COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION
(Jeudi 29 Mars 2012)
Audition de M. Élie
Jarmache, juriste, chargé de mission
« Droit de la
mer » auprès du secrétaire général de la
mer,
chef de la délégation française auprès de
la commission des limites du plateau continental de l'ONU
M. Serge Larcher, président
Nous abordons aujourd'hui le thème de la zone économique exclusive, après avoir abordé hier la problématique de la pêche et celle de la vie chère, qui est très prégnante à La Réunion, à Mayotte et aux Antilles ; nous poursuivrons la semaine prochaine l'examen de ces sujets.
M. Jeanny Lorgeoux
Je m'associe à l'accueil de notre invité. La commission des affaires étrangères et de la défense, dont je suis membre avec notre collègue Trillard ici présent, a créé un groupe de travail dont je suis le rapporteur, consacré à la maritimisation, dans la perspective de la révision du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales ; notre travail est très complémentaire de l'initiative prise par la Délégation à l'outre-mer. De fait, plus de 90 % des territoires maritimes, sous juridiction française, sont ultramarins. Les enjeux stratégiques liés à la délimitation de nos zones économiques exclusives et à l'extension de notre plateau continental sont déterminants pour comprendre les enjeux de sécurité actuels.
Nous sommes donc très heureux, M. Jarmache, de bénéficier de votre expertise.
M. Élie Jarmache, juriste, chargé de mission « Droit de la mer » auprès du secrétaire général de la mer, chef de la délégation française auprès de la commission des limites du plateau continental de l'ONU
L'objet de notre discussion est notre présence en mer, en métropole et outre-mer. On voit bien les enjeux de la maritimisation, la France et son territoire étant riverains de trois océans. C'est au début des années 2000 qu'a été mis en place le programme d'extension du plateau continental.
La convention de Montego Bay est à mes yeux l'effort de codification du droit international le plus important du XX e siècle. Sa négociation a duré dix ans. Le texte compte 320 articles et une dizaine d'annexes. Deux accords de mise en oeuvre ont été signés, un autre est en cours de négociation. La convention est à la fois un résultat et le début d'un processus.
Notre pays y a très tôt adhéré. Il a été le premier pays occidental à accepter la notion de zone économique exclusive. La convention a revisité et consolidé toutes les dispositions du droit de la mer. M. Louis Le Pensec, alors ministre, a été l'un des premiers à la signer à Montego Bay en décembre 1982, avec les Pays-Bas ; tous les autres pays étaient réticents, voire hostiles. On peut considérer que les intérêts français y ont été pris en compte. J'entends ici ou là des appels à la réviser ; ce serait ouvrir la boîte de Pandore. À la suite d'une réunion au Secrétariat général de la Mer, au cours de laquelle l'avis de la Marine nationale a été sollicité, il a été convenu qu'il fallait en préserver les équilibres, quitte à envisager un accord d'implémentation sur certains points.
La convention comporte des innovations, dont la définition de la zone économique exclusive. Celle de Genève de 1958 s'arrêtait au plateau continental et à la mer territoriale ; encore celle-ci était-elle mal définie, ce qui a produit quelques fantaisies... La zone économique exclusive va, en zone océanique, jusqu'à 200 milles nautiques ; à peu près 80 en Méditerranée. Le caractère exclusif porte sur les aspects économiques. Dans la zone, sont reconnus à l'État côtier des droits souverains sur les ressources naturelles et les activités économiques qui en découlent, telles l'énergie ou la pêche. En d'autres termes, l'État côtier décide seul, rien ne peut s'y faire sans son autorisation. Il peut tout interdire ou poser des conditions, ce qu'il faut sans cesse rappeler aux ONG... Mais il doit tenir compte des droits et libertés traditionnels des États tiers, notamment le droit de navigation ; c'est l'article 58 de la convention.
M. Jeanny Lorgeoux
Celui-ci prévoit-il des corridors ?
M. Élie Jarmache
Non. Les dérogations à la liberté de navigation doivent être temporaires, proportionnées et justifiées.
M. Jeanny Lorgeoux
Droits souverains et liberté de navigation ne sont pas faciles à articuler.
M. Élie Jarmache
C'est vrai, et les tensions sont permanentes. Cela se règle de façon bilatérale. On apporte des...
M. Jeanny Lorgeoux
... apaisements...
M. Élie Jarmache
... assurances quand il le faut... Les protestations ne sont jamais virulentes...
La France doit tenir compte de cette liberté car elle est un État navigant. Il y a un équilibre à rechercher. Un célèbre navigateur avait proposé à M. Borloo un principe de notification d'entrée dans la zone économique exclusive, ce qu'il aurait été par parenthèse difficile de faire admettre par les États-Unis, grands défenseurs, et sans faire trop de sentiment, de la liberté de naviguer. Le Vietnam nous a interrogés sur notre pratique car, en mer de Chine, la Chine prétend mettre en place un système d'autorisation. En droit, même la mer territoriale, espace de pleine souveraineté, souffre d'une servitude de libre passage inoffensif.
La zone économique exclusive emporte donc des droits souverains, des compétences de contrôle et l'obligation de veiller à ce qu'elle reste un espace où certaines libertés peuvent être exercées.
M. André Trillard
Y a-t-il obligation de cartographier les restrictions ?
M. Élie Jarmache
J'y viens. Auparavant, précisons la notion de plateau continental. Fallait-il en donner une définition distincte de celle de la zone économique exclusive ? Nous l'avons fait. Le plateau continental a une vie autonome. L'État souverain y dispose de droits exclusifs d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles ; ces droits existent indépendamment de toute occupation effective, ils sont en quelque sorte naturels ; le plateau continental est la prolongation naturelle du territoire terrestre.
Si le plateau continental existe par lui-même, il faut en revanche un acte législatif pour créer une zone économique exclusive. En Méditerranée, pendant longtemps, nous n'en avons pas éprouvé la nécessité. En 2003, on en a créé un avatar, une zone de protection écologique, qui s'arrêtait à 12 milles nautiques, soit la mer territoriale. Nous venons de changer la donne, ce qui a créé un certain émoi chez nos voisins...
Je réponds à M. Trillard. La convention de Montego Bay prévoit que l'État doit publier les coordonnées de sa zone exclusive, autant que possible sous forme de carte, et les déposer au Secrétariat général des Nations-Unies, à charge pour ce dernier de les mettre à la disposition de la communauté internationale. Peuvent s'en suivre des notes verbales de contestation... La France avait du retard dans l'exécution de cette quasi-obligation, que nous rattrapons à marche forcée avec le concours du Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom).
M. Jeanny Lorgeoux
Quelle forme juridique revêt la notification de création d'une ZEE ?
M. Élie Jarmache
Une note verbale de transmission au Secrétariat général des Nations Unies, à laquelle sont annexées la loi française et les coordonnées. C'est à partir de cette publication, si elle n'est pas contestée, que la zone économique exclusive devient opposable aux tiers.
Certains États voisins dans l'océan Indien, Maurice, Madagascar, ont déposé leurs textes législatifs. La vigilance est réciproque : Maurice, entre autres, craint des revendications de souveraineté sur Tromelin. La France doit aussi produire sa carte.
Il convient de prendre une précaution sémantique autour de la notion de délimitation. Il y a celle qui est opérée par l'État lui-même ; il y a aussi la délimitation bilatérale pour fixer une frontière maritime. Certaines conditions sont à respecter, selon les termes de la convention, notamment pour le tracé des lignes de base. Le Shom est l'opérateur de référence en la matière.
Le principe de la zone économique exclusive a été fixé par une loi de juillet 1976. En février 1978, une batterie de décrets a été publiée pour les départements et territoires d'outre-mer. Mais, en l'absence de coordonnées, ces décrets ont délimité la zone économique exclusive jusqu'à 188 milles nautiques au-delà des 12 milles de la mer territoriale, ce qui n'était pas des plus solides en termes d'opposabilité. Nous sommes en train de rattraper notre retard.
J'en viens aux modalités de délimitation avec un autre État. Encadrées par le droit de la mer, elles ne sont pas nécessairement contraignantes mais laissées à la négociation pourvu qu'elles ne violent pas le droit international ni le principe d'équidistance. Quand les circonstances géographiques sont complexes, on recourt à d'autres circonstances dites pertinentes, laissées elles aussi à la négociation, et considérées par la jurisprudence de la Cour de justice internationale au regard de l'équité.
Pardonnez-moi si je parle de territoires d'outre-mer, terme générique, sans distinguer les différents statuts des collectivités. J'espère ne heurter personne.
M. Serge Larcher
Effectivement, les collectivités ont toutes des statuts différents.
M. Élie Jarmache
Pour ces territoires, c'est dans l'Océan indien que la situation est la moins bien fixée. La délimitation est faite avec Madagascar et Maurice. Tromelin a fait l'objet d'un accord de cogestion avec Maurice ; la zone économique exclusive existe même si la délimitation n'est pas faite. Le Shom vient seulement de produire des cartes qui doivent être déposées aux Nations Unies.
À Mayotte, le changement de statut a conduit à revoir la délimitation de la zone, en tenant compte du futur parc naturel marin.
M. Michel Vergoz
Qu'en est-il des Comores ?
M. Élie Jarmache
C'est justement en raison de la proximité des îles comoriennes que nous avons dû reprendre le travail de délimitation.
Pour les îles Éparses, les accords ne sont pas encore conclus avec Madagascar et le Mozambique. Pour les Glorieuses, il reste à conclure un accord avec Madagascar et les Comores, qui posent un vrai problème politique. Tout le travail de nos ambassades tend à ce que les revendications des Comores ne soient pas reprises dans les législations des États voisins. Nous essayons de nous assurer une sorte de neutralité des Seychelles et de Madagascar. Il ne se passe pas de semaines sans qu'un territoire ou un département n'évoque ces questions.
M. Michel Vergoz
Qu'en est-il de l'accord avec Maurice, qui se trouve à 200 milles nautiques de La Réunion ?
M. Élie Jarmache
Il est entré en vigueur en avril 1980 et exclut Tromelin. La position française est de dire que là où il y a un îlot, il y a plateau continental et ZEE.
M. Michel Vergoz
Qu'en est-il des Chagos ? Sont-elles américaines ou mauriciennes ?
M. Élie Jarmache
Mauriciennes, c'est mon analyse personnelle.
Dans l'océan Atlantique, une kyrielle d'accords de délimitation ont permis de beaucoup mieux établir les limites. Il n'y a pratiquement pas de lacunes. Les derniers accords ont été signés avec la Barbade, la Dominique, Sainte-Lucie. Le Venezuela, également. Reste Saint-Martin, le gros du travail doit être mené avec les Pays-Bas. Il faut revoir les conditions de négociation à la suite du changement de statut de la partie néerlandaise de l'île ; les points de délimitation sont acquis.
Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui tient lieu de délimitation est l'arbitrage particulièrement défavorable à la France de 1992 avec le Canada, qui pose encore beaucoup de problèmes.
En Guyane, la zone économique exclusive vers le large existe, le plateau continental aussi. L'accord a été conclu avec le Brésil. Nous reprenons langue avec le Surinam pour finaliser les lignes de délimitation et écarter toute perspective de contentieux.
M. Jean-Étienne Antoinette, co-rapporteur
Nous voyons la difficulté de la délimitation. Mais j'ai l'impression que la France est davantage sur une attitude défensive qu'offensive. On l'a vu pour l'accord avec le Brésil, on le voit avec le Surinam et même avec l'Italie en Méditerranée : la France réagit, mais n'anticipe pas. On rejoint là le problème de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui fait l'objet de marchandages avec le Canada. Nous reviendrons ensuite sur le plateau continental.
M. Élie Jarmache
Je ne peux pas vous laisser sur ce sentiment.
Avec l'Italie, nous avons pris les devants. Les Italiens s'étaient endormis, leur position ne reposait sur rien. Ils n'avaient pris aucune loi. Nous les avons attendus deux ans. Dès que leur loi a été promulguée, nous avons alerté notre ambassade afin de reprendre la discussion avec Rome.
Il en va de même avec le Surinam. Un grand nombre de correspondances sont restées sans réponse, ou sans réponse fondée. Le Surinam souhaitait au préalable terminer les négociations sur son autre frontière, mais croyez bien que nous l'avons beaucoup sollicité. Il y a quelques mois, ils se sont dits disposés à tenir une prochaine réunion à Paris.
M. Jeanny Lorgeoux
Ce qui compte, c'est la délimitation.
M. Élie Jarmache
En effet, c'est elle qui donne un sens à la ZEE. Nous essayons d'anticiper, mais nos initiatives ne sont pas toujours couronnées de succès. Pour la Guyane, l'enjeu est surtout le plateau continental ; nous y reviendrons.
Dans le Pacifique, les choses sont assez claires. Pour Wallis-et-Futuna et la Polynésie française, elles sont bien délimitées et acceptées. Pour Clipperton, il y a une contestation de souveraineté. Nous avons une ZEE depuis 1998, ce qui n'a jamais posé de problème avec le Mexique jusqu'à ce que, il y a trois ou quatre ans, un navire militaire français saisisse un armement de pêche illégal mexicain et détruise son matériel de pêche. Les Mexicains, s'appuyant sur la Convention de Montego Bay, ont fait valoir que Clipperton était impropre à l'habitation et, en conséquence, notre zone économique exclusive infondée. Ils ont menacé de saisir les juridictions internationales. Il eût été dangereux d'entrer dans une mécanique aux potentiels effets « domino », par exemple dans l'Océan indien... Nous avons donc négocié un accord de pêche avec les Mexicains ; en d'autres termes, nous avons acheté la paix maritime non sans avoir, pour la forme, entouré l'accord de conditions environnementales et écologiques.
Pour la Polynésie, nous manquions jusqu'alors de bons tracés de lignes de base ; le décret sera prochainement publié.
Voilà le panorama. La situation est donc plutôt bonne.
M. Jeanny Lorgeoux
Et Saint-Pierre-et-Miquelon ?
M. Élie Jarmache
Le Canada a perdu un arbitrage en 1985. Il est persuadé qu'à la fin tout lui reviendra, compte tenu de la proximité géographique. D'ailleurs, il a eu satisfaction avec l'arbitrage de 1992 ; et la « baguette » sud de 12 milles de large a été fermée. Nous n'avons pas contesté l'arbitrage pour des raisons sur lesquelles je ne reviens pas. Toute tentative d'y revenir est exclue ; les Canadiens ont une sensibilité épidermique sur ce sujet.
M. Joël Guerriau
Et la Corse ?
M. Élie Jarmache
Il n'existe pas de décret spécifique. Cela dit, le couloir à l'est de la Corse fait l'objet de toutes les attentions, comme nous l'avons vu récemment à Rome. De toute façon, la ZEE en Méditerranée reprend les limites de la zone de protection écologique du décret de 2004. Et nous ne touchons pas aux Bouches de Bonifacio, qui ont un statut international. Nous devrions parvenir à un accord avec l'Italie avant la fin 2012, peut-être dès l'été.
Le plateau continental appartient à la zone économique exclusive tout en ayant une vie autonome. Le plateau continental étendu est une innovation de Montego Bay, bien qu'une définition en ait été donnée par la convention de Genève de 1958. À l'époque, on pouvait aller jusqu'à 200 mètres de profondeur... C'est fort peu au vu des techniques utilisées aujourd'hui. On considère désormais que le plateau peut s'étendre, quelle que soit la profondeur, jusqu'à 200 milles nautiques, ce qui est une aberration pour les géologues. D'où l'utilisation par les Anglo-saxons de l'expression legal continental shield , plateau continental juridique.
L'appétit venant en mangeant, certains États côtiers ont voulu étendre le plateau jusqu'à 350 milles - le plateau, non la zone économique exclusive. Pour obtenir une extension, il faut apporter des preuves devant la commission des limites du plateau continental ; il y est question de l'épaisseur de la roche sédimentaire et autres éléments ou indicateurs techniques. J'ai défendu récemment le dossier des Antilles, qui se présente bien, et celui des Kerguelen, qui se présente moins bien... Jusqu'à aujourd'hui, la commission n'a jamais accepté d'aller jusqu'à 350 milles, c'est un plafond.
Si leur plateau - fond, sol, sous-sol et leurs ressources - est étendu, les États acquièrent de nouveaux droits souverains pour exploiter - ou interdire l'exploitation...
M. Jeanny Lorgeoux
C'est fondamental pour l'exploitation d'éventuels gisements d'hydrocarbures...
M. Élie Jarmache
Oui. Parlez-en au sénateur de Guyane ! Mais les enjeux sont scientifiques aujourd'hui; les enjeux économiques et sociaux sont plus lointains.
M. Jeanny Lorgeoux
C'est-à-dire ?
M. Élie Jarmache
La prospective m'embarrasse toujours... On parle ici de 2016, là de 2030, voire 2050, à partir de scénarios et d'hypothèses divers. L'importance de la contrainte écologique portée par la Commission européenne ne doit pas être négligée.
M. Jean-Étienne Antoinette
La France a déposé ses premiers dossiers d'extension en 2009. Comment a-t-on choisi les zones prioritaires ? Jusqu'en 2002, il n'existait pas de budget alloué à ce programme. Les moyens sont-ils maintenant au rendez-vous ?
M. Élie Jarmache
Oui, depuis 2003. Auparavant, la problématique de l'extension était bien là, mais pas le financement. Nous disposons aujourd'hui d'un budget et d'une organisation qui font des envieux... Le 9 avril 2002, juste avant l'élection présidentielle, le cabinet du Premier ministre a créé le programme Extraplac et prévu un budget jusqu'en 2009 dont la reconduction était garantie. Quel confort ! Le Premier ministre a accepté fin 2009 de poursuivre. Votre collègue Roland Courteau, qui m'avait consulté, a semble-t-il eu davantage de difficulté avec le centre d'alerte aux tsunamis en Méditerranée.
La subvention de l'État est de 18 millions d'euros, contre 40 millions pour le Danemark et 100 millions pour le Canada. Nuançons : si l'on tient compte des apports en moyens de l'Ifremer et du Shom, le montant est supérieur. Au total, cela correspond à 10 euros par km 2 de plateau continental.
Nous avons déposé tous les dossiers d'extension en mai 2009, voire auparavant pour le dossier guyanais. Il a été prévu que les États parties à la convention puissent, en cas de retard, déposer des lettres d'intention auprès du Secrétariat général de l'ONU. La France a utilisé cette procédure pour la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon ; le dossier de Clipperton était prêt mais nous l'avons retiré....
Pour la Guyane, dont le dossier a été déposé en 2007-2008, la décision de la commission des limites est intervenue en septembre 2009 : 72 000 km 2 s'ajoutent dorénavant aux 126 000 existants. La négociation que j'ai menée, croyez-moi, a été rude. Le président de la sous-commission, un Mexicain, bon scientifique, avait rendu une première décision qui nous avait abasourdis. J'ai demandé que le dossier reste ouvert, en arguant que la France ne pouvait pas avoir dépensé un million en campagnes au large pour un si piètre résultat ! Nous avons finalement obtenu satisfaction.
Une autre anecdote, si vous le permettez. J'ai rencontré il y a deux ou trois ans M. Thierry Desmarets ; son regard sur l'extension était alors plutôt lointain... L'année dernière, après l'annonce des premières découvertes, son regard avait changé... Lors des réunions, le représentant de Bercy finit toujours par demander : « où est le privé ? ». Le privé ne vient qu'après que la puissance publique a fait son travail... L'extension ouvre de nouvelles perspectives ; une disposition législative a même été votée pour un partage des taxes entre l'État et le département...
M. Jean-Étienne Antoinette
Le Sénat est allé à cette occasion plus loin que l'Assemblée nationale...
M. Élie Jarmache
Le classement des dossiers ? Il ne repose pas sur des raisons politiques, mais sur des données scientifiques. Lorsque celles-ci étaient solides et complètes, il était possible de convaincre. D'où la première sélection et en Guyane la campagne qu'on a appelée « Guyapac ».
M. Maurice Antiste
Il faudra une extension à ce débat, comme il en existe une au plateau continental... Nous avons encore mille questions à vous poser... En voici une, sur le budget : le Canada consacre-t-il 100 millions d'euros au financement des mêmes missions que la France ?
M. Élie Jarmache
Oui, cela inclut les voyages et les séjours à New-York, l'acquisition des données en mer, le montage des dossiers. Nous défendons un dossier dès qu'il est prêt. C'est une manière d'animer l'équipe et d'expérimenter le face-à-face avec la commission des limites. Celle-ci est composée en plénière de 21 membres, experts scientifiques, ingénieurs, géologues ou hydrographes. Il y a trois unités d'instruction de sept membres chacune. Notre premier dossier, qui concernait le Golfe de Gascogne, a été bouclé en 2009, soit après trois ans d'instruction. Il a fallu deux ans pour la Guyane.
M. Maurice Antiste
Qui rend les décisions ?
M. Élie Jarmache
La commission prend des « recommandations », mais la Convention dit qu'elles sont définitives et contraignantes. Le Brésil a refusé la « recommandation » de la commission en 2007, a fait savoir qu'il ne s'y plierait pas et a préféré revoir entièrement son dossier. C'est cela que nous attendons pour notre dossier guyanais.
M. Michel Vergoz
Tout cela est passionnant. Merci de m'avoir oxygéné l'esprit ! Vous montez la scène sur laquelle seront exploitées les futures richesses. Les technologies ont fait d'énormes progrès ces dix ou quinze dernières années. Le profane que je suis a été stupéfié de voir des débris de l'avion Rio-Paris remontés de 4 000 m de profondeur.
Que pensez-vous des perspectives d'exploitation ? Les Français sont-ils prêts à se retrousser les manches ? Si non, tout votre travail aura été en pure perte. Où se prennent les décisions ?
Les régions, qui jouissent de compétences économiques élargies, jouent-elles un rôle dans ce grand mouvement qui semble un peu parisien?
M. Jean-Étienne Antoinette
Un partenariat public-privé est-il envisageable pour financer votre programme ? Après tout, derrière l'extension, il y a l'exploitation...
M. Élie Jarmache
À Matignon, un conseiller budgétaire pose toujours la question : « où est le privé dans tout ça ? ». Mais tant qu'il n'y a pas de titre juridique, l'industriel ne bouge pas, il n'investira qu'une fois l'extension consolidée. Cela dit, les partenariats de nature technique ne manquent pas ; Technip, un de nos champions mondiaux, vient de signer un gros contrat avec le Brésil. Sur le plateau de Wallis-et-Futuna, il y a semble-t-il des réserves d'amas sulfurés ; deux campagnes de l'Ifremer y ont été financées en partenariat avec Eramet, Areva et Technip.
Il faudrait également évoquer les ressources génétiques des fonds marins, auxquelles Le Figaro consacrait un article hier. Il y a, dans ces zones, c'est une certitude, un gisement d'activités à forte valeur ajoutée ; mais il ne faudra jamais perdre de vue la contrainte écologique européenne.
M. Jacques Cornano
Pourriez-vous m'apporter, une prochaine fois, des précisions sur la coopération bilatérale dans les Antilles ?
M. Élie Jarmache
Bien volontiers.
M. Serge Larcher
Je vous remercie pour ces très intéressantes informations. Nous allons certainement nous revoir en juin...