D. LES RELATIONS FINANCIÈRES ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS, ET ENTRE COLLECTIVITÉS
1. Les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales
Les relations financières entre l'Etat et les collectivités sont particulièrement importantes, puisqu'elles représentent plus de 100 milliards d'euros en 2014 .
Il faut notamment y distinguer les dotations budgétaires (portées par la mission « Relations avec les collectivités territoriales », mais aussi par d'autres missions), les prélèvements sur recettes (cf. infra) , les dégrèvements d'impôts locaux et la fiscalité transférée, qui répondent à des logiques différentes.
a) Les dotations et fonds financés par l'Etat
Les dotations de l'Etat à destination des collectivités territoriales sont, de son point de vue, des charges : toute augmentation de leur montant est donc irrecevable . Ainsi, au-delà des règles particulières relatives aux amendements portant sur les crédits d'une mission budgétaire 174 ( * ) , un amendement augmentant le montant de la dotation de développement urbain serait irrecevable. En revanche, un amendement modifiant ses modalités de répartition ne connaîtrait pas le même sort, dans la mesure où il ne modifierait pas son montant et où les conséquences financières seraient confinées au bloc communal.
De même, la création d'une dotation est irrecevable . J'ai ainsi opposé l'article 40 de la Constitution à un amendement dotant la Métropole d'Aix-Marseille-Provence d'une dotation de fonctionnement et d'un fonds d'investissement, dans les conditions fixées par une loi de finances.
J'ai également dû déclarer irrecevable un amendement prévoyant que l'Etat remboursait aux collectivités territoriales toutes les dotations et subventions qu'elles avaient accordées à un établissement public foncier que la loi supprimait.
Il faut noter ici que l'existence d'un encadrement de l'évolution des concours financiers de l'Etat - loi de programmation des finances publiques ou « pacte de confiance et de responsabilité » par exemple - ne permet pas d'emporter la recevabilité des amendements précédemment évoqués .
En effet, la dotation créée ne se trouverait pas forcément dans le périmètre couvert par ces règles ; quand bien même, celles-ci sont essentiellement politiques et ne créent pas une contrainte juridique qui impliquerait, automatiquement, un ajustement de l'enveloppe normée. Enfin, ce raisonnement reviendrait à compenser la hausse d'une dotation par la baisse d'une autre, étant entendu que la compensation de l'augmentation d'une charge n'est pas permise. La dotation globale de fonctionnement (DGF) constitue néanmoins un cas particulier, qui sera examiné ci-après .
Le raisonnement sur les dotations s'applique également aux fonds financés par l'Etat. Est irrecevable la création d'un fonds de soutien annuel aux collectivités territoriales ayant contracté des emprunts structurés financé par une dotation de l'Etat.
De même, il n'est pas possible d'étendre le bénéfice d'un fonds, que ce soit dans le temps ou en termes de catégories de bénéficiaires . J'ai ainsi dû déclarer irrecevable un amendement prolongeant d'une année le fonds d'amorçage de la réforme des rythmes scolaires ou prévoyant que les élèves handicapés bénéficiaient d'un concours particulier de ce fonds : en effet, celui-ci fonctionnant à partir d'un montant forfaitaire versé pour chaque élève scolarisé, dans la limite de certains critères, son prolongement ou l'extension de son bénéfice emportaient mécaniquement une augmentation de la dépense. Un amendement prévoyant d'étendre le bénéfice de ce fonds aux départements a connu le même sort, puisqu'il conduisait à un transfert financier du bloc communal vers les départements.
b) Les prélèvements sur recettes
(1) Le mécanisme des prélèvements sur recettes
Le prélèvement sur recettes est un outil budgétaire de la mise en oeuvre duquel il résulte que des opérations a priori assimilables à des dépenses, car donnant lieu à des décaissements, sont traitées comme des opérations sur recettes . Plus précisément, d'un point de vue budgétaire, les montants des prélèvements sur recettes sont déduits de l'ensemble des recettes de l'Etat et n'apparaissent pas dans la partie dépenses.
Ce mécanisme a été créé en 1969 pour compenser le produit de la suppression d'impôts locaux. En 1971, la même procédure a été mise en oeuvre s'agissant de la contribution de la France aux Communautés européennes. La mise en place de la DGF en 1979 a également été réalisée à travers un prélèvement sur recettes. Cet outil permet d'éviter de prendre en compte dans les charges de l'Etat des sommes qui constituent en fait des charges des collectivités locales et de l'Union européenne.
Cet outil a pu être analysé comme permettant de contrevenir aux règles de non contraction des dépenses et des recettes et de non affectation des recettes. Ainsi, la Cour des comptes 175 ( * ) notait en 1999 que « tous les concours de l'Etat aux collectivités territoriales qui, à l'évidence, ne peuvent s'analyser comme la rétrocession d'une recette que l'Etat aurait, en quelque sorte, encaissée indûment [devraient être] inscrits dans la loi de finances, en subvention », tandis que le Conseil d'Etat 176 ( * ) estimait en 2000 que « les concours apportés par l'Etat aux collectivités territoriales [...] ne sont pas différents des autres dotations ».
Pour autant, cette technique budgétaire a été validée de longue date par le Conseil constitutionnel 177 ( * ) . Celui-ci a considéré qu'elle ne contrevenait ni au principe de non-contraction des recettes et des dépenses - car « cette présentation ne conduit pas à dissimuler une recette ou une fraction de recette de l'Etat non plus qu'à occulter une charge » - ni au principe de non-affectation - car les dépenses couvertes par les dépenses rétrocédées ne sont pas des dépenses de l'Etat.
Enfin, la LOLF a désormais officialisé cette technique, au dernier alinéa de son article 6, au seul bénéfice des collectivités territoriales et de l'Union européenne.
La définition organique des
prélèvements sur recettes
« Un montant déterminé de recettes de l'Etat peut être rétrocédé directement au profit des collectivités territoriales ou des Communautés européennes en vue de couvrir des charges incombant à ces bénéficiaires ou de compenser des exonérations, des réductions ou des plafonnements d'impôts établis au profit des collectivités territoriales. Ces prélèvements sur les recettes de l'Etat sont, dans leur destination et leur montant, définis et évalués de façon précise et distincte. » |
Les prélèvements sur les recettes de l'Etat (PSR) sont retracés dans l'annexe « Evaluation des voies et moyens » de chaque projet de loi de finances initiale.
Avec 40,1 milliards d'euros en 2014, la dotation globale de fonctionnement (DGF) est le principal PSR , puisqu'elle représente à elle-seule 54 % des PSR et 74 % des PSR relatifs aux collectivités territoriales. On peut également citer le fonds de compensation pour la TVA (5,8 milliards d'euros).
(2) Ses conséquences en matière de recevabilité financière
D'un point de vue juridique, les prélèvements sur recettes sont considérés comme des recettes et non comme des dépenses : ainsi, le Conseil constitutionnel a expressément affirmé que la DGF n'avait pas le caractère d'une dépense de l'Etat 178 ( * ) . Ceci emporte des conséquences importantes en matière de recevabilité financière .
Dès lors que les PSR sont considérés comme des pertes de recettes, leur augmentation peut être compensée - « gagée » - par l'augmentation d'une autre recette, pour un montant identique, au profit de l'Etat . Symétriquement, leur diminution doit être gagée au profit des collectivités territoriales.
Les amendements augmentant, par exemple, le montant global de la DGF, ou ayant pour conséquence de l'augmenter, sont ainsi recevables, à condition d'être correctement gagés.
La création par amendement d'un prélèvement sur recettes au profit des collectivités territoriales est recevable, à condition d'être gagée au profit de l'Etat . Ainsi, par exemple, a été déclaré recevable un amendement créant un prélèvement sur les recettes de l'Etat intitulé « dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle résultant des contributions fiscalisées aux syndicats de communes », compensé par un gage « tabac » classique.
A l'inverse, on peut noter que la création d'un PSR au profit d'une nouvelle catégorie de bénéficiaires ne serait pas recevable , car contraire au dernier alinéa de l'article 6 de la LOLF. Tel serait le cas notamment d'un amendement créant un PSR au profit des organismes de sécurité sociale.
(3) Le cas particulier des amendements portant sur la DGF
La DGF se décompose en trois DGF « catégorielles » (régions, départements et communes/EPCI), elles-mêmes divisées en plusieurs dotations. Au sein de la DGF de chaque niveau de collectivité, on distingue notamment les dotations de péréquation, qui en constituent le solde, après calcul des autres dotations.
Le montant global de la DGF est fixé en loi de finances initiale. Sont déduits de cette somme la DGF des départements et la DGF des régions, pour obtenir la DGF des communes et EPCI. On minore celle-ci de la dotation forfaitaire des communes et on obtient la dotation d'aménagement des communes et EPCI, de laquelle on retranche la dotation d'intercommunalité, la dotation de compensation des EPCI et la quote-part destinée aux communes d'outre-mer. Le solde est réparti entre la dotation nationale de péréquation (DNP), la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR).
Il résulte de cette répartition « par vases communicants » plusieurs conséquences sur la recevabilité financière des amendements portant sur les composantes de la DGF. En effet, dans certains cas, cette architecture aboutit à une compensation automatique, au sein de la DGF, de l'augmentation de certaines de ses composantes .
Tout d'abord, la majoration de la DGF des régions ou de la DGF des départements est recevable, puisqu'elle conduira à minorer le montant de la DGF des communes mais n'augmentera pas le montant global de la DGF. De tels amendements doivent être gagés au profit des collectivités « perdantes ». L'augmentation de la dotation forfaitaire des départements ou des régions n'a en revanche pas besoin d'être gagée, car elle se traduira par la minoration des dotations de péréquation du niveau correspondant mais les transferts de charge en résultant demeureront au sein du même niveau.
S'agissant du niveau communal, la hausse de la DGF des EPCI vient se déduire de la DGF des communes, son augmentation n'entraîne donc pas de hausse de la DGF globale. De tels amendements ne nécessitent pas non plus de gage, dans la mesure où le transfert de recettes s'opère au sein du bloc communal. Concernant la DGF des communes, la hausse de la dotation forfaitaire s'impute sur les dotations de péréquation. Les amendements modifiant ses composantes sont donc recevables sans gage. En revanche, l'augmentation des dotations de péréquation (DSU, DSR, DNP) dans leur ensemble a pour effet d'augmenter la DGF, et doit donc être gagée au profit de l'Etat.
Il faut noter que ces règles de répartition de la DGF sont celles qui sont inscrites dans la loi. Dans les faits, par exemple, les montants des dotations de péréquation des communes sont définis en priorité et la dotation forfaitaire est minorée en compensation - à travers certaines de ses composantes. De même, le comité des finances locales (CFL) peut modifier certaines répartitions. Il n'en demeure pas moins que pour l'appréciation de la recevabilité financière, c'est l'application juridique du mode de calcul de la DGF qui est prise en compte.
c) Les exonérations et dégrèvements de fiscalité locale
Le raisonnement relatif aux PSR s'applique naturellement aux opérations sur recettes stricto sensu 179 ( * ) .
Ainsi, sont recevables les amendements prévoyant des exonérations de fiscalité locale , à condition d'être gagés au profit des collectivités.
De même, sont recevables les amendements introduisant ou étendant des dégrèvements d'impôts locaux , à condition cette fois d'être gagés au profit de l'Etat.
2. Les relations financières entre collectivités
Les initiatives parlementaires relatives aux modalités de répartition des dotations ou des fonds de péréquation sont recevables , dans la mesure où elles n'impliquent des transferts de charges qu'au sein du même échelon de collectivités.
C'est ainsi notamment que les amendements relatifs aux divers fonds de péréquation sont recevables, dans la mesure où ils fonctionnent tous à un niveau donné de collectivités. Un amendement augmentant le montant du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) ou un amendement modifiant ses critères de répartition ont certes des effets sur le montant des prélèvements et des reversements dont bénéficient in fine les communes et EPCI, mais ces transferts de charges demeurent à l'intérieur du bloc communal.
De même, il est possible de modifier les modalités de répartition d'une dotation, tant que les transferts de charges demeurent au sein du même niveau de collectivités.
Enfin, il serait possible de créer un fonds de péréquation par amendement parlementaire .
* 175 Cf. rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget 1998.
* 176 Cf. avis de la Section des finances du Conseil d'Etat du 21 décembre 2000 sur la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (n° 365546).
* 177 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 82-154 DC du 29 décembre 1982 .
* 178 Cf. décision du Conseil constitutionnel n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 .