EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 12 février 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, vice-présidente, puis de M. Philippe Marini, président, la commission a entendu une communication de MM. Yves Krattinger et François Trucy, rapporteurs, sur le service historique de la défense.
Mme Michèle André , présidente . - Nous allons entendre une communication de nos collègues Yves Krattinger et François Trucy sur le service historique de la défense. Ce contrôle a été engagé alors que François Trucy était encore rapporteur spécial de la mission « Défense ». Conformément à son souhait, Dominique de Legge lui a succédé dans cette responsabilité. Notre collègue François Trucy a cependant souhaité mener cette mission de contrôle à bien et nous l'en remercions, ainsi que pour tout ce qu'il a fait pour la commission depuis bien longtemps. Je le remercie particulièrement d'avoir fait de moi son héritière pour les jeux en ligne.
M. François Trucy , rapporteur . - Si, en principe, les archives de l'État sont conservées par les Archives nationales, la loi a créé une exception pour deux ministères : le Quai d'Orsay, avec les Archives diplomatiques, et la Défense, avec le service historique de la défense, qui est l'objet du contrôle que nous allons vous présenter.
Je précise d'entrée de jeu que nous sommes largement en retard pour produire devant vous ce rapport, qui était prévu au programme de l'année 2013.
Yves Krattinger et moi avons cependant des excuses exceptionnelles à ce retard. En 2013, ce service a vu exploser le binôme qui le dirigeait, formé d'un général et d'un cadre supérieur du ministère de la culture, et ce pour des raisons tout aussi inacceptables les unes que les autres.
Il nous aura fallu attendre longtemps la nomination d'un autre général et le temps qu'il lui fallait pour prendre en main sa direction.
Je suis personnellement très intéressé et très admiratif des services d'archives, qu'elles soient nationales ou locales, car elles sont le support de notre grande Histoire et de nos petites histoires, qui ont tant d'intérêt.
J'espère que ce contrôle vous permettra, à votre tour, de prendre la mesure de l'étendue des missions du service historique de la défense, de la variété et de la difficulté de ses tâches. Contrairement à une idée reçue, qui juge que le service historique de la défense n'a rien d'autre à faire que de stocker, entretenir et exploiter les archives les plus anciennes et les plus vénérables, le service historique de la défense vit dans l'actuel, reçoit, à longueur d'années, des masses énormes de données qu'on lui demande d'identifier, classer, stocker et qui proviennent d'une multitude de sites : bases de défense, unités, bâtiments de la Marine nationale, bases aériennes, écoles... À Pau, où vivent les archives de tout l'historique de tous les militaires, de toutes les époques, le service effectue un travail essentiel pour les intérêts de ces militaires.
Vous apprendrez aussi que la poussière, les moisissures et l'humidité sont les pires ennemis des manuscrits et des archives.
Créé le 1 er janvier 2005, le service historique de la défense est un service à compétence nationale, rattaché à la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), l'une des directions du secrétariat général pour l'administration (SGA) du ministère de la défense. Il est le résultat de la fusion des quatre services historiques de l'armée de terre, de la marine, de l'air et de la gendarmerie nationale et du dépôt d'archives de la délégation générale pour l'armement (DGA).
Il est constitué d'un échelon de direction, dont les locaux se situent dans le château de Vincennes, et de trois centres :
- le Centre historique des archives (CHA) situé, à titre principal, à Vincennes et disposant d'un réseau territorial formé par les anciennes implantations portuaires du service historique de la marine (Cherbourg, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon). Le site du Blanc, qui recueille les archives de la Gendarmerie antérieures à 2009, lui est également rattaché ;
- le Centre des archives de l'armement et du personnel civil (CAAPC), créé en 1969 sur le site de l'ancienne manufacture d'armes de Châtellerault. Il assure la conservation, la gestion et la communication des archives techniques et administratives relatives aux études, essais et fabrications d'armement, ainsi que les dossiers individuels des personnels civils du ministère de la défense nés après 1870 ;
- le Centre des archives du personnel militaire (CAPM), installé dans la caserne Bernadotte à Pau, détient notamment les archives du service national et a vocation à devenir le guichet unique pour l'accès aux archives du personnel militaire.
La fusion des services historiques des armées est intervenue dans le contexte de réforme du ministère de la défense et participe, plutôt tardivement, du mouvement d'interarmisation qui s'est véritablement enclenché à partir du début des années 1990.
Cette fusion a permis de progressivement réaliser des économies de fonctionnement, ce qui a donné l'occasion au ministère de la défense, dans le cadre de la réduction de ses dépenses dites de soutien, de réduire les moyens alloués au service historique de la défense.
Celui-ci a une autonomie budgétaire réduite. Il ne gère que ses dépenses de fonctionnement, ses dépenses de personnel étant regroupées, depuis le 1 er janvier 2013, sur le budget opérationnel « Ressources humaines » du SGA. Les dépenses d'investissement et informatiques sont prises en charge directement par les entités compétentes du ministère.
Les ressources budgétaires du service historique de la défense inscrites en loi de finances pour 2014 s'élèvent à 4,95 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 4,54 millions d'euros de crédits de paiement (CP).
Les crédits sont en baisse d'environ 10 % sur les trois dernières années, alors même que le service historique de la défense a intégré, en 2012, le CAPM de Pau et donc plus de 100 km linéaires d'archives supplémentaires, des bâtiments et environ 270 personnels.
Au total, l'effectif du service historique de la défense s'élevait, en 2013, à 675 personnes. Hors centre de Pau, ses effectifs ont baissé de plus de 15 % depuis 2005. Les effectifs du CAPM ont eux-mêmes baissé de 21 % entre 2010 et 2013, avec une quasi disparition des postes militaires.
Ces réductions pèsent énormément sur un service qui a de multiples missions, dont certaines souffrent d'un manque de moyens.
Le service historique de la défense, c'est en effet, à la fois : le gardien des traditions et de la symbolique militaire, chargé d'homologuer, de répertorier et de rassembler les emblèmes et insignes ; une bibliothèque regroupant près d'un million d'ouvrages ; un centre de recherche historique ; un centre d'archives, et de manière connexe, un important centre administratif.
En termes de ressources, c'est la fonction archivistique et administrative qui pèse le plus. Le service historique de la défense est chargé des « 4 C » du travail d'un centre d'archives : collecter, classer, conserver, communiquer, autant de tâches qui correspondent à des obligations légales posées par le code du patrimoine. Ses fonds représentent plus de 400 kilomètres linéaires d'archives remontant jusqu'au 17 e siècle. Il faut l'imaginer : mises bout à bout, les archives du service historique de la défense couvriraient presque la distance entre Paris et Lyon. En 2012, ce sont près de 15 kilomètres linéaires d'archives supplémentaires qui ont été collectés et que le service historique de la défense doit trier et classer.
La conservation n'est pas qu'un stockage passif : il convient de mettre en oeuvre des actions préventives et curatives, ainsi que de restaurer les documents dégradés. Il s'agit là d'un des points noirs du service historique de la défense, mais nous y reviendrons.
La communication des documents au public, enfin, est également une obligation légale, limitée seulement par les délais de communicabilité des documents ou leur caractère secret. Outre les nombreuses demandes liées à la généalogie ou à la recherche historique, cette mission de communication comprend un large aspect administratif.
C'est au service historique de la défense que vous vous adressez pour obtenir votre état signalétique et des services.
C'est également le service historique de la défense qui assure la qualification des unités combattantes et des actions de feu ou de combat pour l'établissement des droits des militaires. Pour prendre l'exemple de la marine, cette tâche nécessite des personnels capables de reporter des points de navigation sur une carte et sachant lire des journaux de bord et de navigation.
C'est enfin, mais je pourrais continuer, le service historique de la défense qui produits les certificats nécessaires à l'établissement par l'ONAC-VG des cartes de combattant et des titres de reconnaissance de la Nation.
Sans compter que le service historique de la défense réalise également des recherches pour le ministère et est régulièrement sollicité dans le cadre de procédures judiciaires au titre des archives de la Gendarmerie.
Malheureusement, le service historique de la défense peine à remplir ses missions. Les travaux de qualification des unités combattantes accusent un retard de près de dix ans pour certaines unités. Pour pouvoir répondre aux demandes des administrés, certains sites ont cessé de traiter les archives nouvellement versées, ce qui est très dommageable. La fonction de recherche historique, si elle continue de donner lieu à la publication d'articles, d'ouvrages et de la Revue historique des armées, est largement négligée. La communication d'archives en salle de lecture exige un délai de réservation de trois semaines et est limitée à un quota de cinq documents par jour et par lecteur.
Le diagnostic, pour Yves Krattinger et moi, est assez clair : le service historique de la défense est malade de la dispersion de ses sites et du piteux état de la plupart de ses locaux, notamment de conservation. Cette situation d'inertie historique et de sous-investissement a un coût : celui des rustines que constituent les chauffages installés dans les locaux mal isolés ou les déshumidificateurs qui tournent dans des casemates saturées d'humidité ; celui de la restauration des ouvrages anciens rongés par l'eau ; celui de la désinfection des documents contaminés par les moisissures ; celui du risque pour la santé des personnels qui travaillent dans des locaux dont l'air est rendu irrespirable par ces mêmes moisissures ; celui du transport des documents entre les salles de lecture et des magasins distants parfois de plusieurs kilomètres ; celui du temps passé par les personnels à se battre contre une infrastructure défaillante et des outils obsolètes.
Sans vouloir dramatiser, car tous les fonds du service historique de la défense ne sont pas en péril, il faut souligner que certains m'ont paru réellement menacés par des conditions de conservation déplorables.
Le service historique de la défense est détenteur d'un trésor qu'il faut protéger, mais, plus prosaïquement, il remplit un certain nombre de missions au profit du ministère de la défense et des administrés, à partir de dossiers pas toujours aussi fascinants que des cartes de marine du XVII e siècle.
Ces missions sont néanmoins d'importance. Il s'agit rien moins que de fournir des informations nécessaires à l'établissement de droits sociaux, notamment de retraite, de centaines de milliers d'anciens militaires et de millions de Français ayant effectué leur service militaire.
Mes chers collègues vous savez tout.
J'espère que nous vous avons convaincus de l'importance du service historique de la défense et de l'ardente nécessité de ne pas amputer ses moyens, ni de différer sa modernisation.
Si l'État n'a pas les moyens de maintenir son effort, les crédits de fonctionnement, y compris ceux de la masse salariale, alors il est d'autant plus nécessaire de rechercher, pour le service historique de la défense, une autre distribution de ses sites.
S'agissant de la Marine nationale, il me paraît difficile de maintenir éternellement autre chose qu'un seul site par façade maritime et si, pour la façade méditerranéenne, le Pôle de Toulon s'impose, ne faudra-t-il pas, sur la façade atlantique, rassembler les activités de Brest, Rochefort, Lorient sur un seul pôle ?
S'agissant du site du Château de Vincennes, je forme le voeu que le service historique de la défense puisse, le plus vite possible, bénéficier ailleurs qu'à Vincennes des investissements immobiliers dont ont profité, il y a peu, les Archives nationales et les archives de la Diplomatie française et ce, avec des résultats excellents.
Vincennes est un lieu magnifique, prestigieux mais très difficile à gérer et chaque jour moins adapté aux missions du service historique de la défense. Il est illusoire de vouloir moderniser le site par quelques aménagements locaux. Ce serait du gaspillage et ne ferait que retarder les solutions qui s'imposent.
En conclusion, mes chers collègues, j'adopte, pour en finir, une sorte de raccourci.
Je crois plus que jamais à l'importance de la mission du service historique de la défense et je souhaite, maintenant, que vous puissiez partager ce point de vue. Cette institution a besoin de se moderniser et ses données doivent être mieux accessibles pour les usagers. Ceci est possible à condition que, dans le contexte de restrictions et de recherche d'économies que nous vivons, on lui permette de conserver ses moyens quitte à se montrer plus exigeant sur ses résultats.
M. Yves Krattinger , rapporteur . - François Trucy a parfaitement planté le décor et a déjà bien décrit la situation du service historique de la défense et les difficultés auxquelles il est confronté.
Je vais m'efforcer de synthétiser notre diagnostic et d'exposer les quelques recommandations que nous avons pu établir au terme de nos travaux.
La conservation des archives fait partie des missions essentielles de l'État et conditionne la continuité de la Nation.
En particulier, les archives militaires de la France constituent un bien commun auquel les citoyens doivent avoir largement accès pour inscrire leur histoire familiale et personnelle dans celle de la Nation en armes.
C'est au service historique de la défense qu'incombe la tâche de collecter, classer, conserver et communiquer les archives de la défense et, à partir d'elles, d'écrire l'histoire des armées, de s'assurer que les services rendus au combat par nos soldats leur soient reconnus et d'éclairer les stratégies de notre sécurité nationale.
Malheureusement, dans le grand mouvement de réorganisation, et parfois d'attrition, qu'ont connu nos forces armées depuis la fin de la Guerre froide et le début des restrictions budgétaires, le ministère de la défense semble avoir perdu la vision claire de ce que le service historique de la défense représente, des enjeux qui lui sont attachés, comme des défis que lui adressent les évolutions sociales et technologiques du monde contemporain.
La disproportion est flagrante entre les maigres économies recherchées auprès d'un service déjà paupérisé et les pertes immenses en mémoire et en intelligence qu'occasionnerait un accroissement des défaillances dans la constitution et la préservation des archives de la défense, ainsi que dans l'écriture de l'histoire militaire.
De fait, les conditions de conservation des archives sont, au service historique de la défense, souvent inacceptables. La seule réponse apportée pour l'instant est un saupoudrage d'opérations de mise aux normes, insuffisantes, ou de constructions, limitées et en ordre dispersé.
On consacre des moyens à éviter le naufrage, mais le maintien à flot reste précaire et des voies d'eau, au sens propre comme figuré, apparaissent tous les jours.
Le dévouement et la compétence d'un personnel en nombre insuffisant vient palier, dans des conditions toujours plus difficiles, les manques et les difficultés, au détriment de certaines missions, jugées moins prioritaires.
Une part importante des ressources investies le sont à fonds perdus : la situation n'est pas durable et les « rafistolages » ne font que différer l'échéance.
Je vous rassure, il ne s'agit pas pour nous de réclamer aveuglément plus de moyens pour l'un des multiples services de l'État confrontés aux restrictions budgétaires nécessaires au redressement des finances publiques.
Le service historique de la défense peut remplir ses missions avec ses moyens actuels, voire avec les moyens qui résulteront de la baisse programmée de ses effectifs et de son budget, dès lors qu'il se réorganise et se modernise.
Mais cela implique une mise de départ, sans doute importante par rapport à ce que le ministère de la défense était jusqu'ici disposé à investir dans ce service, mais qui lui permettra rapidement de réaliser de véritables économies, de celles qui ne vous appauvrissent pas à long terme. Cela lui permettra surtout de s'acquitter de ses obligations légales et morales.
Le service historique de la défense ne cesse de subir sa situation : les baisses d'effectif, les restrictions budgétaires, la perte de son autonomie, ses archives qui se dégradent, ses locaux frappés d'insalubrité. Sur la reculade, il pare au plus pressé et consacre ses moyens limités à gérer l'urgence. Il importe de lui redonner des marges de manoeuvre, un avenir, une ambition.
Pour cela, avec mon collègue rapporteur, nous avons défini un plan d'action clair et précis, qui implique une réorganisation et une modernisation à travers une stratégie cohérente.
Premièrement, il faut recentrer le réseau territorial sur les tâches qui nécessitent une proximité avec les unités versantes : la formation des correspondants archives, le conseil, le contrôle scientifique et technique. Ces fonctions sont aujourd'hui embryonnaires mais, correctement effectuées, elles permettraient une collecte à la fois plus exhaustive et plus facile à traiter. Actuellement, certaines unités négligent leurs archives, au détriment de l'établissement des droits des anciens combattants, tandis que d'autres reversent, sans tri ni classement, reportant la charge sur le service historique de la défense, qui ne peut plus l'assumer seul.
Deuxièmement, il faut mettre en adéquation le réseau territorial avec la répartition géographique des forces : les antennes du service historique de la défense sont à l'ouest et une grande partie des forces à l'est.
Troisièmement, il faut diminuer le nombre de sites pour une meilleure mutualisation des moyens et pour une politique d'investissement plus efficace. Le service historique de la défense ne peut plus se permettre de gérer autant de sites, comportant des bâtiments multiples et dispersés. Il ne peut plus maintenir des équipes locales, chargées d'exercer tous les métiers du service historique de la défense à la fois (archives, bibliothèque, communication, missions administratives...) et de taille trop réduite pour développer des synergies (une quinzaine de personnes par exemple à Toulon).
Quatrièmement, en cohérence avec cette réorganisation, il faut établir un schéma directeur d'infrastructure, aujourd'hui manquant, et réaliser les investissements indispensables à la pérennité des archives, dont les conditions de conservation sont, pour une partie d'entre elles, inacceptables et finalement coûteuses.
La solution idéale, à la fois la moins coûteuse sur le long terme et la plus efficace, est ainsi de construire de vastes bâtiments neufs, dans des zones où le foncier est à la fois moins cher qu'en centre-ville et moins complexe qu'un port militaire en activité.
Les travaux actuellement entrepris consistent souvent en des cautères sur une jambe de bois, en des mises aux normes urgentes et coûteuses de bâtiments dont on sait qu'ils ne pourront pas durablement accueillir des archives.
Il est vrai que le ministère de la défense construit, ponctuellement, pour le service historique de la défense, un bâtiment neuf, moderne. Mais cela se fait en dehors de toute réflexion sur un schéma directeur d'infrastructure et sur l'organisation territoriale du service historique de la défense.
Faute d'une réflexion globale et d'y consacrer les moyens nécessaires, le ministère de la défense finit par gaspiller les quelques investissements qu'il consent à réaliser pour le service historique de la défense. On le sait, construire plusieurs petits bâtiments, dispersés dans toute la France, coûte fatalement beaucoup plus cher en investissement comme en fonctionnement.
La construction de bâtiments neufs est une solution à laquelle de nombreux conseils généraux ont eu recours pour les archives départementales.
Je souligne que cela a également été le choix du ministère de la culture pour les Archives nationales et du ministère des affaires étrangères pour les Archives diplomatiques, qui ont été installées dans des bâtiments neufs respectivement à Peyrefitte et à la Courneuve.
Cinquièmement, il faut enfin moderniser les outils informatiques du service historique de la défense afin d'améliorer la productivité et les conditions de travail des personnels. Le service historique de la défense n'est aujourd'hui toujours pas intégré au système d'information du ministère et très en retard pour l'ensemble de ses outils informatiques.
Ces cinq mesures permettront au service historique de la défense d'améliorer le service rendu au ministère comme aux administrés et de dégager en interne les ressources pour s'attaquer aux véritables défis qui l'attendent.
Premier défi, la collecte et le stockage des documents électroniques : aujourd'hui une grande part de l'activité du ministère s'effectue uniquement et directement sous forme électronique, y compris en opération. Ces données numériques peuvent avoir une forte valeur juridique, stratégique ou patrimoniale. Les courriers électroniques, en particulier, peuvent être particulièrement engageants sur le plan juridique, et éclairants pour les historiens. Aujourd'hui, malgré les projets en cours, la collecte des documents nativement numériques est très limitée. Les données récupérées par le service historique de la défense sur toute l'année 2012 représentent trois gigaoctets, soit l'équivalent d'une clef USB de petite capacité, comme on peut en acheter pour quinze euros.
Ce type de projet est complexe, qui nécessite de mettre en place un système de gestion de l'information sur l'ensemble de son cycle de vie, depuis sa création jusqu'à son archivage définitif. Le stockage est lui-même délicat, car aux problèmes de sécurité s'ajoutent ceux liés à l'obsolescence des formats. Les Archives nationales, le Quai d'Orsay et le ministère de la défense travaillent actuellement à un projet commun.
Deuxième défi, la numérisation des fonds et leur consultation en ligne. La numérisation au service historique de la défense s'effectue surtout au soutien des opérations mémorielles organisé par le ministère. Ces opérations sont souvent très réussies, comme le site « Mémoire des hommes », mais ne peuvent se substituer à une politique systématique de mise en ligne des fonds du service historique de la défense.
Il y a là un triple enjeu.
Le premier rejoint la question de la modernisation et des gains de productivité.
Le deuxième tient au fait que, dans le monde contemporain, ce qui n'a pas d'existence numérique, ce qui n'est pas accessible en ligne, finit par disparaître aux yeux des hommes. Au contraire, ce qui est disponible sur Internet finit souvent par trouver une audience beaucoup plus large qu'auparavant. Il n'y a qu'à constater l'explosion des recherches généalogiques. Les salles de lecture se vident et les sites Internet explosent sous la pression.
Le troisième enjeu est lié au précédent. Dans notre société de plus en plus individualiste, nos compatriotes sont souvent comme déracinés et peinent parfois à se vivre comme pleinement citoyens de la République. Il s'agit de leur permettre de se réapproprier, à travers le passé militaire de l'endroit où ils vivent ou celui de leurs aïeux, une histoire partagée.
Il faut profiter de la soif qu'ont les Français de retrouver des racines, comme en témoigne leur engouement pour la généalogie, pour resserrer le lien, tellement distendu depuis la fin du service national, entre les citoyens et leur armée, et renforcer ainsi le sentiment d'une appartenance commune à la Nation.
Troisième défi, le développement de la fonction historique du service historique de la défense, aujourd'hui négligée. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, la recherche en histoire militaire, y compris sur des évènements très récents, est extrêmement valorisée.
Le Secrétaire à la Défense américain, l'équivalent de notre ministre de la défense, a directement auprès de lui un bureau historique, de même que chacune des armées et que l'État-major général.
Les historiens militaires participent activement à la formation des officiers, aux réflexions stratégiques et à la planification des opérations.
Des équipes d'historiens et d'archivistes vont sur les théâtres d'opération pour recueillir documents et témoignages. Un retour d'expérience, fondé sur une méthodologie historique rigoureuse, est rapidement organisé et des ouvrages historiques scientifiques sont ensuite édités. La méthode historique permet de fonder la réflexion stratégique sur une analyse scientifique du déroulé des opérations.
Il s'agit plus d'une question de culture que de moyens : une équipe de trois personnes, souvent réservistes, suffit aux Américains pour récupérer, en quelques semaines, documents, papier ou numériques, et témoignages oraux essentiels pour une force projetée de 45 000 hommes.
L'armée française est encore loin de ce modèle, même si le ministère de la défense a tout récemment décidé de renforcer le pôle histoire du service historique de la défense en lui transférant l'activité historique de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire, soit l'équivalent de trois postes.
Il est temps de constituer la recherche historique au service historique de la défense en une mission autonome au service des forces, et pas seulement de la valorisation des archives auprès du public. L'histoire doit contribuer à éclairer la formation des officiers, la réflexion stratégique et la planification des opérations.
Présidence de M. Philippe Marini, président
M. Philippe Marini , président . - Merci beaucoup pour ce travail passionnant et passionné, de la part de deux rapporteurs totalement investis dans ce sujet. Nous allons maintenant passer aux questions.
M. Philippe Dallier . - Nous avons rarement entendu un réquisitoire aussi dur et clair...
M. Yves Krattinger . - Il s'agit d'un simple constat.
M. Philippe Dallier . - On peut presque utiliser le terme de réquisitoire, la situation décrite étant assez consternante. Je souhaiterais, plus particulièrement, aborder le sujet de la numérisation qui devrait favoriser le travail de conservation et d'accès des archives de la Défense. Comprenant de vos propos que très peu a été fait dans ce domaine, existe-t-il un schéma directeur de numérisation ? Ou, à tout le moins, une réflexion ou une estimation des sommes nécessaires à engager dans cette opération, au moins pour les archives à venir, ou encore pour simplement regrouper les documents ?
Le recours à des prestataires extérieurs, comme le font certaines collectivités territoriales afin de combler leur retard lorsqu'il est conséquent, est-il également envisagé ?
Mme Michèle André . - Vous avez évoqué la possibilité de construire de nouveaux bâtiments pour accueillir les archives, en faisant référence aux travaux de certains départements qui disposent désormais de locaux adaptés permettant un stockage convenable des documents conservés. A-t-on une idée du coût de ce type d'investissement, certainement important compte tenu du linéaire concerné ?
Par ailleurs, quel rôle joue le service historique de la défense dans la commémoration de la Grande Guerre ?
M. Albéric de Montgolfier . - Je remercie avant tout les rapporteurs pour leur travail et je souhaiterais savoir si le service historique de la défense a recours à l'expertise du ministère de la culture et du service interministériel des Archives de France.
Qu'en est-il également de la valorisation commerciale des archives ? En effet, si l'accès aux archives est gratuit, certaines sociétés les exploitent ensuite, par exemple à Rochefort, en produisant notamment des maquettes de bâtiments ou de bateaux. Dans ce cas, le bénéfice des droits de propriété intellectuelle ne pourrait-il être envisagé, comme dans d'autres pays ? Il semble que le ministère de la défense ne se soit jamais intéressé aux recettes commerciales qui peuvent être tirées de son patrimoine. Une réflexion est-elle en cours ?
M. Jean Germain . - L'exposé des rapporteurs était effectivement très intéressant. L'histoire de la défense, c'est aussi une partie de l'histoire de la France. Il est important que les archives de la défense soient accessibles au public, qui recherche des informations personnelles ou familiales, mais également pour le travail des chercheurs. À ce titre, je souhaitais savoir si celui-ci était facilité, et notamment s'il existait un lieu de regroupement permettant aux chercheurs de consulter les archives conservées dans divers sites géographiques ?
M. François Marc , rapporteur général . - Suite à cette présentation objective, pas rassurante quant à l'état des archives de la défense qui se dégrade, et mettant en évidence la nécessité d'une action urgente, je souhaiterais savoir s'il pourrait être pertinent que le regroupement des sites, principalement situés sur la façade ouest de la France, s'effectue selon les trois types d'armes : air, terre et mer.
M. Yvon Collin . - À la lumière de ces exposés, je suis également inquiet quant à la conservation des archives de la défense et je souhaitais savoir si un traitement spécifique était opéré pour les documents photographiques et cinématographiques.
M. Philippe Marini , président . - Le choix de ce thème de contrôle était particulièrement judicieux.
M. Yves Krattinger , rapporteur . - Nous avons été affectés par ce que nous avons constaté quant à la conservation des archives de la Défense. L'histoire personnelle et familiale de chacun d'entre nous est liée à celle de la France et je pense que tout le monde réagirait comme nous l'avons fait, en manifestant de la peine face à cette situation.
Le niveau de numérisation des archives de la Défense est très insuffisant, nous enregistrons un incroyable retard. Aucun schéma directeur n'est mis en place en la matière, seuls quelques projets ponctuels peuvent exister.
Il pourrait certainement y avoir recours à des prestations extérieures pour procéder à la numérisation des archives et cela a certainement déjà été fait pour plusieurs opérations ciblées.
Même si le nombre annoncé de consultations numériques des archives peut paraître important, il convient de le relativiser comparé à celui des particuliers potentiellement concernés, au regard des Français ou étrangers ayant combattu dans l'armée française ou auprès d'elle, et susceptibles d'être intéressés par les données disponibles. Le droit à l'accès numérique des archives de la défense reste à « fabriquer ».
Les enfants qui préparent actuellement la commémoration de la Grande Guerre ne peuvent aisément accéder aux documents concernant les combattants, qui peuvent s'avérer géographiquement éloignés.
Un véritable schéma directeur est donc nécessaire et le recours à des prestataires extérieurs pourrait effectivement être retenu, d'autant que l'armée ne pourra certainement pas mettre les moyens humains nécessaires dans les prochaines années.
S'agissant du coût des bâtiments neufs, il convient, tout d'abord, de constater qu'à Vincennes, les archives sont mal conservées, l'hygrométrie ne pouvant notamment y être gérée, et difficiles d'accès pour les personnels, comparé aux systèmes modernes.
Certes, les bâtiments neufs coûtent de l'argent à l'investissement mais sont ensuite bien plus efficaces pour conserver et accéder aux documents archivés.
En tout état de cause, un schéma d'infrastructures est nécessaire pour ces bâtiments.
Il est évident que les différents locaux du Centre historique des archives situés sur la façade ouest de la France pourraient être utilement regroupés, alors qu'ils se trouvent actuellement implantés là d'où partaient autrefois les bateaux de la marine nationale.
Concernant la commémoration de la Grande Guerre, le service historique de la défense souhaite évidemment participer mais, sans que le travail des personnels ne soit à mettre en cause, il ne pourra certainement pas répondre à toutes les sollicitations des particuliers qui se feront jour à cette occasion.
La collaboration au sein du service historique de la défense entre militaires, historiens et conservateurs du ministère de la culture semble compliquée, en tout cas au niveau hiérarchique. Nous avons ressenti très vite une distance entre les différents services, car chacun est sur la défensive, et un malaise profond qui peine à se dissiper. Je rappelle que le général en charge du service historique de la défense a été remplacé en 2013, alors que cela n'a pas encore été le cas du conservateur général du patrimoine qui a quitté ses fonctions au même moment que lui.
Pour autant, les personnels que nous avons rencontrés sont compétents et ont la volonté de bien faire. Ainsi, à Pau, le lieutenant-colonel Michèle Szmytka, en charge du centre des archives du personnel militaire, qui est autrement entièrement « civilianisé », a produit un travail extraordinaire en opérant une véritable transformation de son service, qui aurait pu être encore plus formidable s'il avait disposé de locaux plus modernes. Les agents, dont une bonne part a été recrutée très récemment, ont été formés aux métiers de l'archivage, de la restauration ou de la reliure et étaient d'ailleurs très fiers de présenter leur travail.
S'agissant de la valorisation commerciale, que j'ai d'ailleurs abordée plusieurs fois au cours de mes entretiens, la gratuité des archives est un principe fondamental, un tabou infranchissable pour les services concernés, sauf si un texte devait prévoir le contraire.
Mme Michèle André . - Ce n'est d'ailleurs pas à eux de décider !
M. Yves Krattinger , rapporteur . - Tout-à-fait.
Concernant l'accès des chercheurs aux archives militaires, c'est un peu le « parcours du combattant ». Beaucoup de déplacements sont nécessaires puisque la numérisation des documents est insuffisante. La situation est préoccupante en la matière, alors qu'au contraire, les universités peuvent aujourd'hui s'échanger des documents à des milliers de kilomètres de distance, d'un pays à l'autre !
À titre personnel, je ne suis pas certain que le regroupement de plusieurs implantations puisse s'effectuer en retenant la distinction entre les trois armées (terre, air, mer) car, si elle se comprend historiquement, elle pourrait sembler moins pertinente aujourd'hui et encore moins demain, compte tenu des fortes imbrications entre elles. Le service historique de la défense a d'ailleurs adopté une organisation interarmées.
Enfin, concernant les archives photographiques et cinématographiques, elles ne relèvent pas de la compétence du service historique de la défense.
M. Philippe Marini , président . - Il existe pourtant une cinémathèque militaire dont le travail est assez remarquable et les personnels y sont disponibles.
M. Yves Krattinger , rapporteur . - Effectivement, monsieur le président, mais la conservation de ce type de documents est de la compétence du second service d'archives du ministère de la défense : l'établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), qui est un établissement public.
M. François Trucy , rapporteur . - Je souhaiterais indiquer qu'en loi de finances pour 2014, 240 000 euros sont inscrit en attribution de produits au profit du service historique de la défense, correspondant à la vente de publications ou à droits d'auteurs.
Pour conclure, je mentionnerai deux anecdotes.
Au cours d'une opération militaire, Charles IX avait perdu ses archives, en particulier les cartulaires qui constituaient notamment la preuve qu'il possédait certains territoires. C'est à cette occasion qu'il a été décidé que les archives ne devaient plus suivre le roi lors de ses campagnes militaires et qu'elles devaient être conservées avec soin.
À titre personnel, j'ai moi-même découvert une médaille dans les souvenirs militaires de ma famille qui s'est avérée être une médaille de Sainte-Hélène, éditée à 400 000 exemplaires par Napoléon III. Véritable « coup médiatique », elle a été présentée comme un message de Napoléon à ses compagnons d'armes et a été distribuée à l'ensemble des survivants.
M. Albéric de Montgolfier . - Quelles seront les suites données à ce très intéressant rapport ?
M. Philippe Marini , président . - Je vais déjà vous proposer d'autoriser sa publication, mes chers collègues. Nous pourrions ensuite retenir ce thème parmi ceux que nous aborderons lors de l'audition par la commission des finances du ministre de la défense, à l'occasion de la préparation de l'examen de la loi de règlement pour 2013.
M. Yves Krattinger , rapporteur . - Nous enverrons également un exemplaire de notre rapport au ministre, accompagné d'une lettre que je cosignerai avec François Trucy.
À l'issue de ce débat, la commission a donné acte de leur communication à MM. Yves Krattinger et François Trucy, rapporteurs, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.