Audition de M. Vincent Trelut, directeur du développement ERAMET, accompagné de M. Alexandre Vié
M. Serge Larcher, président
Nous étudions depuis cinq mois l'importante question des zones économiques exclusives. Monsieur Trelut nous parlera des ressources minières outre-mer. La parole aux industriels !
M. Vincent Trelut
ERAMET est un groupe métallurgique, de la mine à la transformation métallurgique avancée - pour l'aéronautique, par exemple - jusqu'au recyclage.
Avec 47 sites industriels, nous sommes présents dans 20 pays, dont la Chine, mais aussi la Nouvelle-Calédonie, une collectivité française qui a un statut très particulier.
M. Serge Larcher, président
La Chine, notre principal concurrent.
M. Vincent Trelut
Pour nous, c'est un gros marché : ce pays consomme la moitié des ressources de nickel et de manganèse. Nous y avons trois usines de manganèse. En Indonésie, les Chinois nous font de la concurrence. Ils sont très intéressés, en particulier, par les ressources marines.
M. Serge Larcher, président
Alors que personne en France n'investit dans les nodules polymétalliques...
M. Vincent Trelut
Les ressources minérales profondes sont de trois sortes : les sulfures hydrothermaux sont liés à l'activité volcanique ; on peut exploiter les sites éteints entre 1 500 et 2 000 mètres de profondeur, ce qui est raisonnable. Ensuite, les nodules polymétalliques, dont on me parlait déjà à l'université dans les années 1970. Enfouis à 4 500 m, on ne sait comment récupérer ces cailloux dispersés sur le sol, qu'on trouve notamment au large de l'îlot de Clipperton. Des demandes de permis sont déposées, mais uniquement pour verrouiller l'accès à ces ressources. Enfin, les encroûtements cobaltifères dans les marges continentales, par exemple, au large de Tahiti, sont plus accessibles. Leur point commun est d'être situés à des profondeurs plus importantes que celles des mines marines existantes : 100 à 150 mètres pour les diamants dans l'Atlantique au large de l'Afrique australe, idem pour l'extraction de sables de construction en Bretagne.
La France n'est pas en retard : personne à ce jour n'exploite de mines marines profondes. Deux sociétés juniors, Nautilus Mineral et Neptune, y travaillent. Des études sont en cours, les engins sont là puisqu'on extrait du pétrole off-shore à des profondeurs bien plus grandes que 1 500 mètres, mais personne n'a encore lancé d'exploitation.
La Chine a déposé des permis d'exploration dans les eaux internationales auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), qui dépend de l'ONU. Sa zone économique exclusive, pour les minerais profonds, n'est pas très intéressante. Elle n'est donc pas spécialement en avance...
En revanche, la France dispose de gisements de sulfures hydrothermaux grâce à ses îlots volcaniques... La France a donc peut-être plus de perspectives avec la Polynésie française et Wallis-et-Futuna que le Japon, qui n'a pas de zones aussi prometteuses. De plus, nous ne sommes pas en retard technologiquement, grâce à notre compétence en ingénierie marine.
M. Serge Larcher, président
Le potentiel est donc prometteur à vingt ans ?
M. Vincent Trelut
Certes, mais ces minerais marins ne sont pas nécessaires pour couvrir les besoins de la planète : ce n'est pas comme le pétrole....
M. Serge Larcher, président
Quid des métaux rares ?
M. Vincent Trelut
La Chine détient un tiers des terres rares, mais des milliers de géologues arpentent le monde pour trouver de nouveaux gisements. Et ils en trouvent... Si la France a des ressources, cela réduira notre dépendance et sans être une nécessité pour l'approvisionnement, les terres rares seraient également l'occasion de développer une filière industrielle.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
N'est-ce pas vrai pour n'importe quels métaux ?
M. Vincent Trelut
Certes ! Personne n'a dressé un inventaire précis des ressources marines dans notre zone économique exclusive au demeurant très vaste. En toute hypothèse, l'effet environnemental de leur exploitation sera moindre que sur terre. D'autant qu'on espère trouver des métaux à forte teneur affleurant les fonds marins, de même que les Égyptiens ou les Crétois de l'Antiquité trouvaient de l'or, de l'argent ou du cuivre à portée de main. Actuellement, les mines de cuivre terrestres - c'était le cas de la mine de Falun, en Suède, pays qui n'est pas réputé pour son laxisme environnemental - exigent la manipulation de millions de tonnes de roches et une énorme consommation d'eau douce.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
A-t-on l'espoir que les mines marines deviennent rentables ?
M. Vincent Trelut
Depuis 2005, la Chine a changé le monde de la mine : la demande augmentant, les ressources terrestres s'épuisent et la teneur des minerais restant à exploiter diminue. À long terme, nous en viendrons donc aux minerais sous-marins.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
Dispose-t-on des engins nécessaires, ou la recherche doit-elle progresser ?
M. Vincent Trelut
Il faut encore faire de la recherche-développement en France. Après la phase d'exploration, on pourra se poser la question de l'exploitation, et faire des essais.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
La France est-elle bien placée ?
M. Vincent Trelut
Elle n'est pas en retard, sauf peut-être dans telle ou telle technique particulière. Des partenariats avec d'autres pays sont d'ailleurs envisageables. Nos connaissances actuelles permettent d'élaborer un socle technologique français.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
C'est une obligation.
M. Vincent Trelut
En effet : ne ratons pas le coche.
Nous n'avons pas encore d'activités dans la zone économique d'outre-mer. La concurrence s'exerce surtout entre les États, non entre les sociétés privés. Le projet le plus mûr est celui de sulfure de cuivre et de zinc en Papouasie ; il n'y a pas de verrou technologique, non plus qu'à Wallis. La question est celle des moyens financiers et la connaissance des ressources. Nous n'avons pas besoin d'évolutions fiscales, mais d'un partenariat renforcé : le consortium actuel est trop étriqué, nous ne sommes plus que trois. Je répète que le problème est financier : des puissances étrangères misent beaucoup plus de moyens sur ces projets d'avenir.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur
Quid de la réforme du code minier ?
M. Vincent Trelut
Le code minier a le mérite d'exister. Le domaine sous-marin reste à défricher. Il est difficile de prévoir à l'avance. Une question importante est celle des retombées pour les collectivités. En l'état actuel du droit, rien n'interdit un partenariat avec Wallis-et-Futuna. Peut-être l'encadrement pourrait-il être amélioré.
Quoi qu'il arrive, il faudra tenir compte des spécificités de l'exploitation sous-marine. Nous en sommes encore à un stade très préliminaire. Quand viendra le temps de l'exploitation, alors il faudra veiller à l'impact environnemental, qui reste mal connu.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Des activités sont-elles prévues dans notre zone économique exclusive ?
M. Vincent Trelut
Si le partenariat à Wallis-et-Futuna se confirme, oui. Pour l'heure, nous ne voulons pas nous disperser.
M. Richard Tuheiava, co-rapporteur
Je participe au groupe de travail informel sur la réforme du code minier. Le principe de précaution doit prévaloir, lorsqu'on ne maîtrise pas le risque. Il y a eu des études sur le cobalt et le manganèse en Polynésie : les ressources y sont les plus élevées au monde.
Le recyclage est un enjeu immense. Quels acides employer pour extraire les métaux rares de la boue ? Les techniques sont-elles au point ?
M. Vincent Trelut
En effet, on ne doit se lancer dans une exploitation que si l'absence de risque est avérée. La France doit-elle être pionnière ? Ce n'est pas sûr.
L'exploration a très peu d'impact sur l'environnement : on se borne à prélever des échantillons au fond des mers avec des sous-marins de poche. L'exploitation, c'est autre chose.
Tant qu'on ne sait pas, on ne peut pas exploiter. Mais il faut chercher pour savoir, et faire des essais ! C'est là que se situe le débat. Refuser même les essais est contraire à l'esprit du principe de précaution. Si pareille règle devait être instaurée, autant le savoir au plus vite, nous éviterons de perdre de l'argent ! Nous avons suffisamment de travail ailleurs.
M. Alexandre Vié
Des biologistes sont associés à chaque campagne, pour comprendre ce qui se passe dans ces zones.
M. Vincent Trelut
Le recyclage des terres rares va progresser, celui des métaux comme le cobalt existe déjà. L'enjeu sous-marin est différent : c'est d'avoir du minerai très riche, facilement extractible.
Entre la production initiale et le recyclage, la demande a augmenté : le recyclage ne pourra jamais suffire aux besoins.
Ce ne sont pas des terres rares que l'on a trouvé à Wallis. Encore une fois, ce sont des minerais riches en surface que nous cherchons. Descendre à 3 000 m pour trouver un peu de terres rares ne présente aucun intérêt.
M. Alexandre Vié
Les terres rares ne sont pas rares !
M. Serge Larcher, président
Il faut être demain en position de force, notamment sur les matériaux stratégiques. À vous entendre, il s'agirait d'exploiter à un coût moindre des minerais riches.
M. Vincent Trelut
Mais aussi de construire des filières high tech et de mettre au point des techniques écologiquement responsables.
M. Serge Larcher, président
Vous ne voyez aucun intérêt à réformer le code minier ?
M. Vincent Trelut
Je ne parlais que des activités sous-marines, où l'on est loin d'avoir établi quelles sont les bonnes et les mauvaises pratiques.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur
Quel benchmerking sur les investissements des différents pays ?
M. Vincent Trelut
Nous disposons de rapports de sociétés privées, mais seuls les instituts d'État ont une vue d'ensemble ; l'IFREMER pourrait vous renseigner sur l'activité de L'IFREMER japonais...
M. Alexandre Vié
Nautilus représente quelques centaines de millions.
M. Vincent Trelut
Nous en sommes à vingt millions, rien que pour trouver des gisements. L'exploitation en coûtera des centaines, et au minimum un milliard.