(Jeudi 15 Novembre 2012)
Visio-conférence avec M. Temauri Foster, ministre des ressources marines du gouvernement de la Polynésie française, et M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française
M. Serge Larcher, président
Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité car le décalage horaire entre la Polynésie et l'hexagone, de 11 heures depuis le passage ici à l'heure d'hiver, vous conduit à nous rencontrer à 22 heures, heure locale.
Cette visioconférence est une première pour la délégation à l'outre-mer qui fêtera bientôt son premier anniversaire et j'espère qu'aucune saturation des réseaux du côté des États-Unis ne viendra perturber ou interrompre nos échanges. La thématique des zones économiques exclusives nous fait aborder décidément de nombreux défis techniques !
Notre délégation a en effet choisi comme sujet d'étude les ZEE ultramarines : à travers de nombreuses auditions, nous en explorons semaine après semaine les ressources et les enjeux. Ces enjeux sont évidemment majeurs pour les collectivités des outre-mer et il était donc indispensable de recueillir l'expression d'autorités politiques locales sur ce sujet : Richard Tuheiava, un de nos trois rapporteurs, avec Jean-Étienne Antoinette, sénateur de Guyane et Joël Guerriau, sénateur de Loire-Atlantique, n'a pas manqué d'attirer notre attention sur ce point.
Je vous donne la parole.
M. Temauri Foster, ministre des ressources marines du gouvernement de la Polynésie française
C'est un grand honneur pour moi d'être entendu par la délégation sénatoriale à l'outre-mer. La Polynésie française est une poussière d'îles, située au coeur d'une immense zone maritime de 5 millions de km 2 . Nos 119 îles représentent 270 000 habitants, un PIB de 4,2 milliards d'euros, et un taux de chômage estimé à plus de 12 %. La Polynésie ressent fortement la crise, avec une chute du PIB de 10 % sur la décennie.
Je vais tout d'abord vous présenter un rapide panorama des secteurs économiques auquel s'intéresse le ministère des ressources marines. En 2011, les produits de la mer, la pêche, l'aquaculture et la perliculture représentaient une production de 11 000 tonnes pour une valeur estimée à plus de 142 millions d'euros ; la perliculture et la pêche sont les première et deuxième ressources du pays à l'exportation.
Les énergies renouvelables marines représentent une production annuelle de 200 millions de KWh et 28 % de la production totale d'énergies renouvelables. Nos objectifs fixés par le schéma directeur des énergies renouvelables nous conduiront à privilégier les projets hydroélectriques tout en optimisant la filière photovoltaïque et en préparant l'avenir avec des projets pilotes sur les énergies du futur. En 2018, 38 % de notre production d'électricité devra venir des énergies renouvelables, contre 28 % aujourd'hui.
Pour atteindre nos objectifs économiques, toutes filières confondues, des mesures d'accompagnement sont indispensables : refonte de notre cadre réglementaire et institutionnel ; nécessité de mieux gérer et protéger nos ressources ; évaluation et refonte de notre dispositif d'aides avec le souci de plus d'efficacité et d'équité ; développement de nos coopérations régionales et internationales ; formation de notre jeunesse et des acteurs de ces filières. Notre programme est ambitieux, et correspond aux enjeux économiques, sociaux et énergétiques que nous devons relever. La réduction de notre dépendance aux énergies fossiles est notamment un objectif crucial pour nous. Nous avons fixé comme objectif d'augmenter le chiffre d'affaires du secteur des énergies marines d'ici 2018. Mais les équipements structurants sont très coûteux. Nous cherchons des financements nationaux et internationaux, publics ou privés. Nous avons besoin du soutien de la métropole pour financer des investissements lourds, notamment en matière d'énergies renouvelables et de pêche. Nous souhaitons bien sûr le maintien du dispositif de défiscalisation.
Enfin, j'exprime toutes mes préoccupations sur la diminution des moyens déployés pour surveiller notre immense zone économique exclusive. Enfin, nous sollicitons un accompagnement renforcé dans la recherche et développement de nos filières les plus importantes.
M. Serge Larcher, président
Je vous remercie, Monsieur le ministre. Vous avez soulevé le problème de la souveraineté sur nos espaces maritimes. La rédaction d'un Livre blanc de la Défense est actuellement en cours ; notre préoccupation est d'y affirmer notre volonté de protéger, sauvegarder et surveiller les espaces maritimes de tous nos outre-mer, afin que nos richesses halieutiques et minières ne soient pas exploitées par d'autres. La France doit se doter des moyens d'affirmer sa souveraineté dans ce domaine.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des projets en cours concernant les énergies renouvelables ?
M. Temauri Foster
La Polynésie s'est engagée à réduire ses besoins en énergies renouvelables de 50 % d'ici 2020. Un plan a été mis en place. Nous travaillons actuellement au développement d'une autre centrale de distribution hydroélectrique d'un potentiel de production de 10 mégawatts. Pour ce qui concerne le solaire, nous arrivons à saturation. Il faut désormais trouver des solutions de stockage de l'énergie solaire.
L'un des projets les mieux maîtrisés en Polynésie utilise l'énergie thermique des mers : c'est le SWAC, un système de climatisation qui utilise de l'eau profonde pour fournir du froid renouvelable. Un hôtel de Bora-Bora est entièrement climatisé grâce à ce système. Cela fonctionne très bien. Un deuxième projet SWAC en cours concerne un hôtel en construction sur l'atoll de Marlon Brando. Un troisième projet SWAC a pour objet de climatiser l'hôpital de Taiohae aux Îles Marquises. Son plan de financement est en cours de finalisation. Un quatrième projet SWAC concerne la côte ouest de Tahiti.
Nous avons par ailleurs entamé une étude sur l'énergie houlomotrice. Nous attendons un projet finalisé de la société porteuse du projet.
Concernant l'énergie hydrolienne, un début de travaux a été réalisé sur l'atoll de Hao, où des essais sur la courantologie ont été menés. Nous cherchons des sociétés pour réaliser les futures turbines. Notre objectif est d'appliquer ce programme dans tous les atolls où il y a de forts courants.
Enfin, nous avons, en partenariat avec l'État, cofinancé un projet d'études qui utilise l'énergie thermique des mers (ETM). Nous avons fait appel à une société française et une société japonaise, qui ont travaillé en collaboration. L'étude est à présent terminée. Nous attendons la finalisation de ce projet, très coûteux, pour lequel nous avons besoin du soutien financier de la métropole.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Quel est le sentiment du gouvernement polynésien au regard des enjeux des ressources minérales profondes et au vu des contraintes technologiques et budgétaires ?
M. Temauri Foster
Mon collègue, M. Jacky Bryant, vous répondra plus précisément sur les ressources minérales. Pour ce qui concerne les ressources marines, nous maîtrisons les ressources de surface, mais pas celles des grandes profondeurs. Il faut investir beaucoup de moyens pour connaître les ressources de nos fonds marins. De plus en plus de navires de recherche, nationaux et internationaux, sillonnent nos océans. Mais nous ne connaissons pas toujours les objectifs de leurs recherches.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
On constate une baisse capacitaire en matière de surveillance. Dans les huit prochaines années, comme l'indique le Livre Blanc sur la Défense, on rencontrera des difficultés réelles en matière de surveillance des mers. Quelles sont vos recommandations sur cette importante question ?
M. Temauri Foster
Je dois vous faire part de ma profonde déception. Nous n'aurons peut-être plus de moyens pour assurer la surveillance de notre ZEE d'ici huit ans. Je reste persuadé qu'avec l'aide de l'État d'autres moyens seront déployés. Je m'adresse à vous pour relayer ce message afin que l'État investisse en Polynésie dans des moyens plus modernes, satellitaires notamment, pour déceler tous les navires conformes à la réglementation imposée par les différents comités de pêche internationaux. Ces navires qui naviguent dans nos ZEE doivent être équipés de façon à pouvoir être détectés par des radars. Nous devons être capables de déceler les navires étrangers qui pénètrent dans nos ZEE. De tels outils modernes nous permettraient de simplifier notre intervention, même si nous n'aurons prochainement plus autant de bateaux de surveillance.
M. Serge Larcher, président
C'est une préoccupation de la délégation que la France puisse exercer ses compétences régaliennes sur ses ZEE. Le Livre Blanc sur la défense nous inquiète beaucoup. Les navires étrangers peuvent traverser nos ZEE, mais non y stationner pour y piller nos richesses. Nous devons nous faire entendre.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
Vos objectifs sont ambitieux et clairvoyants. Votre espace maritime de 5 millions de km 2 constitue une richesse mais aussi un défi. Existe-t-il un document plus précis qui analyse cet espace maritime, et décrive les moyens à mettre en oeuvre pour aller dans le sens de vos préoccupations ?
La pêche et l'aquaculture polynésiennes sont en concurrence avec l'Asie. Pourquoi cette concurrence est-elle si forte, et comment pouvez-vous renforcer votre compétitivité pour y faire face ?
En matière de recherche et développement, de quoi disposez-vous sur votre territoire, en matière d'effectifs notamment ? Quels sont vos besoins ?
Vous avez à relever un certain nombre de défis ; quels sont les handicaps les plus lourds à surmonter pour vous ?
M. Temauri Foster
Nous avons mis en place, avec l'État, un Conseil polynésien de la Mer et du Littoral, présidé par le Haut-Commissaire et par le Président de la Polynésie. Dans le cadre d'un renforcement du partenariat avec l'État, ce Conseil étudie les moyens de renforcer la contribution à l'essor économique de la Polynésie, tout en veillant à la protection de l'environnement.
Il se réunit deux fois par mois et est composé de plusieurs comités, notamment : le comité stratégique qui conduit la politique maritime intégrée ; le comité opérationnel de l'action en mer, chargé de coordonner l'action des services de l'État et de la Polynésie. Les aspects liés à la surveillance de la pêche en Polynésie sont en cours de discussion. L'État et la Polynésie travaillent ensemble pour accompagner le développement des activités autour des ressources marines, mais nous ne disposons pas d'un Livre Bleu.
S'agissant de la concurrence avec l'Asie, il est très difficile pour la Polynésie d'être compétitive, pour des raisons notamment salariales ; la main d'oeuvre asiatique est très faiblement rémunérée comparée à celle polynésienne, qui perçoit un SMIC. Un autre handicap pour nous est l'éloignement de notre territoire des autres marchés. Cet éloignement est dû au coût élevé du transport. Pour y remédier, nous avons demandé que la Polynésie puisse bénéficier du dispositif européen d'aide au transport des produits de la mer, dispositif dont bénéficient la Guadeloupe et La Réunion. Cela permettrait à la Polynésie d'exporter davantage ses produits. Nous sommes par ailleurs à la recherche de marchés de niches, mais nous sommes freinés par le coût du fret.
Pour être plus compétitifs, nous avons choisi d'améliorer et d'accroître notre flottille de pêche afin qu'elle couvre une surface plus importante de ZEE. Il faut savoir en effet qu'un tiers seulement de notre ZEE est exploité de manière constante et efficace. Nous examinons par ailleurs la possibilité de faire appel à une part raisonnable de main d'oeuvre étrangère, notamment à des techniciens de haut niveau pour assurer la conservation des poissons dans le froid.
M. Serge Larcher, président
Votre marché cible est-il hexagonal, ou bien est-il constitué des pays de votre zone, y compris le Japon par exemple ?
M. Temauri Foster
Notre plus gros marché pour la pêche est l'Europe. Nous travaillons également avec les États-Unis, les Îles Hawaï, le Japon.
M. Serge Larcher, président
Quelles sont vos attentes s'agissant de la recherche et développement ? Travaillez-vous avec l'IFREMER par exemple ?
M. Temauri Foster
Nous travaillons avec l'IFREMER, l'IRD, le Trium, qui sont installés en Polynésie française. Notre partenariat porte sur la recherche fondamentale et appliquée. Nous cherchons à avoir un soutien technique de chercheurs métropolitains spécialisés pour accompagner nos axes de développement.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Quel est votre sentiment sur la question des câbles optiques sous-marins, technologie de pointe ?
M. Temauri Foster
Cette poussée technologique est inévitable et s'avère indispensable dans le monde actuel de la communication et des échanges. Je me réjouis que la Polynésie dispose de câbles optiques sous-marins, mais je crois qu'ils doivent être davantage développés. Le câble polynésien est sous-exploité. Il faut accroître son utilisation pour raccorder plus de capacités, améliorer la qualité de la transmission, augmenter la puissance du débit entrant et sortant, et diversifier la ramification vers d'autres pays.
M. Serge Larcher, président
Je vous remercie, Monsieur le ministre. Vous pouvez compter sur notre soutien, tout particulièrement sur les questions de la souveraineté française sur nos ZEE et de la recherche et développement.
M. Serge Larcher, président
Nous entendons à présent M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française. Je vous cède immédiatement la parole.
M. Jacky Bryant, ministre de l'environnement et des mines du gouvernement de la Polynésie française
Avant de vous présenter mon ministère, je ne peux pas faire l'impasse d'une première réflexion sur la relation des Polynésiens avec le monde océanique, relation qui remonte à la nuit des temps. C'est l'océan qui fait le lien entre nos îles. Nous ne pouvons pas, aujourd'hui, envisager de développement durable sans avoir à l'esprit l'ensemble de nos déplacements immémoriaux sur mer. La source de nos connaissances se trouve dans la répétition de ces déplacements, et dans nos traditions, cruciales pour comprendre notre démarche et pour permettre les mutations vers l'avenir.
J'en viens à la présentation du Ministère de l'environnement, de l'énergie et des mines de la Polynésie française. Il exerce, sous l'autorité du Président de la Polynésie française, les missions confiées par le conseil des ministres en matière de politique environnementale, énergétique et minière. Il assure également le suivi des conséquences des essais nucléaires en Polynésie française.
À ce titre, il exerce la tutelle sur les services administratifs suivants :
- la direction de l'environnement ;
- le service de l'énergie et des mines ;
- la délégation polynésienne pour le suivi des conséquences des essais nucléaires.
En matière d'environnement, l'axe de travail prioritaire du gouvernement porte sur le volet réglementaire, avec la volonté affichée de rendre notamment le dispositif répressif plus efficace et dissuasif.
En 2012, deux lois du pays ont ainsi été promulguées : l'une relative à la protection des espaces classés et l'autre à la répression du dégazage en mer. Un projet de loi du pays relatif aux espèces protégées a été soumis à l'Assemblée de la Polynésie française, tandis qu'un autre projet de loi du pays, relatif à l'habilitation des agents assermentés pour constater et rechercher les infractions en matière environnementale, est en cours de rédaction.
Nous nous préoccupons également du traitement des pollutions. En 2012, dans le cadre d'un partenariat avec l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME), une étude sur le gisement des déchets dans l'ensemble du Pays a été réalisée. La restitution des résultats interviendra à la fin de l'année et débouchera sur la rédaction de la politique sectorielle des déchets.
Ce document référence présentera les objectifs de la Polynésie française à court, moyen et long termes ainsi que les plans d'actions et de financements correspondants. Il quantifiera également le nécessaire effort de solidarité à mettre en place vis à vis des îles éloignées.
Le gouvernement finalise par ailleurs la mise en place d'une responsabilité élargie du producteur, qui permettra de responsabiliser les metteurs sur le marché de certains produits, et de les sensibiliser à leur collecte et à leur traitement en fin de vie.
Pour ce qui concerne les opérations liées à la biodiversité, des plans de gestion des écosystèmes réconciliant les savoirs traditionnels et la connaissance scientifique sont en cours d'élaboration, prioritairement sur les îles sentinelles que sont Eiao, Scilly, Rapa et Maiao.
Enfin, la Polynésie française, en partenariat avec l'État et l'Union Européenne, poursuit le déploiement de nombreux projets environnementaux, notamment dans le cadre des dispositifs INTEGRE, RESCUE et du RUAHATU. Ainsi, un nouvel axe dénommé « Zones de vie » a été créé afin de favoriser des projets d'aménagement destinés à améliorer le cadre de vie des citoyens.
J'aborde à présent la politique énergétique du ministère. Le projet de loi du pays relatif aux principes directeurs de la politique énergétique de la Polynésie Française, présenté à la fin de ce mois à l'assemblée de la Polynésie française, inscrit la maîtrise de l'énergie comme axe de travail prioritaire.
Le gouvernement a souhaité y poser les bases d'une saine concurrence dans le domaine des énergies renouvelables. D'autres lois du pays viendront compléter ce cadre réglementaire, notamment sur la production, le transport et la distribution d'électricité, ainsi que la définition de règles d'urbanisme, d'aménagement et de construction réduisant la consommation d'énergie.
La Chambre territoriale des comptes avait reproché à la Polynésie française de s'être entièrement retirée de sa mission d'autorité concédante et de contrôle. Le gouvernement s'efforce de prendre les dispositions nécessaires pour que le Pays soit à nouveau porteur de ses choix de développement énergétique et qu'il exerce un véritable contrôle sur le délégataire du service public.
Progressivement, la Polynésie française se réapproprie sa mission de transport de l'énergie électrique, maîtrisant ainsi les flux et choisissant la nature des énergies prioritaires, privilégiant les énergies renouvelables (photovoltaïque, hydraulique, etc.). Les gouvernements précédents avaient mis en place des incitations financières fortes pour les installations photovoltaïques, jusqu'au 30 juin 2011, en faisant abstraction de la concession liant la Polynésie française à l'opérateur historique. Ces incitations financières pèsent aujourd'hui, et de manière durable, sur le budget du Pays. Le gouvernement a maintenu une politique d'incitation des installations photovoltaïques tout en privilégiant l'utilisation de l'électricité produite en autoconsommation et en limitant les coûts pesant sur le budget de la collectivité.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Pouvez-vous nous dresser un panorama de vos ressources minérales profondes ?
M. Jacky Bryant
Nous avons très peu de connaissances sur nos ressources. De nombreuses informations laissent à penser que les fonds marins de la Polynésie française seraient riches en minerais, plus ou moins précieux. Nous avons comme objectif de produire, d'ici 2013, une étude prospective globale des activités liées à l'exploration et à l'exploitation des ressources minérales océaniques profondes, à partir des publications qui ont été faites. Quelques atolls disposent de ces ressources, mais leur exploitation est sans commune mesure avec les quantités existantes.
La Polynésie française détient notamment dans son sol et son sous-sol maritime des encroûtements de ferromanganèse enrichis en cobalt et platine. Les premiers résultats de l'étude en cours permettent d'affirmer qu'en Polynésie française les trois types de gisements rencontrés, par ordre d'intérêt décroissant, sont les suivants :
- les encroûtements polymétalliques, qui présentent le plus grand intérêt, de par leur richesse en cobalt (1,8 %) et platine (2,8 g/T) ainsi que leur présence à des profondeurs modérées (entre 800 et 1 500 mètres, sur les flancs et sommets des monts sous-marins), notamment aux Tuamotu et entre Tahiti et les Australes. Cette configuration autorise une exploitation relativement aisée ;
- les vases des plaines abyssales, qui contiennent des terres rares (lanthanides, yttrium, scandium) en quantité significative, à des profondeurs comprises entre 4 000 et 5 000 mètres ;
- les nodules polymétalliques, qui présentent un intérêt très limité, de par leur teneur réduite en éléments métalliques.
Ces gisements marins en eau profonde ne présentent cependant pas d'intérêt immédiat, dans la mesure où les ressources terrestres actuellement identifiées en cobalt, platine et terres rares, d'exploitation bien plus aisée, correspondent respectivement à 100, 200 et 800 années de consommation.
Par ailleurs, il n'y a aucun projet minier en cours dans la ZEE polynésienne. En effet, malgré l'importance des travaux déjà menés dans la ZEE dans le cadre du programme ZEPOLYF, de nombreuses données restent à acquérir pour définir précisément les caractéristiques des gisements identifiés, notamment dans les secteurs des îles Tuamotu et celles de la Société, ainsi que leurs rendements potentiels. En outre, l'expérience de la dernière concession minière, mal vécue par les populations, incite le Pays à demeurer prudent, pour protéger ses populations et son environnement souvent endémique à une île.
Des travaux d'exploration complémentaires doivent donc nécessairement être réalisés. Or, de tels travaux sont extrêmement coûteux. Autant les moyens d'exploration des grands fonds sont aujourd'hui bien maîtrisés, autant en matière d'exploitation les techniques et processus sont toujours en cours de développement. Le coût estimé pour l'exploration d'une zone de 100 km² avoisine les 2 849 200 euros.
La Polynésie française suit avec grand intérêt le projet SOLWARA, première exploitation industrielle en eau profonde prévue pour la fin 2013 en Papouasie Nouvelle-Guinée. La faisabilité technique et la rentabilité économique de ce type d'exploitation devra être démontrée.
Enfin, la Polynésie française est exclue des programmes de financement des études et formations dans le cadre de la coopération du Pacifique Sud.
Encore une fois, j'attire votre attention sur notre démarche. Si la logique est de soutenir le développement de la Polynésie par l'extraction des ressources (nodules, encroûtements, terres rares...) pour compenser la baisse de l'activité d'autres domaines économiques, ou la baisse des transferts de l'État, alors cette logique n'a pas d'avenir. Notre démarche doit porter aussi sur le volet environnemental. La ressource minérale, la ressource minière et la ressource en biodiversité doivent trouver leur place dans une exploitation que nous devons créer, imaginer, mais pour laquelle nous devons aussi investir des moyens. Il faut un projet de développement durable pour que la connaissance des grands fonds ne serve pas seulement à l'extraction : la magie des profondeurs doit aussi devenir un atout pour un nouveau type de tourisme de découverte des fonds marins : la plongée en eau profonde. Cette approche prendra du temps. Il faut beaucoup investir dans la recherche.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Quels enseignements tire-t-on des études d'impact sur l'exploitation des gisements : quelle rentabilité économique ; quel impact sur l'environnement ?
M. Jacky Bryant
L'exploitation des ressources minières océaniques, qui s'apparente à l'industrie pétrolière offshore, nécessitera la mise en place d'infrastructures lourdes tant sur site qu'à terre, pour l'extraction, le transport, le stockage et le traitement des minerais le cas échéant. Toutes ces activités génèreront des quantités importantes de boues et de déblais à terre, qui devront être pris en charge et éliminés.
Les impacts environnementaux de telles activités sur les écosystèmes des grands fonds, bien que difficilement quantifiables, sont largement prévisibles : la perturbation de la morphologie des fonds marins et de leur environnement physico-chimique et hydrodynamique, ainsi que les inévitables pollutions accidentelles connexes, entraîneront une forte perturbation, voire une destruction irréversible de la biodiversité et des habitats des zones d'extraction.
Ces effets seront d'autant plus fortement ressentis au niveau des monts sous-marins que ces derniers sont caractérisés par leur grande vulnérabilité, liée à un fort taux d'endémisme et de spéciation. L'industrie de la pêche polynésienne risque également d'être atteinte puisque les monts sous-marins, où se concentrent les poissons pélagiques et notamment les thonidés, constituent des zones de pêche privilégiées pour la flottille palangrière polynésienne.
Enfin, la mise en exploitation de certains gisements, identifiés au sein de zones de reproduction des thonidés, aurait des répercussions à l'échelle du stock mondial de cette ressource.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
Quelles sont les actions que vous conduisez actuellement pour optimiser les ressources en énergie des océans ? Quels enseignements en tirez-vous ?
M. Jacky Bryant
Un atlas du potentiel de développement des énergies marines renouvelables a été réalisé l'année dernière par le Pays. Il en ressort que la Polynésie française possède non seulement un fort potentiel dans l'exploitation thermique des mers, mais également un avantage comparatif. En effet, la Polynésie française présente les caractéristiques suivantes :
- un fort différentiel thermique : la température de l'eau change rapidement avec la profondeur ;
- et un tombant près des côtes : il existe de la profondeur très près des côtes, ce qui réduit les coûts d'investissements.
Le Pays a ainsi tout intérêt à développer le SWAC (Climatisation par l'eau des océans), technologie qui consiste à utiliser l'eau froide des profondeurs des mers pour refroidir par contact, grâce à un échangeur, l'eau du circuit des climatiseurs. Cette eau froide se substitue aux compresseurs électriques.
Après un projet pilote dans un hôtel de Bora Bora, ce système de climatisation est en cours de déploiement dans un second hôtel au large de Tahiti, ainsi qu'au centre hospitalier de la Polynésie française. Cette technologie est très intéressante pour une autre raison : elle contribue à la diminution des gaz à effet de serre.
La deuxième technologie utilisant le différentiel thermique est la production d'électricité destinée à la consommation. L'état du fluide circulant dans un circuit fermé (habituellement de l'ammoniaque) se modifie en fonction de sa température. La modification de l'état (passage de l'état liquide à l'état gazeux) fait fonctionner la turbine qui fabrique l'électricité. Cette électricité va être par la suite transportée vers les points de consommation. Toutefois, cette technologie est nouvelle et en cours d'expérimentation. Les coûts de construction sont très élevés et il convient de noter que la mise en place d'une telle technologie occupera un domaine maritime qui pourrait concurrencer d'autres activités maritimes.
Il ressort également de l'étude produite l'année dernière que la Polynésie aurait intérêt à exploiter l'énergie de la houle, compte tenu de sa surface maritime. Là encore, cette technologie demeure nouvelle et nécessite des expérimentations. De même, sa mise en place occupant un domaine maritime, pourrait concurrencer d'autres activités maritimes.
Il n'en demeure pas moins que la Polynésie, compte tenu de sa configuration géographique, dispose d'atouts certains en matière d'études et d'expérimentations de nouvelles technologies durables liées à la mer et au soleil. Une réflexion devrait pouvoir être menée afin de favoriser l'implantation d'unités de recherche dans ces domaines.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Quelles sont les actions locales en cours concernant la réforme du code minier ?
M. Jacky Bryant
La loi organique statutaire donne compétence à la Polynésie française pour réglementer et exercer les droits d'exploration et d'exploitation des ressources minérales de sa ZEE, y compris du plateau continental constituant son sol et son sous-sol. Cette compétence ne concerne cependant ni les matières premières stratégiques, ni la recherche scientifique en mer, ces domaines relevant de l'État. De même, celui-ci conserve dans la ZEE les compétences en matière de circulation en mer, de sécurité des navires et de répression de la pollution causée par les opérations d'exploration et d'exploitation minières.
Mon ministère travaille actuellement à la refonte du code polynésien en vue de l'adapter aux techniques modernes de prospection et d'extraction. Les points suivants sont concernés :
- la procédure d'instruction et d'attribution des titres miniers ;
- le choix du mode de gouvernance ;
- les mesures fiscales et douanières ;
- le contrôle et les sanctions administratives et pénales ;
- le renforcement de la protection de l'environnement marin.
(Interruption de la visioconférence du fait de la dégradation de la liaison.)