Rapport d'information n° 407 (2013-2014) de M. Pierre BERNARD-REYMOND , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 26 février 2014
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PRINCIPALES ORIENTATIONS ET PROPOSITIONS
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INTRODUCTION
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1ÈRE PARTIE : L'EUROPE
« CRÉPUSCULAIRE » ?
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I. L'UNION EUROPÉENNE : UN GRAND PROJET
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II. UNE EUROPE QUI N'EST CEPENDANT PAS
ASSURÉE DE SON AVENIR
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I. L'UNION EUROPÉENNE : UN GRAND PROJET
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2ÈME PARTIE : POUR UNE RELANCE DU
PROJET EUROPÉEN
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I. POUR UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DE L'UNION
EUROPÉENNE : FAIRE COHABITER DEUX CONCEPTIONS DE L'EUROPE SANS
ENTRAVER OU RALENTIR LE RYTHME DE SA CONSTRUCTION
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II. REFONDER LA GOUVERNANCE
EUROPÉENNE
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A. UN MODÈLE EUROPÉEN SINGULIER ET
À PLUSIEURS ÉTAGES OU PLUSIEURS CERCLES
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1. Un modèle européen singulier qui
doit être conforté : la communauté de nations
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2. Le rôle moteur du couple
franco-allemand
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3. La zone euro : vers une Europe plus
intégrée
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4. L'Europe espace fondée essentiellement
sur le marché unique
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5. Deux domaines à géométrie
variable : la défense européenne et l'espace Schengen
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1. Un modèle européen singulier qui
doit être conforté : la communauté de nations
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B. DES INSTITUTIONS RENOUVELÉES
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A. UN MODÈLE EUROPÉEN SINGULIER ET
À PLUSIEURS ÉTAGES OU PLUSIEURS CERCLES
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I. POUR UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DE L'UNION
EUROPÉENNE : FAIRE COHABITER DEUX CONCEPTIONS DE L'EUROPE SANS
ENTRAVER OU RALENTIR LE RYTHME DE SA CONSTRUCTION
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CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
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ANNEXE - LISTE DES PERSONNES
AUDITIONNÉES
N° 407
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 février 2014 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les perspectives de l' Union européenne ,
Par M. Pierre BERNARD-REYMOND,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca. |
PRINCIPALES ORIENTATIONS ET PROPOSITIONS
24 PROPOSITIONS POUR L'EUROPE
« C'est en étant davantage Européens
que nous pourrons rester souverains »
L'Europe : un projet de Civilisation servi par une Puissance organisée sur le mode du Fédéralisme pour forger une Communauté de nations
I/ Refonder la gouvernance européenne en organisant une Europe à plusieurs cercles concentriques et à rythmes différenciés en maintenant l'objectif d'une cohérence globale
1. Promouvoir « l'Europe puissance » avec les pays qui le souhaitent dans la perspective de l'établissement d'une communauté de nations de type fédéral.
2. Organiser un nouveau type de relations avec les États qui veulent s'en tenir à « l'Europe espace »
3. Relancer l'entente franco-allemande et y associer davantage les États les plus favorables à l'intégration européenne.
4. Développer des coopérations renforcées au sein de la zone euro en n'excluant pas de les ouvrir à des États qui n'en font pas encore partie dès lors que leur objectif est de construire « l'Europe puissance ».
II/ Renforcer la capacité économique de l'Europe
5. Alimenter le budget européen par des ressources propres représentant au moins 60 % de celui-ci d'ici 10 ans.
6. Doubler le montant du budget européen d'ici 10 ans.
7. Autoriser l'Europe à emprunter en lui appliquant les règles de Maastricht.
8. Créer des euro-bonds dès lors que les dettes nationales seront contrôlées et les compétitivités remises en convergence.
9. Autoriser une politique des taux de change confiée à la B.C.E.
10. Réformer la Cour des comptes européenne et lui conférer un rôle d'analyse et de conseil plus important, élargir sa compétence à l'analyse des économies nationales en étroite relation avec les cours des comptes nationales existantes.
III/ Réformer les institutions
« L'Europe sera politique ou ne sera plus »
11. Faire élire le président de « l'Europe puissance » par tous les parlementaires des pays qui y ont adhéré - députés et sénateurs nationaux et parlementaires européens - et supprimer la présidence tournante du Conseil.
12. Faire élire le président de la Commission par le Parlement européen.
13. Faire élire les parlementaires européens selon une procédure électorale uniforme arrêtée par le Parlement lui-même, sur une base tenant davantage compte de la démographie.
14. Accroître les responsabilités du Parlement européen, en lui donnant le droit de voter une partie des recettes et en lui conférant un droit d'initiative à l'instar de celui que possède la Commission.
15. Hiérarchiser la Commission en fonction de l'importance des responsabilités exercées par chacun des hauts commissaires, commissaires, commissaires délégués ; créer en particulier des postes de haut-commissaire à l'économie, à la recherche, à la défense, à l'écologie, aux institutions, à la justice, à la santé et la solidarité, en plus de celui des affaires étrangères.
16. Renforcer l'organisation de la zone euro : réunions régulières des chefs d'État et de l'euro-groupe ; présidence permanente.
17. Démocratiser la zone euro par l'association systématique de parlementaires nationaux.
18. Supprimer la règle de l'unanimité au Conseil de « l'Europe puissance ».
19. Prévoir au sein de « l'Europe puissance » l'adoption d'un traité environ tous les six ou sept ans pour inscrire dans les institutions, l'évolution de l'Union vers une intégration plus forte.
20. Faire ratifier les traités par une Assemblée AD HOC, un SÉNAT EUROPÉEN, désigné pour la circonstance et émanant des parlements nationaux et du Parlement européen.
IV/ Renforcer les acquis et mieux communiquer sur l'Europe
21. Consolider les acquis de l'Union en poursuivant et en approfondissant les actions et réglementations nécessaires en réponse à la crise : régulation, contrôle budgétaire, surveillance bancaire, développement des politiques sectorielles (économie numérique, énergie, fiscalité, politique industrielle, sociale, recherche et développement).
22. Mettre fin à l'inflation normative inutile et réformer la politique de communication de la Commission.
V/ Encourager une meilleure identification de l'Europe par les citoyens
23. Améliorer la connaissance mutuelle des peuples européens par la création dans chaque État d'une radio émettant au moins 18 heures par jour et permettant à chaque citoyen de mieux connaître la vie quotidienne - évènementielle, politique, économique, sociale, culturelle, sportive, etc. - des autres peuples de l'Union.
24. Créer une carte d'identité européenne à côté des cartes d'identités nationales pour chaque citoyen de l'Union ; rendre obligatoire la juxtaposition du drapeau européen aux drapeaux nationaux ; recommander l'exécution systématique de l'hymne européen après toute exécution de l'hymne national.
INTRODUCTION
« C'est en étant davantage Européens que nous pourrons rester souverains. »
La crise financière née aux États-Unis des excès de l'ultralibéralisme, qui a déferlé sur le monde et qui s'est prolongée en crise économique, sociale et morale, a mis en évidence la fragilité de la construction européenne. L'Europe s'est montrée vulnérable pour des raisons spécifiques : sa construction n'étant pas achevée, elle ne dispose pas encore de la cohésion et de tous les instruments nécessaires pour répondre rapidement et avec toute l'efficacité nécessaire à des chocs aussi violents que la crise actuelle. C'est ainsi, par exemple, que lors de la création de l'euro, le pilier monétaire n'a pas été accompagné par celui de la gouvernance économique, indispensable à la gestion de toute monnaie.
Par ailleurs, beaucoup de chefs d'États et de gouvernements n'ont jamais eu le courage d'expliquer à leurs peuples que les trente glorieuses avaient pris fin et que la mondialisation représentait un formidable défi en terme de compétitivité. Ils ont préféré occulter cette dure réalité par des endettements excessifs qui constituent aujourd'hui de sérieux handicaps pour relancer la croissance. Dans d'autres pays, une spéculation exacerbée a provoqué des bulles financières ou immobilières qui devaient bien éclater un jour.
De même, il est devenu habituel pour les gouvernants de revendiquer pour eux-mêmes les mesures positives et d'attribuer à l'Europe la responsabilité de toutes celles qui sont impopulaires.
En outre, l'Europe, trop lointaine et trop technocratique, cède trop souvent à l'inflation normative et prête fréquemment le flanc à la critique. Dans sa gestion quotidienne, la « Commission de Bruxelles » éprouve beaucoup de difficultés à se faire comprendre et encore plus à se faire apprécier. Trop de propositions ou de décisions émanant de sa part et touchant à la vie quotidienne de nos concitoyens complaisamment relayées par la presse, apparaissent inutiles, exagérées, incompréhensibles, prises à contre temps, ou trop pénalisantes aux yeux des citoyens de l'Union. Ceci est d'autant plus regrettable que la Commission a par ailleurs accompli un travail considérable.
Plus que tout, ce que reprochent nos concitoyens à l'Europe, c'est son opacité, sa dérive technocratique et une démocratie largement inachevée.
La coexistence de deux conceptions de l'Europe au sein de l'Union : « l'Europe espace », intergouvernementale essentiellement centrée sur le marché unique, et « l'Europe puissance », politique, intégrée, à vocation fédérale n'a jamais été tranchée ou organisée ; ceci constitue une entrave rédhibitoire à la construction européenne.
Les différents élargissements posent également des problèmes d'efficacité du mode de gouvernance. Il est beaucoup plus difficile de prendre des décisions à vingt-huit plutôt qu'à six, surtout lorsque demeure la règle de l'unanimité.
Sur un plan structurel, l'Europe a encore beaucoup à faire pour être un continent intégré : les différences de performances économiques NORD-SUD, les divergences de compétitivité, les flux migratoires EST-OUEST en matière de main-d'oeuvre sont le signe d'un espace en manque d'homogénéité flagrant.
Certes, cette crise a constitué par ailleurs un formidable accélérateur de l'intégration économique européenne. Qu'il s'agisse de la régulation, de la surveillance budgétaire ou bancaire, il n'eut pas été imaginable de progresser aussi rapidement en période de croisière, même si l'on aurait tort de croire « que la crise est finie ».
Quoi qu'il en soit, l'Europe est dans une situation très délicate et très incertaine ; sur le plan économique, elle doit faire face à la plus grave crise rencontrée depuis la deuxième guerre mondiale. Le chômage atteint des niveaux exceptionnels. Sur le plan politique, de moins en moins de gouvernements, d'hommes politiques, de parlementaires ou de citoyens osent s'afficher comme des militants de la construction européenne ; on constate un développement du scepticisme ou de l'indifférence, un désamour des opinions publiques et l'on assiste à la montée des populismes, des nationalismes et des séparatismes.
Les peuples sont reconnaissants à l'Europe d'avoir établi la paix de façon durable sur leur continent, ils apprécient qu'elle ait été capable d'assumer sa réunification au lendemain de l'implosion de l'URSS, mais face au troisième défi, celui de la mondialisation, ils attendaient d'elle, à tort ou à raison, davantage de protection et moins de rigueur face à la crise. Ils en font donc volontiers un bouc émissaire et sont tentés de se replier sur leur nation, voire sur des identités régionales, alors que face à la mondialisation, l'Europe n'a jamais été aussi nécessaire . Si nous voulons être encore demain des acteurs sur la scène internationale et préserver notre modèle démocratique et social, « l'Europe n'est pas le problème, elle est la solution ».
Nous sommes donc à un moment crucial où notre destin peut basculer vers l'effacement et la décadence. Aucun État européen ne représente à lui seul plus de 1 % de la population mondiale, en 2050, au rythme actuel, plus aucun État d'Europe, sauf peut-être l'Allemagne, ne figurera parmi les dix premières puissances du monde. Inversement, au prix d'un ressaisissement et d'une grande mutation, dans la ligne des « Pères Fondateurs », nous pouvons ensemble continuer à défendre dans le monde nos intérêts et notre modèle sociétal. C'est en étant davantage Européens que nous pourrons rester souverains !
Mais pour y parvenir, il faut réenchanter et refonder l'Europe , entraîner les peuples vers un PROJET renouvelé. Ceci suppose, dans le respect des nations, de l'identité et de la culture de chacun de nos peuples, de nouveaux transferts de souveraineté, davantage d'intégration et beaucoup plus de démocratie.
L'Europe doit être un PROJET de CIVILISATION, servi par une PUISSANCE, organisé selon le mode du FEDERALISME DECENTRALISE et constituant une COMMUNAUTE DE NATIONS.
Le mode de gouvernance actuel est à bout de souffle ; la méthode intergouvernementale n'est plus adaptée à la nouvelle étape de la construction européenne et aux défis qu'elle rencontre.
L'Europe a besoin d'Hommes ou de Femmes d'État davantage inspirés par l'avenir à long terme de leur continent que par leur propre réélection qui en raccourcissant leur horizon conceptuel, les enferme dans le « carré tragique » des sondages, du marketing, de la tactique électorale et de la communication. De même, ayant pris goût à l'exercice de pouvoirs exécutifs de plus en plus puissants, les chefs d'État doivent cesser de se complaire dans la dramaturgie des Conseils européens et accepter qu'une partie du pouvoir qu'ils exercent, soit dévolue à une autorité supérieure. Dans un monde en pleine ébullition et en profonde mutation, les chefs d'État doivent à nouveau montrer le chemin, proposer un PROJET rassembleur, mobilisateur et ne pas craindre d'avancer vers une Europe plus intégrée plutôt que de suivre leurs opinions publiques au gré des états d'âme collectifs.
L'Europe doit notamment se doter d'une voix, d'un visage et d'un patron, démocratiquement désigné, qui incarne à l'intérieur et à l'extérieur, l'ambition des peuples d'Europe et qui soit doté des pouvoirs nécessaires pour la conduire dans le respect des nations et de la subsidiarité, selon une organisation pleinement démocratique, en réformant la Commission, en associant plus régulièrement les parlements nationaux et en accroissant les prérogatives et les responsabilités du Parlement européen.
Un tel projet ne recueillera pas l'assentiment de tous les États européens, ce n'est pas un drame ; il faudra lancer un véritable « appel d'offres fédéral » pour rassembler autour du noyau franco-allemand, les États qui, conscients des enjeux de la mondialisation et de la réorganisation planétaire qui s'esquisse, sont convaincus qu'une Europe plus intégrée est devenue absolument vitale pour l'avenir de nos peuples et leur place dans le monde de demain.
Il conviendra ensuite de réorganiser les relations que ce noyau entretiendra avec les nations qui ont une autre conception de l'avenir européen, plus intéressées par le Marché Unique, le mode de gestion intergouvernemental, une diplomatie classique et par l'atlantisme, et avec qui seront conservés des liens de coopération étroits, mais qui ne pourront empêcher ceux qui veulent aller plus vite et plus loin, de le faire. Dans ce troisième cercle, seront également accueillis d'éventuels nouveaux membres qui pourront par la suite rejoindre le cercle intégré dès lors qu'ils en auront accepté l'objectif et les règles.
Le présent rapport s'attachera à mettre en évidence les difficultés que rencontre le projet européen, à en analyser les causes, avant de souligner les atouts réels dont dispose l'Union européenne pour offrir à ses peuples, une société plus prospère et plus humaine et pour exister encore demain dans la société internationale et y jouer un rôle majeur.
1ÈRE PARTIE : L'EUROPE « CRÉPUSCULAIRE » ?
I. L'UNION EUROPÉENNE : UN GRAND PROJET
En unifiant leurs forces autour du projet européen, les peuples des États membres ont pu vivre en paix, bénéficier d'un niveau de vie élevé, construire une société plus humaine, accueillir de nouveaux États qui renouaient avec la démocratie, bâtir peu à peu un véritable projet de civilisation fondé sur la liberté, la démocratie et la solidarité.
A. DES RÉALISATIONS MAJEURES
L'Union européenne a permis de préserver durablement un espace de paix. Elle a construit une communauté de droit. Elle a bâti un grand marché unique qui est un atout majeur. Elle conduit des politiques de plus en plus diversifiées et elle a permis des avancées concrètes pour les citoyens. À cette fin, elle a déployé une méthode originale qui la fait échapper aux classifications traditionnelles.
1. Un espace de paix
Au lendemain de deux guerres mondiales qui ont ravagé le continent, la construction européenne a permis de construire un espace de paix et de stabilité entre les États membres. Cet acquis majeur doit sans cesse être rappelé face à tous ceux qui ont la nostalgie du schéma « diplomatique » d'avant-guerre qui a conduit notre continent à la catastrophe. Le drame des Balkans est là pour nous rappeler que la paix est toujours un acquis fragile qui doit être sans cesse consolidé.
Cet objectif de paix durable a été présent dès l'origine de la construction européenne. En proposant à l'Allemagne de mutualiser les productions du charbon et de l'acier, la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 tendait à rendre la guerre impossible entre les deux États. Elle amorçait ainsi la réconciliation franco-allemande et mettait en place un cadre de coopération où l'Allemagne pourrait dialoguer à égalité avec ses futurs partenaires. Tout en s'inscrivant dans la perspective de la création d'une « fédération européenne », elle préconisait une démarche pragmatique par l'établissement de « solidarités de fait » entre les États européens. C'est de ces solidarités que devait surgir plus d'intégration politique. Cette démarche a inspiré la création de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA), en 1952, puis de la Communauté économique européenne (CEE) et de la Communauté européenne de l'Énergie Atomique (CEEA), en 1957. Elle a posé les fondements de l'Union européenne.
L'esprit de réconciliation et de coopération a aussi animé la signature du Traité de l'Élysée du 22 janvier 1963, dont on vient de célébrer le 50 ème anniversaire et qui a permis le rapprochement franco-allemand. Ce traité est d'autant plus symbolique de la volonté de paix qui anime le projet européen qu'il est le fruit de deux très grandes personnalités : le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Il lance le « couple » franco-allemand qui a vocation à être le moteur de la construction européenne. Il exprime l'essence même du projet européen fondé sur une paix durable garantie par une interdépendance économique et une entente politique.
La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, a ouvert la voie à la réunification allemande, effective en 1990, qui a marqué de manière hautement symbolique la fin de la guerre froide et de la division du continent européen. L'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, en deux étapes, en 2004 et 2007 pour la Bulgarie et la Roumanie, a concrétisé la réunification européenne autour d'un projet de paix et de prospérité économique. Elle a aussi créé un nouveau contexte pour les relations de l'Union européenne et de la Russie, dont on espère qu'elles pourront prendre un nouvel essor. 1 ( * )
2. Une communauté de droit
L'Union européenne s'est construite comme communauté de droit. La protection des droits fondamentaux a pendant longtemps relevé du Conseil de l'Europe dont tous les États membres de la Communauté européenne étaient membres. C'est au sein du Conseil de l'Europe que fut conclue, en 1950, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et que fut instituée la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).
Entrée en vigueur en 1953, la CEDH a consacré une série de droits et libertés civils et politiques (droit à la vie, à la liberté et à la sûreté, à un procès équitable, au respect de la vie privée et familiale, liberté de pensée, de conscience et de religion, d'expression, de réunion et d'association, droit à un recours effectif, interdiction de discrimination...). Elle a aussi instauré un dispositif visant à garantir le respect de leurs obligations par les États contractants. La France a ratifié la CEDH le 3 mai 1974. Elle a adhéré au droit de recours individuel des citoyens le 2 octobre 1981.
À partir de 1969, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) s'est reconnue compétente en matière de respect des droits fondamentaux. Avant même que le traité de Maastricht (1992) n'officialise le respect des principes contenus dans la convention européenne des droits de l'Homme, la Cour de Justice les avait déjà érigés en principes communautaires.
Les traités affirment désormais toute la force des droits fondamentaux dans la conception même de l'Union européenne. En préambule, les États membres confirment « leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et de l'État de droit ; leur attachement aux droits sociaux fondamentaux tels qu'ils sont définis dans la Charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961, et dans la Charte communautaire des droits fondamentaux des travailleurs de 1989. »
L'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE) souligne que « l'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. »
L'article 6 rappelle que « les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »
Cet article introduit une référence explicite au système juridique de référence pour les droits fondamentaux. Le texte de base est celui de la CEDH. Il maintient un spectre d'interprétation large au juge communautaire. Celui-ci peut, en effet, élever au niveau de droits fondamentaux de l'Union des principes généraux et traditions constitutionnelles. La CJCE a ainsi élevé un certain nombre de droits et libertés, prévus dans les traités, au rang de droits fondamentaux, comme la liberté de circulation, la liberté économique, l'égalité de traitement, la liberté d'association, d'opinion, le droit de pétition.
Le traité d'Amsterdam a introduit l'article 7 TUE qui prévoit les modalités d'action de l'Union en cas « de violation grave et persistante par un État membre des principes énoncés à l'article 6 ».
3. Le marché unique
Le marché unique est à ce jour la grande réalisation de la construction européenne. Il offre aux personnes et aux entreprises un vaste espace de libre circulation et de libre commerce de plus de 500 millions de consommateurs. Il compte plus de 20 millions d'entreprises dont une très grande majorité de petites et moyennes. Les échanges entre les pays de l'Union européenne sont passés de 800 milliards d'euros en 1992 à 2 800 milliards en 2010.
Dans sa communication d'octobre 2010, la Commission européenne a estimé que le marché unique avait permis de créer 2,75 millions d'emplois supplémentaires. Il a en outre apporté un surcroît de 1,85 % de croissance pour la période 1992-2009. Le commerce intra-européen représente respectivement 17 % et 28 % du commerce mondial des biens et des services.
Globalement, le marché unique a logiquement conduit à la création de l'union économique et monétaire par le traité de Maastricht (1992). L'euro a supprimé les coûts de transaction liés à la conversion des monnaies. L'absence de risque de change a favorisé les échanges au sein de la zone euro. L'euro, très utilisé pour les paiements internationaux, est aussi l'une des monnaies de réserve les plus importantes avec le dollar américain et le yen japonais.
Le marché unique a aussi développé la capacité des entreprises européennes à affronter la concurrence sur les marchés mondiaux. Entre 1992 et 2011, l'Union a triplé ses échanges avec le reste du monde (1 500 milliards d'euros en 2011 contre 500 milliards en 1992). Réciproquement, l'Europe est devenue plus attractive pour les investisseurs étrangers qui ont désormais accès à un marché plus large.
4. Des politiques de plus en plus diversifiées
Un certain nombre de politiques sectorielles ont permis de lever progressivement les multiples barrières à la libre circulation des marchandises, des services, des personnes et des capitaux. Tel fut en particulier l'objet de la politique de la concurrence. La politique agricole commune (PAC) a permis à l'Europe d'atteindre rapidement l'autosuffisance alimentaire. La politique de cohésion a concrétisé l'exigence d'une solidarité effective au profit des territoires les plus démunis ou subissant des transitions délicates. La politique commerciale commune a mis l'Union européenne en position de peser davantage dans les grandes négociations internationales. Il a également favorisé le développement de politiques de réseaux transeuropéens, la prise en compte de la problématique industrielle et des politiques de soutien à la recherche et développement.
Le projet européen a aussi cherché à bâtir une Europe plus proche des citoyens. La constitution de l'Union européenne en un « espace de liberté, de sécurité et de justice » : telle fut l'ambition affirmée par le traité d'Amsterdam (1997). Mais si l'Europe est un espace de libre circulation, elle est aussi un espace de protection des citoyens à travers la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale. C'est en particulier tout l'intérêt des organismes de coopération que sont Europol et Eurojust. Avec la coopération judiciaire civile, la coopération judiciaire dans le domaine pénal doit permettre de construire progressivement une « Europe de la justice » .
Au fil des traités successifs, l'Union européenne a aussi renforcé son action dans le domaine social. Elle a mieux intégré les enjeux en matière d'environnement et de lutte contre le changement climatique. Elle appuie les actions des États membres dans les domaines de la culture et de l'éducation.
5. Des avancées concrètes pour les citoyens
Comme l'a rappelé notre collègue André Gattolin, dans une communication du 4 décembre 2013 2 ( * ) , la citoyenneté européenne, introduite par le traité de Maastricht (1992), dont est issu le traité sur l'Union européenne, a contribué à donner une dimension politique nouvelle à l'intégration européenne. Le traité d'Amsterdam (1997) a précisé que la citoyenneté européenne « complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». Cette formule a été reprise par le traité de Lisbonne (2007) avec une légère modification (« s'ajoute à » au lieu de « complète » ). L'article 9 TUE spécifie qu'est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. Le traité de Lisbonne a consolidé le lien entre citoyenneté et démocratie en intégrant la citoyenneté européenne dans les dispositions relatives aux principes démocratiques.
Le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes constitue la traduction la plus symbolique de cette citoyenneté européenne. Le traité (article 9 TUE) prévoit par ailleurs que « dans ses activités, l'Union respecte le principe d'égalité de ses citoyens, qui bénéficient d'une égale attention de ses institutions, organes et organismes. » Ce principe d'égalité fait partie des principes généraux du droit de l'Union dégagés par la Cour de justice ( arrêt, 13 novembre 1984, Racke ). Il impose que les situations comparables ne soient pas traitées d'une manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée, et interdit de traiter de manière différente des situations identiques.
Le traité de Lisbonne a renforcé le lien entre citoyenneté et non-discrimination. La deuxième partie du TFUE, intitulée « Non-discrimination et citoyenneté », intègre les dispositions prohibant toute discrimination exercée en raison de la nationalité (article 18) et celles qui interdisent toute discrimination fondée sur d'autres motifs : sexe, race ou origine ethnique, religion ou convictions, handicap, âge ou orientation sexuelle (article 19).
La Cour de justice souligne que la citoyenneté européenne a vocation à être le « statut fondamental des ressortissants des États membres » ( arrêt, 20 septembre 2001, Grzelcyzk ). Au-delà du principe d'égalité, le TFUE (articles 20 à 25) énonce la liste des droits qui résultent de la citoyenneté européenne. Certains de ces droits sont spécifiques aux citoyens européens : droit de circulation et de séjour, droit de vote et d'éligibilité aux élections européennes et municipales dans l'État de résidence, droit à la protection diplomatique et consulaire, droit de s'adresser aux institutions et organes de l'Union dans sa langue. D'autres sont accordés à toute personne physique ou morale résidant dans un État membre, y compris aux ressortissants de pays tiers : droit de saisir le Médiateur européen, droit de pétition au Parlement européen.
Le traité de Lisbonne a ajouté plusieurs dispositions pour donner un contenu plus concret à la citoyenneté européenne :
- le Conseil, statuant à l'unanimité, peut, après consultation du Parlement européen, adopter des mesures concernant la sécurité sociale ou la protection sociale, afin de faciliter l'exercice de la libre circulation (article 21 §3 TFUE) ;
- selon la même procédure, il peut adopter des directives relatives à la protection diplomatique et consulaire des citoyens européens (alors qu'auparavant, les traités se bornaient à renvoyer aux règles établies entre les États membres) (article 23 TFUE) ;
- les droits résultant de la citoyenneté européenne peuvent être complétés par le Conseil ; celui-ci statue à l'unanimité après approbation par le Parlement européen (et non plus simple consultation comme auparavant) ; les dispositions sont ensuite soumises à la ratification des États membres.
Par ailleurs, selon la procédure législative ordinaire (codécision), le Conseil et le Parlement européen déterminent les modalités selon lesquelles le droit d'initiative citoyenne, créé par le traité de Lisbonne (article 11 §4 TUE et article 24 TFUE), est exercé, notamment le nombre minimum d'États membres dont les citoyens - un million au moins - qui la présentent doivent être issus.
Les droits des citoyens européens résultent aussi de la Charte des droits fondamentaux - qui est désormais juridiquement contraignante - dont le Préambule précise que l'Union « place la personne au coeur de son action en instituant la citoyenneté de l'Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice ». Le chapitre V de la Charte garantit des droits déjà énoncés par le TFUE et y ajoute le droit d'accès aux documents ainsi que le droit à une bonne administration, qui sont également reconnus à toute personne résidant dans un État membre.
Avec la libre circulation, les citoyens européens se sont vu reconnaître le droit d'entrer et de circuler sur le territoire d'un autre État membre ainsi que le droit d'y séjourner et d'y demeurer, sous certaines conditions, après y avoir occupé un emploi. Plus de quinze millions de citoyens européens ont ainsi fait le choix de travailler ou de s'installer dans un autre État membre, tout en bénéficiant d'une protection sociale adéquate et de droits civiques. Le programme Erasmus a bénéficié à plus de trois millions d'étudiants qui ont ainsi pu faire l'expérience très enrichissante de mener des études supérieures dans un autre État que leur État d'origine.
Grâce à la transférabilité des droits de sécurité sociale, les citoyens européens qui se déplacent à l'intérieur de l'Union conservent pour leur famille et eux-mêmes leurs droits à la sécurité sociale.
La protection des consommateurs a été mieux prise en compte dans la construction européenne. L'article 169 TFUE précise que « l'Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts ». L'article 12 TFUE prévoit en outre que « les exigences de protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en oeuvre des autres politiques et actions de l'Union ». L'espace de paiement en euros doit permettre aux citoyens européens d'effectuer rapidement des virements entre comptes bancaires et d'utiliser leur carte bancaire pour leurs achats à l'étranger. Un règlement de 2012 (n° 260/2012) a établi des exigences techniques et commerciales communes pour les virements et prélèvements en euros. 3 ( * )
6. Une méthode originale au service d'un projet intégré
Pour mettre en oeuvre l'ambition européenne, les traités ont mis en place un dispositif institutionnel qui combine la méthode communautaire et la décision intergouvernementale.
La méthode communautaire exprime la volonté de promouvoir une démarche d'intégration dans laquelle l'intérêt général européen l'emporte sur les blocages souvent fondés sur les égoïsmes nationaux. Dans ce but, un monopole de l'initiative est reconnu à la Commission européenne à laquelle revient la responsabilité d'identifier cet intérêt général. Son statut d'indépendance à l'égard des États membres doit en principe l'aider dans cette tâche. Le Conseil européen, réunion des chefs d'État ou de gouvernement, consacré comme institution de l'Union par le traité de Lisbonne (2007), joue toutefois un rôle d'impulsion essentiel dans la définition et la mise en oeuvre des politiques européennes.
La majorité qualifiée au Conseil est la deuxième expression de la méthode communautaire. Elle doit éviter qu'un seul État membre puisse bloquer le processus de décision contre la volonté des autres États. La codécision avec le Parlement européen, dont le champ d'application n'a cessé de s'étendre depuis sa création par le traité de Maastricht (1992), manifeste le caractère démocratique du processus de décision. L'élection au suffrage universel direct du Parlement européen, à compter de 1979, avait au préalable permis aux citoyens d'exprimer directement leurs choix sur la construction européenne en élisant directement leurs représentants. Enfin, le contrôle opéré par la Cour de justice exprime l'essence même de la construction européenne comme communauté de droit.
Cependant, la méthode intergouvernementale a occupé une place importante dans la mise en oeuvre du projet européen. Elle témoigne de la volonté des États membres de conserver leur pouvoir d'initiative et d'opposition lorsqu'ils transfèrent des compétences à l'Union, grâce à un partage du droit d'initiative avec la Commission et au maintien de la règle de l'unanimité au Conseil. En outre le Parlement européen se voit réduit à un rôle simplement consultatif et les compétences de la Cour de justice sont réduites. Cette méthode a souvent freiné les progrès de la construction européenne en favorisant les compromis a minima entre États membres et en limitant le caractère démocratique du processus de décision. Elle fut néanmoins souvent une étape obligée dans certains domaines, comme les questions de justice et d'affaires intérieures, avant que les États membres n'acceptent une méthode plus intégrée.
Au demeurant, dans le traité de Lisbonne (2007), la méthode communautaire est qualifiée de « procédure législative ordinaire ». Les autres procédures sont qualifiées comme étant des « procédures législatives spéciales ».
B. UNE CAPACITÉ DE RELANCE FACE AUX CRISES
L'Europe s'est souvent construite dans les crises. Les réponses qu'elle a apportées à la récente crise des dettes souveraines témoignent à nouveau de sa capacité de résistance dans des contextes difficiles.
1. Une marque de l'histoire de la construction européenne...
La capacité de se relancer après des crises très graves qui auraient pu mettre en cause le projet européen, a marqué toute l'histoire de la construction européenne.
L'échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, suite à son rejet par la France, fut très vite suivi de la création de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) dans le cadre des accords de Paris signés le 23 octobre 1954. Ces accords permirent aussi le rétablissement de la souveraineté de l'Allemagne et son intégration dans l'OTAN. Dès juin 1955, à la conférence de Messine, un accord fut trouvé pour aller vers une intégration économique plus forte. Les négociations aboutirent ensuite à la signature des traités de Rome le 25 mars 1957 qui instituaient deux Communautés : la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA, dite « Euratom »). Les traités entrèrent en vigueur le 1 er janvier 1958 pour une durée illimitée.
Le rejet, en avril 1962, du plan Fouchet tendant à créer une « union d'États » fut suivi, dès l'automne 1962, par le renforcement de la coopération franco-allemande qui permit d'aboutir à la signature, en janvier 1963, du traité de l'Élysée. Après la crise de la politique de la « chaise vide » (1965), déclenchée par la France, le « compromis de Luxembourg » du 30 janvier 1966 permit de trouver une issue en reconnaissant la notion d'intérêt vital d'un État membre qui justifierait de rechercher « dans un délai raisonnable » , des solutions unanimes.
Plus profondément, le sommet de La Haye des 1 er et 2 décembre 1969 relança la construction européenne en affirmant trois priorités : l'achèvement du marché commun pour le 1 er janvier 1970 ; l'approfondissement du projet européen à travers le plan Barre et une union économique et monétaire ; l'élargissement avec des négociations qui seraient ouvertes parallèlement au processus d'approfondissement.
En vue de l'objectif d'une union économique et monétaire, retenu par le sommet de La Haye, la Commission européenne présenta, le 12 février 1969, le plan Barre. Celui-ci avait pour but de faire face aux déséquilibres entre les devises nationales des Six, et d'écarter les risques d'une crise monétaire internationale à travers des mécanismes venant en aide aux monnaies les plus faibles et par la concertation des politiques économiques des États membres. Le plan fut adopté le 17 juillet 1969 par les ministres des Finances des Six.
En juin 1970, le plan Werner - du nom du Premier ministre luxembourgeois de l'époque- , qui tendait à réaliser par étapes l'union économique et monétaire, se heurta à la crise suscitée par l'inconvertibilité du dollar en or à partir de 1971 et aux divergences entre les États membres. Pour autant, en dépit de ces difficultés, le Serpent monétaire européen fut créé (mars 1972). Il permit d'établir une marge de fluctuations entre les monnaies. Il fut lui-même très vite confronté aux effets de la crise pétrolière. Mais quelques années plus tard (avril 1978), le Système monétaire européen (SME) était créé. Le moteur franco-allemand, animé par MM. Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, a joué un rôle décisif pour promouvoir ce dispositif qui établissait une monnaie de référence, l'écu, qui était définie par un panier de monnaies. Il en résulta une stabilité monétaire - au moins dans un premier temps - et une plus grande convergence des politiques économiques.
Confrontée à de fortes difficultés, la construction européenne trouva un nouveau souffle avec le projet de réaliser un véritable marché unique sans frontières, que présenta un Livre blanc de la Commission, présidée par M. Jacques Delors, en juin 1985. Cette démarche aboutit très rapidement à la signature de l'Acte unique, le 17 février 1986. L'extension du vote à la majorité qualifiée à de nombreux domaines, à l'exception toutefois de la fiscalité et de la libre circulation des personnes, permit de rendre le processus de décision européen plus efficace.
La chute des régimes communistes posa à l'Union européenne la question de l'élargissement mais aussi celles du sens du projet européen et, de façon plus concrète, de son mode de fonctionnement. Sous l'impulsion de la Commission européenne et du couple franco-allemand composé de MM. François Mitterrand et Helmut Kohl, le traité de Maastricht (1992) modifia sensiblement le processus de décision en étendant le champ de la majorité qualifiée au Conseil et en mettant en place une nouvelle procédure de codécision qui renforçait, dans certains domaines, les pouvoirs du Parlement européen. Le traité approfondit le sens du projet européen en créant l'Union européenne et en lançant l'Union économique et monétaire (UEM) qui aboutit, le 1 er janvier 2002, à la mise en circulation de l'euro. Les politiques européennes purent concerner de nouveaux domaines : l'éducation, la formation professionnelle, la culture, la santé publique, la protection des consommateurs, les réseaux transeuropéens, l'industrie. Parallèlement, le traité affirmait le principe de subsidiarité dans l'exercice des compétences partagées.
La perspective du proche élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale posa à nouveau très vite la question du mode de fonctionnement de l'Union européenne. Le traité d'Amsterdam (1997) apporta de nouveaux changements institutionnels avec notamment l'approbation par le Parlement européen de la désignation du président de la Commission européenne, puis celle de l'ensemble du collège, l'extension du champ de la procédure de codécision à vingt-trois nouveaux domaines, la création de la procédure des coopérations renforcées permettant aux États membres souhaitant avancer dans un domaine déterminé de le faire. Le traité renforça la visibilité de l'action extérieure de l'Union en créant un Haut représentant pour la Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC). Toujours confronté aux effets prévisibles de l'élargissement, le traité de Nice (2001), adopté dans la douleur, modifia les règles de majorité au Conseil en prévoyant qu'un acte devait être approuvé par une majorité d'États membres et que si un État membre en faisait la demande, il fallait s'assurer que la majorité en voix représente au moins 62 % de la population de l'Union ( « clause de vérification démographique »). Le traité prévoyait aussi de plafonner la taille de la Commission mais se gardait de fixer le nombre de commissaires. Il assouplit aussi les règles de recours aux coopérations renforcées qui pourraient notamment être déclenchées à la demande de neuf États membres et être utilisées dans le domaine de la PESC.
L'échec du traité établissant une Constitution pour l'Europe, suite aux résultats négatifs des référendums en France (le 29 mai 2005) et aux Pays-Bas (le 1 er juin 2005), provoqua une nouvelle crise de la construction européenne. Mais là encore, l'Union européenne trouva la ressource pour débloquer la situation lors du Conseil européen de juin 2007 autour de l'élaboration d'un nouveau traité dit « modificatif » destiné, plus modestement, à amender les traités existants, en reprenant les principales modifications institutionnelles issues du traité constitutionnel mais en écartant tout ce qui renvoyait à l'idée « constitutionnelle ». Cette démarche aboutit à la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007. Là encore, l'impulsion des dirigeants français et allemand, M. Nicolas Sarkozy et Mme Angela Merkel, fut décisive.
Chaque fois que des crises sérieuses ont menacé le Projet, l'Union a donc su trouver les ressources pour réagir et rebondir. Dans tous les cas, la volonté politique des dirigeants européens a été déterminante. Le rôle moteur du couple franco-allemand jouant un rôle essentiel dans la relance européenne.
2. ...renouvelée dans la période récente
Sous l'effet de la crise financière et de la crise des dettes souveraines, l'Union européenne a su réagir. Elle l'a fait par étapes et non sans mal, après avoir constaté qu'elle n'était pas suffisamment armée pour faire face à de telles crises et que le défaut de coordination des politiques économiques et budgétaires n'était plus acceptable.
La Banque centrale européenne (BCE) a su prendre les mesures, qui relevaient de ses compétences, pour répondre à la crise. Mi-septembre 2008, la BCE a décidé de réduire son taux d'intérêt à court terme (dit aussi « taux directeur »). Le taux directeur est passé de 4,25 % en octobre 2008 à 1 % en mai 2009. Elle a par ailleurs lancé un programme d'achat d'obligations d'État pour les marchés financiers (Securities Market Program - SMP) et une politique de soutien renforcé au crédit (mesures dites « non conventionnelles »), qui tend à accorder aux banques des facilités de financement, dont elles usent librement, à des conditions très favorables. En septembre 2012, la BCE a annoncé qu'elle allait acheter sans limites les dettes souveraines à court terme des pays européens en crise. Par son action, la BCE a ainsi réduit les tensions sur les marchés et limité les risques d'une restriction de crédit.
Sous l'effet de la crise financière, des étapes ont été franchies en vue de la création d'une union bancaire. En septembre 2010, un Conseil européen du risque systémique, chargé de contrôler les risques portés par le secteur financier et doté d'un pouvoir d'alerte, ainsi que trois agences ont été créés. Un mécanisme unique de supervision des banques a été mis en place. Il sera complété par un mécanisme unique de résolution.
En outre, 28 mesures proposées par le commissaire Michel Barnier ont visé à renforcer la réglementation du secteur financier : règles prudentielles et de solvabilité pour les assureurs fondées sur l'analyse des risques (« Solvabilité II ») ; surveillance renforcée des conglomérats financiers ; nouveau cadre européen de surveillance pour les assureurs (« Omnibus II ») ; règles de transparence renforcées ; encadrement renforcé du secteur de l'audit ou encore renforcement du régime de lutte contre le blanchiment de capitaux.
La crise des dettes souveraines a conduit à une réforme profonde de la gouvernance économique européenne, dont les défaillances étaient apparues de manière manifeste. Avec le traité entré en vigueur le 27 septembre 2012, l'Union européenne est désormais dotée d'un mécanisme permanent de gestion de crise, le mécanisme européen de stabilité (MES) qui est doté d'une capacité de prêt à hauteur de 700 milliards d'euros. L'Allemagne (27 %) et la France (20,5 %) sont ses plus gros contributeurs.
Un paquet de six textes (Six-Pack), adopté en novembre 2011, a réformé le Pacte de stabilité et de croissance, tant dans son volet préventif que dans son volet correctif. Il permet d'encadrer plus strictement les budgets nationaux et de coordonner plus étroitement les politiques économiques. Il met aussi en place une surveillance plus crédible des déséquilibres budgétaires mais aussi macroéconomiques. Par ailleurs, la procédure du Semestre européen , appliquée pour la première fois en 2011, permet d'évaluer le budget annuel de chaque État pour assurer une coordination des politiques économiques des États membres et une convergence des performances économiques.
Deux règlements (Two-Pack) sont, par ailleurs, entrés en vigueur en mai 2013 afin de mettre en oeuvre une surveillance renforcée de la zone euro . Enfin, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'UEM (TSCG), signé le 2 mars 2012 par 25 États membres (le Royaume-Uni et la République tchèque se tenant à l'écart), a complété l'architecture de l'UEM par un « Pacte budgétaire ». Il fixe la règle (dite « règle d'or »), selon laquelle la position budgétaire des administrations publiques doit être équilibrée ou excédentaire. Il formalise davantage la gouvernance de la zone euro : réunion de sommets informels de la zone euro ; association des parlements nationaux et européens à la gouvernance de la zone euro.
En dépit des graves désordres suscités par la crise financière et par la crise de la dette souveraine, l'Union européenne a donc - par étapes - pu apporter des réponses crédibles comme elle l'avait fait dans le passé face à d'autres situations périlleuses. On ne peut pour autant verser dans un excès d'optimisme car le projet européen apparaît malheureusement bien enlisé et exposé à un vrai risque de dissolution s'il n'est pas relancé.
II. UNE EUROPE QUI N'EST CEPENDANT PAS ASSURÉE DE SON AVENIR
Malgré ce bilan éloquent, l'Europe n'est pas assurée de son avenir. Elle subit une crise de confiance sérieuse au sein de chacun de ses peuples qui la ressentent plus comme une contrainte que comme un espoir. Elle pâtit aussi de l'attitude des États membres qui, trop souvent, se détournent du projet commun et n'osent plus l'affirmer comme un fondement de leur politique. La gouvernance européenne apparaît de plus en plus inadaptée. Le budget européen est bien trop limité pour servir une véritable ambition. Enfin, l'Union européenne peine à exister comme puissance sur la scène internationale.
A. UNE CRISE DE CONFIANCE DES CITOYENS
L'Europe doit se construire pour ses citoyens. Son action doit être identifiée et perçue comme positive. Or faute d'une vision, le projet européen se dilue de plus en plus dans une dérive bureaucratique qui ne peut que nourrir tous les populismes.
1. Une Europe bureaucratique
La construction européenne est un grand projet politique. Ce projet a été porté par d'éminents hommes politiques qui avaient une vision de l'avenir. Sans une telle vision, Robert Schuman et Jean Monnet n'auraient pas proposé une méthode fondée sur les solidarités de fait au service d'une intégration politique. Le général de Gaulle et le chancelier Adenauer n'auraient pas pu jeter les bases du couple franco-allemand. MM. Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt n'auraient pas pu lancer le système monétaire européen. MM. François Mitterrand et Helmut Kohl - avec le soutien éclairé de M. Jacques Delors - n'auraient pas pu concevoir l'Union européenne et l'euro. Aujourd'hui, les citoyens, notamment les jeunes, ont le sentiment que plus personne ne porte le projet européen. Ce silence, ce manque de vision à long terme et cette absence de courage créent un sentiment d'insécurité. Ils posent la question du sens.
Malheureusement, quand la vision s'efface et que le projet s'affadit, la porte est grande ouverte à une Europe bureaucratique qui s'éloigne des attentes des citoyens et qui ouvre toute grande la porte aux nationalismes, aux populismes et aux séparatismes. En son temps, Jean Monnet avait mis en garde contre un tel risque.
C'est en quelque sorte « l'Europe qui tue l'Europe », qui se trompe d'objectifs faute d'être claire sur son projet. L'Union européenne apparaît aujourd'hui trop souvent comme une « machine » à produire des normes, mal comprise par nos concitoyens. Le Sénat a dû faire usage des nouvelles prérogatives que lui confère l'article 88-4 de la Constitution, depuis la révision constitutionnelle de 2008, d'adopter des résolutions européennes sur « tout document émanant d'une institution européenne » pour s'opposer avec succès à des projets bureaucratiques qui auraient eu un fort impact sur nos territoires et nos filières économiques. Tel fut le cas, par exemple, pour un document de travail concernant les profils nutritionnels (résolution européenne du 26 mai 2009) et pour un projet de règlement tendant à permettre l'élaboration de vin rosé par coupage de vin rouge et de vin blanc (résolution européenne du 25 mai 2009) !
Plus récemment, en mai 2013, on a appris que la Commission européenne poursuivait l'objectif d'interdire l'utilisation de bouteilles d'huile d'olive réutilisables dans les restaurants ! Comme si l'Europe ne devait pas avoir d'autres ambitions que de susciter une incompréhension croissante des peuples. Finalement, un compromis a pu être trouvé en novembre 2013, moyennant l'abandon de cette proposition surprenante.
L'harmonisation des pommeaux de douche procède des mêmes stupidités !
La « machine » bruxelloise cherche aussi à harmoniser à marche forcée des domaines dans lesquels des questions de concurrence, pour des raisons territoriales, se posent peu, voire pas du tout. Le cas des centres équestres, dont le relèvement du taux de TVA a suscité une préoccupation légitime, en fournit une récente illustration. Ce n'est pas cette Europe tatillonne et bureaucratique que les citoyens attendent. Dans le même temps, en effet, des sujets essentiels comme l'énergie et la défense ne sont pas bien traités par l'Union européenne.
La rigidité du droit européen nourrit aussi le sentiment des citoyens de ne pas avoir de prise sur son contenu. La règle de l'unanimité maintenue dans certains domaines, le monopole de l'initiative entre les mains de la Commission européenne, concourent à donner l`image d'un droit qui résiste aux évolutions technologiques et sociétales. Les débats autour du taux de TVA applicable au livre numérique en donnent une bonne illustration.
Cette dérive bureaucratique se double d'erreurs de communication manifestes qui altèrent l'image de l'Union européenne aux yeux des populations.
Votre rapporteur s'en est fait l'écho lors de questions d'actualité au Gouvernement 4 ( * ) . C'est au milieu de l'hiver, au moment où chacun est très légitimement plus sensible à la détresse des personnes sans domicile fixe, que l'Europe annonce la baisse de ses crédits d'aide alimentaire. Alors que beaucoup de parents ne connaissent l'Europe qu'à travers le programme Erasmus, qui permet à leurs enfants de poursuivre des études à l'étranger, ce sont ses crédits que l'on annonce en diminution. C'est au lendemain du scandale de la viande de cheval que l'Europe autorise à nouveau les farines animales.
Durant toute la crise financière, à la base de toutes les politiques, le maître-mot a été la confiance : confiance entre les États, par une surveillance mutuelle renforcée ; confiance entre les banques, en raison de leurs emprunts toxiques ; confiance entre les banques et leurs déposants... Et voilà que l'affaire des banques chypriotes vient ébranler cette confiance dans l'Europe entière !
Au moment où la plupart des chefs d'État doivent juguler d'énormes dettes au niveau national, et alors que la relance indispensable aurait pu se faire au niveau de l'Europe, qui, elle, n'est pas endettée, les chefs d'État, faute de ressources propres au budget européen, choisissent de réduire ce dernier à 1 % à peine du revenu brut européen pour les sept prochaines années.
Alors que la mondialisation est de plus en plus mal comprise et que le besoin de protection se fait plus fort, l'Union européenne lance de grandes négociations avec les États-Unis en vue d'établir une vaste zone de libre-échange entre les deux continents.
Les institutions européennes sont-elles conscientes, avec de telles initiatives, de faire le jeu du populisme, du nationalisme et du séparatisme ?
2. Une montée des populismes
La montée des populismes peut être observée dans un grand nombre d'États membres. Lors des dernières élections législatives, les partis populistes ont obtenu des scores supérieurs à 25 % dans trois pays : Grèce (38,3 %), Autriche (28,2 %) et Finlande (27,1 %). Ils ont enregistré des scores compris entre 12 et 20 % des voix dans douze autres États membres 5 ( * ) .
Les partis populistes, de droite comme de gauche, ont en commun la critique des élites, une remise en cause de la représentation, la valorisation de la dimension nationale ou régionale, une opposition totale à l'immigration, un rejet de l'Islam et le refus d'une société multiethnique.
Leur point commun est aussi un rejet souvent virulent de l'Union européenne qui s'est en particulier exprimé lors des campagnes référendaires dans différents États membres : Danemark dès 1992 (rejet du traité de Maastricht) et 2000 (rejet de l'euro), Suède (rejet de l'euro en 2003), France et Pays-Bas en 2005 (rejet du traité de Constitution pour l'Europe) 6 ( * ) .
La défiance à l'égard des autorités, que l'on voit s'exprimer un peu partout, ne peut faire que le lit des populismes. Au printemps 2007, selon les enquêtes Eurobaromètre, 52 % des Européens avaient une image positive de l'Union européenne. À l'automne 2012, moins d'un tiers avait cette bonne image. Dans le même temps, la proportion de ceux ayant une image négative a doublé, passant de 15 à 29 %. La confiance dans l'Union européenne a chuté de 57 % au printemps 2007 à 33 % à l'automne 2012. En 2007, 69 % des Européens étaient optimistes sur l'avenir de l'Union européenne ; ils n'étaient plus que 50 % en 2012. Cette tendance est plus accentuée dans les pays du sud de l'Europe, particulièrement touchés par la crise.
Des tendances séparatistes se manifestent dans certains États membres. Elles montrent que le mouvement de défiance peut aussi toucher les États-nations et menacer des constructions étatiques qui paraissaient pourtant solides.
La crise a aussi généré une tentation du repli sur soi sur laquelle les populismes peuvent capitaliser. Depuis 2008 et la crise financière, la perception que les Européens ont de la mondialisation s'est dégradée. De même, le soutien à l'élargissement a régressé, 52 % des Européens s'y déclarant opposés en 2012.
Ce mouvement de repli s'accompagne d'une demande plus forte de protection que les populismes cherchent à exploiter en dénonçant une Europe qui, au contraire, exposerait ses citoyens à différentes menaces.
Ces tendances sont malheureusement observables dans notre pays, pourtant fondateur de la construction européenne. Selon une enquête Eurobaromètre de novembre 2013, les Français perçoivent désormais la mondialisation davantage comme une menace (52 %) que comme une chance (36 %). Face à la crise, ils attendent désormais des solutions prioritairement nationales (52 %) plutôt qu'européennes, alors que la proportion était inverse en 2012 (respectivement 38 % et 52 %). Pour autant, ils demeurent majoritairement convaincus (73 %) que la construction européenne garantit la paix sur le continent et qu'elle nous rend plus forts face au reste du monde (63 %) Mais les avis sont plus partagés sur le fait qu'elle contribue à la prospérité de la France (50 % contre 47 %). Plus profondément, une majorité de Français souhaite que l'Union européenne soit prioritairement, en 2020, un marché économique (63 %) plutôt qu'un projet politique (27 %).
Si la dégradation du processus de construction et de désaffection des peuples continue à l'égard de l'Europe, celle-ci ne sera plus qu'un « syndicat de nations » avant de ne devenir qu'un vieux rêve.
Cette montée des populismes doit provoquer un réflexe salutaire de relance chez les Européens convaincus. Répondre à ces craintes en redonnant au projet européen tout son souffle et en démontrant la valeur ajoutée de l'Union européenne est la meilleure réponse au danger que représentent les populismes.
B. DES ÉTATS MEMBRES QUI SE DÉTOURNENT DU PROJET COMMUN
Les États membres n'ont pas conduit les efforts nécessaires au succès de la Stratégie de Lisbonne qu'ils avaient eux-mêmes arrêtée en 2000. Ils n'ont pas non plus respecté les règles qu'ils avaient définies pour assurer entre eux une convergence économique et budgétaire.
1. L'échec de la stratégie de Lisbonne
Pour réussir dans un monde globalisé, l'Europe doit investir massivement dans la recherche et l'innovation. Avec la Stratégie de Lisbonne, lancée par le Conseil européen de mars 2000, l'Europe avait identifié un projet susceptible de mobiliser les énergies autour de cette grande ambition. L'objectif était, en effet, de faire de l'Union européenne, en 2010, « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ». Dans ce but, l'effort d'investissement consacré à la recherche et au développement (R&D) devait être porté à 3 % du PIB.
Cependant, il fut décidé que la mise en oeuvre de la Stratégie de Lisbonne serait fondée sur la méthode ouverte de coordination (MOC) qui reconnaît aux États membres une large autonomie pour atteindre les objectifs communs fixés par le Conseil. En pratique, les États membres ne furent soumis à aucune obligation contraignante.
Même si la Stratégie de Lisbonne a pu favoriser une dynamique de réformes dans certains secteurs qui ont été ouverts à la concurrence (télécommunications, transport ferroviaire de marchandises, services postaux, électricité, gaz), les résultats sont loin de l'ambition initiale. Les dépenses de R&D illustrent ce triste constat puisqu'elles ne dépassent pas en moyenne 1,9 % du PIB (UE à 25). Seules la Finlande et la Suède respectent les objectifs de la Stratégie de Lisbonne en y consacrant plus de 3 % de leur PIB.
On peut identifier les causes de cet échec : l'absence d'un véritable pilotage européen permettant une vraie coordination et imposant des obligations concrètes aux États membres, ainsi que l'absence de véritables financements européens au service de l'ambition affichée.
A posteriori est validée la pertinence de la proposition faite sans succès en 2004 par l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni, de créer un poste de vice-président en charge de la coordination des réformes économiques.
2. Le non-respect des règles de convergence
Comme on l'a vu, l'Union européenne a su apporter progressivement des réponses à la grave crise à laquelle elle a été confrontée. On ne peut pour autant se dispenser de tirer les leçons de cette crise. Elle illustre, en effet, le terrible constat d'une Europe qui n'a pas su se doter collectivement des moyens d'affronter les périls économiques. Elle témoigne aussi de la désinvolture des États membres pour remplir individuellement leurs propres obligations.
La crise qui a affecté profondément la zone euro a mis en évidence les graves insuffisances du Pacte de stabilité et de croissance élaboré en 1997.
Le système de surveillance multilatérale a été un échec, également favorisé par les carences des contrôles statistiques. Les critères relatifs au déficit et à la dette publics n'ont jamais été respectés par l'ensemble des États membres. Sur une dérive des finances publiques, en réalité ancienne, est venu se greffer le choc de la crise financière puis économique. Entre 2008 et 2009, la zone euro est passée d'un déficit budgétaire de 2 %, qui respectait donc la norme de 3 %, à 6,4 %, et l'endettement public s'est creusé de 9 points. Les procédures de surveillance mutuelle sont apparues incomplètes. Elles ont négligé d'autres causes de déséquilibres, comme l'accumulation de dettes privées, les bulles financières ou immobilières ou encore les écarts de compétitivité qui se sont creusés entre les États membres.
Incomplet, le Pacte de stabilité et de croissance n'a de toute façon pas été appliqué. La procédure pour déficit excessif a été engagée à plusieurs reprises, mais jamais menée à son terme, le Conseil, utilisant son pouvoir discrétionnaire, ayant refusé, en novembre 2003, de voter les recommandations présentées par la Commission contre l'Allemagne et la France qui ne respectaient pas le critère de déficit public. Le Pacte a ainsi été privé de toute crédibilité. Il devenait alors difficile de sanctionner les « mauvais élèves » dont le poids économique était bien moindre, la Grèce par exemple. Qui plus est, les règles du Pacte ont été assouplies en juin 2005.
Là encore, on doit souligner que, faute d'un réel pilotage européen et de règles véritablement contraignantes, les États membres ont pu se livrer au laxisme budgétaire et prendre toute liberté avec les règles qu'ils avaient pourtant eux-mêmes fixées.
C. UN MODE DE GOUVERNANCE INADAPTÉ
La gouvernance européenne apparaît inadaptée en raison du cumul de plusieurs dysfonctionnements : des procédures intergouvernementales, certes plus réduites, mais qui limitent les ambitions là où elles continuent à s'appliquer ; un couple franco-allemand qui ne joue plus son rôle moteur ; une Commission européenne pléthorique qui a perdu son rôle d'impulsion ; des innovations institutionnelles qui ont échoué ; des procédures de révision des traités lourdes et complexes.
1. Les limites de l'intergouvernemental
Comme on l'a dit précédemment, la construction européenne a mis en oeuvre une méthode originale combinant la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale. Opposer ces deux méthodes peut paraître assez vain car leur coexistence exprime la nature même de l'Union européenne reposant à la fois sur l'intégration et sur le respect du rôle des États membres. Ce que M. Jacques Delors avait résumé par la formule de « fédération d'États nation ». Force est d'ailleurs de constater que les réponses à la crise des dettes souveraines sont d'abord venues des États membres, et plus particulièrement de la France et de l'Allemagne.
Mais la méthode communautaire a démontré sa capacité à promouvoir de vraies avancées. Cette méthode s'appuie sur quatre leviers : le monopole de l'initiative reconnu à la Commission européenne ; le vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil ; le pouvoir de codécision exercé par le Parlement européen dans un grand nombre de domaines ; le contrôle exercé par la Cour de justice.
C'est en particulier en étendant le champ de la majorité qualifiée que l'Acte unique européen (1986) a permis la mise en oeuvre des quelque 300 mesures que la Commission, présidée par M. Jacques Delors, dans son Livre blanc de 1985, avait jugées nécessaires pour lever les obstacles à la réalisation du marché intérieur.
Au fil des traités, et en dernier lieu avec le traité de Lisbonne, cette méthode a été étendue à de nouveaux domaines. Pour autant, les États membres ont souhaité préserver leurs prérogatives et leur capacité à s'opposer aux textes en discussion dans certains domaines. C'est pourquoi la méthode intergouvernementale a conservé une place non négligeable. Elle a caractérisé le troisième pilier, créé par le traité de Maastricht (1992) pour le secteur « Justice et affaires intérieures ». Malheureusement, le constat a pu être fait que cette méthode n'a pas permis à l'Europe d'avancer comme elle aurait dû dans ce domaine. Elle s'est traduite par de nombreux blocages, des compromis « a minima » bâtis autour du « plus petit commun dénominateur ». C'est donc fort logiquement que le traité de Lisbonne a supprimé la structure en piliers et soumis, dans le cas général, les questions de justice et de sécurité à la procédure législative ordinaire.
La méthode ouverte de coordination (MOC), utilisée pour mettre en oeuvre la Stratégie de Lisbonne et fondée sur la liberté de décision des États membres, a très largement contribué à l'échec de cette stratégie.
Même après le traité de Lisbonne, la méthode intergouvernementale conserve une place non négligeable. La politique étrangère et la défense demeurent pour l'essentiel régies par cette méthode. Certaines questions concernant l'espace de liberté, de sécurité et de justice, comme le droit de la famille, restent régies par l'unanimité.
Les États membres continuent à prendre par des actes soumis à ratification nationale les décisions de base concernant l'Union. Tel est le cas de la définition de ses compétences, de la définition de ses moyens financiers, des nouvelles adhésions, des décisions importantes concernant les affaires étrangères et la défense.
Force est de constater que ce poids de l'intergouvernemental soutient plus les stratégies nationales que le développement d'un projet commun.
2. Les difficultés du couple franco-allemand
Dans un rapport récent, notre collègue Jean Bizet a parfaitement mis en évidence les difficultés traversées par le couple franco-allemand 7 ( * ) . D'abord, le contexte a profondément changé avec la fin du conflit Est-Ouest. Le couple franco-allemand a semblé perdre une partie de son contenu. La France n'a pas bien appréhendé la réunification allemande. Au sein d'une Europe élargie, c'est l'Allemagne qui occupe la place centrale qui était autrefois celle de la France. L'ancien équilibre, dans lequel les atouts politiques de la France contrebalançaient les atouts économiques de l'Allemagne, s'est transformé. L'Allemagne réunifiée compte quelque 20 millions d'habitants de plus que la France. Elle a recouvré une pleine capacité d'agir sur la scène internationale quand elle le souhaite. Dans le même temps, les atouts politiques de la France ont perdu une partie de leur portée.
Plus profondément, la divergence économique croissante entre les deux pays a déséquilibré la relation bilatérale. Les politiques économiques ont suivi des voies opposées. L'Allemagne a conduit une politique de réduction des coûts salariaux alors même que la France réduisait le temps de travail et augmentait fortement le salaire minimal. La politique de l'Allemagne lui a permis de gagner des parts de marché au détriment de ses partenaires européens, dont la France. Notre pays demeure imprégné d'une culture d'interventionnisme public supposé indispensable pour soutenir la croissance. À l'inverse, l'Allemagne mène une politique axée sur la compétitivité, combinée avec le dialogue social, ce qui lui a permis de développer ses entreprises dans des secteurs à forte valeur ajoutée. Le décrochage de la compétitivité française a clairement été établi par le récent rapport de M. Louis Gallois 8 ( * ) . Or le couple franco-allemand ne peut jouer son rôle dans la construction européenne si les économies des deux pays ne convergent pas suffisamment. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y aurait qu'un seul modèle - en l'occurrence, le modèle allemand - sur lequel tous les États devraient nécessairement s'aligner. Mais, quelles que soient les voies suivies, dans une Europe dotée d'un marché unique et d'une monnaie unique, la convergence économique est une exigence incontournable.
Au-delà, l'approche de la construction européenne a semblé traduire deux visions différentes. La France semble attachée à un modèle plus axé sur la logique intergouvernementale avec un rôle clé donné au Conseil européen tandis que l'Allemagne serait plus encline à appliquer à la construction européenne le modèle fédéral qui ne lui a pas si mal réussi, en insistant sur le rôle du Parlement européen et, avec les récentes décisions de la Cour de Karlsruhe, celui du parlement national.
Plusieurs facteurs pourraient par ailleurs contribuer à fragiliser l'engagement européen de l'Allemagne. Le décrochage économique de la France peut rendre le couple franco-allemand moins attractif aux yeux de l'Allemagne. L'Allemagne est préoccupée par la situation économique de la France. La rapidité de la désindustrialisation contraste avec le maintien en Allemagne d'un secteur industriel important et compétitif. Le poids de la dépense publique en France est aussi un sujet d'étonnement pour nos partenaires qui sont aussi convaincus que les problèmes de compétitivité ne peuvent être réglés par un interventionnisme croissant de l'État. La puissance économique de l'Allemagne pourrait aussi la pousser à considérer qu'elle a moins besoin de l'Europe et que désormais sa dimension est mondiale sur le plan économique. Elle pourrait être plus soucieuse de défendre ses propres intérêts que la cause européenne, comme par exemple pour la négociation du cadre financier pluriannuel où la position allemande a pu sembler rejoindre la position britannique. Le peu d'appétence de l'Allemagne pour une véritable politique étrangère européenne et pour un développement de la politique de sécurité et de défense commune concourt à l'image d'une Allemagne qui ne serait plus aussi intéressée à l'approfondissement du projet européen.
En estimant, plus récemment, qu'il n'était pas nécessaire d'attribuer de nouveaux pouvoirs à Bruxelles, la chancelière Angela Merkel a plutôt nourri ces craintes 9 ( * ) . Mais le récent accord de coalition a réaffirmé l'engagement européen de l'Allemagne même si les questions européennes n'occupent qu'une place réduite dans le document qui a scellé les bases de l'accord. L'importance de la relation franco-allemande est soulignée dans l'accord de coalition entre la CDU et le SPD (« Le partenariat franco-allemand demeure singulier dans sa profondeur et son étendue »). La France est le seul État membre à y être mentionné. L'accord souligne que les deux pays, qui sont des puissances économiques, ont un intérêt particulier ainsi que les moyens de promouvoir l'unité de l'Union européenne et son bien-être, sa sécurité et sa compétitivité.
Le succès du couple franco-allemand a aussi très largement reposé sur la qualité des relations personnelles au plus haut niveau entre les dirigeants des deux pays qui permettaient une vraie franchise dans le dialogue bilatéral. Ce fut le cas entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, entre le président Giscard d'Estaing et le chancelier Helmut Schmidt, entre le président Mitterrand et le chancelier Kohl. Or, ces relations personnelles se sont par la suite affadies. Elles ont cédé la place à une relation diplomatique plus classique où le soutien réciproque à des intérêts nationaux a pris le pas sur les préoccupations véritablement européennes. Des divergences de fond sont aussi apparues dans la période la plus récente entre, d'un côté, une Chancelière surtout soucieuse de discipline budgétaire et de compétitivité économique et, de l'autre, un président français désireux de mesures de relance européenne et de solidarité accrue à l'égard des États membres en difficulté. À l'évidence, pour jouer tout son rôle, le couple franco-allemand doit s'appuyer sur une vraie relation personnelle entre les dirigeants des deux pays, qui permette de donner un supplément d'âme à la relation diplomatique et d'affirmer de véritables ambitions communes.
Or, à ce jour, en dépit des déclarations fréquentes de bonnes intentions, les propositions pour porter à un niveau beaucoup plus étroit les relations entre les deux pays sont restées lettre morte. Ce fut le cas en 1994 du projet de « noyau dur » avancé par Wolfang Schäuble et Karl Lamers, ce fut également le cas de l'idée d'« union renforcée » avancée en France, au début des années 2000, par Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn.
Ce n'est pourtant que par une union toujours plus étroite et une convergence d'analyse sur l'avenir du projet européen que la France et l'Allemagne pourront ensemble retrouver leur rôle historique de moteur de la construction européenne.
3. Une Commission pléthorique qui a perdu son rôle d'impulsion
La Commission européenne a joué un rôle majeur dans la construction européenne. Dans l'esprit des traités, c'est à elle que revenait le rôle d'impulsion pour faire avancer le projet européen. Pour jouer ce rôle d'impulsion, la Commission a été dotée, en règle générale, du monopole de l'initiative des décisions européennes. C'est à elle que revient d'élaborer les propositions sur lesquelles doivent se prononcer les deux institutions décisionnelles que sont le Parlement européen et le Conseil.
Ce droit d'initiative vise à confier à un organe indépendant et non élu la tâche d'identifier l'intérêt général et de proposer des solutions propres à le satisfaire. Il est relativement contraignant pour le législateur (le Conseil, avec le Parlement européen) qui ne peut décider sans proposition ni sur d'autres bases et ne peut s'en écarter qu'à l'unanimité.
La Commission a su jouer pleinement ce rôle d'impulsion dans le passé. Mais il s'agissait d'une Commission resserrée, composée de personnalités expérimentées, animées d'un esprit de collégialité et soucieuse de faire avancer de façon pragmatique le projet européen en se gardant des dérives bureaucratiques.
Elle comprenait neuf membres dans l'Europe à six, dont deux Commissaires désignés par chacun des trois « grands » États. Malheureusement, au fil des élargissements successifs, elle a vu ses effectifs gonfler en dehors de toute rationalité et loin du souci de préserver son efficacité. Ce mouvement a peu à peu mis en péril le caractère collégial des décisions de la Commission.
Le nombre de commissaires est ainsi passé de 9 dans l'Europe à six à 20 dans l'Europe des quinze. Lors du traité de Nice (2001), les cinq États membres les plus peuplés ont renoncé à leur second commissaire mais le traité a posé le principe d'un plafonnement du nombre de commissaires à un nombre inférieur à celui des États membres à partir du moment où l'Union compterait 27 États membres.
Ce plafonnement devait entrer en application lors du premier renouvellement de la Commission suivant l'adhésion du 27 e membre (soit en 2009). Il était précisé que la composition de la Commission serait alors organisée sur la base d'une stricte rotation égalitaire entre les pays. Toutefois, les États membres n'ayant pas réussi à s'entendre à Nice sur le nombre de commissaires, le traité de Nice renvoya cette question et les modalités du système de rotation à une décision du Conseil statuant à l'unanimité.
Depuis le renouvellement de la Commission de novembre 2004, celle-ci comprend un membre désigné par État, soit vingt-huit membres depuis l'adhésion de la Croatie en juillet 2013.
Dans le cadre des travaux de la Convention, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, et de la Conférence intergouvernementale qui l'avait suivie, deux thèses s'étaient opposées.
Les « grands » États - et en particulier la France - avaient soutenu le principe d'une Commission resserrée. Pour eux, une Commission trop nombreuse, dépourvue d'esprit collégial, ne pouvait qu'aboutir à une cohabitation de commissaires d'abord soucieux de défendre les intérêts de leur pays aux dépens de l'intérêt général de l'Union.
À l'inverse, la plupart des « petits » États considéraient que leur droit de désigner un membre de la Commission constituait une garantie essentielle pour assurer leur pleine participation aux institutions de l'Union. Tel était également le point de vue de la Commission.
Le compromis trouvé en 2004 et repris par le traité de Lisbonne, a consisté à maintenir jusqu'en 2014 le principe d'un commissaire par État membre. À partir de cette date, le nombre des membres de la Commission devra être égal aux deux tiers du nombre d'États membres (soit dix-huit dans une Europe à vingt-sept). Les membres de la Commission seraient alors choisis selon un système de rotation strictement égale entre les États et reflétant leur diversité démographique et géographique.
Cependant, le traité de Lisbonne prévoit que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, pourra modifier le nombre de commissaires. Une telle modification ne nécessitera pas la procédure de mise en oeuvre de révision des traités. Or, en réponse au rejet par référendum du traité par l'Irlande (12 juin 2008), les conclusions du Conseil européen de décembre 2008 (réitérées en juin 2009) prévoient de faire en sorte que le nombre de commissaires reste égal à un par État membre.
Ce principe « un commissaire par État membre » joue manifestement contre l'approfondissement du projet européen. Il a pour effet d'émietter à l'excès certains secteurs d'activité et de rendre plus difficile la coordination de l'action des commissaires. Il affaiblit par ailleurs la crédibilité de la Commission à l'égard des grands États membres. Cette situation est aggravée par l'absence de toute hiérarchie interne qui permettrait de distinguer les Hauts commissaires, les commissaires et les Commissaires délégués.
Au-delà, la Commission européenne doit tenir compte des effets de la montée en puissance du Parlement européen avec l'élargissement du champ de la codécision. Le processus de décision passe de plus en plus par un dialogue direct entre le Conseil et le Parlement dans lequel le rôle de la Commission apparaît, non pas inexistant, mais plus marginal. Paradoxalement, le souci de renforcer le contrôle démocratique place la Commission dans une position très délicate entre un Parlement qui souhaite légitimement jouer tout son rôle et des États membres qui la regardent avec suspicion.
La Commission dispose par ailleurs de pouvoirs limités dans certains domaines comme la politique monétaire (gérée par la BCE) ou la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). La coopération policière et judiciaire en matière pénale relevait, jusqu'au traité de Lisbonne, de procédures intergouvernementales. En matière de coordination des politiques économiques, le pouvoir de décision appartient très largement au Conseil, même si la réforme de la gouvernance économique a reconnu à la Commission un rôle appréciable.
Ce sont d'abord les États membres - surtout la France et l'Allemagne - qui ont été en pointe pour apporter les premières réponses à la crise.
Enfin, la Commission subit inévitablement les effets de l'affaiblissement du projet européen. Elle a été dans le passé le moteur et le garant d'un projet européen commun bien identifié. Dès lors que les buts de la construction européenne sont devenus plus incertains, les tendances centrifuges et les égoïsmes nationaux ont repris la première place au détriment de l'institution qui incarnait une unité d'action au service d'un projet ambitieux.
4. L'échec de certaines innovations institutionnelles
Depuis de nombreuses années, l'Union européenne cherche à renforcer la visibilité de son action par une meilleure incarnation de ses institutions et de ses politiques. Telle était l'ambition de deux innovations majeures du traité de Lisbonne : l'instauration d'une présidence stable du Conseil européen ; la création d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Le Conseil européen était, jusque-là, présidé par le chef d'État ou de gouvernement du pays qui exerçait la présidence de l'Union Européenne. Or, cette présidence changeait tous les six mois, ce qui portait atteinte à la continuité de l'action du Conseil européen dont le rôle d'impulsion et de direction n'a cessé de se renforcer au cours de ces dernières décennies.
Le traité de Lisbonne prévoit que cette institution soit dotée d'un président à temps plein, élu à la majorité qualifiée en son sein pour un mandat de deux ans et demi renouvelable une fois. Il ne peut exercer de mandat national.
L'instauration d'une présidence stable du Conseil européen est un gage de continuité, tant sur le plan interne que sur le plan externe, en même temps qu'elle devrait assurer à l'exécutif de l'Union une meilleure visibilité.
Le président du Conseil européen « préside et anime les travaux du Conseil européen », « assure la préparation et la continuité des travaux du Conseil européen en coopération avec le président de la Commission et sur la base des travaux du Conseil des affaires générales » . Il oeuvre « pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen ». Il présente au Parlement européen un rapport à la suite de chacune des réunions du Conseil. Le traité précise aussi que « le président du Conseil européen assure, à son niveau et en sa qualité, la représentation extérieure de l'Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune, sans préjudice des attributions du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ».
Mais les dirigeants européens ont fait le choix d'un
président
- M. Herman Van Rompuy - qui est une
personnalité de grande qualité mais qui est d'abord et avant tout
un coordinateur, un facilitateur, en quelque sorte un excellent
secrétaire général du Conseil européen. Il manque
toujours une voix et un visage à l'Europe ; un homme ou une femme
en qui chaque Européen se reconnaisse et qui symbolise l'Union aux yeux
de tous les peuples du monde. Même dans une société qui
désacralise le pouvoir, les citoyens ont de plus en plus besoin de se
référer à un homme ou à une femme qui incarne ce
pouvoir. Le fait que le pouvoir ne soit pas symbolisé au niveau
européen par une personne est ressenti comme l'absence même de
pouvoir, notamment face à la technocratie, mais aussi pour le citoyen
européen et aux yeux du monde entier.
La deuxième grande innovation du traité de Lisbonne que fut l'institution d'un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité n'a pas non plus eu le succès escompté. Le souci d'incarner l'Europe sur la scène internationale avait été pris en compte dans le traité d'Amsterdam (1997). Le traité avait créé un Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui était en même temps secrétaire général du Conseil. En juin 1999, M. Javier Solana (ancien secrétaire général de l'OTAN) avait été nommé à ce poste. La composition de la « troïka » avait été réformée, le Haut représentant y remplaçant la présidence précédente.
Le traité de Lisbonne a franchi une étape supplémentaire en fusionnant le Haut représentant pour la PESC et le commissaire chargé des relations extérieures. Le nouveau Haut représentant a une triple dimension : il est vice-président de la Commission ; il préside la formation « affaires étrangères » du Conseil ; il est mandataire du Conseil. Il a en réalité les mêmes attributions et le même statut que le ministre des affaires étrangères, dont le traité constitutionnel avait envisagé la création. Le Haut représentant peut s'appuyer sur le service européen pour l'action extérieure qui est dirigé actuellement par un Français, M. Pierre Vimont. Ce service diplomatique est composé de fonctionnaires des directions des relations extérieures du Conseil et de la Commission, et de diplomates détachés des États membres.
Pourtant, à l'examen, il est difficile de conclure que l'on soit allé dans le sens de la clarification. La position du Haut représentant est, en effet, délicate, exposé qu'il est à une véritable concurrence institutionnelle. Le président du Conseil européen assure à son niveau la représentation extérieure de l'Union pour les matières relevant de la PESC ; le président de la Commission peut lui-même avoir l'ambition de représenter l'Union sur la scène internationale tout en composant avec la présence, au sein du collège des commissaires, d''un Haut représentant « autonome » pour ce qui concerne la PESC ; le ministre des affaires étrangères de l'État membre qui exerce la présidence tournante et qui préside le conseil « Affaires générales » est, enfin, en situation de prétendre jouer un rôle diplomatique au nom de l'Union. Le choix d'une personnalité de qualité - Mme Catherine Ashton - mais sans véritable expérience diplomatique, et le défaut d'une véritable politique étrangère commune, ajoutent au sentiment que cette innovation n'a pas atteint son objectif ; mais les chefs d'États le voulaient-ils vraiment ?
5. La lenteur des ratifications
La procédure de révision des traités apparaît encore lourde et inadaptée aux besoins d'ajustement périodique qui caractérisent le fonctionnement de l'Union européenne. Le traité de Lisbonne a établi une distinction entre la procédure de révision ordinaire des traités et les procédures de révision simplifiées. Dans le cadre de la procédure de révision ordinaire, la décision relève du Conseil européen qui statue à la majorité simple après consultation du Parlement européen et de la Commission. Une Convention, composée des représentants des parlements nationaux, des gouvernements des États membres, du Parlement européen et de la Commission européenne, est chargée d'examiner les projets de révision. Elle adopte par consensus une recommandation.
Le Conseil européen peut néanmoins décider à la majorité simple, mais sous réserve de l'approbation du Parlement européen, de lancer une procédure de révision des traités sans convocation préalable d'une Convention « lorsque l'ampleur des modifications ne le justifie pas » . Une Conférence intergouvernementale composée des représentants des gouvernements des États membres doit statuer. Les amendements doivent être ratifiés par tous les États membres.
Une procédure de révision simplifiée est prévue pour les politiques et actions internes de l'Union (la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Le Conseil européen peut adopter une décision modifiant tout ou partie des dispositions de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sans la convocation d'une Conférence intergouvernementale.
Le Conseil européen statue dans ce cas à l'unanimité, après consultation du Parlement européen et de la Commission, ainsi que de la Banque centrale européenne, dans le cas de modifications institutionnelles dans le domaine monétaire. Les amendements ne peuvent entrer en vigueur qu'après leur approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, c'est-à-dire que la décision nécessite d'être ratifiée par les États membres. Elle ne peut pas « accroître les compétences attribuées à l'Union » dans les traités.
En dépit de cette révision simplifiée, la procédure apparaît encore bien complexe. Il faut d'abord négocier le texte à 28, c'est-à-dire le réduire à son plus petit commun dénominateur après plusieurs mois de négociations et ensuite le faire ratifier par les quelque 41 assemblées que comptent les 28 États de l'Union Européenne !
D. UN BUDGET EUROPÉEN BEAUCOUP TROP LIMITÉ
Le montant du budget est trop faible pour servir une véritable ambition européenne. Le poids prédominant des contributions nationales bloque toute évolution vers un budget plus conséquent.
1. Une atteinte à la crédibilité de l'Union européenne
Le budget européen s'est élevé, en 2013, à 150,9 milliards d'euros en crédits d'engagement, soit 1,13 % du PIB de l'UE, et à 132,8 milliards d'euros en crédits de paiement (0,99 % du PIB de l'UE). Ce montant est comparable à celui d'un État européen de taille moyenne. On se trouve dans la situation paradoxale dans laquelle des compétences de l'Union ont été renforcées au fil des traités successifs, mais avec un budget européen qui est resté limité autour de 1 % du PIB.
Le Conseil européen de février 2013 a prévu, pour le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020, un plafond des dépenses à 960 milliards d'euros (Md€) en crédits d'engagement, soit 1 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne. Le total des crédits de paiement (CP) est de 908 Md€, soit 0,95 % du RNB. En juillet 2013, le Parlement européen a donné son consentement de principe à un accord politique dégagé avec les États membres qui répond à ses demandes concernant la flexibilité dans l'utilisation des montants et une révision du CFP à mi-parcours.
Une telle situation porte atteinte à la crédibilité de l'Europe et ne permet pas de pratiquer une politique de relance au travers de différents secteurs tels que la recherche, les infrastructures de transport, la transition énergétique, etc...
En témoigne le plan de relance européen : pour l'essentiel, ce plan a procédé du cumul de 27 plans nationaux ; sur un total de 200 milliards d'euros, 170 sont issus des budgets des États membres, 30 de l'Union européenne, dont 25 par le biais de prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI), et 5 seulement du budget européen, répartis sur 2009 et 2010. Il a fallu une succession de réunions du Conseil européen pour que l'Europe parvienne à apporter des réponses crédibles de nature à arrêter la spéculation.
Un montant significativement plus élevé serait aussi nécessaire pour renforcer les solidarités territoriales dans l'espace européen et permettre au budget de l'Union d'exercer les fonctions budgétaires classiques (allocation, redistribution et stabilisation).
En pratiquant une telle limitation du budget européen, les chefs d'États et de gouvernements n'ont fait que transposer à ce niveau leurs politiques nationales de réduction des déficits. C'est oublier que ce qui était normal au niveau national, compte tenu des niveaux d'endettement des États, ne l'était pas au niveau européen puisque l'Europe, privée du droit d'emprunter, n'était pas endettée. C'est donc à ce niveau que la politique de relance aurait dû prendre tout son sens.
2. Le poids prédominant des contributions nationales
Le poids prédominant des contributions nationales dans le financement du budget européen constitue un obstacle manifeste à son éventuelle progression dans un contexte marqué par les fortes contraintes pesant sur les budgets nationaux. La part des ressources propres authentiques dans le budget de l'Europe n'a cessé de diminuer ; elle ne représente plus aujourd'hui que 14 % du budget total. Comme votre rapporteur avait déjà eu l'occasion de le relever 10 ( * ) , cette renationalisation des ressources du budget présente de nombreux inconvénients qui mettent en danger le projet européen : la généralisation du raisonnement du « juste retour », qui occulte les avantages intrinsèques du niveau européen (gain du marché unique, de l'intégration européenne, des synergies créées et des économies d'échelle) ; l'instauration de rabais au bénéfice de plusieurs pays dont le Royaume-Uni, qui ont beaucoup perdu de leur légitimité ; un nationalisme budgétaire au moment où la crise exige que l'Europe accélère son intégration et se dote de nouveaux moyens.
C'est pourquoi votre rapporteur avait préconisé plusieurs mesures : augmenter sensiblement la part des ressources propres dans les recettes du budget de l'Union (objectif 60 %) ; réformer les « rabais » ; faire passer le budget de l'Union de 1 % du RNB à 2 % d'ici 2020, sans dépenses nouvelles, en transférant certaines d'entre elles du niveau national au niveau européen.
Une telle réforme permettrait une relance de la croissance et de l'emploi au seul niveau pertinent, c'est-à-dire au niveau où il n'existe pas d'endettement. Elle allègerait la contribution de chaque État qui pourrait ainsi réduire plus facilement sa dette souveraine. Elle conférerait plus d'efficacité aux investissements effectués à un niveau où peuvent être organisées de nouvelles synergies et économies d'échelle.
E. UNE EUROPE FAIBLE VIS-À-VIS DE L'EXTÉRIEUR
L'Union européenne cumule deux faiblesses majeures pour exister en tant que telle sur la scène internationale : elle ne s'est toujours pas dotée d'une politique étrangère commune. L'Europe de la défense paraît encore bien loin de se concrétiser.
1. L'absence d'une véritable politique étrangère européenne
L'Europe ne pourra s'affirmer comme puissance sur la scène internationale si elle ne met pas en oeuvre une véritable politique étrangère commune. Or, les résultats dans ce domaine demeurent très faibles. En politique étrangère, les États membres de l'Union européenne en sont toujours au « chacun pour soi ».
Lancée dans les années 70, la coopération politique européenne avait permis quelques résultats intéressants comme la préparation commune de la Conférence d'Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe (1973-1975), une réaction coordonnée à l'invasion de l'Afghanistan par les troupes russes (1979), ou encore l'adoption à Venise en 1980 d'une déclaration commune sur le Proche-Orient (qui demandait que l'OLP soit associée aux négociations de paix).
Cette diplomatie essentiellement déclaratoire n'a néanmoins pas permis à l'Europe d'exercer, en tant que telle, une réelle influence. Les États membres ont réagi en ordre dispersé face au conflit dans les Balkans. Ils se sont divisés sur la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie.
Le traité de Maastricht (1992) a par la suite créé la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), sous la forme d'un « second pilier » dans les traités. Des objectifs communs ont été fixés (comme maintenir la paix et la sécurité internationales). Pour autant, l'Union est restée dans une position marginalisée face aux grandes crises internationales. Au Proche-Orient, elle n'exerce qu'une influence négligeable (alors même qu'elle est le premier débouché des exportations israéliennes et fournit près de la moitié de l'aide publique aux Palestiniens) ; en ex-Yougoslavie, son rôle a été mineur même après la création de la PESC ; la guerre du Kosovo a confirmé l'impuissance européenne.
On doit au traité d'Amsterdam (1997) la création du Haut représentant pour la PESC et au traité de Nice (2001) la consécration du comité de politique et de sécurité (COPS), déjà mis en place en janvier 2001, en matière de direction et de contrôle des opérations de crise. Ces avancées sont intéressantes mais elles ne suffisent pas à bâtir une politique commune.
Comme indiqué précédemment, la principale innovation du traité de Lisbonne consistant à faire porter cette politique par un Haut représentant, à la fois vice-président de la Commission, chargé de présider le conseil affaires étrangères et mandataire du Conseil, n'a pas donné les résultats escomptés.
Après le traité de Lisbonne, le processus décisionnel reste largement intergouvernemental. Le Conseil européen conserve le rôle premier. Il lui revient d'identifier les intérêts stratégiques de l'Union et d'adopter, à l'unanimité, les décisions européennes portant sur ces intérêts et objectifs stratégiques (qui remplacent les stratégies communes).
L'unanimité est restée la règle. Elle ne connaît que quatre exceptions : lorsque la décision en cause définit une action ou une position de l'Union sur la base d'une décision européenne du Conseil européen portant sur les intérêts et objectifs stratégiques de l'UE (elle-même adoptée à l'unanimité) ; lorsqu'il s'agit de l'adoption d'une position européenne prise sur proposition du Haut représentant « à la suite d'une demande spécifique que le Conseil européen lui a adressée » ; pour la mise en oeuvre d'une décision européenne qui définit une action ou une position de l'UE ; lorsque la décision porte sur la nomination d'un représentant spécial.
Le choix de préserver la règle de l'unanimité a été en retrait par rapport aux propositions franco-allemandes (contribution de janvier 2003 à la convention européenne) qui, au contraire, tendaient à faire de la majorité qualifiée la règle générale. D'autres recommandations - comme celles du groupe de travail de la convention - envisageaient la majorité qualifiée pour les propositions conjointes émanant du Haut représentant et de la Commission.
Cette attitude timorée exprime surtout la défaillance des États membres à progresser vers une véritable politique étrangère commune. La crise irakienne a manifesté leurs divergences, en particulier lorsque la solidarité transatlantique est en cause, face à une crise internationale grave. Aucun des deux groupes de pays concernés n'aurait accepté d'être mis en minorité et ainsi d'être forcé de soutenir le conflit ou au contraire de s'en abstenir.
Les récentes crises malienne puis centrafricaine expriment cruellement l'incapacité de l'Union européenne à se projeter en tant que telle comme puissance politique et militaire.
C'est bien l'absence de volonté politique, d'une véritable ambition européenne qui aboutit à ce résultat attristant qui prive l'Union européenne de sa capacité à s'affirmer comme puissance et à peser véritablement sur la scène internationale comme son poids économique et son histoire le justifieraient.
2. Les défaillances de l'Europe de la Défense
L'Europe de la Défense peine à se réaliser. Tout se passe comme si elle portait encore le fardeau de l'échec de la Communauté européenne de défense, en 1954, suite au refus de la France, puis du plan Fouchet de 1961-1962 d'inspiration intergouvernementale mais qui intégrait la politique de défense dans le champ des politiques européennes.
En instituant la politique étrangère de sécurité commune (PESC), le traité de Maastricht (1992) a pris en compte les questions de défense.
Compte tenu des positions divergentes des États membres, il a néanmoins retenu une approche très prudente et dénuée d'une véritable ambition : « La politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union européenne, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune. »
Le traité d'Amsterdam (1997) a intégré dans le traité les « missions de Petersberg », c'est-à-dire les trois grands types de missions décidées par les ministres de l'UEO lors du conseil de Petersberg (1992) : les missions humanitaires ou d'évacuation des ressortissants ; les missions de maintien de la paix ; les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix.
Le sommet franco-britannique de Saint-Malo, en décembre 1998, a suscité l'espoir d'une véritable relance de l'Europe de la défense en marquant le rapprochement des points de vue des deux principales puissances militaires européennes. La France, qui, après s'être retirée en 1966 du commandement intégré de l'OTAN, participait au comité militaire de l'OTAN depuis 1995 avant de rejoindre le comité militaire intégré de l'OTAN en mars 2009, a admis que l'OTAN jouait un rôle essentiel dans la sécurité européenne. Le Royaume-Uni ne s'est plus opposé à ce que les questions de défense soient évoquées au sein de l'Union européenne. La déclaration de Saint-Malo affirme la nécessité pour l'Union de se doter d'une « capacité d'action autonome » , appuyée sur des forces militaires crédibles afin de répondre aux crises internationales. Au sommet d'Helsinki (décembre 1999), les dirigeants européens ont fixé l'objectif global d'être en mesure en 2003 de déployer, en soixante jours et sur une durée au moins égale à un an, une force de réaction rapide, si besoin de l'importance d'un corps d'armée, soit au total, pour la composante terrestre, de l'ordre de 50 à 60 000 hommes, sur la base des moyens mis à sa disposition par chaque pays.
Le traité de Lisbonne a élargi les objectifs de la PSDC qui vise « le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la Charte des Nations unies » (art. 42 TUE). Il a renforcé l'Agence européenne de défense en étendant ses compétences aux aspects industriels et commerciaux des questions d'armement. Des coopérations plus étroites entre certains États membres peuvent désormais être développées sous la forme de « coopérations structurées permanentes » . Ces coopérations sont ouvertes aux États membres « qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes » (art. 42 TUE). Le recours aux coopérations renforcées était exclu par le traité de Nice. Le traité de Lisbonne a établi une clause de défense mutuelle (art. 42 TUE), selon laquelle « au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la Charte des Nations unies » relatif à la légitime défense. Il fait aussi référence aux forces multinationales qui, tels l'Eurocorps, ont été créées par certains États membres et qui sont intégrées dans le cadre de l'Union européenne.
En dépit de ces progrès, on est encore très loin d'une Europe de la défense. Les budgets militaires déjà insuffisants ont tendance à régresser dans le contexte de crise. Surtout, l'effort budgétaire est très hétérogène puisque la France et le Royaume-Uni concentrent 40 % de l'effort de défense. Les capacités de projection de l'Union européenne sur des théâtres extérieurs disposent d'une faible capacité représentant moins de 20 % des capacités militaires américaines. Les États-Unis (313,9 millions d'habitants) investissent quatre fois plus que l'Union européenne (509 millions d'habitants) dans les dépenses d'équipement et six fois plus dans la recherche. L'Europe ne s'est toujours pas dotée de la capacité de projection envisagée par le Conseil européen : 60 000 hommes en 60 jours sur une durée d'au moins un an. Les opérations menées par l'Union européenne sont le plus souvent à dominante civile et de faible ampleur.
Pas plus que dans les Balkans dix ans auparavant, l'Union européenne n'a su apporter une réponse collective face à la crise libyenne qui concernait pourtant une zone géographique proche. Elle n'a pas su non plus réagir à la situation au Mali en testant le déploiement d'un groupement tactique européen. Malheureusement la crise centrafricaine a semblé, dans un premier temps, témoigner à nouveau de l'incapacité de l'Union à se mobiliser de façon unie et coordonnée. Cependant, le Conseil a marqué, le 20 janvier 2014, son accord politique sur la perspective d'une opération militaire PSDC et a approuvé le concept de gestion de crise à cette fin. Cette opération contribuera par un appui temporaire, pour une période pouvant aller jusqu'à six mois, à fournir un environnement sécurisé, dans la région de Bangui, en vue de passer le relais à l'Union Africaine.
L'Union européenne devrait être en mesure de déployer rapidement des troupes pour appuyer des actions qui entrent pleinement dans le cadre des objectifs que le traité a retenus pour la politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC). Elle devra prendre en compte l'évolution de la position stratégique américaine désormais plus axée sur l'Asie.
En décembre 2008, le Conseil européen a exprimé sa volonté de donner un nouvel élan à la PSDC, qui continuera à se développer « en pleine complémentarité avec l'OTAN ». Ces conclusions de 2008 ont été rappelées par le Conseil européen en décembre 2012. Le Conseil européen de décembre 2013 a, à nouveau, évoqué cette question. Il a notamment souligné que l'Union et ses États membres doivent être « en mesure de planifier et de déployer les moyens civils et militaires appropriés rapidement et efficacement ». Les aspects financiers des missions et opérations de l'Union devraient être examinés « sans tarder ». D'ici juin 2014, une stratégie devrait être élaborée en matière de sécurité maritime. À l'horizon 2020-2025, des systèmes aériens pilotés à distance devraient être mis au point. Les progrès concrets en matière de défense seront évalués par le Conseil européen en juin 2015.
Plus que de déclarations d'intention, c'est de réalisations concrètes dont l'Europe de la défense a besoin.
3. Une certaine naïveté dans le commerce international et la politique des changes
L'Union européenne s'est clairement positionnée en faveur d'un développement du commerce international. Pour satisfaire cet objectif, elle a privilégié l'approche multilatérale. Cela a conduit l'Union à prendre une part active aux négociations commerciales multilatérales dans le cadre du GATT puis au sein de l'OMC dont elle a appuyé la création en 1995. Elle l'a confirmé dans le cadre du cycle de Doha. Confrontée au risque d'échec de ce cycle de négociations, lancé à Doha en novembre 2001, l'Union européenne a décidé, à compter de 2004, de donner une place plus importante à la négociation bilatérale. Cette nouvelle orientation s'est concrétisée de façon spectaculaire avec la décision du Conseil européen, en février 2013, de négocier un accord commercial global avec les États-Unis.
Mais l'Union européenne devra impérativement relever le défi de la réciprocité dans ses relations commerciales avec le reste du monde. Elle a jusqu'à présent privilégié une approche libre échangiste ouvrant largement ses marchés sans se préoccuper de l'ouverture réciproque de ses partenaires commerciaux. Cette attitude, d'une naïveté confondante, l'a conduite à faire peu usage des instruments de défense commerciale dont elle s'est pourtant dotée. Le domaine des marchés publics illustre jusqu'à la caricature cette naïveté européenne. Comme l'avait montré notre collègue, le président Simon Sutour, dans une communication de novembre 2012 11 ( * ) , 85 % des marchés publics de l'Union européenne sont ouverts aux pays tiers contre 32 % des marchés américains et 28 % des marchés japonais ! Cette situation est inacceptable et l'Europe doit réagir. C'est pourquoi le Sénat a appuyé la proposition présentée par le commissaire Michel Barnier, qui prévoit une série de mesures concernant la réciprocité dans l'accès aux marchés publics, dans une résolution du 26 novembre 2012.
Malheureusement, là encore, les États membres ne parviennent pas à surmonter leurs divergences pour affirmer une stratégie commune. Certains États comme la France souhaiteraient légitimement que l'Union exprime fortement son exigence de réciprocité à ses partenaires et fasse usage, le cas échéant, de ses instruments de défense commerciale ; d'autres États, comme le Royaume-Uni et le Danemark, privilégient une vision positive du libre-échange généralisé qui serait bénéfique tant pour les consommateurs en termes de prix que pour les producteurs obligés de se moderniser pour faire face à la concurrence internationale.
Une même naïveté semble affecter l'attitude de l'Union européenne concernant le taux de change de l'euro. Les principales puissances mondiales pilotent leur monnaie (dollar, yen, yuan) tandis que l'Europe semble considérer que le niveau de l'euro doit plutôt être la résultante d'autres politiques ou de politiques appliquées aux autres monnaies. Ne devrait-on pas au contraire considérer que le taux de change de l'euro doit être une préoccupation à prendre en compte ? Cela impliquerait d'avoir une politique des changes qui permettent de limiter les fluctuations de changes tout en demeurant pour prévenir certains effets négatifs que pourrait avoir une baisse des taux de change.
*
La construction européenne est un grand projet. Elle a permis de bâtir durablement un espace de paix et une communauté de droit. Le marché unique est une grande réalisation à mettre à son crédit. Des avancées concrètes ont bénéficié aux citoyens européens. L'Europe a démontré à plusieurs reprises et encore récemment sa capacité de réaction face aux crises. Pour autant, elle n'apparaît pas aujourd'hui assurée de son avenir. Confrontée à une crise de confiance des citoyens, elle cumule plusieurs faiblesses qui l'empêchent de relever les défis auxquels elle est confrontée. Elle doit donc se fonder sur ses atouts incontestables pour trouver un nouvel élan.
2ÈME PARTIE : POUR UNE RELANCE DU PROJET EUROPÉEN
I. POUR UNE NOUVELLE ARCHITECTURE DE L'UNION EUROPÉENNE : FAIRE COHABITER DEUX CONCEPTIONS DE L'EUROPE SANS ENTRAVER OU RALENTIR LE RYTHME DE SA CONSTRUCTION
A. L'ABSOLUE NÉCESSITÉ DE L'EUROPE
L'Union européenne est confrontée au défi immense que constitue la mondialisation. Elle ne pourra y répondre qu'en renforçant ses acquis. Il faut aussi conforter la recherche de la « plus-value » européenne et encourager une meilleure identification de l'Europe par les citoyens.
1. Face à la mondialisation...
a) Un bouleversement des équilibres au niveau mondial
L'Union européenne et, au-delà, l'ensemble du monde occidental, traverse la plus grave crise connue depuis la deuxième guerre mondiale. Il s'agit d'une crise à la fois financière, économique, sociale et morale.
Plusieurs facteurs concourent à cette situation. En premier lieu, il s'agit d'une crise de la productivité. Notre prospérité a été fondée jusqu'ici sur la liberté de créer, d'entreprendre et d'échanger ainsi que sur un approvisionnement à bas coût des matières premières puisées dans le tiers monde. Or, depuis deux ou trois décennies, des peuples immenses qui vivaient dans la stagnation et le cercle vicieux de la pauvreté se sont engagés dans un processus soutenu de croissance économique. Ils sont devenus des concurrents très compétitifs, dotés pour l'instant de coûts de production incomparablement plus bas que les nôtres.
Nos sociétés s'étant habituées à un niveau de vie et de protection élevé, au bien-être et à la réduction du temps de travail, nous n'avons pas voulu voir la réalité en face et en tirer immédiatement les enseignements. Nos États se sont menti à eux-mêmes et reculant devant l'obstacle, ils ont camouflé cette situation nouvelle en s'endettant de façon inconsidérée. La crise des dettes souveraines a été un terrible révélateur d'une situation détériorée dont les racines doivent être recherchées longtemps avant le déclenchement de la crise.
L'Union européenne est confrontée à un profond bouleversement des équilibres du monde. Dans l'Antiquité, le centre du monde s'organisait autour de la Méditerranée. Puis, après les découvertes de Christophe Colomb et la constitution progressive des États-Unis, il s'est peu à peu déplacé autour de l'Atlantique. Il se construit aujourd'hui autour du Pacifique dont l'Europe est absente. En 2020, l'Europe des vingt-huit représentera 7 % de la population mondiale contre 30 % en 1945. Le premier résultat de la crise que nous vivons sera le creusement de l'écart entre les nations « amorties » de l'Occident et les nations émergentes - bientôt submergentes - du Pacifique.
Comme le souligne le commissaire Michel Barnier 12 ( * ) , le continent européen est le seul dans le monde qui va perdre de la population dans les quarante ans qui viennent. L'Inde aura un nombre d'habitants supérieur à la Chine. Le continent africain comptera deux milliards d'habitants dont la moitié aura moins de vingt ans. En Europe, la population des 65 ans et plus passera de 17,4 % en 2010 à plus de 30 % en 2060. C'est donc d'abord un défi démographique et de mobilité que l'Europe devra relever.
L'Europe est confrontée à un deuxième défi qui est celui de l'énergie et du changement climatique. Le constat de M. Michel Barnier doit être partagé : « si nous ne construisons pas maintenant une société de modération, nous entrerons dans une société de privation ».
b) Les effets d'une crise systémique
L'Union européenne subit par ailleurs les effets du dérapage du système capitaliste. Le système financier, qui aurait dû rester au service de l'économie réelle, s'est émancipé et s'est développé de façon autonome. Il a poursuivi sa propre logique et sa propre finalité. Il a été servi en cela par les progrès des technologies de l'information qui permettent de réaliser des transactions à partir de modèles, sans intervention humaine, en quelques nano-secondes, et qui conduisent à ce qu'un produit réel - par exemple une tonne de blé sur le marché de Chicago - passe par une soixantaine d'opérateurs avant d'être réellement vendu.
Un tel système, au sein duquel les bénéfices sont très supérieurs à ceux que l'on constate dans l'économie réelle, s'est également accompagné de méthodes perverses qui n'ont fait qu'amplifier le phénomène. C'est ainsi que, jusqu'ici, il était possible de vendre des titres de dettes émis par un État sans en être le détenteur ( C.D.S. : Credit Default Swap ). De même, la technique de la « vente à découvert » permettait à un acheteur d'acheter, de vendre un actif qu'il avait emprunté et dont il n'acquittait lui-même le prix qu' a posteriori , en spéculant entre temps sur la perte de valeur de cet actif !
Dans cette ambiance euphorisante pour les marchés financiers, des pratiques hasardeuses se sont développées. Aux États-Unis, les banques ont prêté beaucoup d'argent à des candidats à l'accession à la propriété insolvables, en jugeant non pas de leur capacité à rembourser, mais du prix futur supposé de leur logement - les fameuses « subprimes ». Elles n'ont pas conservé ces créances douteuses pour elles, mais les ont titrisées, c'est-à-dire qu'elles les ont revendues à d'autres, notamment à des banques qui au moment du crash et de la faillite de l'une d'entre elles - la Lehman Brothers - se sont retrouvées avec des créances douteuses que les emprunteurs étaient incapables de rembourser : ce sont les fameux emprunts toxiques qui existent encore, qui pèsent sur le bilan des banques et sur leur confiance réciproque.
Cette crise systémique est aussi un puissant révélateur du troisième défi qui attend l'Europe, celui de l'économie, c'est-à-dire de la croissance et de l'emploi. Très justement, M. Michel Barnier fait observer que parmi les six économies les plus puissantes au monde, cinq sont encore européennes. En 2050, sur la pente actuelle, il n'y en aura plus qu'une seule 13 ( * ) . Mais le retour de la croissance suppose le rétablissement de la confiance durement ébranlée par la crise.
Il ne faut pas, pour autant, céder au « déclinisme ». L'Europe dispose d'atouts importants. Elle doit les valoriser pour s'inscrire de manière efficace dans la grande mutation en cours qui conduit à un rééquilibrage des forces au niveau mondial.
c) Les effets de la révolution numérique
La révolution numérique est un autre défi majeur. L'avènement de l'Internet constitue une véritable révolution. Le numérique redéfinit les espaces et entraîne des pertes de souveraineté dans de nombreux domaines 14 ( * ) . Par son caractère transversal, le numérique met en cause la maîtrise et la protection des données personnelles. Il bouscule les règles de droit. Il renverse les modèles d'affaires. Il met en cause la viabilité de systèmes fiscaux à travers le développement du dumping fiscal.
La vieille Europe est donc directement confrontée au défi des nouvelles technologies de l'information. Celles-ci peuvent être une chance et un atout si l'Europe s'en donne les moyens. Elles peuvent au contraire constituer une menace si l'Europe reste un acteur passif.
Or, cet espace transfrontière est aujourd'hui dominé par une poignée d'acteurs privés non européens qui deviennent des rivaux des États. L'Union européenne ne peut donc se contenter de construire un marché numérique sous le seul angle du bénéfice que le consommateur peut en tirer. Elle doit aussi se poser la question de la place des producteurs européens dans ce nouveau paysage.
À travers son Agenda numérique, l'Union européenne s'en tient pour le moment à une approche par les usages. Elle cherche à faire bénéficier l'économie européenne du surplus de croissance que peut lui apporter le numérique. Cette approche n'est pas suffisante. L'Union ne peut être seulement consommatrice. Elle doit aussi se poser la question de sa capacité à faire émerger des producteurs européens qui pèseront sur le marché du numérique.
L'Union européenne doit se poser la question de la maîtrise de ses données et de la protection des données personnelles des citoyens européens. Elle ne peut accepter que celles-ci fassent l'objet de transferts massifs à l'échelle internationale au mépris des règles fondamentales de protection qu'elle a elle-même élaborées.
La préservation de la diversité de la culture européenne est un autre enjeu majeur à l'heure de la révolution numérique. L'Union doit être en capacité d'agir dans ce sens. Pour cela elle doit prendre toute la mesure de l'enjeu de civilisation qui se joue dans le monde numérique. Elle doit aussi prendre conscience que c'est seulement en réunissant ses forces à l'échelon européen qu'elle pourra espérer relever ces défis.
En mars 2013, la commission des affaires européennes du Sénat a présenté un ensemble de trente propositions pour que l'Union joue tout son rôle dans le cyberespace 15 ( * ) .
En novembre 2013, le Sénat a marqué sa volonté de contribuer à relever le défi du numérique en constituant une mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet » 16 ( * ) .
2. ...renforcer les acquis de l'Union européenne
Face au défi de la mondialisation, l'Europe doit nécessairement renforcer ses acquis. Or, elle reste confrontée au défi de la faiblesse de son organisation. Le rythme de son intégration est beaucoup trop lent par rapport à celui de la mondialisation . Elle se trouve donc au milieu du gué à un moment crucial de son histoire. Soit elle franchira une étape décisive vers plus d'intégration et de solidarité, soit elle explosera en une poussière d'États qui seront livrés les uns après les autres, comme des Curiaces, aux appétits des États-continents émergents.
a) Affirmer l'Union européenne comme communauté de droit
Comme votre rapporteur l'a explicité précédemment, l'Union européenne est d'abord et avant tout une communauté de droit. Elle tire en particulier sa force d'avoir pris à son compte les grands principes de l'État de droit.
Outre que ces principes permettent d'assurer la protection des droits fondamentaux dans l'espace européen, ils sont source d'une sécurité juridique indispensable au bon développement des activités économiques et sociales.
Le traité de Lisbonne a incontestablement conforté cette dimension essentielle de la construction européenne. Il a reconnu à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne une valeur juridique obligatoire équivalente à celle des traités. Ce qui signifie que le juge dispose d'une arme supplémentaire pour protéger les droits des justiciables qui seraient enfreints par les institutions européennes ou par les États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union.
En outre, le traité de Lisbonne a prévu l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de L'homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe. Les négociations sont en cours pour formaliser cette adhésion.
Ces avancées soulignent la force des valeurs communes qui unissent les États membres et qui justifient qu'ils développent entre eux des liens toujours plus étroits. Elles expriment aussi la nature du message que l'Union européenne doit défendre sur la scène internationale : faire partager les valeurs de la démocratie et du respect des droits de la personne, en toutes circonstances.
En combinant la proclamation des droits fondamentaux dans les traités et la Charte avec l'existence de juridictions chargées de veiller à leur respect, l'Europe réunit les conditions qui permettent d'assurer un État de droit.
Ce schéma est appliqué par les constitutions des États fédéraux qui comportent, outre des listes des droits fondamentaux protégés, des dispositions tendant à :
- interdire toute modification de la loi fondamentale qui porterait atteinte à ces droits (Allemagne, Brésil) ;
- permettre un contrôle par la cour constitutionnelle de leur application, le cas échéant sous réserve du respect de règles procédurales spécifiques telles que l'épuisement des autres voies de recours, en Allemagne ;
- voire même l'obligation, pour chaque État fédéré, de créer un organisme spécifique chargé de la protection des droits de l'Homme (Mexique) 17 ( * ) .
b) Consolider le pilier économique de l'Union économique et monétaire
Au-delà, l'Union européenne doit parachever les chantiers qu'elle a mis en oeuvre sans aller au bout de la logique qui les sous-tendait. C'est le cas en premier lieu des conséquences à tirer de l'existence d'une monnaie unique, l'euro. Une monnaie repose sur deux piliers : la politique monétaire, la politique économique. L'Union n'a construit qu'un seul de ces piliers : le pilier monétaire avec l'institution de la Banque centrale européenne (BCE) fortement inspirée de la Bundesbank pour son indépendance et la mission qui lui a été assignée de lutter contre l'inflation. C'était bien le moindre pour convaincre nos partenaires allemands d'abandonner le mark. Mais épuisés, ou satisfaits de la création de l'euro, les États membres n'ont pas suffisamment intégré leurs politiques économiques, surveillé les divergences de productivité et les dérapages des politiques budgétaires. Les différentes mesures - dont le contenu a été rappelé précédemment - adoptées dans le contexte de la crise des dettes souveraines, doivent permettre de pallier cette évidente lacune. Pendant cette période, l'Union a fait des pas énormes dans les transferts de compétences. En complément d'un fédéralisme monétaire, déjà en place, un fédéralisme budgétaire et économique commence à se dessiner. Il doit être consolidé.
c) Lever les obstacles à la réalisation du marché unique
L'Union européenne doit aussi lever tous les obstacles à la réalisation du marché unique. Comme votre rapporteur l'a rappelé, celui-ci constitue la grande réalisation de la construction européenne. Mais il demeure confronté à des difficultés qui l'empêchent de jouer pleinement son rôle au service de l'économie européenne.
Le rapport de M. Mario Monti, remis au président Manuel Barroso en mai 2010, a souligné l'existence de trois difficultés : une érosion du soutien politique et social en faveur de l'intégration des marchés en Europe ; une attention inégale accordée par les États membres à la mise en place des différentes composantes d'un marché unique efficace et durable ; un sentiment d'autosatisfaction qui a gagné en puissance au cours de la dernière décennie, comme si le marché unique avait été intégralement mis en place et qu'il ne devait dès lors plus figurer au rang des priorités politiques.
Selon le rapport Monti, le fonctionnement du marché unique continue à souffrir d'importantes distorsions fiscales, réglementaires ou techniques. Certains secteurs, comme les services, ne sont pas encore suffisamment intégrés dans le grand marché.
Le rapport Monti a proposé une nouvelle stratégie pour le marché unique. L'objectif clairement affiché est de prévenir le risque de nationalisme économique. Mais le rapport a aussi souligné la nécessité d'étendre le marché unique à de nouveaux domaines stratégiques pour la croissance européenne et de dégager un degré de consensus acceptable à son égard. Cette nouvelle stratégie doit être globale. Elle implique d'intégrer des politiques qui jusqu'à présent étaient généralement considérées comme étrangères au marché unique 18 ( * ) . Au fond, il s'agit de traduire dans les faits l'objectif fixé par les traités et mettre enfin en place « une économie sociale de marché hautement compétitive ».
À travers l' Acte pour le marché unique , qu'elle a présenté en avril 2011, sous l'impulsion de M. Michel Barnier, la Commission européenne a proposé un programme pour relancer la croissance et rétablir la confiance des Européens dans les avantages de l'intégration économique en Europe. La Commission a énoncé un ensemble de cinquante propositions destinées à améliorer le fonctionnement du marché unique et à rendre la vie quotidienne de tous ses acteurs - les entreprises, les consommateurs et les travailleurs - plus facile. Selon la Commission, exploiter pleinement le marché unique se chiffrerait en une croissance potentielle de l'ordre de 4 % du PIB au cours des dix prochaines années.
En octobre 2012, la Commission a proposé un second paquet de mesures ( Acte pour le marché unique II ) qui prévoit de nouvelles actions pour développer des réseaux de transport et d'énergie d'ici 2015, encourager l'entrepreneuriat social, la cohésion et la confiance des consommateurs.
L'Europe a aussi cherché à améliorer la stabilité et l'efficacité du marché unique des services financiers. Cette orientation est indispensable pour que le secteur financier puisse soutenir l'économie réelle. Trois nouvelles autorités européennes de surveillance ainsi qu'un comité européen du risque systémique ont été créés en 2011. Le commissaire Michel Barnier a également présenté un ensemble de 28 mesures législatives qui correspondent aux engagements pris dans le cadre du G20. Elles sont destinées à établir un « règlement uniforme » qui permet de soumettre les établissements financiers et les marchés financier à des normes réglementaires adéquates et à des conditions de concurrence homogènes dans l'ensemble du marché unique.
d) Rétablir la compétitivité européenne
Cette promotion indispensable du marché unique est elle-même indissociable du rétablissement de la compétitivité européenne. La nouvelle stratégie « Europe 2020 », présentée par la Commission européenne en mars 2010, doit permettre à l'Union européenne de sortir dans de bonnes conditions de la grave crise économique qu'elle affronte depuis 2008. Selon le constat de la Commission, la crise aurait annulé les progrès constants de la croissance économique et de la création d'emplois enregistrés dans la décennie précédente : le PIB a chuté de 4 % en 2009 ; la production industrielle est retombée au niveau des années 1990 ; 23 millions de personnes (10 % de la population active) ont perdu leur travail.
On ne peut néanmoins imputer à la crise l'entière responsabilité de la situation de l'Europe. Elle a été, en réalité, un révélateur de faiblesses structurelles qui sont bien antérieures. L'Europe enregistre des taux de croissance structurellement plus faibles que ceux de ses partenaires économiques. La raison principale est imputable à un écart de compétitivité qui s'est creusé au cours de la décennie. L'Europe a aussi un taux d'emploi en moyenne bien inférieur (69 % pour la tranche d'âge 20-64 ans) à ceux d'autres parties du monde. Enfin, elle subit les effets d'un vieillissement accéléré de sa population. Ce constat a conduit la Commission européenne à identifier trois scénarios correspondant selon les choix effectués à une « reprise durable » , à une « reprise lente » ou à une « décennie perdue ».
Dans ce contexte, « Europe 2020 » a retenu trois grandes priorités complémentaires : une croissance intelligente , qui permettra de développer une économie fondée sur la connaissance et l'innovation ; une croissance durable , afin de promouvoir une économie plus efficace dans l'utilisation des ressources, plus verte et plus compétitive ; une croissance inclusive , qui encourage une économie à fort taux d'emploi favorisant la cohésion sociale et territoriale.
Les objectifs suivants devraient être poursuivis dans la perspective de 2020 : 75 % de la population active devraient avoir un emploi ; 3 % du PIB devraient être investis dans la R&D ; les objectifs « 20/20/20 » en matière de climat et d'énergie devraient être atteints ; le taux d'abandon scolaire devrait être réduit à moins de 10 % et au moins 40 % des jeunes générations devraient obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur ; le nombre de personnes menacées par la pauvreté devrait être réduit à 20 millions.
Dans ce but, la Commission entend proposer sept initiatives-phares qui engageront à la fois l'Union européenne et les États membres dans différents domaines, notamment pour soutenir l'innovation, la performance des systèmes éducatifs, faciliter l'entrée des jeunes sur le marché du travail ou encore appuyer une stratégie numérique pour l'Europe.
Il est essentiel que les efforts portent en priorité sur les vingt millions d'entreprises, notamment les petites et les moyennes, qui sont la force de l'économie européenne. Une politique active de réindustrialisation doit être conduite. Le défi du numérique doit être relevé en faisant émerger des producteurs européens qui puissent peser sur le marché mondial.
Au-delà, le succès ne pourra venir de la seule bonne volonté des États membres, qui a fait cruellement défaut dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Seule une gouvernance européenne efficace permettra de réaliser des objectifs concrets pour rétablir dans la durée la compétitivité de l'Union européenne.
e) Promouvoir la solidarité et la convergence sociale
Compétitive, l'Union européenne doit aussi être un espace de solidarité. La concurrence ne doit pas exclure la solidarité. Il ne peut y avoir d'Europe stable sans cohésion sociale
Cette solidarité doit s'exprimer entre les États membres. Les mécanismes mis en place en réponse à la crise des dettes souveraines - en dernier lieu, le Mécanisme européen de stabilité (MES) - ont permis de soutenir les États membres confrontés à de graves difficultés. Comme l'envisageait le rapport de M. Herman Van Rompuy au Conseil européen sur l'avenir de l'Union économique et monétaire, cette solidarité financière pourra prendre une forme plus approfondie avec « l'émission en commun de dette sans recourir à la mutualisation de la dette souveraine », une fois qu'auront été franchies des étapes telles que la mise en oeuvre d'arrangements contractuels entre les États membres et l'Union européenne, et la création d'une capacité budgétaire destinée à faciliter l'ajustement aux chocs économiques. Cette solidarité renforcée entre États membres devrait concerner d'autres domaines, en particulier celui de l'asile et de l'immigration, où en dépit des déclarations d'intention, l'Union européenne peine à apporter des réponses adaptées à l'interdépendance entre les États membres.
La solidarité doit aussi s'exprimer au profit des territoires. C'est ce que permet la politique de cohésion, qui représente le deuxième poste du budget européen après la politique agricole commune (PAC). On doit toutefois déplorer que cette politique subisse les effets d'un cadre budgétaire très contraint et largement en-deçà des ambitions du projet européen. Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 a prévu une enveloppe de 325,1 milliards d'euros pour la politique de cohésion, soit une baisse de près de 25 milliards par rapport à la période 2007-2013.
L'Union européenne doit par ailleurs développer sa dimension sociale. C'est ce à quoi l'invite le traité qui vise l'établissement d' « une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social » (article 3 TUE).
L'Europe sociale est indispensable. Face à la crise et aux conséquences qu'elle entraîne à l'égard d'un nombre important de nos concitoyens, l'Europe doit prouver qu'elle est décidée à apporter sa contribution dans la lutte contre le chômage. Elle doit démontrer que, dans ce domaine aussi, les approches communes peuvent être plus efficaces que les approches strictement nationales.
L'emploi est au coeur des préoccupations de nos concitoyens. L'Union doit donc agir à son niveau pour combattre le fléau du chômage, tout particulièrement celui des jeunes qui atteint des niveaux record (14,6 millions de jeunes sont sans emploi et ne suivent ni études ni formation) 19 ( * ) . La Commission européenne a présenté, en décembre 2012, un « paquet » pour l'emploi des jeunes. Le Conseil européen de février 2013 a prévu un « Fonds jeunes » - « Initiative pour l'emploi des jeunes » - de 6 milliards d'euros alloués au prorata des jeunes chômeurs sur la période 23014-2020 avec une concentration des dépenses en 2014 et 2015. Les régions concernées sont celles avec un taux de chômage des jeunes supérieur à 25 % (taux calculés en 2012). Les États membres se sont engagés à offrir à chaque jeune de 18 à 25 ans, dans les quatre mois suivant la fin de ses études, soit un emploi, soit un stage, soit une période d'apprentissage, soit une formation. Parallèlement la France a été à l'origine, en mai 2013, d'une initiative franco-allemande sur le chômage des jeunes. En novembre 2013, une conférence de suivi sur l'emploi des jeunes s'est tenue à Paris autour de trois sujets : la formation par le développement de l'apprentissage et de l'alternance ; l'aide à la création d'entreprise ; l'insertion des jeunes les plus en difficulté.
L'Union européenne doit aller vers une réelle convergence sociale. La récente controverse sur le détachement des travailleurs a mis en évidence les effets très négatifs des risques de dumping social sur lequel le Sénat avait alerté 20 ( * ) . Le Conseil, en décembre 2013, est parvenu à un accord sur les mesures nationales de contrôle et sur un dispositif de responsabilités conjointes et solidaires dans le cadre de la sous-traitance. L'idée d'un salaire minimum en Europe est redevenue d'actualité. La Commission européenne, qui le considérait jusqu'alors comme un frein à l'embauche, a manifesté en 2012 son intérêt pour un salaire minimum comme instrument de lutte contre la pauvreté et d'attractivité de certains emplois. L'accord de grande coalition en Allemagne entre la CDU/CSU et le SPD souhaite que soit examinée la mise en place de salaires minimums (qui seraient définis au niveau national). Il prend aussi position pour un marché commun de l'emploi (langues, conditions sociales) et pour la définition des principes et critères communs pour la lutte contre le dumping des salaires et le dumping social.
La dimension sociale de l'Union économique et monétaire doit être renforcée. En octobre 2103, la Commission européenne a présenté une communication sur cette question qui prévoit notamment de créer un tableau de bord comportant cinq indicateurs sociaux et d'emploi qui serait mis en place dès le semestre européen de 2014. La communication évoque la question d'un régime d'assurance chômage européen sans développer ce point plus avant. Dans une proposition de résolution récente, présentée par notre collègue Dominique Bailly, la commission des affaires européennes a suggéré plusieurs pistes pour renforcer cette dimension sociale en particulier par la création d'une assurance chômage au niveau européen 21 ( * ) .
3. Conforter la recherche de la « plus-value » européenne
a) La répartition des compétences
L'Europe doit en permanence faire la preuve de la « plus-value » qu'elle apporte dans la conduite de l'action publique. C'est une exigence pour que son rôle soit identifié et compris par les citoyens.
Le traité de Lisbonne a entendu mettre un terme à l'extension non maîtrisée des compétences de l'Union. Il ouvre aussi la voie à la restitution de certaines compétences aux États membres.
L'article 5 TUE dispose que « l'Union n'agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent ». Il énonce aussi que « toute compétence non attribuée à l'Union dans les traités appartient aux États membres ».
Un protocole (n° 25), annexé au traité, sur l'exercice des compétences partagées entre l'Union et les États membres précise que « lorsque l'Union mène une action dans un certain domaine, le champ d'application de cet exercice de compétence ne couvre que les éléments régis par l'acte de l'Union en question et ne couvre donc pas tout le domaine ».
Trois grandes catégories de compétences de l'Union sont identifiées par le traité : soit l'Union exerce des compétences exclusives (union douanière ou concurrence, par exemple) ; soit elle exerce des compétences partagées, ce qui préserve une compétence des États membres pour tout ce que l'Union n'a pas décidé de régler elle-même ; soit, enfin, elle met en oeuvre des compétences d'appui, qui lui permettent de soutenir, coordonner ou compléter l'action des États membres, sans pouvoir exercer un rôle législatif, ni limiter leurs compétences.
Les catégories de compétences 1/ Les domaines de compétence exclusive : - l'Union douanière - l'établissement des règles de concurrence - la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l'euro - la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche - la politique commerciale commune 2/ Les domaines de compétence partagée - le marché intérieur - la politique sociale - la cohésion économique, sociale et territoriale - l'agriculture et la pêche - l'environnement - la protection des consommateurs - les transports - les réseaux transeuropéens - l'énergie - l'espace de liberté, de sécurité et de justice - les enjeux communs en matière de santé publique 3/ Les domaines de compétence d'appui - la protection et l'amélioration de la santé humaine - l'industrie - la culture - le tourisme - l'éducation et la jeunesse - le sport - la formation professionnelle - la protection civile - la coopération administrative |
On observera que les constitutions des États fédéraux comportent un mécanisme de répartition des compétences entre centre et périphérie qui consiste en :
- une clause générale de compétences étatiques au bénéfice des États fédérés (Allemagne, États-Unis et Suisse) et, par conséquent, une compétence d'attribution de la fédération ;
- ou une répartition explicite des compétences sous la forme :
d'une triple liste des compétences de la fédération d'une part, des États fédérés de l'autre, et enfin des compétences partagées entre la première et les seconds (Inde) ; de la fédération d'une part, de la fédération et des États d'autre part, et enfin de la fédération, des États et des autres collectivités publiques (Brésil),
d'une liste des compétences d'attribution de la fédération, les autres compétences relevant des États qui la composent (Mexique) 22 ( * ) .
La répartition des compétences ne doit pas être figée. Elle doit répondre à une évaluation précise de ce que doit faire l'Union européenne. La recherche de la « plus-value » européenne devrait être confortée à travers une évaluation systématique de la législation européenne (directives et règlements) deux ou trois ans après leur entrée en vigueur, en associant les organismes qui ont été consultés lors de son élaboration.
La « plus-value » européenne implique aussi d'éviter les réglementations tatillonnes qui suscitent l'incompréhension et donnent une image très négative de la construction européenne dans l'opinion publique (réglementation des pommeaux de douche, de l'huile servie dans les restaurants, normalisation des cuvettes de toilettes, définition de profils nutritionnels pour les denrées alimentaires, suppression de l'interdiction du coupage de vins de couleurs différentes pour produire des vins rosés...).
Lorsque les compétences sont partagées avec les États membres, il doit exister un mécanisme régulateur. C'est tout l'intérêt des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
b) Le respect de la subsidiarité et de la proportionnalité
Il ne suffit pas, en effet, que l'Union européenne dispose d'une base juridique pour agir. Elle doit aussi démontrer que son intervention est indispensable et qu'elle rendra l'action publique plus efficace. C'est tout l'intérêt du principe de subsidiarité. Ce principe signifie que, quand l'Union dispose d'une compétence, elle ne doit l'exercer que lorsque l'objectif peut être mieux réalisé au niveau européen qu'au niveau des États membres. Ce principe est énoncé en ces termes par l'article 5 TUE : « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union. » C'est donc un principe qui permet de réguler l'exercice des compétences.
Le principe de proportionnalité complète le principe de subsidiarité. Il exige que « le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités » ( article 5 TUE).
Ce principe permet donc d'évaluer l'intensité de l'intervention européenne. Celle-ci doit permettre de réaliser l'objectif poursuivi mais ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre. Ce principe s'applique à tous les types de compétences, y compris les compétences exclusives.
Depuis le traité de Lisbonne, les parlements nationaux exercent une responsabilité importante pour s'assurer que les propositions d'actes des institutions européennes sont justifiées et n'excèdent pas ce qui est nécessaire. Ce contrôle est essentiel. Il contribue à centrer l'action européenne sur ce qui est utile et à prévenir un brouillage des compétences qui nuit gravement à l'identification de l'Union européenne par les citoyens.
Votre commission des affaires européennes joue un rôle très actif dans ce domaine. À l'initiative de son président Simon Sutour, un groupe de travail composé de représentants des différents groupes politiques se réunit périodiquement pour examiner tous les textes transmis au Sénat au regard du respect de la subsidiarité.
Dans deux cas, le seuil requis par les traités ( un tiers des chambres parlementaires dans le cas général ; un quart en matière de coopération judiciaire) a été atteint. Ce qui a conduit la Commission européenne, dans le premier cas, à retirer son texte (Paquet Monti II qui, selon les parlements nationaux, risquait de mettre en cause l'exercice du droit de grève) et, dans le second, à le réexaminer (création d'un Parquet européen, contesté dans son principe par certaines chambres ou en raison de sa forme très centralisée par d'autres, comme le Sénat français).
4. Encourager une meilleure identification de l'Europe par les citoyens
a) En finir avec l'Europe « bouc émissaire »
Trop souvent l'Europe constitue le « bouc émissaire » sur lequel on fait porter la responsabilité des difficultés rencontrées au niveau national. Tel ministre prend prétexte d'une « décision de Bruxelles » pour se dédouaner de toute responsabilité, omettant de préciser qu'il est partie prenante à part entière de la décision, de par ses fonctions au sein du Conseil de l'Union. Pour reprendre la formule utilisée par le vice-président de la Commission, M. Maros Sefcovic, lors de son entretien avec votre rapporteur, on assiste à une « nationalisation des succès et à une « bruxellisation » des problèmes ».
La Commission elle-même est, en effet, trop souvent désignée comme la responsable de toutes les décisions européennes qui déplaisent. Or, si la Commission dispose de certains pouvoirs propres, elle exerce dans le processus législatif un pouvoir d'initiative mais la décision finale revient au législateur, c'est-à-dire aujourd'hui le plus souvent au Conseil et au Parlement européen qui agissent en codécision. Certes, son monopole de l'initiative que lui reconnaissent les traités confère à la Commission une capacité forte pour orienter le cours des politiques européennes. Mais elle ne détient pas le pouvoir de décider.
Donner à l'opinion publique une représentation équilibrée du processus européen doit être une responsabilité partagée. Elle revient aux médias dans le travail d'explication des activités des institutions européennes. Elle doit aussi être assumée par les membres du Gouvernement qui doivent donc adopter une attitude responsable dans l'image qu'ils véhiculent auprès de l'opinion publique sur la relation de la France avec l'Union européenne. Étant des acteurs à part entière du processus de décision européen, ils ne peuvent se retrancher derrière des motifs fallacieux pour laisser entendre qu'ils ne seraient pas co-responsables des décisions prises au niveau européen.
Nous, parlementaires nationaux, avons aussi nos propres responsabilités. Nous devons nous emparer du sujet européen, pas seulement pour contrôler le cours de la construction européenne mais pour l'expliquer à l'opinion et faire vivre le débat politique sur les orientations des politiques européennes. Pour cela, il faut sortir d'une certaine indifférence, voire d'une ignorance, à propos des questions européennes.
Les institutions européennes elles-mêmes, tout particulièrement la Commission, doivent réformer leur politique de communication. Elles doivent donner l'image d'une Europe concentrée sur ce qui fait la « plus-value » du projet européen et non pas celle d'une Europe bureaucratique qui développe des réglementations tatillonnes qui suscitent l'incompréhension et la défiance des citoyens européens.
b) Faire connaître l'Europe aux citoyens : créer dans chaque État membre une Radio dédiée à l'Europe
L'Union européenne ne se fera pas sans l'adhésion des peuples qui la composent ; cette adhésion suppose une meilleure connaissance mutuelle de nos vingt-sept partenaires. Une chaîne de radio spécialement dédiée à cet effet peut y contribuer efficacement. Sur l'initiative de votre rapporteur et de plusieurs collègues issus de différents groupes politiques, le Sénat a voté une résolution dans ce sens, le 9 octobre 2013.
Votre rapporteur avait, au cours des débats, énoncé les principaux arguments qui justifierait de créer « Radio France Europe ».
Si la construction de l'Europe a été à l'origine essentiellement l'affaire des hommes politiques, des fonctionnaires bruxellois et des grandes entreprises, le besoin s'est très vite fait sentir d'y associer les peuples ; les jumelages, l'office franco-allemand pour la jeunesse, le programme Erasmus s'inscrivent dans cette perspective. Mais, au moment où le projet européen est contesté par une partie de l'opinion publique, une relance de l'Europe par les peuples est devenue indispensable.
Cela passe par une meilleure connaissance mutuelle et une plus grande intimité des peuples européens entre eux. La radio peut être un moyen, parmi beaucoup d'autres, d'y parvenir.
Il ne s'agit surtout pas de créer Radio Bruxelles ou Radio Strasbourg ! Les institutions doivent comprendre, même si ce sont elles qui apportent l'essentiel du financement, que les peuples n'adhèreront à l'idée de l'Europe qu'à travers une meilleure connaissance mutuelle de chaque pays de l'Union, de son histoire, de sa culture, de sa vie quotidienne, et non à travers l'actualité des institutions européennes.
Il s'agit d'offrir à nos concitoyens la possibilité de mieux connaître ce qui nous rapproche ou ce qui nous distingue des autres peuples de l'Union européenne, à travers une connaissance immédiate et régulière de réalités ou d'événements culturels, sportifs, politiques, économiques, sociaux et festifs qui font la société de chaque peuple.
La même démarche devrait être adoptée dans les autres États membres qui prendraient l'initiative de créer une radio émettant au moins dix-huit heures par jour et permettant à chaque citoyen de mieux connaître la vie quotidienne (événementielle, politique, économique, sociale, culturelle, sportive,...) des autres peuples de l'Union.
Il serait possible de procéder par étapes, en partant de ce qui existe. Pour autant, la démarche doit rester empreinte d'une certaine ambition. Nous ne devons pas perdre de vue, à terme, l'objectif initial, à savoir la création d'une radio émettant au moins dix-huit heures par jour et entièrement dédiée à une meilleure connaissance de chaque partenaire de l'Union européenne.
Par ailleurs, il s'agit de faire connaître non pas la France en Europe, mais les pays européens en France, en souhaitant évidemment que cette démarche française soit un jour copiée par chacun de nos partenaires pour ce qui les concerne. Or, cette expérience n'a encore jamais été vécue, ni mise en oeuvre.
L'autre raison d'une démarche plus pragmatique vient du fait qu'un contrat est actuellement en cours entre l'Union européenne et le groupement d'intérêt économique ayant remporté l'appel d'offres, Euranet Plus . Il convient donc de le respecter.
En effet, l'Europe n'est pas totalement absente de notre univers de radiodiffusion. On pense à Accents d'Europe ou à Carrefour de l'Europe , qui, sur l'initiative de Radio France Internationale et Euranet Plus , regroupe treize radios, concerne 20 millions d'auditeurs et diffuse en France, à travers BFM, des informations européennes à raison de soixante-quinze minutes par jour. Mais l'information diffusée est de nature politique, ayant trait notamment à la vie des institutions, ce qui reflète une conception différente de la résolution adoptée par le Sénat.
Néanmoins, ce serait déjà un progrès si, par exemple, France Inter rejoignait Euranet Plus pour additionner ses propres efforts à ceux de BFM. Ce serait une étape significative vers la création d'une radio française qui rapprocherait nos concitoyens des autres peuples européens.
Certes, il y aurait encore à faire ensuite, mais c'est un premier pas qui témoignerait de la volonté de reconquérir durablement et en profondeur les opinions publiques. Il importe en effet que celles-ci soient favorables à la construction européenne, dont, en définitive, dépend le destin de chacune et de chacun d'entre nous.
c) Des initiatives complémentaires pour favoriser une identification des citoyens à l'Europe
D'autres initiatives contribueraient à susciter chez nos concitoyens une plus grande identification à l'Europe. La politique des jumelages peut favoriser le rapprochement des peuples européens. Un Erasmus élargi à l'apprentissage peut jouer un rôle essentiel. On pourrait également créer une carte d'identité européenne dont chaque citoyen, qui dispose par ailleurs d'une carte d'identité nationale, pourrait se prévaloir. Dans le même esprit, la juxtaposition du drapeau européen aux drapeaux nationaux pourrait être rendue obligatoire. Enfin, il serait souhaitable d'encourager dans les États membres l'exécution de l'hymne européen après toute exécution de l'hymne national.
B. LES « EUROPE »
On ne peut réfléchir au devenir de l'Union européenne sans se demander en premier lieu quelle Europe nous souhaitons promouvoir : une Europe simple espace pour développer des projets économiques communs ou, au contraire, une « Europe puissance » qui pèse sur la scène internationale. Le constat que l'Europe fonctionne d'ores et déjà selon des géométries variables peut par ailleurs aider à concevoir le schéma selon lequel l'Union européenne pourrait évoluer dans les années à venir.
1. Europe espace ou Europe puissance ?
a) L'Europe espace
Dans l'optique d'une « Europe espace », l'Union européenne serait essentiellement conçue comme un espace assurant la paix et la stabilité sur le continent. Le développement du marché unique, de plus en plus vaste au fur et à mesure des élargissements successifs, constitue alors un puissant stimulant pour l'économie européenne grâce à la formation d'une zone de libre-échange où les marchandises et les services peuvent circuler librement. Les politiques communes sont d'abord destinées à réguler ce marché unique. On pense, en tout premier lieu à la politique de concurrence.
Dans cette optique, l'Union doit être ouverte aux élargissements. Dès lors qu'ils ne remettent pas en cause ses acquis, ils permettent d'élargir toujours plus l'espace de libre échange économique conception restrictive doit donc être écartée.
Dans un discours du 23 janvier 2013 sur l'avenir de l'Europe et la place du Royaume-Uni, le Premier ministre britannique M. David Cameron a bien exprimé la vision d'une « union flexible d'États membres libres qui partagent des traités et des institutions et aspirent ensemble à un idéal de coopération. » Très clairement, selon M. Cameron, « cette vision privilégiant la flexibilité et la coopération n'est pas la même que celle de ceux qui veulent bâtir une union politique toujours plus étroite ». Cette Europe doit permettre de promouvoir des intérêts communs en utilisant la puissance collective « pour ouvrir des marchés ». Sans détours, il affirme que « notre participation au marché unique et notre capacité à contribuer à la fixation de ses règles, constitue la raison principale de notre adhésion à l'Union européenne ».
Pour le Premier ministre britannique, l'Union européenne doit se mettre d'accord pour modifier les traités « afin d'y introduire les changements rendus nécessaires pour l'avenir à long terme de l'euro et pour consacrer en droit l'Europe diverse, compétitive, démocratiquement responsable que nous désirons. »
Il considère qu'un nouveau traité serait la meilleure façon d'y parvenir. Mais, à défaut d'un nouveau traité concernant tous les États membres, alors « la Grande-Bretagne devra être prête à aborder les changements que nous désirons dans une négociation avec nos partenaires européens. » Une fois qu'un nouvel accord aura été négocié, les Britanniques seront invités à se prononcer par référendum avec un choix très simple : rester sur la base de ces nouvelles conditions ou sortir de l'Union. En juillet 2013, les députés britanniques ont adopté une proposition de loi destinée à garantir l'organisation d'un référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne d'ici à 2017 23 ( * ) .
D'ores et déjà, le Royaume-Uni est doté d'un statut particulier dans la construction européenne, au point que l'on peut se demander si elle en est encore un membre à part entière. Il ne participe déjà ni à la monnaie unique, ni à l'accord de Schengen. Le traité de Lisbonne l'exonère des obligations liées à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ainsi que de celles qui concernent la Charte des droits fondamentaux.
Le Royaume-Uni a refusé - avec la République tchèque - de s'associer au traité du 2 mars 2012 sur la stabilité, la convergence et la gouvernance (TCG) de l'Union économique et monétaire. Il ne participe pas à l'Union bancaire, ce qui ne l'empêche de contribuer à la conception de celle-ci en sa qualité d'observateur !
En juillet 2012, le gouvernement britannique a lancé une procédure de révision des compétences de l'Union européenne. Cette procédure se prolongera jusqu'à l'automne 2014. Elle doit permettre d'évaluer ce que fait l'Union et l'impact de son action sur le Royaume-Uni.
En outre, conformément à l'article 10 du Protocole n° 36, le gouvernement britannique avait jusqu'au 31 mai 2014 pour indiquer si le Royaume-Uni devait continuer à être lié par environ 130 mesures européennes en matière de police et de justice pénale. Il a notifié, le 24 juillet 2013, à la présidence du Conseil de l'Union l'intention du Royaume-Uni d'exercer son opt out . Mais le Protocole n° 36 permet au Royaume-Uni, à tout moment par la suite, de notifier au Conseil son souhait de participer à des actes qui ont cessé de s'appliquer à son égard. Le gouvernement britannique a identifié 35 mesures pour lesquelles il considère qu'il serait dans l'intérêt britannique de participer (notamment le mandat d'arrêt européen). Les négociations avec la Commission européenne devait commencer en novembre 2013.
Tout cela dessine la vision d'une Europe à la carte réduite au minimum en fonction de l'identification - pour chaque domaine - de ce qui peut le mieux servir les intérêts britanniques. C'est principalement le marché unique qui motive la participation à l'Union. Le Royaume-Uni est libre de privilégier cette vision. Mais celle-ci ne doit pas mettre en cause l'acquis de la construction européenne 24 ( * ) et encore moins freiner l'intégration renforcée des États qui le souhaitent. L'enjeu est bien de savoir comment faire plus et mieux dans le cadre européen et non pas comment défaire la construction européenne ou n'en conserver que ce qui intéresse tel ou tel État.
Cette vision de l'« Europe espace » ou de l'Europe à la carte ne doit pas non plus exclure, qu'en son sein, les États qui souhaitent aller plus loin approfondissent ensemble certains aspects de la construction européenne sans que les autres puissent s'y opposer.
b) L'Europe puissance
La promotion d'une « Europe puissance » implique naturellement une ambition plus forte pour le projet européen. Dans cette vision, l'Europe doit prétendre exister en tant que telle sur la scène internationale et pas seulement lorsqu'elle négocie des accords commerciaux internationaux. Elle doit pouvoir faire partager ses valeurs, c'est-à-dire celles que les États membres ont souscrites en commun et qui figurent expressément dans les traités. Elle doit pouvoir développer une politique étrangère commune qui lui permette de parler d'une seule voix pour contribuer au règlement des conflits internationaux et être un acteur de poids dans la diplomatie internationale. Elle doit aussi se doter d'une capacité de défense qui, sans mettre en cause les liens des États membres avec l'OTAN, la dote de la force nécessaire pour préserver de façon autonome l'intégrité des territoires des États membres, conformément à la clause de défense mutuelle qui figure dans le traité, mais aussi de se projeter sur des théâtres d'opération extérieure pour les motifs que le traité a lui-même fixés, à savoir « le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la Charte des Nations unies » (art. 42 TUE). Elle doit enfin être en mesure d'assurer la stabilité dans son voisinage et favoriser une coopération efficace.
Cette « Europe puissance » doit nécessairement avoir une taille critique et être plus intégrée dans un contexte international où émergent de très grandes puissances. Elle doit aussi être dotée des instruments politiques, juridiques et budgétaires qui lui permettent d'exister réellement comme puissance reconnue comme telle sur la scène internationale.
Peut-on imaginer qu'à l'heure de la mondialisation l'Europe puisse se réfugier dans une attitude de neutralité ou se contenter de jouer un rôle de de puissance régionale ? Nous devons, au contraire, défendre nos valeurs et nos intérêts et assurer leur promotion dans le monde.
La société internationale ne peut être livrée aux seules forces du marché et de la mondialisation. L'Europe ne peut pas être le cheval de Troie de cette mondialisation mais elle ne peut pas être non plus un simple rempart contre elle. D'une façon plus réaliste, en matière monétaire, sociale, environnementale - qui constituent les trois domaines essentiels du dumping mondial -, l'Europe doit se rapprocher des pays émergents. Elle doit définir avec eux les moyens de « civiliser » les forces qui déterminent la société internationale et dont l'accélération brutale crée des drames aussi bien chez eux que dans nos propres États.
L'Europe ne peut pas non plus admettre qu'une ou deux puissances exercent un leadership mondial dont elle-même serait tenue à l'écart.
Pour toutes ces raisons, elle ne peut se contenter d'organiser un « Espace », elle doit bâtir une Puissance.
2. Des géométries très variables
Lorsque l'on porte un regard rétrospectif sur la construction européenne et quand on examine son fonctionnement actuel, on doit constater que l'Europe a toujours admis des « géométries variables ». C'est même la « différenciation » qui lui a permis de progresser.
Les termes d'Europe à la carte, d'Europe à géométrie variable, d'Europe à plusieurs vitesses, d'Europe des cercles concentriques ou pas, montrent bien que ce problème est posé depuis longtemps.
Cette « différenciation » était déjà au coeur de la déclaration Schuman du 9 mai 1950 : tout en retenant la perspective d'une « Fédération européenne », ce texte ne visait au départ que deux pays - la France et l'Allemagne - et un domaine très délimité, la production de charbon et d'acier. Les traités européens ont eux-mêmes admis que certaines politiques ne concernent pas l'ensemble des États membres. On songe naturellement aux accords de Schengen, d'abord conclus (1985) dans un cadre intergouvernemental avant d'être intégrés dans les traités par le traité d'Amsterdam (1997), et auxquels certains États membres ne participent pas. L'Union économique et monétaire admet une différenciation puisque 18 États membres sur 28 sont membres de la zone euro. Les traités ont aussi intégré des « opt out » qui permettent à des États membres de rester à l'écart de certaines politiques. En matière de défense, la différenciation est elle-même actée, en particulier à travers les coopérations structurées permanentes qui ne peuvent concerner que les États membres « qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes » (art. 42 TUE).
De nombreuses coopérations entre quelques États membres ont été développées en dehors même du cadre des traités. On peut citer, par exemple, la création de l'Agence spatiale européenne, les coopérations conduites dans le domaine de l'aéronautique, l'initiative Eureka pour la recherche scientifique, l'interconnexion des casiers judiciaires, le processus de Bologne qui vise à définir un cadre commun pour les systèmes universitaires ou encore les coopérations sous-régionales comme le Conseil des États de la mer baltique 25 ( * ) .
Toutes ces coopérations sont caractérisées par une très grande diversité. Loin de nuire à la construction européenne, elles ont plutôt contribué à son renforcement. Elles ont aussi permis d'associer des États non membres de l'Union, par exemple, à l'Agence spatiale européenne ou au processus de Bologne.
Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire, signé le 2 mars 2012, qui a établi des règles plus strictes en matière de discipline budgétaire, n'associe lui-même que 25 des 28 États membres 26 ( * ) .
Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, des coopérations renforcées, dans le cadre des traités, ont été lancées pour régler les divorces transfrontaliers, créer un brevet de l'Union européenne ou encore mettre en place une taxe sur les transactions financières.
Si l'on veut conserver un certain élan à la construction européenne, si l'on veut permettre aux États membres qui croient en l'« Europe puissance » de défricher les voies de l'avenir, il faut accepter la différenciation. Nous devons dans le même temps veiller à ce que la généralisation des géométries variables et des rythmes différenciés n'aboutisse pas à l'Europe « kaléidoscopique ».
II. REFONDER LA GOUVERNANCE EUROPÉENNE
A. UN MODÈLE EUROPÉEN SINGULIER ET À PLUSIEURS ÉTAGES OU PLUSIEURS CERCLES
À travers son histoire, l'Europe a su développer un modèle singulier qui doit être conforté. Sur cette base, l'Europe devra nécessairement fonctionner à plusieurs étages ou plusieurs cercles, chaque État membre devant rester libre de choisir un niveau d'intégration plus ou moins poussée et avoir la garantie que sa démarche sera accueillie positivement. En premier lieu, le couple franco-allemand doit retrouver son rôle moteur d'impulsion ; la zone euro doit, en deuxième lieu, constituer la base d'une intégration renforcée ; un troisième cercle doit permettre de concrétiser une « Europe espace ». Deux domaines devraient se constituer avec des géométries variables : la défense européenne et l'espace Schengen.
1. Un modèle européen singulier qui doit être conforté : la communauté de nations
a) Un partage de souveraineté
Pour franchir une nouvelle étape, il faut transcender les réflexes souverainistes d'un autre âge et cesser toute hypocrisie à cet égard. Le mot de souveraineté est abusivement utilisé. En particulier, il existe une difficulté à concevoir cette notion autrement qu'en termes d'exclusivité. Or, la réalité oblige à constater que les États - en théorie souverains - ont perdu en pratique leur capacité à décider seuls et de façon isolée. Dans un contexte où les flux économiques transcendent les frontières étatiques, les États ne peuvent pas agir sans se rassembler pour retrouver à un autre niveau la souveraineté que chacun d'eux a en fait perdue. L'Union européenne permet aux États membres de recouvrer leur souveraineté en en partageant l'exercice avec d'autres États auxquels ils sont unis par une communauté de valeurs. Nous serons d'autant plus souverains que nous serons européens.
Ce partage de souveraineté peut tout à fait se combiner avec un exercice exclusif par chaque État de sa capacité autonome de décision pour tout ce qui concerne son organisation sociétale et le choix des modes de vie en son sein. Il implique aussi de ne confier à l'Union européenne que les seules compétences qu'elle peut mieux exercer que les États membres individuellement. En clair, il faut faire l'Europe sans défaire la France ou toute autre Nation. Il faut unir sans asservir, harmoniser sans uniformiser.
Inversement, il serait vain de rechercher un « modèle pur » de fédéralisme auquel l'Union européenne devrait se conformer. Comme le montre l'étude comparative 27 ( * ) , réalisée à la demande de votre rapporteur, le concept de fédération, non dénué d'équivoques, permet de faire référence à des réalités très diverses qui résultent d'évolutions historiques propres à chaque ensemble. Il existe donc un large éventail de solutions institutionnelles où s'entremêlent les caractéristiques d'un régime fédéral et les traits d'un État unitaire. Les États dits fédéraux font prévaloir le pragmatisme et l'esprit de compromis permettant de résoudre les difficultés de nature très diverse.
b) Conforter l'Union européenne comme communauté de nations
L'Union européenne n'est ni une fédération ni une confédération. Elle a développé un modèle sui generis qui s'apparente à une fédération d'États-nations pour reprendre la formule de Jacques Delors.
L'Union présente certains traits qu'elle emprunte aux États fédéraux. Elle dispose de la personnalité juridique et d'institutions permanentes. Les principes de répartition des compétences entre l'Union et les États membres figurent dans les traités. Le droit de l'Union prime sur les droits nationaux. Il est « d'applicabilité directe » (pour les règlements) dans le droit interne des États membres. L'Union peut s'appuyer sur un budget alimenté par des ressources et sur une monnaie commune. On ajoutera la protection des droits fondamentaux depuis que le traité de Lisbonne a donné à la Charte des droits fondamentaux un caractère juridiquement contraignant.
À l'inverse, l'Union européenne continue à développer des procédures intergouvernementales qui l'éloignent du modèle de la fédération. Des décisions essentielles comme la définition de ressources propres ou la révision des traités restent entre les mains des États membres. La politique étrangère et la défense sont encore régies par l'intergouvernementalité.
La véritable originalité du modèle européen réside dans la méthode communautaire. Celle-ci confie à une institution indépendante des États, « dépositaire » de l'intérêt général européen, un monopole de l'initiative. Encore faut-il qu'elle exerce réellement cette mission. Cette méthode prévoit la majorité qualifiée comme mode de décision au Conseil. Elle associe le Parlement européen à la décision, sur un pied d'égalité avec le Conseil, à travers la procédure de codécision. Elle assure la primauté de la règle de droit en veillant à l'existence d'un contrôle juridictionnel exercé par la Cour de justice.
Ce modèle original doit être conforté et amélioré. Il ne s'agit pas de forger une « fédération-Léviathan » qui ferait de l'Europe un État-nation. Un État unitaire européen ne correspond pas aux aspirations du rassemblement de vieilles nations que nous représentons. Au contraire, nos diversités géographiques, historiques, culturelles constituent un formidable atout dans la compétition mondiale.
On pourrait toutefois imaginer que le pouvoir d'initiative de la Commission soit partagé selon des modalités à déterminer par le Parlement européen.
En fait, l'Europe doit être une « communauté de nations ». Jusqu'ici les relations entre les peuples se sont développées selon deux modes essentiels : l'impérialisme et le nationalisme. Ces modes ne sont pas satisfaisants au regard de nos propres valeurs. Ce que nous visons avec la construction de l'Europe n'est rien moins que l'invention d'un nouveau mode de relations entre les peuples ; une communauté, fondée sur la libre adhésion, la démocratie et le respect des identités culturelles de chacun. Notre ambition pour l'Europe doit donc être de construire un projet de civilisation servi par une puissance, organisée sur le mode du fédéralisme décentralisée et qui constitue une « communauté de nations ». Les provinces ont fait la France, les nations feront l'Europe !
Dans un important discours, l'ancien ministre allemand des affaires étrangères, Joshka Fischer, avait bien exprimé l'originalité d'un tel modèle : « la conception qui prévalait jusqu'à présent d'un État fédéral européen qui remplacerait comme nouveau souverain les États nations et leur démocratie s'avère être une construction artificielle » ; il faut, selon lui, que la fédération européenne « conserve les États nations », « ne les dévalorise pas » et que « le processus s'effectue sur la base d'un partage de souveraineté entre l'Europe et l'État nation 28 ( * ) . »
Dans son discours sur l'état de l'Union du 12 septembre 2012, le président José Manuel Barroso a exprimé cette perspective d'évolution que, selon lui, l'Union européenne devrait se donner : « nous devrons évoluer vers une fédération d'États-nations. Voilà de quoi nous avons besoin, tel est notre horizon politique. »
Il s'agit donc d'organiser cette « communauté de nations » en une fédération d'États-nations, décentralisée, fondée sur la subsidiarité et le respect de nos identités. Mais cette fédération doit être dotée d'une structure de pouvoir qui lui permette d'agir et de réagir avec l'efficacité nécessaire.
c) Pour une révision périodique des traités européens
Pour résoudre les difficultés auxquelles l'Europe a été confrontée au cours de son histoire, les dirigeants européens ont souvent fait de la révision des traités la clé des réponses à leur apporter. Pourtant, force est de constater qu'enlisées dans les négociations intergouvernementales, les révisions n'ont pas toujours apporté des réponses définitives et permis de fixer un cap clair au projet européen.
On doit donc dans ce domaine privilégier une approche pragmatique. Une telle approche conduit d'abord à constater qu'il est possible d'agir dans le cadre des traités existants. Depuis le traité de Lisbonne, l'Union européenne dispose d'une « boîte à outils » qu'il appartient aux institutions européennes d'utiliser à bon escient. Pour prendre deux exemples, on peut légitimement considérer que pour consolider la gouvernance de la zone euro, des instruments peuvent être utilisés et approfondis à traités constants ; les traités ont par ailleurs fixé le cadre pour lancer des coopérations renforcées entre les États membres auxquels il revient de prendre l'initiative dans ce sens, comme ils l'ont fait en matière de divorce, pour la création d'un brevet de l'Union européenne et d'une taxe sur les transactions financières.
Plus que d'un grand traité refondant globalement le fonctionnement de l'Europe, c'est plutôt d'une révision périodique des traités existants dont celle-ci a besoin. Cette méthode permettrait de tirer de façon concrète les leçons de la pratique institutionnelle en corrigeant ce qui doit l'être et d'introduire les innovations nécessaires. Une procédure de révision simplifiée rendrait le processus vite opérationnel (cf. infra).
2. Le rôle moteur du couple franco-allemand
a) Retrouver une vraie capacité d'entraînement
Le couple franco-allemand doit rester le moteur de la construction européenne dès lors que la France sera capable de rester une puissance économique à la hauteur de l'Allemagne. Après 50 ans de relations organisées par le traité de l'Élysée qui a largement contribué à rapprocher ces deux peuples, la crise actuelle montre qu'un approfondissement est nécessaire. Des réflexions et des échanges sur l'avenir à long terme de l'Europe, sur les conceptions économiques et sociales respectives sont indispensables.
La France et l'Allemagne doivent ensemble retrouver la dynamique qui leur permettra d'entraîner l'ensemble européen et lui ouvrir des perspectives. Elles doivent démontrer une capacité à proposer une vision stratégique de long terme pour l'Union européenne. Elles doivent proposer des actions concrètes qui montrent la direction.
Ce rôle clé de la relation franco-allemande dans l'unification européenne a été un axe fort du « papier » Schäuble-Lamers de 1994 29 ( * ) et du discours de l'ancien ministre allemand des affaires étrangères Joshka Fischer, en 2000, devant l'université Humboldt de Berlin.
Comme l'a bien montré notre collègue Jean Bizet 30 ( * ) , la réconciliation franco-allemande symbolise à bien des égards la construction européenne. Elle leur donne une capacité d'entraînement spécifique. Surtout les deux pays constituent le point de rencontre d'un grand nombre d'aspects différents, voire opposés, de l'identité européenne. Le rapprochement de leurs points de vue suppose une synthèse d'une large part de la diversité européenne. Une convergence franco-allemande est le meilleur moyen de favoriser une large convergence européenne.
Ce rôle moteur du couple franco-allemand ne peut signifier en aucun cas une quelconque volonté d'imposer des lignes directrices aux autres États membres. Il a plus simplement pour finalité de jeter les bases d'un compromis qui pourra être élargi aux autres partenaires européens. Il peut aussi inclure des États membres qui partagent la même volonté de construire l'Union européenne. On pense en particulier à l'Italie et à la Pologne.
Pour cette dernière, le Triangle de Weimar, qui associe la France, l'Allemagne et la Pologne, pourrait être un cadre pertinent pour promouvoir une volonté commune de faire avancer l'intégration européenne. Il permettrait de faire le lien nécessaire entre la zone euro et les États qui lui sont extérieurs. Il constitue, en effet, une bonne synthèse de l'équilibre européen entre le sud, le nord et l'est de l'Europe.
Si l'on veut que le couple franco-allemand fonctionne à nouveau, la France doit se rapprocher des performances de l'Allemagne. Pour retrouver leur rôle moteur, la France et l'Allemagne doivent nécessairement aller vers plus de convergence en rapprochant leurs systèmes fiscaux et sociaux et en ayant la même approche sur le respect des grands équilibres budgétaires. Elles doivent aussi définir une approche commune sur la politique énergétique. Ce rapprochement ne signifie en rien que chacun des deux États devrait perdre en tout ou en partie son identité. C'est au contraire leurs différences qui les rendent complémentaires et leur permettent de jouer efficacement un rôle d'entraînement en Europe. Ils ne peuvent renoncer à cette responsabilité spécifique. Nos deux pays doivent aussi approfondir la connaissance mutuelle dans tous les domaines pour rapprocher nos peuples. Des coopérations institutionnalisées doivent se développer au niveau des États mais aussi au niveau régional.
Il serait erroné de croire que l'Allemagne pourrait envisager d'exercer seule un leadership européen. Nos partenaires allemands ont la conviction que la France et l'Allemagne ont besoin l'une de l'autre, en particulier dans la phase difficile que traverse l'Europe. La France est le premier interlocuteur de l'Allemagne et son premier partenaire commercial. Il est de son intérêt - et de celui de l'Europe - de dialoguer avec une France forte. L'accord de grande coalition l'exprime en soulignant que « le partenariat franco-allemand demeure singulier dans sa profondeur et son étendue » . Il fait valoir que les deux pays, qui sont des puissances économiques, ont un intérêt particulier ainsi que les moyens de promouvoir l'unité de l'Union européenne, son bien-être, sa sécurité et sa compétitivité.
b) Vers un traité « du Château de Bellevue » ?
Le cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée a donné l'occasion, il est vrai dans une certaine discrétion, aux dirigeants français et allemands de manifester une volonté d'affirmer leur responsabilité commune au coeur de l'Europe.
50ème anniversaire du Traité de l'Élysée - Déclaration de Berlin 22 janvier 2013 1. Le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer signaient un traité entré dans l'histoire sous le nom de Traité de l'Élysée, consacrant l'engagement irrévocable de la France et de l'Allemagne pour la paix, l'amitié de leurs peuples et l'Europe. C'est avec une grande fierté que nous célébrons aujourd'hui le cinquantième anniversaire de ce texte audacieux. Les deux conflits mondiaux dévastateurs ont montré l'horreur de la guerre et les souffrances incommensurables infligées par la barbarie. Le souvenir de ces affrontements constitue le socle de notre réconciliation. Le Traité de l'Élysée a marqué un nouveau départ dans notre relation. Il est plus que jamais indispensable. Dans le discours qu'il a prononcé lors de la remise du prix Nobel de la paix à l'Union européenne, le 10 décembre 2012, Thorbjørn Jagland, le président du comité Nobel, a qualifié la réconciliation entre l'Allemagne et la France «d'exemple vraisemblablement le plus spectaculaire de l'histoire montrant comment un continent de guerre et de conflits peut se transformer si rapidement en un continent de paix et de coopération». La relation entre nos deux pays constitue le coeur de l'Europe et nous confère une responsabilité exceptionnelle. 2. La jeunesse représente l'avenir de l'amitié franco-allemande. Elle forme la priorité de nos relations. Depuis 1963, plus de huit millions de jeunes ont participé aux programmes d'échanges de l'Office franco-allemand pour la Jeunesse. Nous avons décidé de renforcer notre soutien à l'action de l'OFAJ en lui accordant des moyens à la hauteur de notre ambition. Notre jeunesse doit pouvoir avoir la chance de réaliser ses projets et d'y consacrer son énergie et le désir d'épanouissement qui l'anime. À cette fin, nous déploierons tous les efforts nécessaires pour qu'elle ait accès à la meilleure éducation, à des emplois et qu'elle puisse bénéficier de l'ensemble des possibilités offertes dans nos deux pays et en Europe. Nous avons décidé de mettre en place des mesures concrètes pour développer la formation et les compétences professionnelles des jeunes y compris par des filières bilingues. 3. Une communauté de destins et une véritable citoyenneté européenne ne peuvent se développer sans un espace commun de l'éducation, du savoir et de la culture. Dans cette perspective, la France et l'Allemagne développeront des coopérations concrètes qui auront vocation à inspirer des initiatives européennes. Dans le domaine culturel, elles promouvront des partenariats dans tous les domaines et l'approfondissement d'un système économique et fiscal européen protégeant le droit d'auteur, y compris dans le domaine numérique. Fortes de la promesse suscitée par le rapprochement de leurs sociétés civiles, elles s'engagent à favoriser une conscience citoyenne européenne, respectueuse des spécificités de chacun, à travers la promotion de l'enseignement de l'histoire de l'Europe, de l'apprentissage de la langue des autres États membres, de la préservation et la mise en valeur du patrimoine européen. 4. Sous l'impulsion conjointe de la France et de l'Allemagne, l'Union européenne a porté un projet fort pour la démocratie, les libertés, le progrès économique et social des peuples européens, tenant compte du principe du développement durable et de l'achèvement du marché intérieur et du renforcement de la cohésion et de la protection de l'environnement. Nous, Allemands et Français, au même titre que tous les Européens, pouvons être fiers de ce que nous avons accompli. Notre modèle européen, conciliant d'une manière unique la réussite économique et la solidarité sociale, conserve toute sa force. Néanmoins, nous ne pourrons jouer ce rôle d'exemple à l'avenir que si nous partageons la volonté de renouveler continuellement notre modèle européen en maintenant ses fondements. La coopération entre nos deux pays, à l'origine même de la construction européenne, traduit l'importance du rôle moteur du couple franco-allemand. Alors que l'Europe fait face à une crise qui frappe durement les Européens, nous sommes déterminés à développer encore la coopération franco-allemande et à la mettre au service de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire afin que l'Europe surmonte les difficultés et nous permette de sortir de la crise plus forts. 5. La compétitivité de nos économies est l'une des clés de notre prospérité et de la préservation de notre modèle économique et social. Elle constituera un thème important de notre coopération. Nous intensifierons nos échanges avec les partenaires sociaux, afin de prendre des initiatives communes pour renforcer la compétitivité de nos économies tout en assurant un haut niveau de protection sociale. A cette fin, nous invitons les représentants des employeurs, les syndicats et les représentants des salariés à créer un groupe de travail consultatif franco-allemand qui proposera des initiatives conjointes. 6. Ensemble, la France et l'Allemagne ont porté et défendu la monnaie unique. Elles s'accordent sur l'importance décisive de la stabilité et de la croissance au sein de l'Union économique et monétaire pour l'avenir de nos deux pays et de l'Union européenne. C'est une condition indispensable pour que notre modèle économique et social européen puisse s'affirmer dans le monde. La France et l'Allemagne sont conscientes de leur responsabilité particulière à cet égard. Elles prendront des initiatives ambitieuses pour définir les étapes de cet approfondissement et établir les politiques, les instruments et le cadre institutionnel démocratique nécessaire à sa réalisation. La France et l'Allemagne présenteront une contribution commune en mai prochain visant à contribuer aux travaux engagés dans la perspective du Conseil européen de juin. 7. Au-delà, elle porteront également de nouvelles ambitions pour les politiques européennes, notamment dans le domaine de la recherche et de l'innovation, de l'énergie, des transports, de la politique industrielle, de l'économie numérique, de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, y compris par l'instauration d'un parquet européen, de la défense. 8. Nos sociétés sont caractérisées par de profonds changements démographiques. Elles doivent s'adapter pour relever ce défi. La solidarité entre les générations, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale et l'intégration de tous dans nos sociétés revêtent dans ce contexte une importance décisive. Aussi ces enjeux constituent-ils un axe prioritaire de la coopération franco-allemande. 9. Nous sommes déterminés à réussir la transition énergétique et écologique dans nos deux pays et à travailler ensemble au déploiement des énergies renouvelables, au renforcement de l'efficacité énergétique, au développement des nouvelles technologies, à la mise en place de nouveaux modes de financement des investissements et à l'approfondissement du marché intérieur de l'énergie. Nous devons avancer résolument vers une véritable politique européenne de l'énergie. C'est ainsi que nous tiendrons notre rang dans la compétition mondiale et que nous contribuerons à la lutte contre le réchauffement climatique. 10. La France et l'Allemagne poursuivront leur concertation étroite sur toutes les questions importantes de politique étrangère. Elles entendent renforcer le rôle, les objectifs et la voix de l'Europe dans le monde pour promouvoir la paix et la sécurité, faire progresser les droits de l'Homme, soutenir le développement, lutter contre la pauvreté, protéger l'environnement, réguler les échanges internationaux. Le développement d'une politique extérieure et de sécurité commune renforcée, y compris à travers une politique de sécurité et de défense commune, devra répondre à ces objectifs. La France et l'Allemagne contribueront à l'émergence d'une véritable culture de sécurité et défense commune en Europe grâce au développement des échanges entre jeunes officiers et à l'établissement d'une analyse stratégique convergente. Elles développeront des options d'actions conjointes et les moyens et capacités nécessaires au travers de l'harmonisation des besoins militaires. Dans ce contexte, elles souhaitent renforcer l'industrie de défense européenne. 11. En cette année de souvenir autant que d'engagement pour l'avenir, la France et l'Allemagne sont conscientes de l'importance de leur relation dans la définition et la mise en oeuvre des orientations qui dessineront l'Europe de demain. Le Traité de l'Élysée est une source d'inspiration pour notre action. La coopération de la France et de l'Allemagne doit engager également les Parlements, qui ont décidé aujourd'hui même d'une nouvelle étape de leur travail commun. Les initiatives d'échange issues de la société civile doivent aussi se poursuivre afin de prolonger le rapprochement engagé par les générations précédentes. Nos deux pays s'engagent à honorer le Traité de l'Élysée en oeuvrant, dans un rapprochement toujours plus étroit entre leurs autorités et entre leurs citoyens, à la construction d'une Union qui préserve notre idéal européen de société dans l'intérêt de tous les citoyens de l'Union européenne. |
En mai 2013, les dirigeants français et allemands ont adopté une contribution commune pour le renforcement de la compétitivité et de la croissance en Europe.
Ils ont désormais trois années devant eux sans consultation nationale majeure. Ils doivent saisir cette opportunité non pas pour dresser une liste de thèmes de travail sur des sujets techniques mais pour exprimer un véritable engagement européen en proposant à nos partenaires une vision commune de long terme sur le fonctionnement de l'Union et sur ses politiques.
L'année 2014 est particulièrement propice à une démarche commune. Les institutions européennes vont être renouvelées. La présidence italienne, au second semestre, sera propice à des initiatives politiques. La France et l'Allemagne doivent donc, dans le cadre des traités existants, présenter une « feuille de route » qui vise à rénover les pratiques institutionnelles en particulier en renforçant leur caractère démocratique, et à adapter la conduite des politiques européennes aux exigences économiques et sociales.
À plusieurs reprises, l'Allemagne a indiqué qu'elle était prête à l'Union politique. Dans sa conférence de presse du 16 mai 2013, le Président de la République a indiqué que « la France est également disposée à donner un contenu à cette Union politique ». Il a fixé un délai de deux ans pour y parvenir et proposer une initiative en quatre points : un gouvernement économique de la zone euro, un plan pour l'insertion des jeunes, une communauté européenne de l'énergie et une nouvelle étape d'intégration avec une capacité budgétaire qui serait attribuée à la zone euro et la possibilité, progressivement, de lever l'emprunt.
La France et l'Allemagne doivent prendre ensemble des initiatives concrètes dans le domaine économique et social, pour renforcer l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ou encore pour faire avancer la politique étrangère et la défense européenne.
Lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014, le Président de la République a plaidé pour une « relance de l'Europe » et en faveur d' « initiatives pour l'Europe » qui « doivent d'abord être entre la France et l'Allemagne ». Il a formulé trois propositions : une initiative pour la convergence économique et sociale entre la France et l'Allemagne, qui au-delà de l'instauration d'un salaire minimum (qui figure dans l'accord de la grande coalition en Allemagne), passerait par l'harmonisation des règles fiscales, notamment pour les entreprises ; une coordination pour la transition énergétique avec la création d'une grande entreprise franco-allemande pour la transition énergétique ; une action commune pour l'Europe de la défense.
La France et l'Allemagne doivent présenter leurs initiatives communes aux autres États membres qui diront s'ils souhaitent s'y associer ou non. Ils renoueront ainsi avec des pratiques qui ont permis, dans le passé, à l'Europe d'avancer. Ils reconstitueront ces « solidarités de fait » chères à Robert Schuman et Jean Monnet.
Nous devons retrouver le chemin des initiatives communes susceptibles d'entraîner l'ensemble de nos partenaires, car c'est d'abord le moteur franco-allemand qui permet à l'Europe d'avancer.
Elles devraient être conclues par un nouveau traité « du Château de Bellevue », du nom du siège de la Présidence de l'Allemagne, qui inaugurerait une nouvelle phase du « vivre ensemble franco-allemand ». Des États très favorables à la construction européenne pourraient se joindre aux initiatives de ce couple.
3. La zone euro : vers une Europe plus intégrée
a) Des coopérations renforcées au sein de la zone euro
Le deuxième étage ou deuxième cercle, qui inclut bien évidemment le couple franco-allemand, doit être constitué de tous les États qui ont l'ambition d'aller vers plus d'intégration. La zone euro apparaît comme le cadre adapté pour affirmer une véritable ambition européenne.
C'est en effet à partir de la zone euro que le projet européen pourra retrouver toute sa dimension politique. La zone euro représente plus de 300 millions d'habitants. Elle constitue le plus grand marché mondial. Elle possède la deuxième monnaie du monde. Elle doit donc se fonder sur ses atouts pour sortir d'une gestion « au jour le jour » et se projeter vers une vision à moyen et long terme. À partir de cette vision, que le couple franco-allemand peut grandement contribuer à bâtir, la zone euro doit se doter des moyens de compter parmi les grandes puissances économiques et politiques.
Le moment est propice pour des avancées décisives. La zone euro a, en effet, enregistré des progrès spectaculaires depuis 2009 dans la conduite des ajustements indispensables pour faire face à la crise des dettes souveraines. Elle est sortie de la récession et peut afficher un excédent de la balance courante. Le déficit public a été ramené à 2,9 % en moyenne même si cette moyenne recouvre encore de fortes disparités. La dette reste élevée (94 % du PIB) mais elle est nettement inférieure à celle des États-Unis (108 % du PIB) ou du Japon (245 % du PIB). L'Irlande, l'Espagne et le Portugal ont mené des politiques courageuses pour résorber leurs déséquilibres publics. Ils peuvent désormais se refinancer dans de bonnes conditions sur les marchés. La Grèce est encore sur le chemin du redressement. Mais elle a commencé à renouer avec la croissance. Ces politiques ont impliqué des efforts considérables de la part des populations. Elles ont permis de sauvegarder l'euro dont chacun peut mesurer qu'il constitue un atout majeur dans la compétition internationale. Sa suppression se traduirait par des coûts exorbitants pour les États membres.
Comme votre rapporteur l'a mis en évidence précédemment, la crise a permis à la zone euro de progresser de façon spectaculaire sur la voie de l'intégration. La gestion « fédérale » de la politique monétaire était déjà acquise à travers le rôle confié à la Banque centrale européenne. Sous l'effet de la crise, les États membres ont admis qu'il fallait aller avec un cadre commun pour la gestion des politiques budgétaires qui sont désormais coordonnées dans le cadre du semestre européen. La réalisation d'une Union bancaire franchit progressivement les obstacles.
Outre la consolidation de ces acquis, déjà évoquée, la zone euro doit s'attacher à porter de nouveaux projets qui lui permettent d'avancer de façon concrète et pragmatique. Même si c'était l'idéal, il serait illusoire d'escompter que chacun de ces projets recueillera l'assentiment de tous. La zone euro est elle-même de plus en plus hétérogène. Tous les États membres dotés de l'euro n'ont pas pour autant une vision intégrationniste, voire fédérale.
Il faut donc promouvoir l'utilisation des coopérations renforcées au sein de la zone euro comme moyen de mettre en oeuvre des actions nouvelles utiles pour l'affirmation du projet européen. Selon la formule de l'ancien ministre allemand des affaires étrangères, M. Hans-Dietrich Genscher, « un pays ne peut obliger les autres à aller plus loin qu'ils ne le veulent, mais aucun pays ne peut empêcher ceux qui veulent aller plus loin de le faire. » Cette formule fait parfois craindre une perte de cohérence du projet européen. Mais comme votre rapporteur l'a montré précédemment, elle a été souvent utilisée dans le passé avec succès pour le développement de la construction européenne. Peu suspect de vouloir nuire à la cohérence de l'Union, M. Jacques Delors a lui-même défendu cette méthode des coopérations renforcées 31 ( * ) , cette méthode était aussi préconisée par M. Joshka Fischer dans son discours du 12 mai 2000 à l'université Humboldt de Berlin. La procédure est d'ores et déjà prévue par les traités qui en précisent les conditions afin que les règles communes soient respectées et que le fonctionnement du marché unique ne soit pas mis en cause.
b) Un « appel d'offres fédéral » pour des projets concrets et ambitieux
La constitution progressive d'un pouvoir politique européen peut très bien ne pas recueillir l'unanimité au sein des États membres de la zone euro. Ce n'est pas un obstacle absolu. On peut très bien commencer à constituer un pouvoir politique et démocratique à quelques-uns. Tel serait l'objet d'un « appel d'offres fédéral » qui serait lancé en vue de la constitution d'une Europe fédérale à quelques-uns. Il vaut mieux que les pas soient franchis par des États volontaires et déterminés, même peu nombreux, que de rechercher une démarche qui conduirait à rassembler davantage de pays mais autour du plus petit commun dénominateur.
c) Un budget de la zone euro
Pour que la zone euro puisse progresser vers plus d'intégration, il lui faudra disposer de moyens adéquats et donc d'un budget autonome. Le rapport de M. Herman Van Rompuy au Conseil européen, en décembre 2012, sur l'avenir de l'Union économique et monétaire a envisagé cette capacité budgétaire pour la zone euro. Il l'a présenté comme un pas supplémentaire dans un processus à plusieurs étapes. Le nouveau cadre de gouvernance économique doit permettre une large coordination ex ante des budgets annuels des États membres de la zone euro ; il renforce la surveillance de ceux qui connaissent des difficultés financières. La mise en oeuvre d'arrangements contractuels entre les États membres et l'Union européenne, ainsi que des incitations financières, soutiendront un processus de convergence. Cette convergence conduira, lors de la troisième étape, à la création d'une capacité budgétaire destinée à faciliter l'ajustement aux chocs économiques. Selon le rapport, cette capacité prendrait la forme d'un mécanisme « de type assurance » entre pays de la zone euro. Le rapport fait valoir qu'une capacité budgétaire de la zone euro pourrait constituer une base appropriée pour « l'émission en commun de dette sans recourir à la mutualisation de la dette souveraine ».
Nous pensons que ce budget de la zone euro devrait être alimenté par des ressources fiscales propres. À la suite de M. Jacques Delors, on pourrait envisager aussi la création d'un fonds spécial de cohésion à l'intérieur de l'Union économique et monétaire. Il s'agirait d'aider les États en difficulté à reconstituer une base de compétitivité.
Au-delà de cette fonction de réponse aux crises, ce budget de la zone euro devrait avoir vocation à évoluer à mesure que les États membres lanceront de nouveaux projets traduisant leur volonté d'intégration renforcée.
4. L'Europe espace fondée essentiellement sur le marché unique
a) L'Europe du marché unique
Cette « Europe espace » doit permettre le rassemblement des États qui, à l'instar du Royaume-Uni semble-t-il, voient dans l'Europe essentiellement un grand marché dans lesquels les biens et les services peuvent s'échanger librement mais qui refusent toute idée d'intégration. Ces États se reconnaîtront dans les mesures visant à approfondir le marché unique en abolissant tout ce qui peut encore en entraver le bon fonctionnement. Mais ils seront aussi sensibles à la démarche du Premier ministre britannique visant à préserver leurs prérogatives dans de nombreux domaines.
Avec les États de l'Europe plus intégrée, ces États continueront à partager les grands idéaux qui ont fondé le projet européen et qui se trouvent exprimés dans le Préambule des traités. C'est en tout premier lieu, l'adhésion aux valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit. C'est aussi l'attachement à un espace de paix et la reconnaissance de l'importance historique de la fin de la division du continent européen. De même, tous les États européens continueront à partager les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Seront aussi acceptés par tous, la recherche du progrès économique et social, et du respect du développement durable.
En revanche, l'idée - affirmée dans le Préambule - de poursuivre un processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe établira manifestement un clivage entre les États du premier cercle et second cercle et ceux du troisième cercle de l'« Europe espace ».
Ces États auront choisi de ne pas franchir de nouvelles étapes pour faire progresser l'intégration européenne. Ils pourront entretenir des relations régulières, libres, confiantes, organisées, institutionnalisées s'ils le souhaitent, avec ceux qui ont choisi de renforcer leurs liens, mais ils ne pourront freiner ces derniers sur la voie d'une Europe intégrée. À tout moment, ils pourront, s'ils le souhaitent, décider de rejoindre le cercle des États les plus intégrés. Le traité prévoit d'ailleurs que tous les États membres - sauf s'ils ont négocié des opt out - ont vocation à rejoindre l'euro. Le cheminement vers plus d'intégration est donc inscrit dans le texte même des traités. Il correspond à leur esprit qui est de resserrer toujours plus les liens entre les États membres.
Logiquement, les États nouveaux membres de l'Union européenne devraient passer par ce troisième cercle de « l'Europe espace ». Ils pourraient ainsi s'insérer, dans un premier temps au moins, dans un cadre moins exigeant. Ils s'acclimateraient à leurs obligations européennes par la voie du marché unique pour l'essentiel. Ils pourraient mettre à profit ce temps d'adaptation pour se préparer à franchir, s'ils le souhaitent, une nouvelle étape en rejoignant le cercle de l'Europe intégrée.
b) Une coopération sur des politiques intéressant le marché unique
Ces États, qui ne souhaitent pas aller vers plus d'intégration, pourront demeurer intéressés par des grandes politiques qui conditionnent le marché unique ou qui intéressent le positionnement de l'Europe sur les marchés extérieurs. On pense naturellement à la politique de concurrence qui conditionne le bon fonctionnement du marché unique en veillant à combattre tout ce qui peut entraver une compétition loyale entre les entreprises. La politique commerciale commune, dès lors qu'elle est - comme ce fut le cas jusqu'à présent - animée par le souci de favoriser le libre-échange, pourra aussi retenir l'attention de ces États. La politique de voisinage peut aussi contribuer à assurer une stabilité dans les espaces proches de l'Europe. Elle peut donc favoriser un climat favorable à une bonne coopération et aux échanges économiques. L'Ukraine et la Turquie sont des marchés potentiels importants pour les entreprises européennes. L'Afrique s'éveille et pourrait connaître des taux de croissance élevés dans les années à venir. La politique de coopération avec ce continent peut donc motiver les États de l'« Europe espace ».
Le souci de rationaliser les approvisionnements en matières premières pourrait aussi susciter un certain intérêt pour des progrès vers une communauté européenne de l'énergie, sous réserve qu'une certaine souplesse soit envisagée et que les États membres ne sacrifient pas leurs intérêts stratégiques.
Enfin, dans le domaine de l'environnement et du climat, de l'industrie numérique, l'interdépendance entre les États justifie des actions communes.
5. Deux domaines à géométrie variable : la défense européenne et l'espace Schengen
Ces deux domaines sont caractérisés par une géométrie variable dans le nombre d'États qui y participent. Mais le noyau dur franco-allemand y joue là aussi un rôle important.
a) La défense européenne
Les actions en faveur d'une défense européenne relèvent d'une problématique spécifique. On pourrait objecter que seuls des États ayant un souhait affirmé d'intégration européenne pourraient souscrire à une forte ambition dans ce domaine. Ce serait méconnaître les réalités européennes en matière de défense. Comme on l'a déjà souligné, la France et le Royaume-Uni concentrent 40 % de l'effort en matière de défense.
C'est donc autour de ces deux pays, pour l'essentiel, mais
aussi
- dans une moindre mesure - de l'Allemagne, que la
défense européenne pourra se structurer en associant les
États membres ayant une certaine capacité militaire ; les
autres États se contentant d'une contribution essentiellement
financière. Le traité exprime cette réalité en
permettant des coopérations structurées permanentes ouvertes aux
États membres
« qui remplissent des critères
plus élevés de capacités militaires et qui ont
souscrit des engagements
plus contraignants en la matière en
vue des missions les plus exigeantes »
(art. 42 § 6
TUE). Le traité permet aussi au Conseil de confier la réalisation
d'une mission, dans le cadre de l'Union, à un groupe d'États
membres (article 42 § 5). De même, l'Agence européenne de
défense qui doit jouer un rôle important dans la promotion d'une
industrie européenne de l'armement est, selon le traité,
« ouverte à tous les États membres qui souhaitent y
participe. »
(article 45 § 2 TUE).
Un récent rapport de la commission de la défense, des affaires étrangères et des forces armées du Sénat 32 ( * ) a bien mis en évidence les ambiguïtés du concept d'« Europe de la défense ». D'abord, c'est un domaine régi par l'intergouvernemental : il n'est pas question pour les États de s'engager dans des projets qu'ils n'auraient pas consentis ou dans des opérations qu'ils n'auraient pas souhaitées. En conséquence, l'optionalité et la géométrie variable restent la règle. En deuxième lieu, la démarche est progressive ; c'est la politique des petits pas qui prévaut. Enfin, la complémentarité avec l'OTAN conditionne cette démarche.
Le pragmatisme n'interdit pas des améliorations institutionnelles. Le rapport d'information précité a préconisé l'« institutionnalisation » du Conseil des ministres de la défense, qui serait doté d'une présidence stable exercé par un « ministre européen » de la défense. Un « Eurogroupe de la défense » permettrait de rassembler un groupe pionnier composé des États membres, souhaitant et pouvant aller plus loin. Il serait d'abord fondé sur les capacités opérationnelles de la France et du Royaume-Uni, en y associant l'Allemagne. Au sein de cet « Eurogroupe », les États participants pourraient développer une plus grande cohérence de leurs moyens opérationnels, capacitaires et industriels avec l'élaboration d'un « Livre blanc » européen. Ils pourraient se doter d'une force expéditionnaire avec un quartier général de planification et de conduite des opérations, doté de moyens propres de renseignement.
Le contexte budgétaire rend la mutualisation indispensable. Il rend inévitable une coopération de plus en plus étroite. Les États membres passeraient ainsi d'une dépendance subie à une coopération consentie. Tous les États ne disposent pas d'une capacité opérationnelle. Mais tous doivent pouvoir contribuer à l'effort commun. À cette fin, ils devraient réserver un pourcentage de leur PIB, par exemple 2 %, aux dépenses de sécurité. Les sommes ainsi dégagées devraient pouvoir soutenir des actions nationales mais aussi alimenter un budget européen de défense dédié à des actions communes. Dans le même temps, les conceptions diplomatiques et stratégiques devraient se rapprocher.
b) L'espace Schengen
La coopération Schengen marque assurément une volonté d'intégration forte avec l'abolition des contrôles aux frontières intérieures. Mais elle présente aussi de vraies spécificités. Elle associe les États membres au-delà de la zone euro. Elle fait aussi participer des États qui ne sont pas membres de l'Union européenne tandis que certains États membres se tiennent à l'écart de cette coopération.
À l'origine, Schengen a été le résultat d'une coopération intergouvernementale qui s'est développée en dehors des traités européens. C'est un accord de 1985 et une convention d'application de 1990.
La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. En vertu de l'article 67 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), celle-ci « constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice ». Elle « assure l'absence de contrôle des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière (...) de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre les États membres et qui est équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers. »
Vingt-six États font aujourd'hui partie de l'espace Schengen :
- vingt-deux États membres de l'Union européenne, soit tous les États membres sauf :
? Le Royaume-Uni et l'Irlande qui bénéficient d'un statut particulier dans la mesure où ils ont obtenu de ne participer qu'à une partie des dispositions Schengen ; ces deux États conservent le droit de contrôler les personnes à leurs frontières ;
? Chypre, qui a demandé un délai supplémentaire, ainsi que la Bulgarie et la Roumanie qui sont entrés dans l'Union européenne en 2007. Les contrôles aux frontières entre ces deux derniers pays et l'espace Schengen seront maintenus jusqu'au moment où le Conseil de l'Union européenne décidera que les conditions de suppression de ces contrôles seront remplies ;
- quatre États non membres de l'Union européenne qui sont associés à Schengen et font partie à ce titre de l'espace Schengen : l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein ; le cas de la Suisse devant être réexaminé à la suite du référendum du 9 février 2014.
Ainsi constitué, l'espace Schengen peut être un vecteur important pour une intégration renforcée. Il permet aussi de faire le lien entre les États membres de la zone euro et les États non dotés de l'euro, mais aussi avec des États tiers à l'Union européenne qui se trouvent dans son voisinage immédiat et avec lesquels des liens étroits doivent être noués.
B. DES INSTITUTIONS RENOUVELÉES
Selon l'expression de M. Jean Monnet : « rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les institutions ». Se doter d'une architecture institutionnelle plus efficace et plus démocratique est un défi essentiel que l'Union européenne doit relever. Un budget européen réévalué doit lui permettre de mettre en oeuvre les ambitions affichées dans les traités. Coeur d'une Europe intégrée, la zone euro doit être dotée d'une organisation institutionnelle renforcée et démocratique. Enfin, une simplification des ratifications doit permettre d'adapter périodiquement le cadre juridique prévu par les traités.
1. Une architecture institutionnelle plus efficace et plus démocratique
a) Un Président pour l'Europe
Nous l'avons souligné, l'Europe doit avoir une voix, un visage et un patron. Elle doit être incarnée. Le président du Conseil européen a vocation à jouer ce rôle. Pour cela, il doit bénéficier d'une légitimité démocratique très forte. Il doit donc être désigné de façon démocratique.
Quand on observe la situation des grands États fédéraux, on peut constater qu'à l'exception de la Suisse (dont l'exécutif fédéral est collégial), c'est la désignation au suffrage universel du président fédéral qui est privilégiée. Cette désignation peut être directe (Brésil, Mexique) ou indirecte. Dans ce dernier cas, ce peut être dans le cadre d'une assemblée ad hoc de grands électeurs (États-Unis), par les deux assemblées fédérales et les législatures des États (Inde) ou par l'une des assemblées (Bundestag) 33 ( * ) .
La désignation de l'exécutif fédéral
Allemagne |
Brésil |
États-Unis |
Inde |
Mexique |
Suisse |
|
Détenteur du pouvoir exécutif |
Chancelier fédéral ( Bundeskanzler ) |
Président de la République ( Presidente de la República ) |
Président des États-Unis d'Amérique ( President of the United States of America ) |
Président de l'Union ( President of India ) |
Président des États-Unis du Mexique ( Presidente de los Estados Unidos Mexicanos ) |
Conseil fédéral (7 membres) |
Électorat |
Chambre basse ( Bundestag ) |
Peuple |
Grands électeurs |
Membres des deux chambres du Parlement fédéral et membres des Parlements des États |
Peuple |
Assemblée fédérale |
Type de suffrage |
Suffrage universel indirect |
Suffrage universel direct |
Suffrage universel indirect |
Suffrage universel indirect |
Suffrage universel direct |
Suffrage universel indirect |
Règle de majorité |
Majorité absolue des membres du Bundestag puis majorité simple au 3 ème tour |
Majorité absolue puis majorité simple |
Majorité des grands électeurs |
Scrutin avec vote unique transférable |
Majorité relative |
Majorité absolue |
Nombre de tours |
Jusqu'à trois tours |
Un ou deux tours |
Un tour |
Un tour |
Un tour |
Un ou plusieurs tours |
Âge minimum pour être élu |
18 ans |
35 ans |
35 ans |
35 ans |
35 ans |
18 ans |
Nombre maximum de mandats |
Illimité |
Deux |
Deux |
Illimité |
Un |
Illimité |
Durée du mandat |
Égale à la législature (quatre ans au plus) |
Quatre ans |
Quatre ans |
Cinq ans |
Six ans |
Quatre ans |
Nous proposons que, dans un premier temps, le président du Conseil européen soit élu par tous les parlementaires d'Europe, députés et sénateurs, et par les parlementaires européens, c'est-à-dire par plus de 10 000 élus du peuple.
Ce président ne pourrait cumuler sa fonction avec une quelconque responsabilité au sein d'un État ; son mode d'élection, la mission qui lui serait confiée, les pouvoirs qui lui seraient conférés, feraient de lui, non pas un secrétaire général à qui l'on confie les négociations les plus difficiles, mais un véritable homme d'État en charge du destin de l'Union et visible dans la société internationale.
Dès lors que le président du Conseil européen sera élu selon cette procédure, il sera possible de supprimer la présidence tournante du Conseil de l'Union.
Un tel mode d'élection contribuerait en outre à rapprocher davantage les parlementaires nationaux de la construction européenne et les inciterait à s'impliquer davantage.
b) Une Commission réformée
Il faut préserver le rôle essentiel de la Commission européenne qui ne doit pas outrepasser ses pouvoirs mais qui doit être en mesure d'assumer pleinement toutes ses responsabilités. Avec les élargissements successifs, la composition de la Commission européenne n'a cessé d'augmenter pour atteindre 28 membres. Cela a conduit à une dilution des responsabilités préjudiciable à la recherche de l'efficacité et à la préservation du rôle original de cette institution comme gardienne de l'intérêt général européen.
On rappellera qu'aux Conseils européens de décembre 2008 et de juin 2009, les chefs d'État et de gouvernement avaient répondu aux préoccupations irlandaises face à la perspective ouverte par le traité de Lisbonne d'une réduction du format de la Commission européenne, en décidant de maintenir le principe d'un commissaire par État membre.
En mai 2013, le Conseil européen a confirmé cette décision. Il a toutefois indiqué qu'au vu de ses effets sur le fonctionnement de la Commission, il réviserait cette décision bien avant la nomination de la première Commission qui suivra l'adhésion du trentième État membre ou de la nomination de la Commission qui prendra ses fonctions au 1 er novembre 2014. Il existe donc bien une possibilité qui est ouverte de promouvoir une composition plus rationnelle de la Commission.
Les conséquences pour les États membres d'un format plus réduit ont déjà été prises en compte dans une déclaration annexée au traité, par laquelle la conférence intergouvernementale a considéré que « lorsque la Commission ne comprendra plus des ressortissants de tous les États membres, celle-ci devrait accorder une attention particulière à la nécessité de garantir une transparence absolue dans ses relations avec l'ensemble des États membres. En conséquence, la Commission devrait rester en contact étroit avec tous les États membres, que ceux-ci comptent ou non un de leurs ressortissants parmi les membres de la Commission, et, à cet égard, elle devrait accorder une attention particulière à la nécessité de partager les informations avec tous les États membres et de les consulter. »
La déclaration ajoute que « la Commission devrait prendre toutes les mesures utiles afin de garantir que les réalités politiques, sociales et économiques de tous les États membres, y compris ceux qui ne comptent pas de ressortissant parmi les membres de la Commission, sont pleinement prises en compte. Parmi ces mesures devrait figurer la garantie que la position de ces États membres est prise en compte par l'adoption des modalités d'organisation appropriées. »
Votre rapporteur considère que le nombre de commissaires pourrait être maintenu mais à condition de revoir profondément l'organisation des « portefeuilles ».
Le traité (article 17 § 6 TUE) prévoit que le président de la Commission définit les orientations dans le cadre desquelles la Commission exerce sa mission. Il décide par ailleurs de l'organisation interne de la Commission afin d'assurer la cohérence, l'efficacité et la collégialité de son action. En outre, il lui revient de nommer des vice-présidents, autres que le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, parmi les membres de la Commission.
Cette organisation pourrait être renforcée. À cette fin, il faudrait hiérarchiser la Commission en fonction de l'importance des responsabilités exercées par chacun en distinguant hauts commissaires, commissaires, commissaires délégués . En particulier devraient être créés des postes de haut commissaire à l'économie, à la défense, à l'écologie, aux institutions, à la justice, à la santé et la solidarité, en plus de celui des affaires étrangères, soit sept hauts commissaires.
Cette organisation permettrait de constituer des « pôles de compétences » au sein de la Commission. Elle rétablirait le format d'une Commission composée de personnalités éminentes, ayant une forte expérience tirée de responsabilités antérieures exercées au niveau national et européen, capables de formuler, d'impulser une véritable ambition par des propositions répondant à l'intérêt général européen. Elle inciterait la Commission à sortir de son « enkylose » administrative actuelle qui la conduit à traiter tous les sujets, les plus importants comme les plus secondaires, sans discernement véritable de ce qui est essentiel pour l'intérêt général européen.
Le renforcement de la démocratie européenne passe également par l'élection directe du président de la Commission par les parlementaires européens.
Le traité (article 17 § 7 TUE) prévoit actuellement que le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, doit proposer au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Il doit tenir compte des élections au Parlement européen, et procéder aux consultations appropriées. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Le Conseil, d'un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités qu'il propose de nommer membres de la Commission. Le choix de celles-ci s'effectue sur la base des suggestions faites par les États membres.
La vocation de la Commission n'est pas de devenir à terme un secrétariat général du Conseil. Il convient dès lors de légitimer son existence par une désignation démocratique. Cette élection directe conférerait au président une autorité incontestable vis-à-vis du collège des commissaires qu'il pourrait choisir lui-même et de l'appareil administratif de la Commission. Il reviendrait aux parlementaires européens de désigner une personnalité permettant de fédérer les différentes tendances politiques et de transcender les intérêts nationaux.
c) Revenir à l'esprit communautaire
Avec la crise, des décisions fondamentales ont été prises sur le mode intergouvernemental. Il s'agissait de définir des réponses d'urgence.
Le couple franco-allemand a été en première ligne pour définir ces réponses d'urgence. En mai 2010, la chancelière Angela Merkel a accepté le principe de la mise en place d'un filet de sécurité pour les États exclus des marchés obligataires, prenant ainsi le risque de s'aliéner une opinion publique hostile à la perspective d'une « union de transfert ». Au sommet de Deauville, à l'automne 2010, la France et l'Allemagne ont convenu de lier cette solidarité au renforcement des disciplines budgétaires, actant ainsi le principe d'une réforme du pacte de stabilité et de croissance destiné à mettre en place des procédures contraignantes auxquelles la France était traditionnellement réticente. Le couple franco-allemand a aussi joué le premier rôle dans la préparation des sommets européens qui se sont succédé pour apporter des réponses à la crise.
Ces sommets ont marqué l'impulsion intergouvernementale dans la gestion de la crise. Dès l'automne 2010, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé de renforcer le pacte de stabilité et de croissance. En mars 2011, ils ont décidé d'assurer une coordination des politiques économiques à travers le semestre européen. Au préalable, en décembre 2010, le Conseil européen avait décidé de doter la zone euro d'un mécanisme pérenne pour relayer le Fonds européen de stabilité financière (FESF). En mars 2011, le Conseil européen a fixé les grands principes applicables au nouveau « Mécanisme européen de stabilité ». Parallèlement, les sommets de la zone euro de juillet et décembre 2011 ont accéléré son entrée en vigueur au mois de juillet 2012.
La conclusion du traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance (TSCG) de l'Union économique et monétaire, le 2 mars 2012, par 25 États membres, a marqué le point culminant de cette dimension intergouvernementale de la gestion de la crise.
Face à la gravité de la situation, il importait que les principaux responsables européens puissent définir le plus rapidement possible les réponses d'urgence de nature à permettre une sortie de la phase aigüe de la crise.
Mais on peut douter que cette méthode puisse être pérennisée et qu'elle permette de promouvoir une vision à long terme, stable et dégagée des intérêts nationaux. En outre, elle pose une question de légitimité démocratique. En effet, le Parlement européen n'exerce son pouvoir de contrôle - voire de censure - que sur la seule Commission. En sa qualité de colégislateur, il peut par ailleurs infléchir les positions du Conseil. En revanche, il ne contrôle pas le Conseil européen.
Pourtant, l'urgence passée, la tentation de recourir à la méthode intergouvernementale demeure. Les États ont ainsi décidé d'établir un fonds commun de résolution - qui pourra soutenir la restructuration des banques en crise - par un accord intergouvernemental et non par un règlement créant le Mécanisme de résolution unique (MRU), comme l'avait proposé la Commission. Ce choix aurait pour effet d'écarter le Parlement européen du processus.
De même, la mise en place d'instruments de convergence et de compétitivité et, à terme, d'un budget de la zone euro, devra impérativement s'accompagner d'un renforcement de sa légitimité démocratique et être soumise à un véritable contrôle parlementaire. Sur le rapport de notre collègue Dominique Bailly, la commission des affaires européennes a souligné cette exigence dans une proposition de résolution européenne 34 ( * ) .
Enfin, le rôle de la « troïka » est légitimement discuté. Cet organe ad hoc est formé de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international FMI). Il gère les programmes de sauvetage de la Grèce, de l'Irlande, du Portugal et de Chypre. Son manque de base juridique dans les traités, de transparence et de contrôle démocratique est mis en cause.
Tout cela souligne la nécessité d'en revenir à l'esprit communautaire. Celui-ci doit conduire à faire prendre les décisions par les institutions de l'Union dans le cadre des traités européens, en veillant à assurer leur légitimité démocratique. Il suppose aussi que les règles de majorité au Conseil n'entravent pas le processus de décision. Le traité de Lisbonne a étendu la majorité qualifiée à une cinquantaine de domaines. C'est le cas notamment pour la plupart des mesures relatives à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, ainsi que pour les nouvelles compétences attribuées à l'Union.
L'extension du champ de la majorité qualifiée fait néanmoins l'objet d'aménagements, notamment dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale.
La règle de l'unanimité reste, en revanche, la règle générale en matière de politique étrangère et de défense et en matière d'harmonisation fiscale et sociale. Elle s'applique également à des décisions essentielles comme l'adoption du cadre financier pluriannuel de l'Union, l'adhésion de nouveaux États membres et la révision des traités.
Sauf rares exceptions, par exemple en matière de défense, la majorité qualifiée au Conseil doit devenir la règle. Après cinquante ans de vie « communautaire », il est légitime d'interdire à un État de bloquer l'avance de tous les autres, au moins pour ceux qui auront choisi l'« Europe puissance ».
Le traité de Lisbonne a d'ores et déjà permis un basculement vers la majorité qualifiée dans le cadre des coopérations renforcées. Lorsqu'une disposition des traités susceptible d'être appliquée dans le cadre d'une coopération renforcée prévoit que le Conseil statue à l'unanimité, le Conseil, statuant à l'unanimité, peut adopter une décision prévoyant qu'il statuera à la majorité qualifiée. De même, lorsqu'une disposition des traités susceptible d'être appliquée dans le cadre d'une coopération renforcée prévoit que le Conseil adopte des actes conformément à une procédure législative spéciale, le Conseil, statuant à l'unanimité, peut décider qu'il statuera conformément à la procédure législative ordinaire (article 333 TFUE). Ce passage à la majorité qualifiée devrait être généralisé au sein des coopérations renforcées que votre rapporteur propose de développer pour promouvoir l'intégration européenne.
Les modalités de calcul de la majorité qualifiée ont aussi leur importance. Elles doivent refléter la réalité démographique des États membres sans pénaliser les États les moins peuplés.
Les règles de calcul de la majorité qualifiée au Conseil Dès le traité de Rome, les États membres se sont vu attribuer un nombre de voix différent au sein du Conseil en fonction de leur population respective. Toutefois, une surreprésentation minimum des États les moins peuplés a toujours été admise. L'objectif est de prévenir une marginalisation des petits pays et, à l'inverse, une hégémonie des grands pays dans le processus de décision. Cependant, les élargissements successifs ont remis en cause l'équilibre entre la prise en compte du critère démographique et la protection des intérêts des « petits » pays. Le traité de Nice a instauré une pondération des voix moins défavorable aux États les plus peuplés, assortie de deux règles complémentaires : - l'acte devait être approuvé par une majorité d'États membres ; - si un État membre en faisait la demande, il fallait s'assurer que la majorité en voix représente au moins 62 % de la population de l'Union ( « clause de vérification démographique ») . Reprenant le système du traité Constitutionnel, le traité de Lisbonne a instauré le système de la « double majorité », selon lequel la majorité qualifiée doit réunir 55 % des États, représentant au moins 65 % de la population. La « double majorité » incarne la double nature de l'Union européenne : union d'États et de citoyens. Mais son application pleine et entière est repoussée à 2014, voire à 2017. En effet, le compromis adopté par les chefs d'État et de gouvernement prévoit : - que les règles pour la prise de décision au Conseil définies par le traité de Nice continueront à s'appliquer jusqu'au 1er novembre 2014 ; - qu'à partir du 1er novembre 2014 et jusqu'au 31 mars 2017, le système de la « double majorité » entrera en vigueur mais qu'un État membre pourra demander l'application de la règle du traité de Nice ; - qu'à partir du 31 mars 2017, le système de la « double majorité » deviendra obligatoire. À la demande de la Pologne, le traité de Lisbonne consacre par ailleurs le « compromis de Ioannina ». Celui-ci prévoit que, lorsqu'un groupe d'États est proche de constituer une minorité de blocage, la discussion doit se poursuivre au sein du Conseil, malgré l'existence d'une majorité qualifiée, afin de parvenir dans un délai raisonnable à une solution satisfaisante pour les deux parties. |
Enfin, on doit observer que le processus de décision aboutit à des situations surprenantes. Tous les États sont appelés à se prononcer sur tous les sujets même lorsqu'ils ne sont pas concernés (par exemple, pour l'entrée dans la zone euro ou sur les questions relatives à la politique de la pêche). On peut se demander si cette situation ne favorise pas une sorte de « marchandage » des voix au sein du Conseil, bien éloigné de la recherche de l'intérêt général européen !
d) Un Parlement européen plus représentatif et renforcé
Améliorer la représentativité du Parlement européen doit également être une priorité. Le principe de représentation proportionnelle dégressive engendre une composition déformée et peu représentative des citoyens européens. La France en est la première victime.
Selon l'article 14 TUE, « le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l'Union. Leur nombre ne dépasse pas sept cent cinquante, plus le président. La représentation des citoyens est assurée de façon dégressivement proportionnelle, avec un seuil minimum de six membres par État membre. Aucun État membre ne se voit attribuer plus de quatre-vingt-seize sièges. » Depuis les débuts de la construction européenne, le nombre de membres du Parlement européen n'a cessé d'augmenter. En 1957, l'Assemblée des Communautés communautaires ne comprenait que 142 membres. Le traité d'Amsterdam avait fixé à 700 l'effectif maximal du Parlement européen et le traité de Nice a porté ce nombre à 736. En fixant un plafond de 750, le traité constitutionnel se situait dans la continuité des traités précédents. Le traité de Lisbonne a repris ce plafond en ajoutant le président, soit 751 membres. Il prévoit par ailleurs un minimum de 5 sièges et un maximum de 99 sièges par État membre.
Depuis l'origine, la composition du Parlement a toujours été fondée sur le principe de la « proportionnalité dégressive ». Ce système favorise les petits pays : un député maltais représente 67 000 citoyens, alors qu'un député allemand en représente 860 000. Le traité de Lisbonne n'a pas fixé lui-même la composition du Parlement. Comme le traité constitutionnel, il renvoie la question de la répartition des sièges à une décision du Conseil européen statuant à l'unanimité, sur proposition et avec l'approbation du Parlement. Le Parlement européen a demandé que la répartition des sièges soit révisée avant le début de la législature 2014-2019, afin de mettre en place un système de répartition plus objectif et équitable.
Dans sa décision du 23 juin 2013, le Conseil européen a explicité le principe de proportionnalité dégressive énoncé par le traité. Selon le Conseil européen, les principes suivants devraient s'appliquer :
- la répartition des sièges au Parlement européen utilise pleinement les nombres minimaux et maximaux fixés par le traité sur l'Union européenne afin de refléter aussi étroitement que possible la taille des populations respectives des États membres ;
- le rapport entre la population et le nombre de sièges de chaque État membre avant l'arrondi à des nombres entiers varie en fonction de leurs populations respectives, de telle sorte que chaque député au Parlement européen d'un État membre plus peuplé représente davantage de citoyens que chaque député d'un État membre moins peuplé et, à l'inverse, que plus un État membre est peuplé, plus il a droit à un nombre de sièges élevé.
La solution retenue a pour effet que 12 États membres - Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, République Tchèque, Grèce, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Portugal et Roumanie - perdront chacun un siège lors des prochaines élections européennes. L'Allemagne se voit privée de trois sièges, sa part régressant de 99 à 96 sièges, le maximum permis par le traité. Elle évite d'infliger de lourdes pertes pour les moyens et petits États membres au profit des plus grands États. La part de la France, avec 74 députés, reste inchangée. Le Conseil européen a toutefois pris soin de préciser que sa décision serait révisée suffisamment longtemps avant le début de la législature 2019-2024 sur la base d'une initiative du Parlement européen, présentée avant la fin de l'année 2016, « dans le but d'instaurer un système qui, à l'avenir, avant chaque nouvelle élection au Parlement européen, permettra de répartir les sièges entre les États membres d'une manière objective, équitable, durable et transparente, en traduisant le principe de la proportionnalité dégressive (...), en tenant compte de toute modification de leur nombre et des évolutions démographiques dûment constatées pour leurs populations, en respectant ainsi l'équilibre global du système institutionnel tel qu'il a été fixé dans les traités. »
Nouvelle répartition des sièges au Parlement européen
États membres |
Répartition des sièges actuelle |
Répartition des sièges proposée |
Différence |
Allemagne |
99* |
96 |
-3 |
France |
74 |
74 |
= |
Royaume-Uni |
73 |
73 |
= |
Italie |
73 |
73 |
= |
Espagne |
54 |
54 |
= |
Pologne |
51 |
51 |
= |
Roumanie |
33 |
32 |
-1 |
Pays-Bas |
26 |
26 |
= |
Grèce |
22 |
21 |
-1 |
Belgique |
22 |
21 |
-1 |
Portugal |
22 |
21 |
-1 |
République tchèque |
22 |
21 |
-1 |
Hongrie |
22 |
21 |
-1 |
Suède |
20 |
20 |
= |
Autriche |
19 |
18 |
-1 |
Bulgarie |
18 |
17 |
-1 |
Danemark |
13 |
13 |
= |
Slovaquie |
13 |
13 |
= |
Finlande |
13 |
13 |
= |
Irlande |
12 |
11 |
-1 |
Croatie |
12 |
11 |
-1 |
Lituanie |
12 |
11 |
-1 |
Slovénie |
8 |
8 |
= |
Lettonie |
9 |
8 |
-1 |
Estonie |
6 |
6 |
= |
Chypre |
6 |
6 |
= |
Luxembourg |
6 |
6 |
= |
Malte |
6 |
6 |
= |
TOTAL |
766 |
751 |
15 |
* Les trois sièges supplémentaires alloués à l'Allemagne faisaient partie d'un accord transitoire qui expirera à la fin de la législature actuelle.
Source : Parlement européen
Ce système doit évoluer. Dans son arrêt relatif au traité de Lisbonne, qu'elle a rendu le 30 juin 2009, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a souligné que le traité n'instituait pas, au centre des institutions de l'Union, un organe de décision politique élu au suffrage égalitaire par tous les citoyens et qui soit capable de représenter la volonté du peuple ; selon la Cour, « le Parlement européen n'est pas un organe représentatif d'un peuple européen souverain » , étant composé à partir de contingents nationaux de députés entre lesquels les inégalités de représentation sont considérables. Cette situation, qui serait inacceptable au regard du principe de démocratie dans le cas d'un État, ne l'est pas, selon la Cour, lorsqu'il s'agit de compléter la légitimation démocratique d'un groupement d'États doté d'une compétence d'attribution.
On voit bien, à travers cette analyse de la Cour suprême allemande, le déficit de légitimité qui affecte le Parlement européen. Il faut donc modifier les règles qui déterminent sa composition pour asseoir sa légitimité démocratique.
Le Parlement européen devrait être élu selon une procédure électorale uniforme arrêtée par le Parlement lui-même sur une meilleure base démographique. Le nombre de parlementaires européens devrait être limité à 700 (contre 751 aujourd'hui) quel que soit le nombre d'États membres. En cas de scrutin régionalisé, il devrait être possible d'accepter des circonscriptions transnationales si les États concernés le demandent.
Rendu plus légitime, le Parlement européen devrait disposer d'un pouvoir d'initiative renforcé qui obligerait la Commission européenne à élaborer une proposition jugée nécessaire par le Parlement (actuellement l'article 225 TFUE laisse la Commission libre de décider de la suite à donner à la demande du Parlement). Il pourrait aussi exercer un véritable pouvoir budgétaire, c'est-à-dire le pouvoir le lever l'impôt, de décider et de contrôler les dépenses.
e) Renforcer le rôle des parlements nationaux
À compter de l'élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, les parlements nationaux avaient été largement ignorés par la construction européenne. Leur rôle s'est progressivement renforcé à partir des années 1990, dans le but de remédier au « déficit démocratique » de l'Union. Le traité de Maastricht (1992) était accompagné d'une déclaration relative aux parlements nationaux et à la coopération interparlementaire. Avec le traité d'Amsterdam (1997), un protocole a été consacré au « rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne ».
Ce rôle des parlements nationaux s'est traduit en France, mais aussi dans les autres États membres, par la faculté qui leur est reconnue de voter des résolutions européennes (article 88-4 de la Constitution). Ces résolutions ont pour but d'exprimer la position de chaque assemblée sur les objectifs à poursuivre dans la négociation. Elles ne lient pas le Gouvernement (contrairement à ce qui existe dans d'autres États membres comme la Finlande où le parlement donne un mandat au gouvernement avant chaque négociation européenne). Mais les résolutions donnent au Gouvernement des indications politiques importantes. S'il n'en tient pas compte, il risque des difficultés lorsqu'il faudra transposer le texte en droit national. Les résolutions européennes peuvent aussi contribuer à mieux affirmer la position de la France dans la négociation.
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, les projets d'acte soumis aux assemblées ne sont plus les seules bases possibles pour des résolutions européennes : celles-ci peuvent également se fonder sur « tout document émanant d'une institution de l'Union européenne ». Le champ des résolutions européennes devient ainsi extrêmement large, puisque l'Union compte aujourd'hui cinq « institutions ».
Avec le traité de Lisbonne, le rôle des parlements nationaux a été expressément reconnu dans le corps même des traités, et non plus seulement dans un protocole. L'article 12 TUE spécifie qu'ils « contribuent activement au bon fonctionnement de l'Union ». Le traité crée un droit à l'information et met en place trois formes nouvelles d'intervention des parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union : le contrôle du respect de la subsidiarité, leur association à la procédure de révision des traités, leur association au fonctionnement de l'espace de liberté, de sécurité et de justice.
Le mécanisme permettant aux parlements nationaux de veiller au respect du principe de subsidiarité comprend trois aspects :
- toute chambre d'un parlement national peut adresser aux institutions de l'Union un « avis motivé » exposant les raisons pour lesquelles elle estime qu'un projet de la Commission ne respecte pas le principe de subsidiarité. Lorsqu'un tiers des parlements nationaux ont adressé un « avis motivé », la Commission doit réexaminer son projet (pour les textes relatifs à la coopération policière et à la coopération judiciaire en matière pénale, ce seuil est abaissé à un quart) ;
- si un projet d'acte législatif est contesté par la majorité des parlements nationaux et si la Commission décide cependant de le maintenir, le processus législatif est suspendu, et le Conseil et le Parlement européen doivent se prononcer sur la compatibilité de ce projet avec le principe de subsidiarité ; si le Conseil (à la majorité de 55 % de ses membres) ou le Parlement (à la majorité simple) donne une réponse négative, le projet est définitivement écarté ;
- après l'adoption d'un texte, la Cour de justice peut être saisie d'un recours émanant d'un parlement national ou d'une chambre de celui-ci, afin que la Cour se prononce sur le respect de la subsidiarité.
À côté de ce contrôle de la subsidiarité prévu par le traité, les parlements nationaux poursuivent un dialogue politique direct avec la Commission européenne. Durant la « période de réflexion sur l'avenir de l'Union » qui s'était ouverte à la suite des référendums négatifs en France et aux Pays-Bas, le président de la Commission européenne avait pris une initiative en faveur de ce dialogue direct des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Cette initiative a été approuvée dans les conclusions du Conseil européen des 15 et 16 juin 2006.
Dans ce cadre, le Parlement reçoit toutes les propositions d'actes mais aussi les livres verts, diverses études ou encore les travaux de comitologie. Le champ est donc très vaste. Cette procédure s'est progressivement enracinée, avec une participation de plus en plus active des parlements nationaux. Le Sénat, par l'intermédiaire de sa délégation pour l'Union européenne, puis de sa commission des affaires européennes, a pleinement participé à cette procédure. Désormais ce dialogue ne se limite plus aux questions de subsidiarité et de proportionnalité. Il s'agit d'un véritable dialogue politique qui permet à la Commission européenne de connaître de manière précoce la position des parlements nationaux sur ses initiatives et d'en débattre avec eux.
Le traité de Lisbonne précise également que les parlements nationaux doivent être associés à l'élaboration des projets de révision des traités, même si la Conférence intergouvernementale composée des représentants des États membres reste l'institution souveraine in fine .
L'entrée en vigueur de la décision du Conseil européen modifiant tout ou partie des dispositions du traité concernant les « politiques internes » suppose son « approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». Par ailleurs, chaque parlement national dispose d'un droit d'opposition en cas d'utilisation d'une « clause passerelle » 35 ( * ) .
Le traité de Lisbonne a aussi prévu l'association des parlements nationaux à la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice :
- ils sont informés de la teneur et des résultats de l'évaluation à laquelle il est procédé, des conditions dans lesquelles les autorités des États membres ont mis en oeuvre les politiques de l'Union en matière d'espace de liberté, de sécurité et de justice ;
- ils sont tenus informés des travaux du comité permanent chargé de favoriser la coordination entre les autorités des États membres en matière de sécurité intérieure ;
- ils sont associés à l'évaluation des activités d'Eurojust et au contrôle des activités d'Europol ;
- en outre, les parlements nationaux ont un droit d'opposition (comme dans le cas des « clauses passerelles ») lorsque le Conseil détermine la liste des aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontalière (et donc sur lesquels l'Union peut légiférer).
Sur ces bases, la coopération entre parlements nationaux s'est considérablement développée. L'utilité de cette coopération pour le « bon fonctionnement de l'Union » est reconnue par le traité de Lisbonne (article 12 TUE). Elle permet aux parlements nationaux d'exercer un suivi collectif des principales politiques de l'Union. Mais sa qualité est également importante pour l'exercice par chaque parlement de sa fonction de contrôle, grâce à l'échange d'informations et a de bonnes pratiques entre les assemblées.
Des réunions des présidents des parlements nationaux se tiennent périodiquement. Des réunions conjointes avec le Parlement européen sont organisées au cours de chaque présidence semestrielle de l'Union européenne.
Le protocole sur le rôle des parlements nationaux officialise le rôle de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, la COSAC, créée en 1989, en matière d'échange d'informations et de bonnes pratiques entre les parlements. Il faut souligner que ce rôle est étendu aux « commissions spécialisées » des parlements nationaux. La porte est ainsi ouverte à ce que des conférences réunissant des délégués de ces commissions spécialisées se tiennent sous l'égide de la COSAC.
Le nouveau protocole ouvre également la possibilité pour la COSAC d'organiser, à côté de ses réunions ordinaires, des conférences sur des thèmes particuliers, ce qui suppose que sa composition devrait alors s'adapter en conséquence. Un thème est mentionné en particulier : les questions de politique étrangère, de sécurité et de défense. Il s'agit là d'un élément à prendre en compte dans la réflexion sur l'avenir du contrôle parlementaire à l'échelon européen dans ce domaine.
À côté de la COSAC, le dialogue entre les parlements nationaux s'est développé en matière de défense avec la mise en place, en 2012, d'une Conférence spécialisée qui a comblé le vide créé par la disparition de l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) 36 ( * ) . En matière économique et budgétaire, la conférence de l'article 13 du TSCG permet de développer les échanges entre les parlements nationaux et le Parlement européen. Ceux-ci seront appelés également à collaborer pour le contrôle d'Europol et l'évaluation d'Eurojust, conformément à ce que prévoient les traités (articles 85 et 88 TFUE).
À partir de ces acquis, le rôle des parlements nationaux dans le processus de décision et le contrôle de l'action européenne devra être renforcé. À cette fin, il faudra agréger les différentes formes d'association existantes pour assurer une représentation permanente des parlements nationaux. Sur le modèle du Bundesrat, cette représentation, composée de délégués désignés par leur chambre, se réunirait périodiquement et en tant que de besoin. Les parlements nationaux devraient être dotés d'un droit d'initiative leur permettant de suggérer des actions à conduire par les institutions européennes.
2. Un budget européen réévalué
a) Un système de ressources propres à revoir
À l'origine, le budget de l'Europe était alimenté directement par des taxes et des prélèvements qui n'émanaient pas des États. Avec leur progressive disparition, ces ressources propres ont été remplacées par des contributions nationales qui représentent aujourd'hui 86 % du budget. Cette renationalisation a fait de l'Europe un club de cotisants qui passent leur temps à vouloir diminuer leurs contributions, à ne raisonner que selon la théorie du « juste retour » et à se quereller sur des montants de rabais. Aujourd'hui, les États membres conduisent les négociations sur le cadre financier pluriannuel avec l'obsession de leur « solde net », c'est-à-dire la différence entre le montant de leur contribution au budget européen et les sommes que celui-ci leur verse en retour.
Dans un précédent rapport 37 ( * ) , votre rapporteur a eu l'occasion de dénoncer cette situation et de proposer des pistes pour y remédier.
Cette vision déformée du budget européen est la conséquence de la part prédominante de la contribution RNB des États dans le financement de l'Union. Les États membres raisonnent en termes de « juste retour » et de dépense budgétaire. En France, le traitement budgétaire en Loi de finances de notre contribution RNB illustre cette dérive qui empêche de percevoir le budget européen comme un outil complémentaire et plus efficace pour le financement de certaines politiques.
Il conviendrait prioritairement de réformer le système des ressources du budget européen. Pour sortir de cette logique, la première condition est d'augmenter sensiblement la part des ressources propres authentiques. La Commission européenne a proposé de porter la part des ressources propres (ressources propres traditionnelles, ressource TVA et TTF) à près de 60 % des besoins de financement.
Cet objectif est atteignable dès 2020 sur la base des propositions de la Commission européenne ou par d'autres voies, notamment celle tracée par votre rapporteur. Il doit être une priorité politique majeure.
Il faut rompre avec le système actuel et faire en sorte que de nouvelles ressources propres alimentent le budget européen à hauteur d'au moins 60 % d'ici 2020.
Dans la négociation entre le Conseil et le Parlement européen sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, la mise en place d'un groupe de haut niveau inter-institutions sur les futures ressources propres a été actée, conformément à la demande du Parlement européen 38 ( * ) .
b) Un montant révisé
Il faut dans le même temps augmenter ce budget qui ne représente que 1 % du PNB européen. Une telle situation porte atteinte à la crédibilité de l'Europe et ne permet pas de pratiquer une politique de relance au travers de différents secteurs tels que la recherche, les infrastructures de transport, la transition énergétique, etc... Par comparaison, les dépenses du budget américain représentent 25 % du PIB !
L'air du temps ne va pas dans le sens d'une augmentation
sensible du budget européen. Mais la question du niveau du budget de
l'Union
- seulement 1 % du RNB à ce jour - souffre
d'une mauvaise présentation. La réaction immédiate des
États membres consiste, au nom d'un faux souci de cohérence,
à réclamer de l'Union des efforts de restriction
budgétaire équivalents à ceux des États membres. Ce
raisonnement ne tient pas si l'on veut bien être de bonne foi et se
souvenir que si les États sont confrontés à d'importantes
dettes souveraines, l'Europe n'est pas endettée.
Il faut concevoir la hausse du budget de l'Union comme la stricte conséquence d'un transfert de dépenses des budgets nationaux vers l'Union. La dépense publique globale doit demeurer constante. Il faut être sans ambiguïté sur ce point. À cette condition, les États membres pourraient retrouver des marges de manoeuvre avec la hausse des ressources propres de l'Union qui leur offrirait la possibilité de réduire leur contribution directe (RNB) et donc leurs dettes souveraines.
Dans le rapport précité, votre rapporteur avait estimé que l'Union devait se fixer comme objectif politique de porter son budget de 1,11 % du RNB1 à 2 % du RNB à horizon 2020 en inscrivant très fermement le principe selon lequel cette hausse doit se réaliser à dépense publique constante au sein de l'Union. Il faut d'ailleurs rappeler que le budget de l'Union a décru tendanciellement depuis 20 ans. Sur la période 1993-1999, le plafond des crédits de paiement s'est établi en moyenne à 1,18 % du RNB contre 1 % pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Si cet objectif devait être atteint en 2020, cela porterait les crédits de paiement à près de 280 milliards d'euros (prix 2011).
C'est aussi la raison pour laquelle des emprunts devraient pouvoir être lancés au niveau européen.
De même, dès lors que chaque État aura fait la preuve qu'il est capable de contrôler sa dette et de pratiquer en tous points une politique responsable, allant vers une plus grande convergence des compétitivités respectives, il sera possible d'envisager la création « d'Euros Bonds » car l'Europe ne pourrait trouver que des avantages à mutualiser ses emprunts ainsi peut-être qu'une partie des dettes existantes.
Enfin, le vote d'une partie des recettes par le Parlement européen doit être instauré. Le Parlement européen est certainement la seule assemblée démocratique qui vote des dépenses sans avoir le droit de voter les recettes.
Parallèlement, l'Union européenne devrait veiller à ce que le taux de change avec les autres monnaies ne pénalise pas les entreprises européennes. L'euro a permis de créer une zone de stabilité monétaire et de réduire l'incertitude dans les échanges commerciaux et financiers au sein de l'Union. La Banque centrale européenne a mis en oeuvre efficacement les missions que les traités lui ont confiées. En particulier, la stabilité des prix a été assurée et les taux d'intérêt à long terme sont bas. Mais un euro surévalué constitue une menace pour la croissance et l'emploi. Il peut conduire à des pertes de parts de marché et à des délocalisations d'activité.
Or l'euro doit protéger. La plupart des pays qui ont une monnaie internationale ont une politique de change, sauf l'Europe. Les États-Unis et le Japon se sont livrés à une manipulation du taux de change par une très forte création monétaire. La Banque centrale chinoise a maintenu la valeur du yuan, par rapport au dollar américain, à un niveau artificiellement faible, ce qui a pour conséquence de creuser l'excédent de la balance commerciale chinoise par rapport aux États-Unis. La Banque d'Angleterre a elle-même utilisé la création monétaire pour soutenir l'économie.
Une politique de change européenne pourrait se fixer pour objectif de maintenir les fluctuations de change dans des limites acceptables.
Le traité (article 219 TFUE) permet au Conseil, statuant soit sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne, soit sur recommandation de cette dernière, de formuler les orientations générales de politique de change vis-à-vis de ces monnaies. Ces orientations générales ne doivent pas affecter l'objectif principal de la politique monétaire européenne, à savoir le maintien de la stabilité des prix. Cette responsabilité pourrait être confiée à la Banque centrale européenne, à laquelle il reviendrait de trouver un bon équilibre entre politique monétaire et politique de change.
Une baisse des taux de change ne produirait pas nécessairement les résultats escomptés. Elle renchérirait le coût des importations en provenance des pays hors zone euro. Elle aurait des résultats contrastés selon les secteurs : favorable à l'industrie, elle serait pénalisante pour les services et la consommation. Elle bénéficierait à certains pays et pas à d'autres.
Une politique de change devrait donc revêtir une certaine prudence et rester dans certaines limites. Elle devrait lisser les mouvements de change sur une courte période et éviter les fluctuations trop importantes.
c) Une Cour des comptes européenne réformée et au rôle mieux affirmé
Enfin, le rôle de la Cour des comptes européenne doit être élargi. En France, la Cour des comptes fait un très bon travail. Ses analyses, souvent percutantes, ont un réel écho même si ses recommandations ne sont pas toujours suivies. Par contraste, la Cour des comptes européenne apparaît beaucoup plus effacée.
Créée en 1975, la Cour des comptes européenne est devenue une institution de l'Union depuis le traité de Maastricht (1992). Pourtant, son travail reste mal connu. Elle n'a pas fait entendre sa voix pendant la phase aigüe de la crise des dettes souveraines. Elle devrait s'affirmer davantage face à la Commission européenne et au Parlement européen.
Il est très regrettable qu'elle n'utilise pas plus son pouvoir de s'autosaisir pour rendre des avis afin de faire des observations sur la qualité de la gestion et des recommandations.
La Cour consacre la majeure partie de son temps et de ses ressources à l'établissement du rapport d'exécution du budget (article 287 TFUE). Elle donne ainsi une déclaration d'assurance au Parlement européen sur la régularité comptable des dépenses et sur leur conformité à la législation européenne. Par ailleurs, elle produit chaque année une vingtaine de rapports spéciaux, à son initiative, sur la performance et la qualité de la gestion. Cette activité mériterait d'être développée.
Une composition à 28 membres n'est pas un facteur d'efficacité. Elle ne peut que susciter une lourdeur de fonctionnement. Une Cour composée de neuf membres pouvant s'appuyer sur des services conséquents (900 personnes dont 150 traducteurs) fonctionnerait probablement de façon plus rationnelle.
Des compétences reconnues et plus homogènes entre les membres faciliteraient aussi un travail en commun et un engagement plus affirmé dans des actions d'évaluation assorties de recommandations. Actuellement, le traité prévoit que les membres sont nommés par le Conseil sur proposition des États membres après consultation du Parlement européen. Ils sont choisis parmi des personnalités appartenant ou ayant appartenu dans leur État respectif aux institutions de contrôle externe ou possédant une qualification particulière pour cette fonction. Ils doivent offrir toutes garanties d'indépendance (article 286 TFUE).
Sur le modèle de ce qui a été prévu pour le recrutement des juges et des avocats généraux à la Cour de justice et du Tribunal, il pourrait être envisagé de mettre en place un comité de sélection qui se prononcerait sur les compétences des candidats à la nomination, en particulier dans le domaine de l'audit.
Article 255 TFUE « Un comité est institué afin de donner un avis sur l'adéquation des candidats à l'exercice des fonctions de juge et d'avocat général de la Cour de justice et du Tribunal avant que les gouvernements des États membres ne procèdent aux nominations conformément aux articles 253 et 254. « Le comité est composé de sept personnalités choisies parmi d'anciens membres de la Cour de justice et du Tribunal, des membres des juridictions nationales suprêmes et des juristes possédant des compétences notoires, dont l'un est proposé par le Parlement européen. Le Conseil adopte une décision établissant les règles de fonctionnement de ce comité, ainsi qu'une décision en désignant les membres. Il statue sur initiative du président de la Cour de justice. » |
Enfin, la compétence de la Cour des comptes européenne devrait être étendue à l'analyse économique et budgétaire des États en relation très étroite avec les Cours des comptes nationales lorsqu'elles existent.
Ainsi consolidée dans sa composition et son mode de fonctionnement, la Cour pourrait jouer un rôle d'analyse et de conseil plus important.
3. Une organisation institutionnelle renforcée et démocratique de la zone euro
a) Une réunion régulière des chefs d'État et de gouvernement
Une zone euro plus intégrée et portant des projets ambitieux doit aussi avoir une organisation institutionnelle renforcée et démocratique.
Cette exigence avait été clairement formulée dans le rapport établi par notre collègue Jean Arthuis en mars 2012, dans le cadre d'une mission que le Premier ministre lui avait confiée 39 ( * ) . Elle a été soulignée dans le rapport final du groupe du futur, élaboré en septembre 2012, par les ministres des affaires étrangères de plusieurs États membres 40 ( * ) . Elle est exprimée dans la contribution franco-allemande pour le renforcement de la compétitivité et de la croissance en Europe du 30 mai 2013, qui a été présentée au Conseil européen de juin 2013.
En premier lieu, comme le traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance (article 12) l'a déjà envisagé, des sommets des chefs d'État et de gouvernement doivent se tenir régulièrement. Le traité prévoit au moins deux réunions par an.
À l'instar du Conseil européen, il serait souhaitable qu'au moins deux réunions se tiennent par semestre, soit quatre réunions annuelles au minimum. Cela permettrait aux sommets des dirigeants de la zone euro de jouer pleinement un rôle d'impulsion pour promouvoir des initiatives ambitieuses.
Les conditions de désignation du président du sommet de la zone euro, prévues par le traité sur la stabilité, la convergence et la gouvernance (TSCG) pourraient être maintenues. Rappelons que le président est désigné à la majorité simple par les chefs d'État ou de gouvernement des parties contractantes dont la monnaie est l'euro lors de l'élection du président du Conseil européen, et pour un mandat de durée identique. Cette formule permet d'assurer une stabilité souhaitable pour veiller à la continuité et à la bonne coordination des travaux. Elle doit aussi favoriser une plus grande visibilité à travers une véritable incarnation de la fonction. Le président de la Commission européenne et le président de la Banque centrale européenne participeront à ces réunions.
Le champ des questions pouvant être abordées devrait nécessairement être élargi. Le TSCG précise que sont discutées les questions ayant trait aux responsabilités spécifiques que partagent les parties contractantes dont la monnaie est l'euro à l'égard de la monnaie unique, les autres questions relatives à la gouvernance de la zone euro et aux règles qui s'appliquent à celle-ci, et les orientations stratégiques relatives à la conduite des politiques économiques pour renforcer la convergence au sein de la zone euro. Devraient désormais pouvoir être discutées toutes les questions portant sur les initiatives que les États de la zone euro souhaiteraient conduire soit ensemble, soit dans le cadre de coopérations renforcées.
b) Un rôle renforcé pour l'Eurogroupe
L'Eurogroupe, réunion des ministres, devra lui-même jouer un rôle essentiel pour traduire concrètement les impulsions données par les sommets de chefs d'État et de gouvernement. Comme l'ont déjà suggéré la France et l'Allemagne, il devra être doté d'une présidence permanente.
Actuellement, le Protocole n° 14 (article 2) prévoit que les ministres des États membres de la zone euro élisent à la majorité un président pour deux ans et demi. L'Eurogroupe est présidé par M. Jeroen Dijsselbloem, ministre des finances des Pays-Bas. À l'avenir, cette fonction devrait être exercée à plein temps.
Comme le précise déjà le Protocole, la Commission participe aux réunions. La Banque centrale européenne est invitée à y prendre part. Comme pour le sommet des chefs d'État et de gouvernement, le champ des questions devra être élargi. Le Protocole (article premier) précise que les discussions portent sur les questions liées aux responsabilités spécifiques que les États partagent en matière de monnaie unique. Les réunions sont préparées par les représentants des ministres chargés des finances des États membres dont la monnaie est l'euro et de la Commission. L'Eurogroupe devrait pouvoir aborder toutes les questions faisant l'objet d'initiatives communes. Selon les thèmes, les réunions seraient préparées par des ministères différents. La contribution franco-allemande du 30 mai 2013 esquisse cette solution en prévoyant la possibilité pour le sommet de la zone euro de mandater d'autres ministres de la zone euro, par exemple les ministres de l'emploi et des affaires sociales, de la recherche ou de l'industrie.
Il pourrait être intéressant de créer un lien entre l'Eurogroupe et la Commission européenne, qui devrait pouvoir jouer pleinement son droit d'initiative. À cette fin, le président de l'Eurogroupe pourrait être, parallèlement - en s'inspirant du modèle du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité -, vice-président de la Commission en charge des affaires économiques et monétaires et aussi vice-président du Conseil. S'appuyant tantôt sur les travaux de l'Eurogroupe, tantôt sur ceux du Comité économique et financier (pour les sujets concernant tous les États membres), il disposerait d'un secrétariat général du Trésor de la zone euro. Il assurerait la représentation externe de la zone euro. Soumis au contrôle du Parlement européen, il serait aussi l'interlocuteur naturel des parlements nationaux, en particulier au sein de la conférence mise en place par l'article 13 du TSCG. Ce statut et ces missions en ferait une sorte de ministre des finances européen 41 ( * ) .
c) Un contrôle démocratique indispensable
Le contrôle démocratique de cette zone euro plus intégrée est un enjeu essentiel. Le TSCG (article 13) a prévu que le Parlement européen et les parlements nationaux des parties contractantes définissent ensemble l'organisation et la promotion d'une conférence réunissant les représentants des commissions concernées du Parlement européen et des parlements nationaux. L'objet de cette conférence est de de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions régies par le traité.
La Conférence de « l'article 13 » s'est réunie à Vilnius les 13 et 14 octobre 2013. Les conclusions de la présidence estiment qu'elle « deviendra un important forum parlementaire de discussions et d'échanges d'idées, d'informations et de meilleures pratiques sur la gouvernance économique et financière dans l'UE, et en particulier au sein de l'Union économique et monétaire ». Elles invitent la Commission européenne « à donner suite à son engagement de développer un dialogue politique régulier avec les parlements nationaux dans le cadre du semestre européen, au rythme de deux fois par an ». La Conférence interparlementaire serait, selon ces conclusions, « la plateforme idéale pour un tel dialogue ».
La Conférence doit se réunir deux fois par an, en coordination avec le cycle du Semestre européen. Après celle de Vilnius en octobre 2013, une deuxième réunion s'est tenue à Bruxelles du 20 au 22 janvier 2014.
Cette Conférence présente effectivement un grand intérêt pour renforcer l'association des parlements nationaux aux décisions prises au niveau européen concernant les politiques budgétaires. Mais sa composition inclut l'ensemble des États signataires, soit sept États qui ne sont pas membres de la zone euro. Il conviendrait, en conséquence, de permettre aux parlementaires issus des États dotés de l'euro de se réunir dans une formation ad hoc pour aborder les questions qui intéressent la zone euro spécifiquement. Dans ce cadre, ils devraient pouvoir procéder à des auditions, adopter des rapports d'initiative, émettre des avis ou des résolutions. Ils devraient aussi être consultés préalablement à des nominations qui concernent la zone euro.
Dès lors que l'on doterait la zone euro de la capacité de lancer des projets sortant du strict champ des problématiques économiques et budgétaires, la question démocratique devrait être posée de façon plus approfondie. C'est bien une représentation parlementaire spécifique qui devrait être envisagée. La solution la plus simple et opérationnelle serait de prévoir la réunion du Parlement européen dans une formation à dix-huit, c'est-à-dire réduite aux parlementaires issus des États membres de la zone euro. C'est aussi la solution envisagée par la contribution franco-allemande précitée. Il y aurait ainsi une analogie de la représentation parlementaire avec l'organisation de l'exécutif : le sommet des chefs d'État et de gouvernement est une sous-formation du Conseil européen ; l'Eurogroupe est une sous-formation du Conseil Ecofin 42 ( * ) .
Cette architecture parlementaire devrait aussi intégrer les parlements nationaux à travers la Représentation permanente dont votre rapporteur a proposé la création. Son format devrait alors être réduit aux représentants des États membres de la zone euro.
Dans tous les cas, ces instances devraient être dotées d'une capacité politique autonome.
4. Une simplification des ratifications
Il est également nécessaire d'accélérer et de simplifier la ratification des traités. Il faut d'abord négocier le texte à 28, c'est-à-dire le réduire à son plus petit commun dénominateur après plusieurs mois de négociations, et ensuite le faire ratifier par les 41 assemblées que comptent les 28 États de l'Union européenne !
Les règles de modification des constitutions fédérales laissent une place importante à la représentation des États fédérés, étant donné l'exigence d'adopter une loi :
- aux 3/5 e des membres de chacune des Chambres au Brésil ;
- aux 2/3 du Bundestag et aux 2/3 du Bundesrat en Allemagne, la révision ne pouvant porter atteinte ni à l'organisation de la fédération en Länder, ni au principe de la participation des Länder à la législation ;
- aux 2/3 des présents et votants de chaque Chambre en Inde à laquelle s'ajoute la ratification de la moitié des États si le projet concerne l'élection du président fédéral, l'étendue du pouvoir législatif ou la répartition des compétences entre l'Union et les États ;
- aux 2/3 des présents des deux Chambres du Congrès général et à la majorité des législatures des États fédérés au Mexique ;
- et, enfin, par les 3/4 des législatures des États aux États-Unis.
Ces différents modèles mettent en évidence que la décision sur la révision peut être directement prise par les Chambres à une majorité qualifiée, même si ce n'est pas la règle générale. S'inspirant de ces modèles, ne pourrait-on pas, lorsqu'une ratification est nécessaire, faire désigner pour la circonstance, par chaque assemblée des pays de l'Union et par le Parlement européen, des représentants choisis en leur sein qui seraient, pour cette seule circonstance, érigés en « SÉNAT » et qui auraient en charge une ratification collective ?
CONCLUSION
« La difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles,
mais d'échapper aux idées anciennes. »
John Maynard KEYNES
« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. »
Proverbe Touareg
Après deux terribles guerres mondiales qui ont ensanglanté notre continent, occasionné tant de morts et créé tant de souffrances, la courageuse et géniale inspiration des Pères fondateurs a permis d'établir la PAIX en Europe.
À travers bien des crises et parfois des échecs tel celui de la Communauté européenne de défense (CED), l'Europe s'est fortifiée et agrandie dans une ambiance de très large consensus. Elle a démontré au monde qu'après l'impérialisme, par lequel un peuple en domine d'autres, après le nationalisme qui conduit inévitablement à l'affrontement, il était possible d'inventer une autre forme de relation entre les peuples : la COMMUNAUTÉ, fondée sur la libre adhésion, le respect de chaque État, la démocratie et la solidarité. La réussite du couple franco-allemand avec DE GAULLE et ADENAUER, GISCARD D'ESTAING ET SCHMIDT, MITTERRAND et KHOL, ainsi que l'action des « pères continuateurs » tels que Jacques DELORS, ont pu laisser croire que l'avenir de la construction européenne était définitivement assuré. C'était oublier qu'au plus profond de la nature des peuples le Bien et le Mal ne cessent de cohabiter, que la tension entre le Passé et l'Avenir ne cesse d'exister.
À la faveur d'une crise financière, économique, sociale et morale de grande ampleur, nous assistons à la renaissance du nationalisme, du populisme et du séparatisme qui vont jusqu'à rendre silencieux ou prudents ceux-là même qui, il n'y a pas si longtemps, s'affichaient comme d'authentiques Européens, tandis qu'à l'extérieur, en Ukraine, des peuples manifestent pour conserver une chance de rejoindre un jour notre Union européenne... Cent ans après le déclenchement de la Première guerre mondiale, notre continent est à nouveau à l'heure du choix.
Face à la mondialisation, face aux pays émergents, en passe de devenir submergents, le choix est clair : il s'agit de savoir si nous avons encore l'intention d'être un des principaux acteurs de la scène internationale et de participer à l'élaboration du destin de la planète ou si, fatigués, désabusés et impuissants, nous nous replions sur chacune de nos nations ou de nos provinces. Nous laisserions ainsi libre cours à la démagogie populiste et abandonnerions progressivement à d'autres ce qui nous reste d'un glorieux passé, et surtout toutes les espérances dont nous sommes capables. Nous prendrions alors le risque de réveiller les affreux démons qui nous ont déjà conduits à deux guerres mondiales. Car ne l'oublions jamais : l'histoire et ce qui se passe aujourd'hui dans d'autres parties du monde nous le montrent, la paix et la stabilité ne sont jamais définitivement assurées. Elles doivent être en permanence consolidées.
Sur le plan intérieur, le modèle de société que nous avons patiemment construit et qui, quoi qu'on en dise, est le meilleur du monde, fondé sur la liberté, la démocratie, le progrès et la solidarité, serait très difficile à maintenir.
Si nous voulons relever ce défi, l'Europe doit devenir un PROJET DE CIVILISATION , servi par une PUISSANCE , organisée sur le mode du FÉDÉRALISME DÉCENTRALISÉ, et constituant une COMMUNAUTÉ DE NATIONS .
Il faut unir sans asservir, harmoniser sans uniformiser.
De même que les provinces ont fait la France, les États feront l'Europe mais sans défaire les Nations.
Mais il est clair que cette ambition ne pourra être partagée par toutes les nations européennes ; l'histoire et la culture politique de certains pays, comme par exemple le Royaume-Uni, ne leur permettent pas d'embrasser une telle perspective. Il ne faut pas en faire un drame, il suffit de bâtir une nouvelle architecture de l'Europe et réviser la nature des relations entre ceux qui veulent avancer vers une « Europe puissance » à pouvoir intégré, décentralisé certes, mais à visée fédérale, et ceux qui sont plus à l'aise dans une « Europe espace » refusant toute idée d'intégration et qui se contentent du marché unique, d'un mode de relations intergouvernemental, voire d'une diplomatie classique, au demeurant quelque peu dépendante des États-Unis. Ainsi s'esquisserait UNE Europe différenciée à plusieurs étages ou plusieurs cercles que votre rapporteur a proposée dès 1983 43 ( * ) .
Pour assurer cette clarification et cette mutation, nous devons retrouver le chemin du volontarisme politique. L'Europe attend un souffle nouveau. C'est bien d'un saut qualitatif dont elle a besoin. Elle doit à nouveau offrir des perspectives à long terme et faire rêver. Ses dirigeants doivent proposer un PROJET, une vision stratégique et prospective qui dessine ce que notre continent devra être dans trente ou cinquante ans. Ils doivent rompre avec la politique à court terme et au fil de l'eau, avec les égoïsmes nationaux qui mettent en cause l'intérêt commun. Ils doivent retrouver la confiance mutuelle sans laquelle rien n'est possible.
L'approfondissement doit être la priorité. Le couple franco-allemand doit retrouver son rôle d'impulsion. L'intégration renforcée doit associer les États membres qui ont la volonté de construire une « Europe puissance ». La zone euro doit en être le centre de gravité. Elle constitue - sans exclusive - le cadre approprié à travers le développement de coopérations renforcées qui permettent de tisser des « solidarités de fait ». Des institutions renouvelées, plus démocratiques, plus visibles et plus efficaces, permettront à ce projet européen refondé d'ouvrir une nouvelle ère de son édification.
Cette ambition retrouvée doit permettre de construire une Europe compétitive, une Europe de la croissance et de l'emploi, respectueuse des grands équilibres naturels, proche des citoyens, capable de relever les défis de la réindustrialisation et de l'ère du numérique. Elle suppose des efforts de tous mais aussi de la solidarité et de la cohésion sociale. Elle implique de recentrer l'Union européenne sur ses missions essentielles en faisant vivre le principe de subsidiarité, en remédiant à l'inflation normative qui lui a fait tant de mal. Elle doit se garder d'une « Europe à la carte » où chacun ne prendrait que ce qui l'intéresse et qui conduirait à une organisation kaléidoscopique ingérable et inefficace.
Cette Europe renforcée sera ainsi capable de rayonner dans le monde à qui elle proposera, sans les imposer, ses valeurs et son modèle de société.
Après le renouvellement du Parlement européen et de la Commission européenne, le moment sera venu d'éclairer l'avenir et de proposer aux peuples d'Europe un PROJET qui leur redonnera espoir.
Il conviendra également de ne pas oublier que le choix des femmes et des hommes en charge des plus hautes responsabilités européennes est essentiel.
Si les chefs d'État et de gouvernements croient sincèrement à l'avenir de l'Europe, ils ne doivent plus craindre de désigner pour la présidence du Conseil et pour celle de la Commission, ainsi que pour le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères, des personnalités expérimentées qui croient à l'avenir d'une Europe forte et pourvues d'un tempérament et d'une vision d'Homme ou de Femme d'État.
En formulant 24 propositions soumises à discussion et dont nous sommes bien conscients qu'elles ne pourraient s'inscrire que progressivement dans la réalité, nous espérons contribuer à ce nouvel élan.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le mercredi 22 janvier 2014 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Pierre Bernard-Reymond, le débat suivant s'est engagé :
M. Simon Sutour, président . - Je remercie le rapporteur pour l'important travail qu'il a accompli et je salue sa force de conviction européenne. Nous aurons aujourd'hui un débat général. Le rapport sera ensuite adopté au cours d'une prochaine réunion. Pour ma part, je partage très largement les propositions qui sont faites, même si leur mise en oeuvre prendra du temps. Mais c'est le rôle de notre commission de faire des propositions qui contribuent à faire avancer la construction européenne. Je citerai un proverbe chinois : « Quand l'arbre est tordu d'un côté, si tu veux qu'il soit droit, tords-le de l'autre côté » . Le tout est de ne pas le casser !
M. Aymeri de Montesquiou . - Je salue aussi la qualité du rapport et l'enthousiasme européen de notre rapporteur. Sans cet enthousiasme, on ne peut rien construire. L'Union européenne a de gros atouts. Elle est notamment le premier marché mondial. Mais il faut tordre le cou à certains dogmes. En particulier, l'élargissement n'est pas inéluctable. C'est au contraire l'approfondissement qui est prioritaire.
La subsidiarité me paraît constituer un enjeu majeur. Elle constitue la contrepartie du fédéralisme en permettant aux citoyens de se sentir à l'aise dans l'Union européenne. Elle est un facteur de cohésion.
L'évolution fédérale est obligatoire afin de permettre à l'Europe d'exister dans le concert mondial et de peser sur des mutations qui auront une incidence sur les niveaux de vie des citoyens européens. La langue est aussi un facteur essentiel, l'absence de langue commune constituant une fragilité.
La construction d'une défense européenne serait un facteur de cohésion. Elle est indispensable au moment où les États-Unis redéployent leurs forces vers le sud-est asiatique. Malheureusement, beaucoup d'États d'Europe centrale et orientale n'ont pas suffisamment la motivation européenne indispensable pour avancer dans ce domaine.
Il y a une responsabilité collective au sentiment de déception que l'on observe dans l'opinion publique à l'égard de l'Europe. L'euro reste un instrument essentiel mais on a trompé les citoyens sur son impact réel. Il faut éviter les promesses anticipées qui ne sont ensuite pas tenues.
M. Jean Bizet . - Le rapport me paraît excellent et présenté avec une passion de bon aloi. Le triple défi - construction de la paix, réunification et mondialisation - me paraît bien résumer la réalité. Je serai moins critique sur la méthode intergouvernementale qui a permis en particulier de prendre les décisions nécessaires après la faillite de la banque Lehman Brothers alors que la Commission européenne brillait par son absence. Il ne faut donc pas opposer la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale qui sont en réalité complémentaires. Mais il est vrai que l'union bancaire et l'approfondissement de l'union économique et monétaire devraient permettre de réduire la place de l'intergouvernemental.
Je déplore également l'inflation normative. Je prendrai l'exemple des règles « Bâle II » et « Bâle III ». Les États-Unis ont indiqué que seule une minorité de leurs banques serait concernée par ces nouvelles règles. De plus, les entreprises américaines se financent avant tout sur les marchés alors que les entreprises européennes font appel aux banques, l'effet de la réglementation n'est donc pas le même.
Il faut craindre le risque d'une désarticulation structurelle de l'Union européenne qui conduirait à une fracture entre le Nord et le Sud de l'Europe. L'idée d'un noyau dur et de coopérations renforcées peut apporter une réponse efficace.
Je rappelle que la Banque centrale européenne a sauvé l'euro. Nous devons remercier son président Mario Draghi dont la voix porte. L'impact de son annonce sur le fait que la Banque centrale procèderait aux achats nécessaires de dettes souveraines en est une illustration. Il me semble néanmoins qu'un peu d'inflation faciliterait le remboursement de ces dettes.
Il est urgent de construire l'Europe politique à la suite de l'union économique et monétaire. Le couple franco-allemand doit jouer un rôle essentiel. Un nouveau contexte a émergé avec l'accord de grande coalition en Allemagne. La parole de la France est attendue. Or, elle ne s'exprime pas beaucoup aujourd'hui. L'Allemagne elle-même, déjà en position de force en raison de sa bonne santé économique, peut difficilement prendre une initiative politique qui pourrait être perçue par ses partenaires comme une volonté d'hégémonie. La France doit donc retrouver un rôle moteur.
Je souligne que les politiques financées par le budget fédéral américain ne sont pas les mêmes que celles qui sont soutenues par le budget européen. Les comparaisons sont donc difficiles. Je terminerai en soulignant que la construction d'une Europe de l'énergie est aussi un enjeu essentiel.
M. Pierre Bernard-Reymond . - Si l'on passait à un budget européen représentant 2 % du PIB, ce serait déjà un progrès considérable !
M. Richard Yung . - Je remercie le rapporteur de nous donner l'occasion de ce débat qui est trop rare. Aujourd'hui, « on rase les murs », on n'ose pas parler de l'Europe. Le désamour à l'égard de celle-ci naît d'un manque de valeurs. Or, y a-t-il une entreprise plus belle et plus noble que celle qui consiste à unir des vieilles nations qui se sont longtemps combattues ? Beaucoup d'autres régions du monde qui n'arrivent pas à cette union nous observent avec intérêt.
Il faut construire l'« Europe puissance », sinon les États européens seront marginalisés et ne pourront plus peser dans les affaires du monde. Nous faisons preuve de trop de timidité ou de naïveté à l'égard des États qui n'ont pas de véritable engagement européen. On trouve cette situation normale et l'on reste sans réagir. Or, il est possible d'avoir des liens étroits avec le Royaume-Uni tout en considérant que ce pays ne doit pas nécessairement rester dans l'Union européenne. Certaines situations sont inacceptables. Je prends l'exemple de l'union bancaire à laquelle le Royaume-Uni ne participe pas. Ce qui ne l'empêche pas d'expliquer aux autres États membres comment elle devrait fonctionner !
Le vrai problème est de savoir avec quels États il est possible d'avancer. Je soutiens entièrement les propositions du rapporteur, mais comment les mettre en oeuvre ? Qui est prêt à changer les traités et les institutions ? Quelle voie politique suivre ? Comment renforcer le contrôle démocratique ?
M. Yannick Botrel . - Le rapport est passionnant. C'est le moment de clarifier et de faire preuve d'ambition. Le citoyen doit être la priorité car c'est lui qui est aujourd'hui en plein doute. Les institutions sont complexes, lointaines et peu lisibles. L'utilité même de l'Union européenne est discutée.
Nous devons prendre garde aux distorsions économiques. L'opinion publique se prononce sur des cas précis, comme l'a montré la situation en Bretagne. L'industrie agro-alimentaire connaît des difficultés. Or, il y a une incompréhension face à des acteurs économiques qui n'appliquent pas des règles du jeu proches dans un espace qui est pourtant commun.
L'euro devrait protéger, or il n'y a pas de véritable gouvernance active comme dans les autres parties du monde. Cela donne l'image d'une naïveté européenne, d'une Europe qui se laisse faire par d'autres puissances. Il faut aussi corriger les distorsions sociales.
Une clarification est indispensable sur la position du Royaume-Uni. On doit être dedans ou dehors !
Pendant la période de crise, on a laissé critiquer l'Union européenne sans réagir. Or, ce n'est pas elle qui a falsifié les comptes de la Grèce !
L'Europe est perçue comme trop technocratique. La Commission apparaît hors contrôle. Il faut renforcer les pouvoirs du Parlement européen et des parlements nationaux et répondre aux questions citoyennes en mettant un terme aux ambiguïtés.
M. André Gattolin . - En tant que fédéraliste européen, je me reconnais dans les analyses du rapporteur et le félicite pour son travail. L'architecture institutionnelle de l'Union est baroque. Elle est le fruit de décisions successives. En réalité, il n'existe pas de modèle fédéral pur. Mais le fédéralisme permet de garantir la subsidiarité.
L'Union européenne constitue un grand marché mais sans avoir la force économique et industrielle. Les investissements des puissances extérieures sur ce marché sont très importants. L'Union européenne est très naïve sur la protection de ses frontières économiques.
Le Parlement européen assure une légitimité électorale pour l'ensemble des États membres. Si des politiques étaient mises en oeuvre par un petit nombre d'États membres dans le cadre des coopérations renforcées, elles seraient sous le contrôle de parlementaires représentant des États qui ne participent pas à ces politiques. La Commission doit émaner de la légitimité donnée par le Parlement européen. Les parlements nationaux jouent un rôle très important pour garantir l'engagement européen des États membres.
Je partage l'objectif de favoriser une meilleure identification de l'Europe par les citoyens, ce que permettrait l'ensemble des propositions faites par le rapporteur, qui pourraient être regroupées. Comme je l'avais souligné dans un précédent rapport, les conditions d'accès à la citoyenneté européenne doivent être unifiées. Le cas de Malte, qui vend l'accès à sa nationalité, est inacceptable !
Mme Catherine Morin-Desailly . - Je partage les analyses du rapporteur et celles exprimées par mes collègues au cours du débat. Je souscris en particulier à l'idée que l'Europe doit être un « projet de civilisation servi par une puissance ». Elle doit avoir la capacité de fonctionner comme une puissance.
Je suis rapporteure de la mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet ». La révolution numérique a un impact majeur. Elle redéfinit les espaces et entraîne des pertes de souveraineté dans de nombreux domaines, comme celui de la protection des données ou la fiscalité avec le développement du dumping fiscal. Cet enjeu doit être pris en compte dans le rapport. Comme l'a souligné Mario Monti, on construit le marché unique du numérique au profit des consommateurs, mais pas du tout dans l'intérêt des producteurs européens.
L'Union européenne porte des valeurs qui figurent dans la Charte des droits fondamentaux. Elle doit défendre sa vision de la société en se donnant les moyens de maîtriser sa souveraineté.
M. Simon Sutour, président . - Je veux à nouveau souligner la qualité du rapport et du débat. Je demanderai à la Conférence des présidents qu'un débat de contrôle sur ce thème puisse être organisé en séance publique au mois d'avril.
M. Pierre Bernard-Reymond . - Je remercie nos collègues pour leurs analyses que je prendrai en compte dans le rapport final.
L'Europe de la défense me paraît devoir être construite dans le cadre du troisième cercle de l'« Europe espace », dans la mesure où la participation du Royaume-Uni est indispensable.
Le bon fonctionnement des institutions est certes en cause, mais beaucoup dépend également de l'engagement des responsables politiques. La France doit annoncer sa position de façon claire, précise et audacieuse. La prudence ne peut qu'alimenter le populisme.
Je précise que le deuxième cercle que j'envisage pourrait être constitué à partir d'un « appel d'offre fédéral » au sein de la zone euro.
Il faut renforcer la démocratie européenne. C'est pourquoi le président du Conseil européen doit être élu par tous les parlementaires nationaux et les parlementaires européens, et le président de la Commission doit être élu par le Parlement européen. Je propose par ailleurs de conserver le nombre de commissaires mais d'établir une hiérarchie entre eux en fonction de l'importance des responsabilités exercées. Il y aurait ainsi des hauts commissaires, des commissaires et des commissaires-délégués.
J'intègrerai dans le rapport l'importance de la recherche et des industries du numérique qui sont, en effet, un enjeu de souveraineté pour l'Europe.
ANNEXE - LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
À Paris :
- M. Yves BERTONCINI, directeur - Notre Europe
- M. Michel CRETIN, ancien membre de la Cour des comptes européenne
- M. Jean-Dominique GIULIANI, président - Fondation Robert Schuman
- M. Serge GUILLON, secrétaire général des affaires européennes
- M. Philippe HERZOG, président fondateur - Cercle de réflexion « Confrontations Europe »
- S. Exc. M. Giandomenico MAGLIANO, ambassadeur, et M. Francesco LEONE, conseiller - Ambassade d'Italie en France
- S. Exc. M. Tomasz ORLOWSKI, Ambassadeur, et M. Patryk B£ASZCZAK, Premier secrétaire (service politique) - Ambassade de Pologne en France
- S. Exc. Sir Peter RICKETTS, ambassadeur, et Mlle Olivia BERNARD, attachée aux affaires européennes - Ambassade du Royaume-Uni en France
- M. Jean-Louis SCHROEDT-GIRARD, directeur, et M. Jean-Marc TICCHI, conseiller - Division de législation comparée au Sénat
- Mme Imola STREHO, chercheure associée au Centre d'études européennes de Sciences Po
- S. Exc. Mme Susanne WASUM-RAINER, ambassadeur d'Allemagne en France
À Bruxelles :
- M. Michel BARNIER, commissaire européen en charge du Marché intérieur et des services
- M. Quentin DICKINSON, journaliste, directeur de Radio France International
- M. Philippe ÉTIENNE, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne
- Mme Sylvie GOULARD, députée européenne
- M. Didier SEEUWS, chef de cabinet de M. Herman VAN ROMPUY, président du Conseil européen
- M. Maros SEFCOVIC, vice-président de la Commission européenne en charge des relations interinstitutionnelles et de l'administration
- M. Klaus WELLE, secrétaire général du Parlement européen
* 1 Rapport de MM. Simon Sutour et Jean Bizet : « L'Union européenne et la Russie après Vilnius » n° 237 (2013-2014) du 17 décembre 2013
* 2 Compte rendu disponible en ligne sur la page Europe du site du Sénat.
* 3 Ce règlement, entré en vigueur le 31 mars 2012, avait prévu un délai de deux ans pour permettre aux acteurs du marché d'adapter leurs systèmes de paiement aux exigences du SEPA. Toutefois, face au retard constaté dans la migration vers le SEPA, le délai a été prolongé jusqu'au 1 er août 2014.
* 4 Séance du 28 mars 2013.
* 5 Rapport Schuman sur l'Europe, l'état de l'Union en 2013, éd. Lignes de repères 2013.
* 6 M. Dominique Reynié : Populismes : la pente fatale, Plon, 2011.
* 7 Rapport d'information n° 762 (2012-2013) de M. Jean Bizet : « Renforcer le couple franco-allemand ».
* 8 « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française », Rapport au Premier ministre, 5 novembre 2012.
* 9 « Der Spiegel » du 3 juin 2013.
* 10 Rapport d'information n° 385 (2011-2012) de M. Pierre Bernard-Reymond : « Les ressources propres : un nouveau test de la capacité de l'Union européenne à se réinventer ».
* 11 Communication du 6 novembre 2012 (compte rendu disponible en ligne sur la page Europe du site du Sénat).
* 12 Discours à l'université Humboldt de Berlin, 9 mai 2011.
* 13 Discours du 9 mai 2011 précité.
* 14 Rapport d'information n° 443 (2012-2013) de Mme Catherine Morin-Desailly : « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? »
* 15 Rapport d'information précité de Mme Catherine Morin-Desailly.
* 16 Cette mission est présidée par notre collègue Gaëtan Gorce. Sa rapporteure est notre collègue Catherine Morin-Desailly.
* 17 Étude de législation comparée du Sénat n° 242 (mars 2014), réalisée à la demande de votre rapporteur : « L'organisation des États fédéraux : démocratie, répartition des compétences, État de droit et efficacité de l'action publique ».
* 18 Selon le rapport, il s'agit non seulement de la politique de concurrence mais aussi, entre autres, de la politique industrielle, des politiques des consommateurs, de l'énergie et des transports, des politiques numérique, sociale et environnementale, de la politique de lutte contre le changement climatique, des politiques commerciale, fiscale et régionale, ainsi que des politiques qui semblent plus éloignées des aspects économiques, telles que celles de justice et de citoyenneté.
* 19 Rapport d'information n° 729 (2012-2013) de M. Dominique Bailly : « La génération perdue ? L'Union européenne face au chômage des jeunes ».
* 20 Rapport d'information n° 527 (2012-2013) de M. Éric Bocquet : « Le travailleur détaché : un salarié low cost ? Les normes européennes en matière de détachement des travailleurs » et résolution européenne du Sénat du 16 octobre 2013.
* 21 Proposition de résolution n° 259 (2013-2014) de M. Dominique Bailly, déposée au Sénat le 30 décembre 2013, devenue résolution européenne du Sénat le 4 février 2014.
* 22 Étude de législation comparée précitée.
* 23 La Chambre des Lords a néanmoins rejeté ce texte le 31 janvier 2014.
* 24 La reprise de l'acquis communautaire est d'ailleurs une exigence essentielle dans le cadre des négociations avec les pays candidats à l'adhésion.
* 25 Rapport d'information n° 237 (2008-2009) de M. Pierre Fauchon : « Les coopérations spécialisées : une voie de progrès de la construction européenne ».
* 26 Le Royaume-Uni et la République tchèque n'ont pas signé le traité. La Croatie, 28 e État membre, a adhéré postérieurement à sa signature (1 er juillet 2013).
* 27 Etude de législation comparée précitée.
* 28 Discours prononcé le 12 mai 2000 à l'Université Humboldt de Berlin, M. Joschka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères
* 29 Rapport du groupe parlementaire CDU/CSU du Bundestag sur l'avenir de l'unification européenne, 1 er septembre 1994.
* 30 Rapport d'information précité.
* 31 M. Jacques Delors : « Repenser l'UEM et « repositiver » la grande Europe », Notre Europe - Institut Jacques Delors, tribune du 28 juin 2013.
* 32 Rapport d'information n° 713 (2012-2013) de MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier, André Vallini et Xavier Pintat : « Pour en finir avec " l'Europe de la défense " - Vers une défense européenne ».
* 33 Étude de législation comparée précitée.
* 34 Devenue résolution européenne du Sénat le 4 février 2014.
* 35 Les « clauses passerelles » ont été prévues par le traité de Lisbonne qui permet de modifier les traités sans qu'il soit nécessaire de procéder à une ratification parlementaire dans deux cas : dans le cadre des politiques communes, le Conseil européen statuant à l'unanimité après approbation du Parlement européen, autorise le passage au vote à la majorité qualifiée (sauf dans le cas des décisions ayant des implications militaires ou relevant du domaine de la défense) ; de même, lorsqu'une procédure législative spéciale est prévue (cas où le Parlement européen n'a pas le pouvoir de codécision), le Conseil européen statuant à l'unanimité après approbation du Parlement européen peut décider que la procédure législative ordinaire impliquant la codécision s'appliquera. Le recours à une clause passerelle est notifié aux parlements nationaux. La décision ne peut entrer en vigueur que si aucun parlement national n'a fait connaître son opposition dans un délai de six mois.
* 36 Qui a résulté de la dissolution de cette organisation intergouvernementale en 2011.
* 37 Rapport d'information n° 385 (2011-2012) de M Pierre Bernard-Reymond : « Les ressources propres : un nouveau test de la capacité de l'Union européenne à se réinventer ».
* 38 Ce groupe de haut niveau est présidé par M. Mario Monti, ancien président du Conseil italien et ex-commissaire européen.
* 39 M. Jean Arthuis : « Avenir de la zone euro : l'intégration politique ou le chaos », mars 2012.
* 40 Autriche, Belgique, Danemark, France, Italie, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal et Espagne.
* 41 M. Thierry Chopin : L'« Union politique » : du slogan à la réalité, Fondation Robert Schuman, Question d'Europe n° 280, 27 mai 2013.
* 42 La création d'une sous-commission zone euro après les élections européennes de mai 2014 a été suggérée, en janvier, par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.
* 43 « Le Monde » - 13 décembre 1983