous travaillons sur les manuels des classes primaires, ce qui est mon cas. À cet égard, la vigilance ne porte pas seulement sur les stéréotypes de genre, mais aussi sur toutes les formes de discriminations touchant aux minorités visibles liées, entre autres exemples, à l'âge ou au handicap.
Toutefois, en tant qu'auteurs de manuels scolaires, nous devons composer avec un certain nombre de paramètres.
Le premier de ces paramètres est le respect du programme. Or, il arrive que le programme lui-même nous induise en erreur. Je ne donnerai qu'un seul exemple, mais qui m'avait beaucoup choquée à l'époque de la publication, en 2008, du programme d'histoire de primaire. Il y était indiqué qu'en 1848 était instauré en France le suffrage universel masculin et en 1945 le droit de votes des femmes. L'inégalité dans la présentation des choses est stupéfiante ! En réalité, c'est en 1945 qu'on peut parler de suffrage universel, alors qu'en 1848 n'était reconnu que le droit de vote des hommes. Dans les programmes d'histoire primaire, j'estime à 10 % les dates erronées de cette manière. Je me réjouis donc que les membres du CSP prennent ce sujet à coeur.
Le second paramètre consiste à lutter contre nos propres réflexes. En effet, nous reproduisons tous, même inconsciemment, des stéréotypes qu'il nous faut déjouer en permanence. Et les éditeurs ne font pas exception ! Les réactions de l'éditeur à ce que nous pouvons proposer en tant qu'auteurs sont parfois surprenantes. Je vous relaterai une expérience personnelle à l'occasion de la rédaction, dans un manuel d'histoire récent, d'une page consacrée aux femmes préhistoriques. Partant du constat qu'on parle peu des femmes dans la préhistoire, on proposait aux élèves une réflexion en forme de question formulée ainsi : « quelle activité aurais-tu aimé faire si tu avais été une femme de la préhistoire ? » et ceci afin de permettre d'envisager les différentes activités ouvertes aux femmes à cette époque. La première réaction de l'équipe a été très négative, reposant sur l'argument que les garçons auraient du mal à se projeter dans le fait d'être une femme de la préhistoire... Comment expliquer que l'inverse soit possible pour les filles, alors ?
Dans la liste des paramètres, il faut également composer avec les possibilités offertes par les autres intervenants et, en particulier, les illustrateurs. J'ai le souvenir précis d'une âpre bataille menée avec un illustrateur, toujours au sujet des femmes dans la préhistoire, à qui j'avais commandé une illustration de femme en train de faire un feu et d'un homme cuisinant. Cet illustrateur avait interprété cette inversion des rôles en « masculinisant » la figure de la femme et en « féminisant » celle du jeune homme sensé prendre la place de la femme...
Les possibilités offertes par l'iconographie ne sont pas non plus extensibles. Elles limitent notre volonté de représenter les femmes là où on les attend le moins. Pour avoir travaillé sur le Moyen-Âge dans les programmes d'histoire, j'ai expérimenté la difficulté de trouver une figure de reine, de femme d'un seigneur ou de prêtresse alors que les figures de roi, de seigneur et de prêtre sont légion. Plus tard, il sera très difficile de trouver la figure féminine de l'explorateur ou du navigateur...
La difficulté vient-elle du fait, en histoire tout particulièrement, que les femmes ne se seraient pas illustrées dans ces disciplines ou ces fonctions sociales ? Je ne crois pas. Preuve en est, par exemple, la figure de l'intellectuel au Moyen-Âge. Si je souhaite citer une femme, je peux recourir au personnage de Marie de France. Mais parce que c'est une exception, la plupart des auteurs lui préfèrent Pierre Abélard, qui passe pour l'un des philosophes les plus importants de son époque.
À mon sens, ces écueils pourraient être surmontés si on privilégiait l'histoire des sociétés, qui est incontestablement mixte, sur l'histoire événementielle, construite autour de quelques figures de grands hommes. Alors que c'est sur cette voie que travaillent les historiens contemporains, les manuels d'histoire scolaires privilégient encore trop l'histoire événementielle et un débat existe autour de la question de consacrer spécifiquement certaines pages à quelques grandes femmes dans certains grands moments de l'histoire.
Personnellement, j'y suis favorable, même si j'entends les arguments qui y sont opposés, notamment celui craignant la stigmatisation et la relégation des femmes dans les marges de l'histoire. J'ai tendance à penser que ce serait au contraire un moyen de dénoncer explicitement la relégation des femmes dans des rôles secondaires, puisque c'est bien le sort qui leur était réservé !
Enfin, je voudrais insister sur l'importance de la sémantique et, plus précisément, sur l'acceptation commune qui veut que, derrière l'utilisation du genre neutre, le masculin l'emporte. Quand, en cours, un professeur parle des hommes qui ont peint les grottes de Lascaux, personne d'entre nous n'imagine que ce peut aussi être une femme. Et on a beau dire que le masculin est universel, nous n'avons pas de représentation de femme peignant les grottes de Lascaux !
Il faudrait donc que, de manière générale, des efforts soient faits pour mentionner à chaque fois « les hommes et les femmes de la préhistoire » ou « les êtres humains », ce que nous faisons systématiquement aux Éditions Hatier, même si cette formulation peut sembler lourde.
Au-delà, je pense qu'une réflexion plus poussée devrait être engagée sur les pièges du langage et les manières de les déjouer à la lumière de l'objectif d'égalité entre les hommes et les femmes.
Mme Sylvie Milochevitch, directrice éditoriale du secteur scolaire primaire aux Éditions Hatier . - Comme cela vient d'être dit, déjouer les stéréotypes demande beaucoup d'efforts et donc de temps. Ayant traversé l'épreuve de la refonte générale des manuels scolaires du lycée en six mois en 2008, j'ai le souvenir que les auteurs se sont concentrés sur l'appropriation - déjà difficile - des notions, ce qui est la base pour la rédaction d'un manuel.
Au risque de répéter ce qui vient d'être dit, il me semble que les délais qui nous sont accordés nous laissent peu de temps pour aller au-delà de notre mission fondamentale, qui est la restitution et la mise en forme des notions du programme. Parmi les outils mis à notre disposition pour nous accompagner dans cet effort, le guide publié par l'UNESCO et rédigé notamment par la sociologue Sylvie Cromer me paraît particulièrement pertinent car utilisable dans un esprit très concret. Personnellement, j'en ai fait circuler des extraits parmi les membres de l'équipe, notamment pour qu'ils puissent s'appuyer sur les exemples proposés.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Dans son propos introductif, Marie-Christine Blandin s'est interrogée sur la possibilité de soumettre le manuel à une relecture finale globale qui se focaliserait sur la question des stéréotypes et de l'égalité hommes-femmes. Peut-être pourriez-vous, chère collègue, préciser la forme que pourrait prendre une telle relecture ?
Mme Marie-Christine Blandin . - Je pensais à une auto-relecture. D'expérience, je sais que, lorsqu'on écrit une somme conséquente, il est difficile d'aiguiser la vigilance sur tous les sujets en même temps. On pourrait donc envisager une relecture vigilante sur la question spécifique de l'égalité filles-garçons, qui serait confiée soit à un membre de l'équipe de la maison d'édition soit à une personne mandatée pour cela.
À titre d'exemple, lorsque, élue en région Nord-Pas-de-Calais, je devais valider les plans de lycées, je faisais relire ces plans par la Fédération nationale des travailleurs handicapés, ce qui permettait d'éviter que ces constructions soient contestées par la suite.
Cette expérience me conduit à penser qu'une relecture générale, certes nécessaire, n'est pas toujours suffisante pour déceler certaines erreurs.
Mme Elina Cuaz, responsable de département aux Éditions Bordas . - Permettez-moi de revenir sur la question des ressources iconographiques. On sait bien que la première chose que l'on regarde quand on ouvre un manuel, en général, ce sont les photos.
Responsable de département aux Éditions Bordas, je publie les manuels destinés aux écoles élémentaires. Les photos que nous recherchons sont donc relativement simples car elles servent à enrichir certaines séquences, ouvrir sur l'art ou inciter à l'expression orale. Or, dans les banques d'images dont nous disposons, on retrouve toujours les mêmes photos stéréotypées, du type le docteur (homme) et l'infirmière (femme). Quand un auteur cherche une image de femme pour illustrer par exemple une scène de pompiers, il n'en trouve pas ! Vous voyez donc que la seule bonne volonté ne suffit pas. Parfois, nous nous heurtons à l'inexistence de la ressource !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Qui est à l'origine de ces banques d'images ?
Mme Elina Cuaz . - Ce sont des structures privées. Les images peuvent être des photos de presse ou des photos artistiques.
Mme Sophie Le Callenec . - Je voulais signaler, en réponse à la remarque de Mme Blandin, que la relecture est déjà pratiquée dans les maisons d'édition. Le manuel ne reflète jamais le travail d'un auteur seul, mais le travail croisé d'une équipe. Bien sûr, on pourrait s'assurer qu'un des relecteurs soit spécifiquement chargé de rechercher les stéréotypes.
Mme Sylvie Milochevitch . - L'ouvrage de l'UNESCO est très utile à cet égard. Tout cela ne coule pas de source, d'autant que tout est aussi une question de juste mesure. Il ne s'agit pas de tordre la réalité, car un manuel est le reflet des valeurs d'une société ; il est aussi le reflet de la réalité dans laquelle les élèves vivent !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Même si la société évolue et qu'il s'agit aussi de montrer ces évolutions...
Mme Sophie Le Callenec . - A cet égard, trouver une image de femme députée relève de la gageure...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Comment peut-on faire évoluer cette question des ressources iconographiques ? Une banque publique d'images est-elle envisageable ?
Mme Sophie Le Callenec . - En tout cas, ce serait un apport très positif de disposer d'une banque d'images « diversifiées », ouverte sur toutes les « minorités » discriminées...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - A l'heure actuelle, existe-t-il au moins un cahier des charges imposé aux prestataires privés qui fournissent les photos ?
Mme Sophie Le Callenec . - Je crois qu'il faut revenir à la façon dont nous travaillons au sein de nos maisons. Lorsque nous écrivons un manuel scolaire, une fois les textes établis, nous dressons une liste des éléments dont nous avons besoin pour illustrer nos textes. Par exemple, nous demandons un paysage rural dans lequel une personne est en train de cultiver un champ avec un gros engin agricole. Les images qui nous sont proposées alors ne montrent que des agriculteurs...
Mme Pascale Gélébart . - L'autre façon de procéder consiste à demander le concours d'un photographe à qui l'on confie le soin de réaliser un reportage photographique précis. Mais, là encore, la scénarisation d'une scène demande du temps, dont précisément nous ne disposons pas... sans parler du coût supplémentaire que cela implique.
Mme Sylvie Milochevitch . - Je voudrais attirer votre attention sur la littérature de jeunesse. Regardez les contes pour enfants, ils sont truffés de stéréotypes. Rares y sont les héroïnes et, dans la plupart des cas, les femmes y sont soit victimes, soit maléfiques... Nous sommes bien obligés de faire avec... Ce que je constate, c'est que les parents sont plus choqués par la violence ou la cruauté des scènes proposées que par le peu de place qu'y occupent les femmes ou les filles.
Au final, si on prend en compte tous les paramètres potentiellement « dérangeants », on ne s'en sort plus. Il s'agit alors principalement de bien analyser les priorités...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - La délégation va consacrer une autre étude aux contenus numériques, notamment à la littérature destinée à la jeunesse.
Je vous remercie d'avoir participé à cette table ronde.
Table ronde
Former les enseignants à la
problématique de l'égalité
entre les femmes et les
hommes
Mme Nicole Abar, chargée de mission
« suivi de la mise en oeuvre des ABCD de
l'égalité »
au ministère des Droits des
femmes
Mme Virginie Gohin
cheffe de la formation des
enseignants à la Direction générale de l'enseignement
scolaire (DGESCO) du ministère de l'enseignement supérieur et de
la recherche
Mmes Claire Pontais et Nathalie François,
enseignantes d'éducation physique et sportive (EPS)
et
formatrices à l'égalité dans les écoles
supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE)
Mme Gisèle Jean, professeure de sciences
économiques et sociales,
co-créatrice de
« Corpus », groupe interassociatif et intersyndical
travaillant sur les programmes scolaires
Mme Virginie Houadec, conseillère
pédagogique
auprès de l'Inspection de l'Éducation
nationale (IEN) Toulouse rive-gauche et chargée de formation dans les
ABCD de l'égalité
Mme Fanny Lignon, enseignante-chercheure,
maîtresse de conférences « cinéma
audiovisuel » à l'université Lyon I
(15 mai 2014)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Après avoir entendu les conclusions des travaux du Centre Hubertine Auclert puis nous être entretenus avec la sociologue Sylvie Cromer et après avoir entendu, lors de deux tables rondes, des représentants de la conception et de l'édition des programmes scolaires, nous poursuivons aujourd'hui, avec vous, notre étude consacrée à la lutte contre les stéréotypes dans les manuels scolaires, confiée à notre collègue rapporteur Roland Courteau.
Nous sommes heureux d'accueillir dans le cadre de cette table ronde : Mme Nicole Abar, chargée de mission au titre du « suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité » au ministère des droits des femmes, et Mme Virginie Gohin, cheffe du Bureau de la formation des enseignants à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Afin d'engager une véritable discussion sur la question de la sensibilisation des professeurs - et donc des élèves - aux valeurs d'égalité et de respect entre les filles et les garçons, nous avons réuni ce matin : Mmes Claire Pontais et Nathalie François, enseignantes d'éducation physique et sportive (EPS) et formatrices à l'égalité dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) ; Mme Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, et l'une des créatrices de Corpus, groupe inter-associatif et intersyndical qui donne des pistes pour une refonte ambitieuse des programmes scolaires ; Mme Virginie Houadec, conseillère pédagogique auprès de l'Inspection de l'Éducation nationale (IEN) Toulouse rive-gauche et chargée de formation dans les ABCD de l'égalité, ainsi que Mme Fanny Lignon, enseignante-chercheure, maîtresse de conférences « cinéma audiovisuel » à l'Université Lyon I.
Mesdames, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Comme nous le rappelait récemment une représentante du ministère des droits des femmes, l'école d'aujourd'hui a vécu 40 ans de mixité, 30 ans de politiques en faveur de l'égalité et 10 ans de conventions interministérielles pour l'égalité entre les filles et les garçons. Les travaux, guides et séquences pédagogiques sur ce thème sont nombreux. Alors, comment expliquer une telle permanence dans la reproduction des stéréotypes de genre dans les manuels scolaires ?
Si l'une des missions essentielles de l'école réside bien dans la transmission des valeurs d'égalité et de respect entre les filles et les garçons, comment arriver à mobiliser l'ensemble de la communauté éducative sur le sujet ?
Le programme des ABCD de l'égalité permet une prise de conscience, dès le plus jeune âge, des enjeux de la transmission et de l'acquisition des valeurs d'égalité à l'école.
Mais sa généralisation sera-t-elle accompagnée d'un programme de formation initiale et continue des professeurs, dans le cadre des écoles supérieures du professorat et de l'éducation ?
Pour tenter d'apporter des réponses et afin de structurer nos débats, je laisse Roland Courteau, notre collègue rapporteur, nous présenter un ordre de questions qui vous permettra d'organiser la circulation de la parole.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Je vous remercie, Madame la Présidente, d'avoir rappelé le cadre dans lequel se situe notre étude.
Comme vous venez de le dire, nous avons tous été surpris de ce qu'ont pu nous apprendre les études annuelles du Centre Hubertine Auclert, qui passe chaque année au crible des stéréotypes masculins et féminins une série de manuels scolaires dans chaque discipline.
Plus encore sommes-nous surpris d'entendre que la formation des professeurs à ces questions est loin d'être considérée comme essentielle.
Quand on sait que nos représentations se construisent dès l'enfance, et que l'enjeu de l'égalité est la capacité de chacun à s'en émanciper pour choisir sa vie, on ne peut que regretter que cette question ne fasse pas partie de la grille de lecture comme de chaque enseignant, dans toutes les disciplines.
C'est l'ambition des ABCD de l'égalité. Peut-être Mme Nicole Abar pourra-t-elle nous faire un premier bilan de l'impact des séquences pédagogiques dispensées dans ce cadre sur le comportement, notamment pédagogique, des enseignants ?
Mais d'abord, je souhaiterais que nous revenions sur les fondamentaux, en vous proposant de commencer par répondre aux questions suivantes.
- Tous les professeurs sont-ils aujourd'hui formés à la transmission des valeurs d'égalité entre hommes et femmes dans le cadre de leur formation initiale et continue ? Si oui, sous quelle forme et selon quel format ? Ces enseignements seront-ils obligatoires dans les maquettes des ESPE ? Je m'adresse ici plus particulièrement à Mme Virginie Gohin, mais chacune d'entre vous peut, évidemment, apporter sa contribution à notre réflexion.
- Dans un second temps, j'aimerais que, par les témoignages des formatrices que vous êtes, vous nous aidiez à comprendre quelle méthode est la plus appropriée pour aider les professeurs à prendre du recul par rapport à leurs propres réflexes et leurs propres préjugés : les outils existants sont-ils adaptés ? Ceux qui ont été élaborés dans le cadre des ABCD vous paraissent-ils pertinents et généralisables ? Enfin, nous sommes désireux d'entendre toutes les pistes que vous pourriez envisager pour renforcer la mobilisation de toute la communauté éducative sur le sujet. Comment, notamment, responsabiliser les professeurs sur le choix des manuels qu'ils prescrivent aux familles ? Comment engager un dialogue entre inspecteurs, responsables d'académie et professeurs à ce sujet ?
Je laisse la parole à Mme Virginie Gohin.
Mme Virginie Gohin, cheffe du Bureau de la formation des enseignants à la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Le bureau dont j'ai la charge au sein de la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) s'occupe de la formation des personnels d'enseignement et d'éducation qui relève désormais d'une mission dite d'accompagnement et de formation. Les missions du bureau se décomposent en deux grands volets. Il intervient sur la formation initiale, en contribuant, avec la direction de l'enseignement supérieur, au cadrage réglementaire - par exemple nous travaillons actuellement sur les École supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). Il intervient aussi sur la formation continue des personnels, à travers la mise en oeuvre du plan national de formation des corps d'inspection. J'insiste sur le fait que nous ne touchons pas les enseignants. Au niveau national, nous proposons des actions en direction des personnels relais, à qui il revient ensuite de déployer, dans le cadre des plans académiques, les dispositifs au niveau des académies, en fonction des priorités locales.
Je vais vous présenter notre cahier des charges, à la fois en formation initiale et en formation continue, et essayer d'évoquer un certain nombre d'exemples.
Comme vous l'avez indiqué, de manière peut-être un peu négative, dans vos propos liminaires, la formation sur le thème de l'égalité entre hommes et femmes n'existe pas en tant que telle. Pour autant, nous nous sommes attachés, dans un ensemble de textes réglementaires, à poser des invariants en formation concernant ces thématiques.
C'est dans ce cadre que le nouveau référentiel des compétences professionnelles pour les métiers du professorat et de l'éducation a fait l'objet d'un très long dialogue entre le ministère et les organisations syndicales, car nous souhaitions tous y inscrire un certain nombre de valeurs.
À ce titre, ce référentiel a été intégré dans le cadre national des formations aux gestes professionnels, dont fait partie la transmission des valeurs par les enseignants et formateurs. Le référentiel des compétences professionnelles « métiers » est toutefois beaucoup plus précis. Il prévoit un ensemble de quatorze compétences communes à tous les enseignants, au sein desquelles se trouve la transmission des valeurs de la République. Il existe ensuite un référentiel plus précis pour les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation.
Pour être concrète, je peux vous citer la compétence 1, qui s'intitule « faire partager les valeurs de la République » et inclut la lutte contre toute forme de discrimination. Quant à la compétence 6, « agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques », elle valorise la capacité à se mobiliser et à mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre, à promouvoir l'égalité entre les filles et les garçons et à identifier toute forme d'exclusion et de discrimination.
Le référentiel est un cahier des charges commun à l'ensemble des personnels, mais nous voudrions aussi en faire un outil de dialogue avec ceux qui définiront les actions mises en oeuvre dans les ESPE. Je reconnais que les volumes de formation aux enjeux qui sont les vôtres ne sont pas considérables. Ayant fait partie de l'équipe qui a analysé toutes les maquettes de projets des ESPE, je ne peux pas vous dire le contraire. Il existe, malgré tout, des initiatives et je considère qu'avec le nouveau référentiel dont je viens de vous parler des actions restent à construire.
Dans les ESPE, pour être très concrète, ces valeurs sont travaillées selon deux axes, à la fois comme objet de formation et comme recherche et analyse des pratiques professionnelles.
En ce qui concerne les valeurs, l'ESPE de Nice propose un parcours en M1 et en M2 pour savoir se situer dans son environnement professionnel, connaître les principes et les valeurs qui fondent l'école (laïcité, égalité entre les femmes et les hommes, lutte contre les discriminations, etc.). En M1, le sujet est abordé à travers la philosophie politique, la sociologie ou l'histoire de l'éducation, encadré par des professionnels. En M2, l'accent est mis sur l'analyse des pratiques, dans le cadre du stage professionnel.
Pour le second axe que j'évoquais, l'ESPE de Rennes propose une approche réflexive sur le métier, au travers de recherches-actions menées avec des laboratoires de recherche. Il s'agit de contrevenir aux stéréotypes et de travailler sur de la documentation concernant les problématiques du métier, en les mettant en regard des pratiques professionnelles dans une approche critique. Cette démarche n'est qu'un exemple mais me semble particulièrement intéressante, car elle permet de créer une véritable dynamique.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Vous me rassurez, car nous n'avions pas une vision aussi fine de ce qui se passe sur le terrain. Nous ne savions pas si cette question constituait effectivement une préoccupation majeure, susceptible d'irriguer la mise en place des ESPE.
Mme Virginie Gohin . - Lors de la désignation des directeurs d'ESPE - dont la charge est, reconnaissons-le, un vrai défi -, nous avons essayé de vérifier qu'il s'agissait bien d'une de leurs préoccupations. J'avais réalisé un grand tableau récapitulant tous les axes de la culture professionnelle, dont celui de l'égalité, de manière à vérifier que cette thématique faisait bien partie de leurs préoccupations.
En termes de ressources, nous sommes prêts à les accompagner. Le niveau national dispose d'un certain nombre de moyens que nous pouvons mettre en oeuvre. Nous avons donc été à l'écoute des demandes. Les directeurs d'ESPE ont reconnu qu'ils n'avaient pas forcément la possibilité de créer des modules sur cette thématique dans leur offre de formation.
La formation continue est également essentielle, car nous savons bien que l'arrivée de quelques milliers de nouveaux enseignants ne sera pas suffisante pour que cette question irrigue l'ensemble du système. Nous devons sensibiliser des centaines de millions de professionnels en poste et les amener à conduire une réflexion sur leurs propres pratiques.
Le plan national de formation prévoit une centaine d'actions impulsées par l'échelon national à l'échelle de l'année et qui sont concrétisées dans les plans d'académies. Elles sont destinées aux corps d'inspection pédagogique du premier et du second degré et aux personnels relais, dont les chefs d'établissements. Il est essentiel que ces derniers, qui accueillent les nouveaux enseignants et travaillent avec ceux qui sont déjà en poste, soient intégrés dans le processus.
Pour 2014, je peux notamment vous citer des exemples d'actions, issus du plan national de formation, dont je vous rappelle qu'il est renouvelé chaque année en fonction des priorités. L'une d'elles, intitulée « Parcours scolaire différencié des filles et des garçons et stéréotypes - Quelles analyses ? Quelles politiques publiques ? » concernera 150 personnes. Je vous accorde que ce nombre est faible, mais il s'agit des corps d'inspection du premier et du second degré, des infirmières, des proviseurs vie scolaire (PVS), des chargés de mission égalité, etc. Ils sont à la fois au contact des élèves et des autres personnels, ce qui permet de s'assurer qu'il s'agit bien d'une approche globale, dépassant le seul cadre de la classe.
Un autre point intéressant est l'entrée par la culture juridique, qui n'existait pas jusqu'à présent dans le plan national de formation. Nous avons travaillé avec l'association InitiaDROIT, qui rassemble des avocats et des juristes de l'Université, ainsi qu'avec la Mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF), qui a élaboré un ensemble de modules de sensibilisation sur les droits et les devoirs, la transmission des valeurs républicaines, etc. Cette action est en cours de construction et sera probablement disponible à la rentrée prochaine.
Nous avons une autre manière d'impulser des axes nationaux. Chaque année, à l'automne, nous publions dix priorités de formation en direction des académies pour le premier et le second degré. Certaines sont déclinées sur trois ans pour leur permettre de produire des résultats concrets ; d'autres sont renouvelées pour tenir compte de l'évolution du contexte. Les priorités sont fixées pour les formations commençant à la rentrée de l'année suivante.
Depuis plusieurs années, l'une de ces priorités concerne la formation à la laïcité, la lutte contre les discriminations et l'égalité entre les filles et les garçons. Elle concerne à la fois le premier et le second degré. Des instruments de mesure sont prévus pour s'assurer de l'effectivité de sa prise en compte. Nous avons fait beaucoup évoluer une application nationale, surnommée « GAIA », qui est un outil de gestion, auquel nous avons ajouté une base de données nationale. Vous pouvez désormais disposer d'une photographie, en temps réel, de l'activité de formation sur chacune des priorités que nous avons définies. Les résultats peuvent porter sur le réalisé et sur le prévisionnel de l'année en cours, ce qui permet d'évaluer les formations réalisées et de connaître les intentions de formation. Le dispositif est sûrement à améliorer mais il constitue déjà une avancée.
La thématique est ensuite mise en oeuvre dans le cadre des plans académiques, qu'il s'agisse des plans stratégiques ou des plans de formation. Je vais vous citer quelques exemples de ce qui est mis en place.
Le rectorat de Rouen a signé une convention, pour les années 2013-2018, pour l'égalité entre les filles et les garçons et les femmes et les hommes dans le système éducatif. Elle prend en compte plusieurs axes, dont l'orientation scolaire et professionnelle, l'éducation des jeunes à l'égalité et l'intégration de l'égalité dans les pratiques professionnelles. Le dispositif repose sur des actions de formation, du dialogue et l'accompagnement des établissements et des centres d'information et d'orientation (CIO) notamment.
Dans l'académie de Grenoble, le plan de formation a pris en compte cette thématique de l'égalité hommes-femmes en s'appuyant sur des candidatures collectives. Les inscriptions ne concernent pas des individus isolés mais des équipes, ce qui me semble très intéressant. Nous savons que le défaut de la formation continue est parfois de favoriser une attitude consumériste, sans réel impact sur le fonctionnement de l'établissement. En l'occurrence, l'approche retenue permet d'éviter cet écueil et de créer une véritable dynamique, en travaillant sur la sensibilisation de tous et en montrant comment devenir acteur du changement. Cette action s'adresse aux enseignants de collège.
Pour terminer, je voudrais juste revenir sur un point. Dans le cadre du dialogue que nous construisons au niveau national avec les organisations syndicales et les directeurs d'ESPE, nous devons être à l'écoute et impulser la mise en oeuvre de ressources, éventuellement avec l'aide des outils numériques. Je reconnais néanmoins qu'il reste beaucoup de travail à accomplir.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.
Mme Gisèle Jean, professeure de sciences économiques et sociales, co-créatrice de « Corpus » . - Je suis professeur de sciences économiques et sociales. Dans le cadre d'un travail mené sur les programmes, j'ai contribué à mettre en place un groupe interassociatif et intersyndical dénommé « Corpus » et dont l'ambition est de réfléchir à l'évolution des programmes et des formations. J'ai également été directrice d'un institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) à Poitiers et formatrice depuis de très nombreuses années.
Avec Claire Pontais, nous avons essayé de dresser un bilan de ce qui existe actuellement dans les ESPE, par rapport à ce qui existait précédemment. Le référentiel des compétences professionnelles auquel vous avez fait allusion est certes nouveau, mais nous en avions déjà établi un en 2007, de façon moins concertée, mais dont la première compétence portait également sur les valeurs : outre la laïcité, le thème principal était celui de l'égalité.
La question de l'égalité était traitée de manière très satisfaisante, sous un angle plus philosophique que sociologique. Elle est restée présente dans la formation, de manière transversale. Sa place était toutefois marginale en termes de temps. Elle était en outre difficilement intégrée dans le reste du dispositif.
L'enquête que nous avons menée auprès des académies permet, selon le point de vue que l'on adopte, d'être optimiste ou pessimiste.
Nous sommes plutôt pessimistes en ce qui concerne la formation initiale, car nous sommes dans un « entre-deux ». Tout le monde sait que les heures de formation sont extrêmement réduites. Cela ne fait plus l'objet de débats. Or, les actions considérées comme les moins importantes pour le concours ont été les premières à en subir les conséquences. C'est ainsi que la question des valeurs a été limitée à la portion congrue. Il s'agit souvent d'une simple « récitation », sans réelle approche réflexive.
En ce qui concerne la formation continue, les retours de nos collègues traduisent globalement une ignorance de ce qui existe. L'écart entre les consignes venant du ministère de l'Éducation nationale et leur traduction sur le terrain est extrêmement important. Le non-remplacement des enseignants, en particulier dans le second degré, est notamment un frein pour la réalisation d'actions de qualité.
En ce qui concerne la formation, nous avons noté une très grande disparité dans la manière dont les ESPE prenaient en compte cette question. À Bordeaux, elle semble très bien intégrée en M1 et en M2. Vous avez cité Rennes en ce qui concerne l'analyse de pratiques mais je voudrais ajouter Nantes, qui a toujours joué un rôle de fer de lance dans ce domaine. J'ai été formatrice à Poitiers et nous avons beaucoup travaillé avec Nantes sur le sujet. La capacité à s'auto-observer et à réfléchir avec des outils d'analyse théorique y est vraiment mise en avant. Les collègues nous ont indiqué que cette dimension était également prise en compte dans les mémoires.
Sur le sujet de la transmission des valeurs aux élèves du secondaire, des actions très intéressantes étaient mises en oeuvre par le passé sur les stéréotypes. En tant qu'enseignante, j'ai abordé ce sujet pendant des années, en classe de seconde par le biais des heures du programme de sciences économiques et sociales dédiées à la socialisation et les adolescents y étaient très réceptifs. Initialement, le cours sur les stéréotypes durait trois heures. Il a été ramené à deux heures, puis à une heure et quart, non obligatoire, aujourd'hui. Il apportait pourtant beaucoup aux élèves. Ceci nous rappelle que nous ne sommes malheureusement pas toujours dans une dynamique de progrès et que, même dans ce domaine, nous observons plutôt une régression. C'est pour cela que nous devons être très vigilants car, par quelques coupes sombres, le moindre changement dans un dispositif peut entraîner des conséquences énormes que nous n'avions pas anticipées, d'autant plus que cette thématique peut encore être considérée comme marginale.
Je souhaiterais évoquer l'exemple de Bordeaux, car il me paraît particulièrement regrettable. L'application de la parité dans les élections aux ESPE a conduit à une moindre représentation des femmes, les formateurs étant souvent des formatrices. La parité par collège a donc abouti à faire élire davantage d'hommes. Certains se sont retrouvés d'office élus, car ils étaient seuls. Les conséquences ont été très violentes au niveau des directions. La situation à Bordeaux a même donné lieu à des auditions au ministère. La loi, qui se voulait progressiste, a engendré une configuration inédite, avec uniquement des hommes aux postes de directeur et de directeur-adjoint de l'ESPE, de président des universités et de recteur. Nous n'avions jamais connu une telle disproportion. Tout cela pour dire qu'une chose est de faire des lois, une autre est d'en mesurer les conséquences concrètes !
Pour en revenir à la formation, le bilan est mitigé. Les horaires constituent un frein. Je ne pense pas que certains fassent preuve de mauvaise volonté mais il faut avant tout former les étudiants aux exigences du concours. Si celui-ci ne repose que sur le français et les mathématiques, l'effort portera moins sur les valeurs.
Nous devons accompagner les enseignants sur le terrain. L'analyse des pratiques est une question fondamentale. Si les formateurs, quelle que soit leur discipline, ne sont pas formés à une approche théorique, nous ne progresserons pas. Il faut que cette dimension soit réellement intégrée, de manière profonde, dans leur parcours. Nous ne pouvons pas nous contenter d'un saupoudrage de quelques connaissances acquises à droite et à gauche.
Lorsque nous analysons les pratiques des enseignants dans la classe, nous décryptons leur attitude et leurs réponses vis-à-vis des filles et des garçons. Cette démarche permet ensuite de mieux aborder la question de l'orientation sexuée des élèves. Il faut montrer concrètement à chacun comment il se comporte, y compris après 20 ou 25 ans d'expérience d'enseignement. Nous ne devons pas nous focaliser uniquement sur les jeunes. Nos formateurs doivent être suffisamment solides pour remettre en cause, avec douceur et tact, les pratiques de tous les enseignants. Même s'il faut une impulsion qui vienne d'en haut, je crois que c'est avec ce travail de terrain que nous pourrons réellement faire évoluer les choses.
À ce sujet, le logiciel GAIA ne peut pas évaluer l'ensemble du travail effectué : il est possible de compter des journées de formation mais l'impact des interactions entre les formateurs et les enseignants est beaucoup plus difficile à appréhender.
M. Roland Courteau, rapporteur . - Comment devient-on formateur ? Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet ?
Mme Gisèle Jean . - En ESPE, certains formateurs sont recrutés à temps partagé, sur la base de leurs qualités pédagogiques. Il peut aussi s'agir d'une reconnaissance institutionnelle. J'ai travaillé ainsi pendant plus de quinze ans, à la fois en classe et, à l'époque, en IUFM.
Ces formateurs peuvent se former à la formation, de manière théorique, mais ce n'est pas une obligation. Ils sont généralement qualifiés de formateurs de « terrain », même si les autres le sont aussi.
Des formateurs, souvent des maîtres de conférences en sociologie, en psychologie, en sciences de l'éducation ou en communication, entrent aussi directement en ESPE. Ils sont recrutés par des commissions, selon les modalités propres à l'Université. Ils travaillent à temps plein.
Cette configuration devrait perdurer. La formation des formateurs sur des questions comme celle de l'égalité entre hommes et femmes est souvent faible ou inexistante. Pour les autres, elle dépend fortement des ESPE.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Mme Gohin semble vouloir réagir.
Mme Virginie Gohin . - Merci, Madame la Présidente. Je voudrais évoquer, pour compléter les propos de Mme Jean, un chantier crucial engagé par l'ancien ministre et poursuivi aujourd'hui. Nous sommes en train d'encadrer l'accès à la formation dans le second degré, la réglementation ne concernait que le premier degré. Ces personnes, à temps partagé, bénéficieront d'une décharge de trois à six heures pour se former.
Par ailleurs, le statut de formateur n'existe pas. Nous sommes en train de le créer. Le répertoire interministériel des métiers ne prévoit pas le métier de formateur. Nous souhaitons avancer sur le sujet pour consolider les formateurs et constituer un « vivier » pour la formation continue.
Il existe une certification pour les formateurs du premier degré, le certificat d'aptitude aux fonctions d'instituteur ou de professeur des écoles maître formateur (CAFIPEMF). Nous travaillons à la création d'un dispositif similaire pour les formateurs du second degré. Elle n'existait évidemment pas, puisque ceux-ci n'étaient pas statutairement reconnus.
Nous avons créé un réseau national depuis deux ans. Notre objectif est désormais de constituer un référentiel des formateurs, afin d'asseoir leur professionnalité. Cet exercice n'est toutefois pas évident à réaliser, car le métier est difficile à définir.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Ces précisions étaient importantes.
Mme Virginie Houadec, conseillère pédagogique auprès de l'Inspection de l'Éducation nationale (IEN) Toulouse rive-gauche et chargée de formation dans les ABCD de l'égalité . - Rappelons que, pour le premier degré, les professeurs des écoles passent un examen : le certificat d'aptitude aux fonctions de maître formateur. La procédure est très complète et s'étale sur toute une année.
Les enseignants doivent d'abord faire preuve de leurs compétences au sein de leur classe. Ils sont inspectés par un jury de cinq personnes, dont l'inspecteur départemental, et doivent obtenir une note minimale de 15. Ils doivent également être capables de réaliser une critique de leçon, c'est-à-dire de s'adresser à un collègue pour le faire avancer dans ses pratiques professionnelles. La procédure s'achève par la soutenance d'un mémoire.
Le « vivier » se sépare ensuite en deux groupes. Le premier a en charge la formation initiale des jeunes qui viennent d'être reçus au concours. Les maîtres formateurs délivrent des enseignements à l'ESPE et interviennent en classe trois jours par semaine. Ceux qui appartiennent au second groupe, dont je fais partie, deviennent conseillers pédagogiques et assurent la formation continue des enseignants en poste.
Mme Fanny Lignon, enseignante-chercheure, maîtresse de conférences en « cinéma-audiovisuel » à l'Université Lyon I . - Étant formatrice à l'ESPE de Lyon, cette présence sur le terrain m'a permis de constater ce que je peux qualifier de « dégringolade » des formations à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il y a quelques années, dix heures y étaient consacrées. Aujourd'hui, plus rien n'est prévu en M1 et les actions mises en oeuvre en M2 ne sont pas obligatoires. Nous prêchons donc face à un auditoire déjà convaincu.
Pourtant, nous avons de la matière ! Des mémoires sont réalisés sur le sujet, qui donne également lieu à des séminaires. Néanmoins, la réduction du temps consacré à cette problématique est patente. Ceci tient au fait que, depuis la « masterisation », nous devons faire la même chose qu'avant, en beaucoup moins de temps. Les thématiques transversales sont les premières à en avoir pâti. Le numérique a pu être préservé grâce à l'attribution de trois crédits ECTS (European Credit Transfer System) dans les nouvelles maquettes. Il reste donc enseigné à tous, par des spécialistes.
Quant à l'éducation à l'égalité entre hommes et femmes, malheureusement elle dépend avant tout des personnes : si elles sont très impliquées, des actions parviennent à se mettre en place.
En M1, les étudiants sont concentrés sur le concours. En revanche, en M2, la place existerait pour traiter le sujet. Il est toutefois nécessaire d'avoir une impulsion. Il faut que la question de l'égalité soit présente en permanence dans les esprits. Pour y parvenir, nous devons cependant nous appuyer sur un socle solide, à partir duquel l'irrigation sera possible.
La formation continue a également largement disparu. En outre, lorsque des actions sont mises en oeuvre, elles s'adressent à des personnes volontaires. Or ce sont les autres, celles qui ne se sentent pas concernées par le sujet, qu'il faudrait toucher.
Dans les ESPE, nous disposons de formateurs à temps partagé et à temps plein. Ils sont de tous les niveaux, ce qui fait aussi la richesse du dispositif. Nous regrettons toutefois de ne pas pouvoir faire intervenir suffisamment les maîtres formateurs titulaires du CAFIPEMF. Nous attendons, avec une grande impatience, qu'ils puissent revenir à la rentrée prochaine. Nous espérons que le système sera étendu au second degré.
Mme Nicole Abar, chargée de mission « suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité » au ministère des droits des femmes . - Une mission m'a été confiée conjointement par M. Vincent Peillon, alors ministre de l'Éducation nationale, et Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes.
Je suis actuellement détachée au ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais je n'en suis pas issue. Je peux donc avoir un regard libre. Un rapport de l'Inspection générale était paru juste avant ma prise de fonctions mais je n'ai pas voulu en prendre connaissance, pour conserver un regard sur le sujet. Je souhaite traiter la question de l'égalité entre les filles et les garçons de façon pragmatique et simple, comme je le faisais auparavant dans le cadre associatif.
En prenant mes fonctions, j'ai découvert des personnels très investis et dotés d'une passion incroyable pour leur métier.
Dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre des ABCD de l'égalité, j'ai parcouru 15 000 kilomètres depuis le mois de septembre, visité 34 écoles depuis le mois de janvier et participé à énormément d'actions sur le terrain. Je peux, par cette expérience, témoigner que la formation sur la thématique de l'égalité entre les filles et les garçons n'existe pas vraiment. Ceux qui répondent qu'ils ont bénéficié d'une formation sur ce thème, c'est-à-dire 5 %, sont ceux qui ont été touchés par le dispositif « Le foot est princesse », organisé par la Fédération française de football. Ce sont en général des professeurs d'éducation physique et sportive (EPS). Le déficit concerne à la fois la formation initiale et la formation continue.
Je le savais déjà mais j'ai pu à nouveau constater que, sur une thématique comme celle-ci, il faut du temps pour discuter. Il n'est pas possible de former des personnels à la va-vite et uniquement sur la base du volontariat.
L'école de la République doit travailler sur le vivre ensemble et sur la construction de l'estime de soi, avec ce qu'elle inclut en termes de respect, de partage, etc. En partant de ce postulat, il n'est pas possible de réduire la question de l'égalité à quelques enseignements disséminés ici ou là. Elle doit faire partie du socle de base et y occuper une place majeure.
Je conçois que le concours est une épreuve stressante mais ce n'est pas une raison suffisante pour écarter cette question du programme de formation ou reporter cet enseignement. Si elle est importante, elle doit être abordée sans attendre, avec un nombre d'heures suffisant.
L'effort doit être engagé dès le plus jeune âge. J'ai principalement travaillé en collège. L'adolescence n'est probablement pas la période la plus propice. Les jeunes sont confrontés à beaucoup de changements, qui se traduisent plutôt par un besoin des filles et des garçons de se séparer. Je pense que l'essentiel doit être réalisé chez les tout-petits.
Les enfants ont besoin de marcher, de courir, de découvrir ce qui les entoure. La motricité doit être une préoccupation majeure. Les jeux doivent être adaptés pour permettre à tous, filles et garçons, d'explorer tous les espaces.
J'ai découvert un document très intéressant issu du ministère de l'Éducation nationale qui précise toutes les normes de mètres carrés en fonction du nombre de classes, d'élèves, etc. Or en découvrant nos établissements, on constate qu'il est parfois impossible de courir dans la cour de récréation tellement elle est petite.
Les garçons conservent généralement cette aptitude à courir mais, dès l'âge de trois ans, les filles commencent à la perdre. Des enseignants ont montré que pendant le premier cycle, garçons et filles jouaient encore ensemble. En revanche, dès le deuxième cycle, la motricité des filles et celle des garçons commencent à évoluer différemment. Au troisième cycle, la séparation entre filles et garçons s'est réalisée. Les enseignants constatent que les garçons et les filles ont du mal à se donner la main pour faire la ronde.
La question de l'égalité doit être prise en compte sans attendre, de manière à travailler aussi sur les conséquences violentes que peut entraîner son non-respect. Je reste persuadée que la mise en oeuvre d'une telle démarche - qu'on l'appelle ABCD ou autrement - de la petite section au CM2 permettra de pacifier les relations entre les filles et les garçons au collège et d'avoir plus de tolérance sur la différence. Les violences conjugales en seront peut-être réduites. Nous travaillons sur la construction de la société de demain, ce qui justifie des investissements d'aujourd'hui.
L'égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans les textes depuis trente ans mais elle n'est pas totalement une réalité. La formation des enseignants, des formateurs et des cadres de l'Éducation nationale est fondamentale. Elle est une condition pour avancer. Nous ne devons pas considérer que les inégalités qui demeurent dans notre société ne seraient finalement pas très graves, car certaines femmes parviennent à faire des carrières, de la politique, etc. Quelques indicateurs peuvent effectivement laisser penser que des progrès ont été réalisés. Néanmoins, la perte pour la Nation, au-delà de quelques destins individuels, reste majeure du fait de ces inégalités persistantes.
Nous ne devons pas nous focaliser sur l'orientation. Celle-ci intervient trop tard. Comme dans les tableaux impressionnistes, les enfants reçoivent de multiples petits coups de pinceau depuis qu'ils sont nés. De manière inconsciente, nous contribuons ainsi à fabriquer des petites filles et des petits garçons.
La lutte contre les stéréotypes est justifiée en tant qu'ils produisent du handicap. Au-delà de la problématique que nous abordons ce matin, l'étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) a montré que le niveau social des élèves déterminait leur parcours scolaire et leur intégration future dans la société.
Nous mettons beaucoup de moyens dans l'école. Pendant le premier degré, celle-ci doit être centrée sur les valeurs de la République. Ainsi, nous pourrons optimiser tous les autres dispositifs, notamment dans le domaine de l'orientation. Les élèves pourront tirer parti de tous les possibles et enfin choisir leur destin.
Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de réunir les personnes autour d'une table et de leur demander de remettre en question leurs propres convictions. Cet exercice est complexe et demande de la délicatesse et de la diplomatie. L'histoire personnelle de chaque enseignant doit être respectée. Chacun a envie de bien faire, mais il faut comprendre que nous sommes aussi le résultat de cette construction sociétale que nous avons connue lorsque nous étions jeunes.
Il est essentiel de permettre aux enseignants de prendre conscience de la situation. S'ils se sentent personnellement touchés par la formation, je pense que nous aurons gagné. À partir du moment où cette prise de conscience existe, il est plus facile de faire évoluer ses pratiques professionnelles. Évidemment, ce travail est progressif. Il nécessite un investissement de long terme. Puisque nous nous adressons à des fonctionnaires, qui sont engagés dans leur métier pour de nombreuses années, prenons le risque de consacrer à ce projet tous les moyens nécessaires.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie pour ce moment d'optimisme.
Mme Claire Pontais, enseignante d'éducation physique et sportive (EPS) et formatrice à l'égalité dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) . - Je suis professeure d'éducation physique et formatrice dans un ESPE. Je réalise un certain nombre de formations à l'égalité, mais pas dans le cadre de mon ESPE, puisqu'il n'y a plus d'heures consacrées à ce thème.
Nous sommes confrontés à une importante baisse des horaires de formation à l'égalité. Celle-ci est liée au passage à des masters. Avec 30 % d'heures en moins, il n'est pas possible de travailler comme avant. La question de l'égalité entre les filles et les garçons n'est d'ailleurs pas la seule à avoir disparu. Le paradoxe, c'est que, alors que nous organisions des modules de plusieurs jours, nous étions très peu de formateurs. Aujourd'hui, les études sur le genre ont connu un certain essor. Nous avons donc potentiellement des ressources plus nombreuses pour travailler sur le sujet, mais moins d'heures !
La question de l'égalité entre les hommes et les femmes est toujours présentée comme très importante mais elle n'est plus prise en compte en tant que telle et doit souvent se contenter d'être intégrée dans les enseignements. Comme pour tous les sujets transversaux, il est souhaitable de la placer au coeur des apprentissages, à condition toutefois de savoir comment le faire.
La formation disciplinaire est, selon moi, une voie d'entrée essentielle, même si elle ne doit pas être exclusive. Il faut partir du contenu des enseignements et y intégrer la question de l'égalité.
En éducation physique, il est facile de constater que les filles sont moins sportives que les garçons. On dit l'inverse d'elles dans des matières plus intellectuelles, comme la littérature.... Nous entendons régulièrement des discours d'acceptation de cet état de fait. En éducation physique, certains proposent aux filles de faire du « step » , puisqu'elles n'aiment pas la compétition. Au final, nous risquons d'aboutir à des résultats totalement opposés à ceux que nous recherchions.
Certaines dimensions du sujet sont minimisées. Je ne suis pas opposée à l'organisation de conférences mais celles-ci ne parviendront pas à faire profondément changer les choses. Souvent, à l'issue de ces interventions, les personnes qui étaient convaincues le sont davantage et celles qui ne l'étaient pas les vivent comme une leçon de morale féministe.
Je plaide pour qu'il y ait au moins trois entrées différentes, qui pourraient être développées dans les ESPE. Il faut partir des valeurs, avec leurs apports théoriques, mais s'appuyer aussi sur des approches didactiques et professionnelles. Des outils sont essentiels pour éviter que les actions mises en oeuvre soient perçues comme des leçons de morale. La formation doit s'étendre de la licence à l'entrée dans le métier. Certains stéréotypes sont tellement enracinés en nous, même si nous n'en avons pas totalement conscience, qu'ils ne pourront évoluer que progressivement. Il n'est pas possible de travailler sur un tel thème, comme d'autres d'ailleurs, en quelques mois.
Mme Virginie Houadec . - Je suis conseillère pédagogique à Toulouse et j'appartiens à une équipe de recherche de l'ESPE Midi-Pyrénées.
A l'ESPE Midi-Pyrénées, un module de douze heures sur l'enseignant et son métier est prévu. Il intègre les questions de laïcité, d'égalité entre les filles et les garçons, etc. Ce dernier sujet représente trois heures, pour l'ensemble des étudiants de M1. Rien n'est, en revanche, prévu en M2.
Je sais que lorsque le sujet a été abordé au ministère, il a été indiqué que l'ESPE de Toulouse accordait douze heures à la question de l'égalité. Or ce temps comporte également le traitement d'autres problématiques. Ces petits glissements faussent la perception de l'effort réellement engagé. Il est dommage de ne pas avoir une vision claire de ce qui est effectivement fait sur le terrain.
Les enseignants sont, dans leur majorité, très « essentialistes ». Ils considèrent qu'il existe des natures différentes de l'homme et de la femme qu'il faut respecter. Il faut parfois un peu de temps pour leur faire prendre conscience des problématiques liées à l'égalité et à la liberté de choix des élèves.
Pour ma part, je ne crois pas à l'intérêt de l'organisation de débats sur ce sujet. Tout le monde donne son point de vue dans la salle, y compris les enseignants. Je suis persuadée que nous obtiendrons de meilleurs résultats en intégrant la question de l'égalité entre les filles et les garçons dans toutes les disciplines. Les programmes de l'Éducation nationale, qui sont en cours de révision, doivent la prendre en compte et la mettre en avant. Le sujet devrait irradier tous les champs et les trois paliers du socle obligatoire.
L'inégalité entre filles et garçons est la cause, pour notre pays, d'une perte d'intelligence, celle des filles. Il est crucial de ne pas laisser cette situation perdurer.
Il est extrêmement important aussi de former les inspecteurs, pour qu'une déclinaison soit possible au plus près du terrain. Nous ne pourrons pas former tous les enseignants en poste. Il paraît nécessaire également de former les cadres, notamment les principaux et proviseurs. Cela peut nous permettre de franchir une étape.
Les textes actuels sont de véritables supports, dont nous devons nous saisir.
À Toulouse, sept écoles sont engagées dans les ABCD de l'égalité. Les enseignants ont reconnu que la formation qui leur avait été dispensée leur avait permis d'identifier le problème. La mise en oeuvre de l'expérimentation sur le terrain a toutefois nécessité beaucoup d'accompagnement. Les premiers bilans sont en cours de réalisation. Apparemment, la violence aurait diminué dans les cours de récréation. Ce retour est extrêmement intéressant, même s'il ne s'agit, pour le moment, que de « ressenti ». Le fait que les enfants parviennent à échanger et à verbaliser un certain nombre de choses semble faire baisser la pression.
Plusieurs écoles de ZEP (zones prioritaires d'éducation) sont engagées dans le processus. Les ABCD de l'égalité ont permis une ouverture culturelle aux enfants issus de milieux populaires, grâce à la qualité des fiches pédagogiques présentées.
Mme Corinne Bouchoux . - Je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre engagement. Le sujet est en effet extrêmement difficile. Je fonde de grands espoirs dans le rapport de notre collègue mais je pense que nous allons nous heurter à de plus en plus de difficultés.
Je vais brièvement vous résumer la situation dans l'académie de Nantes au cours des derniers jours. En 2006, un établissement privé agricole a organisé, à l'initiative du conseiller principal d'éducation (CPE), une journée de la jupe et du respect. L'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur se sont saisis du dossier en 2009. Le dispositif fonctionnait. Le conseil général a apporté son soutien et financé un certain nombre d'actions. Une évaluation a été menée par des chercheurs.
La journée de la jupe et du respect est symbolique. Elle est le point d'orgue d'une opération menée, pendant un an, dans vingt lycées. Elle n'a donné lieu à aucun incident. La Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) a constaté le professionnalisme de l'organisation et aucun dérapage ne s'est produit. Il en a été de même avec la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE).
Malheureusement, nous sommes aujourd'hui confrontés à une entreprise de démolition systématique de la part d'un groupuscule minoritaire, qui n'hésite pas à saper le travail effectué par tous les acteurs de ces manifestations. Il est à craindre que les propositions que nous ferons donneront également lieu à des analyses caricaturales et souvent malveillantes.
Mme Fanny Lignon . - Il s'agit effectivement d'un vrai risque. Nous sommes parfois confrontés à des étudiants choqués ou qui s'opposent à nos actions, même si ce n'est heureusement pas la majorité. Nous avons donc réfléchi à des solutions, d'autant que j'appartiens également à une association qui oeuvre sur le thème du genre dans la formation. Nous pouvons aborder le sujet de front, comme dans les ABCD de l'égalité ou dans les conférences, ou, pour emprunter la formule de Spinoza, « avancer masqués ».
Nous pouvons travailler à partir d'exemples concrets et peu discutables, comme le sexisme dans les catalogues de jouets. Le débat pourra être productif, car il est impossible de nier la réalité des images. Celles-ci sont un support commode pour initier des discussions.
Pour pouvoir déconstruire les stéréotypes, il faut préalablement les identifier. Il faut ensuite savoir ce que l'on veut reconstruire à la place. Le problème n'est pas que des petits garçons jouent au football mais que les petites filles ne puissent pas le faire également. Évidemment, l'objectif n'est pas que toutes les petites filles jouent au football mais qu'elles en aient la possibilité si elles le souhaitent. A l'inverse, les petits garçons doivent avoir le choix de faire de la danse. Tout le monde doit pouvoir accéder à tout, ce qui me semble être une parfaite valeur républicaine.
Mme Nicole Abar . - L'école républicaine accueille les enfants pendant de nombreuses années. Nous avons donc tout le temps d'aborder ce sujet, qui fait partie des programmes, et de nous doter d'outils pour le traiter. Ces derniers sont déjà très nombreux.
Nous n'attendons pas un nombre d'heures passées sur les ABCD de l'égalité mais une prise de conscience. L'objectif est de permettre aux enseignants et aux formateurs de prendre du recul par rapport à leurs propres représentations, de manière à pouvoir faire évoluer leurs pratiques pédagogiques.
J'ai pris par hasard le livre « Ma Maman » d'Anthony Browne dans une bibliothèque. En le feuilletant, j'ai constaté que cette maman pouvait être danseuse mais aussi grand patron. Néanmoins, quand elle exerçait cette fonction, elle était représentée habillée en homme, avec un costume et une cravate. Je l'ai immédiatement repéré, par habitude, mais la plupart des personnes avec lesquelles j'ai évoqué le sujet ne voyaient pas les choses comme cela.
Une collègue m'a indiqué qu'il existait également « Mon Papa » d'Anthony Browne. Lui aussi peut être danseur mais il ne change pas pour autant de costume.
Ces deux livres sont de qualité dans le fond mais traduisent que les femmes doivent encore trop souvent, lorsqu'elles sortent de leur sphère traditionnelle, endosser le costume de l'homme.
Beaucoup d'enseignants qui ont suivi des formations pensaient qu'ils n'en avaient pas besoin. Leur opinion a ensuite radicalement changé. La vidéo de Pascal Huguet sur les mathématiques et le dessin les a laissés muets et atterrés. Tous les ESPE devraient la diffuser.
Nous devons cependant savoir où l'Éducation nationale doit s'arrêter. Je voudrais vous citer l'exemple d'une enseignante travaillant sur des images avec des tout-petits. Celles-ci représentent un homme faisant la vaisselle, une femme qui essuie la vaisselle et les deux qui essuient la vaisselle ensemble. La présentation est très neutre, sans jugement de valeur. Malheureusement, l'enseignante a terminé l'exercice en interrogeant chacun sur ce qui se passait chez lui. Je ne pense pas que ce soit notre rôle.
À ceux qui nous reprocheraient de nous immiscer dans la sphère privée, je répondrais que les femmes réalisent dix-huit heures de tâches ménagères de plus que les hommes chaque semaine, ce qui les empêche de faire du sport ou de prendre des postes à responsabilités. Nous devons donc retravailler cet équilibre domestique, afin de leur permettre de s'épanouir dans tous les champs de la vie et également de permettre aux hommes de s'impliquer davantage dans leur foyer. Nous construisons la société de demain.
Mme Claire Pontais . - Nous avons évoqué tout à l'heure le concours mais il me semble que nous pourrions intégrer ce sujet dans les épreuves. En éducation physique, nous ne pouvons pas ignorer la question de l'égalité entre les filles et les garçons. Je tiens ce discours à mes étudiants, même si je ne suis pas certaine que les jurys soient formés.
Nous pourrions également valoriser les travaux menés par les étudiants sur certaines thématiques, en remettant des prix, à des mémoires par exemple.
La formation des cadres est importante mais nous ne parviendrons pas à la réaliser à grande échelle. Il serait déjà souhaitable qu'un inspecteur par département porte ce sujet de l'égalité entre filles et garçons. J'ai fait référence à un inspecteur volontairement, car il faut aussi que des hommes se mobilisent.
M. Roland Courteau, rapporteur . - A quoi les enfants sont-ils le plus réceptifs dans les ABCD de l'égalité ?
Mme Nicole Abar . - Dès que vous arrivez à leur faire comprendre que « ce n'est pas juste », vous avez gagné. Je peux vous citer l'exemple d'un enseignant de Fécamp qui travaille sur les sagas familiales. Lorsqu'il raconte qu'à une époque, les petites filles n'allaient pas à l'école, tous les élèves trouvent cette situation injuste. Les situations peuvent évoluer relativement vite.
Pour les élèves comme pour les enseignants, l'objectif est uniquement d'ouvrir le regard et de donner la possibilité de remettre en question l'ordre établi.
Les enseignants ne sont pas formés pour faire des activités physiques et sportives avec les enfants. Ils ne savent pas développer les schémas moteurs qui permettent aux filles de devenir également compétentes avec un ballon au pied et d'expérimenter des activités diversifiées. Les enfants ne sont pas sexistes : ils rejettent l'incompétence. Notre rôle est de leur permettre de devenir multi-compétents, pour ensuite choisir des activités en fonction de leurs envies, de leurs copains, etc. Les équilibres pourront enfin changer.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie pour ces échanges passionnants.
Annexe 2
Programme des auditions
73
(
*
)
de
M. Roland Courteau,
rapporteur
Organisme |
Personnes auditionnées |
Date |
École normale supérieure de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESENESR) |
M. Jean-Marie Panazol , inspecteur général de l'Éducation nationale |
Mardi 6 mai 2014
|
Ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche |
Mme Florence Robine , directrice générale de l'enseignement scolaire, sur l'éducation à la sexualité |
Mercredi 21 mai 2014
|
* 73 Le rapporteur a ouvert à l'ensemble des membres de la délégation ses auditions.