Audition de M. Thierry Tuot, Conseiller d'État, Président du groupe de travail sur la réforme du code minier
M. Serge Larcher , président
Nous accueillons maintenant pour notre dernière audition M. Thierry Tuot, conseiller d'État, qui a présidé le groupe de travail préparatoire à la réforme du code minier.
M. Thierry Tuot, conseiller d'État, président du groupe de travail sur la réforme du code minier
La plupart des questions qui vous intéressent et qui concernent l'outre-mer n'ont pas été traitées par le groupe de travail et il reste un vide qu'il appartiendra à la représentation nationale de combler. Le gouvernement précédent a procédé à une recodification d'un code datant de 1810 et dont la cohérence avait été affectée par les stratifications successives. Le Conseil d'État a souligné sa non-conformité à la Charte de l'environnement et la nécessité d'une actualisation pour y intégrer le principe de la consultation du public.
Un groupe de travail dont la présidence m'a été confiée a alors été mis en place, sa mission ayant une portée technique mais aussi politique du fait de ses implications environnementales et sociales, l'acceptabilité du développement et de ses conséquences constituant une donnée centrale. Ce groupe de travail a réuni des parlementaires, notamment d'outre-mer, des élus locaux, des représentants des industriels, grandes fédérations minières et MEDEF, des représentants des syndicats de salariés et des associations environnementales. Un travail mené pendant trois mois à l'automne 2012 a permis de dégager des principes conduisant à une refonte du code minier excédant largement un simple toilettage technique. Sur cette base, le Gouvernement a arrêté des orientations conformes à nos préconisations et, de février 2013 à janvier 2014, date de la dernière réunion, nous avons écrit un nouveau code pour régir la recherche, la découverte, l'exploitation, le contrôle et la fermeture d'une exploitation, ou encore les principes fiscaux applicables. Nous avons laissé ouvert le dernier livre concernant l'outre-mer auquel la dernière réunion préparatoire de décembre 2012, tenue sous l'égide du ministre des outre-mer et réunissant des parlementaires de ces territoires, avait été consacrée. Le projet de code comprend un tronc commun de principes qui peuvent ensuite être déclinés par milieu, terrestre ou marin, continental ou insulaire, par matière telle que granulat, pétrole ou géothermie, ou encore par usage tel que stockage ou extraction. Concernant l'outre-mer, nous avons constaté l'applicabilité des principes ainsi dégagés tout en observant que les adaptations nécessaires comportaient une forte dimension politique en lien avec la solidarité nationale, soulevant des questions relatives à l'endossement de la responsabilité en cas de sinistre et au partage des richesses entre État et collectivité en cas de découverte de gisements exploitables. Nous avons considéré que ces questions ne ressortissaient pas à la compétence d'un simple groupe de travail. Notre recommandation a donc été de ne pas remettre en cause les aménagements déjà en vigueur tels que les compétences transférées à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française, et de renvoyer à la décision de la représentation nationale les arbitrages à opérer sur les questions de responsabilité, de partage des richesses et de maîtrise du développement. À titre personnel, je considère que le volet ultramarin du code doit permettre la mise en place d'un modèle de développement autocentré.
M. Joël Guerriau , co-rapporteur
Quel est selon vous le principal enjeu de ce code minier ?
M. Thierry Tuot
L'avenir économique et stratégique de notre pays se joue autour des richesses de notre sous-sol et, notamment, des ressources minérales et terres rares nécessaires au développement des nouvelles technologies, comme l'imagerie médicale. Des gisements dont l'exploitation ne serait pas rentable aujourd'hui peuvent éviter la pénurie demain. Ces richesses peuvent devenir vitales pour des pans entiers de nos économies. Il convient de noter que, contrairement à la Chine, nous n'avons jamais mené de recherches de terres rares. Nous ne disposons d'aucune évaluation fiable pour les potentiels ultramarins, le dernier inventaire concernant la seule métropole. En outre, toute évaluation des ressources est très coûteuse et le BRGM lui-même ne dispose pas des moyens d'analyser les carottages qu'il a pu effectuer. Une telle démarche, du fait notamment de son coût, suppose une véritable adhésion de la société ; or, la crise récente des gaz de schiste a plutôt révélé une défiance des populations. L'enjeu des procédures proposées par le nouveau code minier est de restaurer la confiance, de rendre possible l'exploitation des ressources nécessaires dans des conditions environnementales et sociales acceptables par l'émergence d'un consensus. Cela suppose une participation effective des populations à tous les stades de la procédure, une totale transparence passant par une information précoce des élus locaux, des mécanismes de co-décision et de suivi ainsi que l'affirmation préalable de la solidarité nationale en cas de sinistre. Cet équilibre doit faire l'objet d'ajustements outre-mer en fonction des contextes locaux et des choix de société ; cela passe par l'organisation de conférences régionales permettant de définir les conditions sociales et environnementales de l'acceptabilité de l'exploitation des richesses.
M. Jean-Étienne Antoinette , co-rapporteur
Votre analyse est séduisante pour les parlementaires d'outre-mer que nous sommes ; toutefois, se pose la question du calendrier de rédaction du livre 8 consacré aux outre-mer car aucun processus n'est engagé à ce jour et les procédures d'autorisation en Guyane sont suspendues. Le recours aux ordonnances pour ce volet ultramarin privera la représentation nationale d'un débat de portée nationale, la question par exemple de l'exploitation offshore d'hydrocarbures et de l'indépendance énergétique ne concernant pas le seul échelon local. L'enjeu est patrimonial et stratégique pour les territoires ultramarins, mais aussi pour la France. Au-delà des principes de répartition de la manne fiscale, sur la base de 70 % pour les collectivités et de 30 % pour l'État, quelques principes de gouvernance auraient pu être définis car les aspirations à la déconcentration du processus décisionnel paraissent partagées sur l'ensemble du territoire national.
M. Thierry Tuot
Sur les enjeux économiques, l'importance du code minier pour la métropole ne doit pas être sous-estimée ; il y a par exemple une forte dépendance aux stockages souterrains de gaz, spécificité française, qui sont régis par ce code. La transition énergétique et le recours aux granulats pour la construction constituent également un enjeu actuel majeur.
Concernant le calendrier d'examen du code, il est de la compétence du Gouvernement qui semble s'orienter vers une loi d'habilitation où figureraient tous les principes novateurs préconisés par le groupe de travail, permettant ainsi un débat parlementaire de fond sans pour autant procéder à l'examen technique de chacun des 450 articles. Les projets d'ordonnance seraient portés à la connaissance de la représentation nationale en vue de ce débat.
M. Charles Revet
L'exploitation des potentiels de ressources pose la question de leur connaissance concrète, de leur évaluation, nécessaire à la prise de décision par l'autorité politique eu égard à la sensibilité des populations à ces questions à l'heure actuelle.
M. Thierry Tuot
Le projet de code instaure précisément des principes structurants pour permettre le déroulement serein du processus de décision. Outre-mer, certaines situations paraissent aujourd'hui figées ; il appartient aux autorités politiques locales de définir des projets de développement auxquels s'adosserait le consensus. Dans certaines collectivités comme la Polynésie ou la Calédonie, des codes miniers locaux existent déjà.
M. Jean-Étienne Antoinette , co-rapporteur
Le 21 février prochain auront lieu à Kourou des états généraux de l'orpaillage avec la mise en place d'un opérateur public. L'absence de code minier constituera nécessairement une gêne.
M. Thierry Tuot
En cas de création d'un opérateur national guyanais monopolistique dont la gouvernance reviendrait à la collectivité, il conviendrait de lui transférer les pouvoirs d'autorisation détenus par l'État.
Il revient aux collectivités ultramarines de déterminer en premier lieu quelles richesses elles entendent exploiter avant de définir les conditions de leur exploitation en termes de débouchés économiques, de développement d'infrastructures, d'enjeux de politique régionale ou encore de sécurité. Les procédures administratives et l'adaptation du code minier doivent se caler sur les objectifs politiques et la stratégie de développement, et non l'inverse. La question de la fiscalité minière par exemple fera nécessairement l'objet d'un traitement différent de celui qui sera en vigueur dans l'hexagone où cette question sera réglée au niveau des intercommunalités.