Audition de M. Olivier
Appert, président de l'Institut français du pétrole et des
énergies nouvelles, et de M. Honoré Le Leuch, conseiller
auprès du président
M. Olivier Appert, président de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN)
Nous sommes un établissement public. Notre métier, c'est l'intervention dans le domaine de l'énergie et de la transition énergétique. Je vous remets un dossier de synthèse de ma présentation.
Je rappelle l'enjeu international de l' offshore : il concerne 25 % des réserves d'hydrocarbures - les volumes augmentent année après année - les réserves de gaz offshore représentent environ 30 % des réserves totales.
Aujourd'hui, l' offshore représente 30 % de la production d'hydrocarbures conventionnels, la plus grande partie de la production vient des gisements situés à plus de 1 000 mètres de profondeur. Les progrès technologiques ont rendu possible l'exploration de gisements de plus en plus profonds. On met, actuellement, en production des gisements à des profondeurs supérieures à 2 500 mètres.
Vous connaissez l'ampleur du domaine maritime français : il pourrait s'agrandir encore si toutes les demandes d'extension du plateau continental déposées auprès de l'ONU étaient acceptées.
Le potentiel pétrolier des ZEE françaises doit s'apprécier par rapport à la proximité des gisements des zones de consommation, d'où l'intérêt du Golfe du Lion, zone encore inexplorée, mais des découvertes ont été faites en Égypte, au Liban, en Israël, à Chypre ; Saint-Pierre-et-Miquelon est une zone attractive, mais la ZEE est extrêmement réduite.
La Nouvelle-Calédonie est totalement inexplorée, mais pourrait être intéressante. Les Îles Éparses présentent aujourd'hui un intérêt particulier, suite à des découvertes importantes de gaz au Mozambique et en Tanzanie. Les Antilles représentent aussi un potentiel.
Les enjeux de l'exploration-production s'expliquent par leur impact sur la facture énergétique, le déficit commercial étant de l'ordre de 70 milliards d'euros, dont les importations d'énergie représentent la quasi-totalité.
Les exportations d'électricité atténuent la facture énergétique, pour un solde exportateur de 2 à 3 milliards d'euros par an seulement, à comparer avec la facture pétrolière de 50 milliards d'euros.
Le développement de l' offshore est une opportunité de création d'emplois pour les entreprises françaises : les investissements totaux s'élèvent dans ce secteur à 200 milliards d'euros dans le monde.
Grâce à une politique continue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la France dispose de leaders mondiaux : CGG, Vallourec, Technip, sociétés créatrices d'emploi. Le chiffre d'affaires total du secteur parapétrolier s'élève à 35 milliards d'euros.
M. Le Leuch, conseiller du président de l'IFPEN
La Guyane française présente des analogies avec la marge équatoriale africaine, au Ghana et en Sierra-Leone. Les premiers résultats des explorations menées sont encourageants. Il faudra néanmoins plusieurs forages d'évaluation avant qu'une décision d'exploitation puisse être prise.
La marge offshore de la Guyane présente également des analogies avec le Surinam et le Guyana. De nouveaux permis d'exploration viennent d'être ouverts début 2013 au Surinam et au Brésil. Dans tous ces pays riverains, l'exploration nécessitera beaucoup plus de forages, pour en estimer le potentiel commercial.
Il y a 90 millions d'années, avant la séparation du Brésil et de l'Afrique, il y avait une continuité entre les marges équatoriales américaine et africaine. En Afrique, les gisements commerciaux ont nécessité une trentaine d'années d'exploration. Tout a changé en 2007, où une impulsion forte a été donnée, notamment au Ghana et en Sierra Leone. Les découvertes en Afrique redonnent de l'intérêt au bassin des Guyanes, dont le dossier qui vous a été remis présente une carte.
Au Surinam, des découvertes ont été faites à terre, il y a longtemps, mais la production reste faible. Ce pays espère des découvertes offshore . Au Guyana, une découverte a été faite par Shell dont le potentiel commercial n'a pas été considéré comme suffisant. Un puits offshore a été abandonné pour des raisons techniques (surpression). Exxon fait actuellement une sismique 3 D en vue de décider de nouveaux forages. Ce bassin est situé entre ceux du Brésil et du Venezuela, très riches.
Les activités pétrolières offrent des opportunités de développement économique. Le nombre d'emplois induits est plus important dans le secteur des services. Le contenu local des activités est relativement faible pendant les phases d'exploration, mais augmente dans la phase de production et d'exploitation commerciale des gisements.
L'aspect formation est particulièrement important, l'IFP School a participé à des activités en Guyane, pour anticiper les besoins.
On ne peut parler d'hydrocarbures offshore sans parler de Macondo. Le risque zéro n'existe pas, même si le dernier état de l'art est utilisé pour éviter les risques.
La plus importante pollution eut lieu au Koweït lors de la guerre du Golfe en 1991. Il y eut auparavant, en 1979, une pollution importante au Mexique. Les accidents les plus nombreux sur les quarante dernières années sont liés au transport par tanker ; tout le monde se souvient de l'Amoco Cadiz. Mais ils diminuent ces dernières années. La catastrophe de Macondo a été un coup de semonce pour le monde pétrolier. Macondo a coûté environ 50 milliards de dollars à BP, compagnie qui est en train de passer du premier rang à la seconde division.
La profession a mis en place des moyens d'intervention rapides. Des équipements peuvent ainsi être mobilisés dans le Golfe de Guinée, dans le Golfe du Mexique, en Mer du Nord : c'est la Marine Well Containment Company , qui remédierait à la pollution en cas d'accident.
Sur la modernisation du code minier, nous avons participé aux travaux du groupe Tuot qui devrait se réunir à nouveau à partir de début avril. Cette réforme est justifiée, car les précédentes adaptations ont été faites à droit constant.
Des pays de l'OCDE ont récemment modernisé leur code minier. Chez nous, il est fort ancien et les dispositions relatives aux hydrocarbures conventionnels ont été progressivement rajoutées.
Les modernisations sont liées aux orientations nouvelles de la politique du secteur.
L'exploration du sous-sol est faite de manière à entraîner des retombées pour l'économie et l'emploi. Il importe d'analyser les difficultés d'application des codes existants et de lever les freins qui brident le développement des activités minières.
Les meilleures pratiques suivies à l'étranger se concentrent sur le respect de l'environnement, l'information du public, une plus grande concurrence, une meilleure surveillance administrative, une modernisation de la fiscalité.
Il importe de définir si l'on veut modifier ou refondre le code. Une solution mixte regroupant les dispositions spécifiques aux hydrocarbures emporte notre faveur.
Quels en sont les enjeux principaux ? Moderniser les procédures d'octroi de permis serait intéressant, en raccourcissant les délais, avec une procédure d'appel d'offres sur des périmètres prédéfinis.
Deuxième objectif : le respect de l'environnement et la responsabilité environnementale ; l'information du public est nécessaire, dans des délais raisonnables, par des procédures appropriées.
Le nouveau code doit accroître la surveillance par l'approbation (et non la simple déclaration) préalable des travaux majeurs.
Il importe aussi d'améliorer la sécurité juridique des titres miniers par plus de transparence et de réactivité dans les procédures administratives, pour réduire les retards dans les prises de décisions qui limitent l'attractivité des permis, donc les investissements et la valorisation du sous-sol.
La participation du public, l'acceptation des procédures de recours sont également nécessaires.
M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur
Merci pour votre exposé.
Pour moderniser la délivrance des permis, êtes-vous en faveur d'un titre unique ? Quels en seraient les avantages et les inconvénients ? Le Brésil, dites-vous, s'inscrit davantage dans une procédure d'appels d'offres : est-elle à généraliser ? Le directeur de Shell nous a confirmé que, dans une première phase, l'impact sur l'emploi et sur l'activité économique est faible : sur 10 millions d'euros, 8 millions d'euros se trouvent hors du territoire concerné, la Guyane. Ne faudrait-il pas contractualiser ces retours sur le territoire, sans pour autant les inscrire dans le code minier ? Lors de l'audition, un sénateur a fait observer que la part des industriels français n'est guère importante. N'y a-t-il pas là une incitation à revoir les procédures de délivrance de permis d'exploration et d'exploitation ? Enfin, la réforme du code minier tire-t-elle les enseignements des accidents intervenus ?
M. Honoré Le Leuch
Un titre minier unique, non. Le schéma actuel prévalant dans la plupart des pays, est celui d'un titre exclusif de recherche, qui conduit à l'octroi d'une concession d'exploitation en cas de découverte aboutissant à un gisement commercial. En ce cas, un plan de développement et d'exploitation est préparé.
Le permis d'exploration couvre plusieurs milliers de kilomètres carrés. Pour Jubilé, la concession d'exploitation fait 110 kilomètres carrés. Cette différence de taille explique pourquoi il y a deux titres miniers et non un titre unique.
Les bonnes pratiques internationales que nous avons étudiées donnent le maximum de flexibilité. Il faut maintenir un système mixte avec des appels d'offres et des demandes spontanées suivies de mises en concurrence, imposées par Bruxelles, qui ne portent pas nécessairement sur des périmètres identiques.
La diversité des ZEE françaises nécessite ces deux systèmes. Les appels d'offres pourraient être utilisés dans certains cas.
Quant aux retombées, tout dépend de la nature de l'exploration, phase où il y a des travaux intermittents. Un forage d'exploration dure de trois à six mois et implique des investissements extrêmement coûteux. Les forages au large de la Guyane coûtent plus de cent millions de dollars. En phase de développement, on passe à une autre échelle, de durée, trois ans, et d'investissements, de plusieurs milliards de dollars.
Il faut préparer le futur par la formation, pour être prêts quand il y aura de la production.
L'exemple de BP le montre, un opérateur pétrolier doit être bien choisi - il faut vérifier ses compétences techniques et financières - afin qu'en cas d'accident, avec ses associés, il soit en mesure de réparer. Ces mesures de réparation sont à la charge des titulaires de permis qui doivent aussi prendre toutes les dispositions pour nettoyer la zone polluée. Ces principes valent partout dans le monde.
En outre, en cas de gisement commercial, existe une obligation, à la fin de l'exploitation, d'enlever toutes les installations et de remettre en état la zone concernée. Cela fait partie des modernisations à inclure dans le code minier.
M. Olivier Appert
Shell fait partie des sociétés qui présentent toutes les garanties. Macondo a exclu de l' offshore profond les compagnies moyennes qui n'auraient pas les moyens financiers d'assumer leurs responsabilités, comme peuvent le faire BP, Total ou d'autres.
Le code minier actuel est très complexe, ce qui conduit à de longs délais qui dissuadent les investisseurs, sans pour autant instituer de garanties suffisantes de respect de l'environnement et d'information du public. C'est l'une des préoccupations de Delphine Batho. Tels sont les enseignements que nous tirons du benchmark international que nous avons réalisé avec Honoré Le Leuch, expert près la Banque Mondiale, qui connaît très bien les codes miniers de nombreux pays.
M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur
Selon nos auditions, nous arriverons courant mai à une troisième phase d'exploration. De nouvelles demandes affluent. Quel est le potentiel de cette zone ? Les profondeurs sont importantes. Les investissements sont très lourds. Nous pensons qu'il y aura des retours. Quel en sera le cycle, quelles en seront les retombées macroéconomiques ? Au bout de combien d'années apparaîtront-elles ?
M. Olivier Appert
Dans la profession pétrolière, un forage qui donne du pétrole ou du gaz, c'est la bonanza ; un forage sec, c'est la vie. La première phase a été encourageante, la deuxième un peu décevante, le gisement semblant moins étendu qu'il y paraissait au premier abord. Néanmoins, des points intéressants ont été constatés, qui font l'objet des forages actuels. Le propre du métier pétrolier est d'alterner les succès et les échecs. De nouveaux travaux sont nécessaires avant de prendre la décision d'engager des milliards de dollars d'investissements. La phase d'exploration dure cinq ans, avant la phase de développement. Même s'il n'y a pas de production, c'est au cours de cette phase de développement qu'il faut prévoir des installations sur place, plus intéressantes pour les opérateurs qu'une logistique organisée, comme elle l'est actuellement, sur des bases arrière plus éloignées à partir du Surinam et de Trinidad et Tobago. D'où l'enjeu crucial de la formation locale.
M. Honoré Le Leuch
Aujourd'hui, les retombées socio-économiques sont un objectif nécessaire pour toutes les compagnies pétrolières. Dans une phase de développement, les aspects techniques et d'investissements sont complétés par un plan visant à maximiser ces retombées locales et décliné en programmes d'action revus annuellement. Vous avez créé une commission en ce sens. Je reviens d'un pays où l'explorateur a facilité la mise en place d'un centre destiné à créer des entreprises locales et à leur donner du travail.
M. Olivier Appert
Je reviens sur l'attractivité de la zone des Guyanes. En 2005, elle ne présentait guère d'intérêt. Mais, depuis, le paradigme a changé avec les découvertes faites au Brésil et au Ghana, qui ont donné une actualité nouvelle à cette zone. Cela ne veut pas dire que dans cinq à dix ans il y aura des productions considérables. Il en va de même en Afrique de l'Est, où aucun pétrolier ne serait allé il y a dix ans. Espérons que les découvertes seront couronnées de succès et que les retombées sur l'économie locale de la manne pétrolière seront anticipées.
M. Michel Vergoz
Les moyens de l'IFPEN sont-ils conformes à ses missions ?
M. Olivier Appert
Non. Je vous ai remis une brochure présentant l'IFPEN. Notre raison d'être, à l'origine, c'était les hydrocarbures. Nous l'avons élargie aux nouvelles technologies nécessaires pour assurer la transition énergétique. Nous travaillons en liaison étroite avec les entreprises pour leur fournir, grâce à nos recherches, les technologies et les produits et services dont elles ont besoin. Nous valorisons nos travaux par les filiales que nous créons, ce qui finance la moitié de notre budget et crée des emplois. Ainsi, l'une de nos filiales a embauché 300 personnes sur le site industriel traditionnel d'Alès. Ce modèle a prouvé son efficacité.
Mais notre financement budgétaire a été réduit depuis 10 ans de 45 % en euros constants et je suis inquiet, compte tenu des informations qui me parviennent sur notre dotation budgétaire pour 2013 : on nous annonce une réduction de 8 millions d'euros et une nouvelle baisse pour l'an prochain. Nous devrons, en ce cas, arrêter des programmes et réduire les effectifs.
M. Jean-Étienne Antoinette, rapporteur
Ne peut-on imaginer qu'un établissement national soit chargé de la phase d'exploration avant de lancer des appels d'offres pour l'exploitation ? Il est vrai que cela nécessiterait des moyens financiers très importants.
M. Olivier Appert
Ce mécanisme a été mis en place en Norvège, pays pétrolier très mature. Je peux y réfléchir. Mais tout dépend du succès du forage en Guyane. Dois-je rappeler que la mode, il y a encore quatre ou cinq ans, prétendait que le pétrole était fini ? On peut y penser. Nous disposons des compétences liées à notre histoire. Nous avons travaillé dans le domaine des technologies des plateformes offshore . Nous avons des compétences en géosciences que nous mettons à disposition des pouvoirs publics, notamment à travers notre participation au groupe de travail sur la réforme du code minier.