TROISIÈME PARTIE - LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
Après avoir indiqué que la « commission des finances contrôle la recevabilité financière des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution », l'article 45 du Règlement du Sénat précise qu'il « est procédé selon les mêmes règles à l'encontre d'un amendement contraire à l'une des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances ».
Aussi deux remarques peuvent-elles être formulées. Tout d'abord, la commission des finances est compétente pour examiner la recevabilité des amendements au regard de la LOLF 113 ( * ) .
Ensuite, l'article 45 du Règlement du Sénat prévoit expressément que le contrôle de la recevabilité organique est effectué sur la base de l'ensemble des dispositions de la LOLF et non pas seulement de celles portant sur le domaine des lois de finances ou sur leur structure 114 ( * ) .
A titre d'exemple, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi de finances, j'ai déclaré irrecevable un amendement tendant à affecter une recette fiscale à une action identifiée d'un programme du budget général de l'Etat, celui-ci étant contraire au principe général de non-affectation 115 ( * ) . Serait également irrecevable un amendement parlementaire visant à créer une mission budgétaire, l'article 7 de la LOLF prévoyant que « Seule une disposition de loi de finances d'initiative gouvernementale peut créer une mission » 116 ( * ) .
Par ailleurs, comme cela a déjà été indiqué, le quatrième alinéa de l'article 45 précité dispose que « Tout sénateur ou le Gouvernement peut soulever en séance une exception d'irrecevabilité fondée sur l'article 40 de la Constitution [ou] sur une des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances ». Par conséquent, la recevabilité organique des amendements est examinée par la commission des finances tant a priori - soit au stade du dépôt des amendements en vue de la séance plénière - que sur invocation, c'est-à-dire lorsque le Gouvernement ou un sénateur soulève en séance une exception d'irrecevabilité fondée sur la LOLF. Il y a lieu de préciser que le contrôle sur invocation de la recevabilité organique peut, le cas échéant, concerner tout ou partie d'une proposition de loi 117 ( * ) .
I. LE CADRE GÉNÉRAL DE LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
A. LE PRINCIPE DU CONTRÔLE DE RECEVABILITÉ ORGANIQUE
L'article 47 de la Constitution prévoit que « Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique » ; le traitement spécifique des projets de loi de finances - partagé avec les projets de loi de financement de la sécurité sociale 118 ( * ) - s'explique par la nature particulière des lois de finances .
Ces dernières constituent la traduction du principe juridique du consentement à l'impôt , consacré à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen 119 ( * ) . Aussi mêlent-elles des autorisations de prélever l'impôt, d'engager les dépenses, ou encore de recourir à l'emprunt, et des normes relatives, notamment, aux caractéristiques des impositions. Dès lors, des lois de finances dépendent le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité des services publics ; par ailleurs, celles-ci ont acquis, aujourd'hui, une importance économique considérable.
Dans ces conditions, la Constitution a strictement encadré les délais dans lesquels le Parlement vote les projets de loi de finances . L'article 47 de la Constitution prévoit que, lors de l'examen du projet de loi de finances, la procédure accélérée s'applique de droit 120 ( * ) . Il précise que « Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours » et prévoit également que « Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ».
Les dispositions précitées visent donc à ce que l'examen et l'adoption du budget se fassent dans des délais resserrés. Pour cette raison, il a été nécessaire de sanctuariser le domaine des lois de finances , de manière à éviter qu'y soient insérées toutes sortes de dispositions, sans lien avec le budget, à la seule fin de bénéficier d'un véhicule législatif rapide ; ces dernières sont désignées sous le vocable de « cavaliers budgétaires » qui doivent, lorsqu'ils sont d'origine parlementaire, être déclarés irrecevables 121 ( * ) (cf. infra ).
A l'inverse, parce que les lois de finances traduisent le principe du consentement à l'impôt - qui impose que le Parlement dispose d'une vision synthétique de la situation financière de l'Etat -, les éléments relevant de leur domaine exclusif ne peuvent figurer dans une loi « ordinaire » 122 ( * ) ; cela justifie que, comme cela est précisé dans les développements qui suivent, les initiatives parlementaires tendant à introduire dans une loi « ordinaire » des dispositions relevant du domaine exclusif des lois de finances soient déclarées irrecevables.
En outre, du fait de la nature particulière des lois de finances, la loi organique précise la structure de ces dernières ; le principe de la bipartition - soit de la division de la loi de finances en deux parties - permet d'organiser la discussion budgétaire autour d' un équilibre qui, fixant en fin de première partie l'évaluation des recettes et le montant du solde budgétaire, définit un plafond de dépenses que la seconde partie doit respecter 123 ( * ) . Ce principe, protecteur des finances publiques, impose que l'irrecevabilité soit opposée aux amendements parlementaires tendant à introduire des dispositions relevant de la seconde partie dans la première partie et inversement.
Le respect des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) - qui s'impose aussi au Gouvernement - fait l'objet d'un contrôle strict par le Conseil constitutionnel ; en particulier, celui-ci contrôle la conformité des initiatives parlementaires aux dispositions organiques sans qu'il soit nécessaire que la question de leur recevabilité ait été préalablement soulevée, écartant ainsi le principe du « préalable parlementaire » qui s'applique en matière de recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution.
* 113 Il convient de rappeler que le contrôle de la recevabilité des amendements au regard de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) relève de la compétence de la commission des affaires sociales du Sénat.
* 114 A cet égard, il faut noter que le contrôle de la recevabilité des amendements au regard de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) effectué par la commission des affaires sociales porte exclusivement, en application de l'article 45 du Règlement du Sénat, sur le respect du domaine des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) défini par l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.
* 115 En vertu du principe général de non-affectation, qui découle du principe d'universalité budgétaire rappelé à l'article 6 de la LOLF, il n'est pas possible de recourir, dans le cadre du budget général de l'Etat, à une ressource déterminée pour le financement d'une dépense donnée. Les dérogations à ce principe sont strictement encadrées par l'article 16 de la LOLF qui prévoit que « certaines recettes peuvent être directement affectées à certaines dépenses » si ces « affectations prennent la forme de budgets annexes, de comptes spéciaux ».
* 116 Sachant que constituent également des missions les comptes spéciaux, à savoir les comptes d'affectation spéciale, les comptes de commerce, les comptes d'opération monétaire et les comptes de concours financiers.
* 117 En application de l'article 24 du Règlement du Sénat, lors du dépôt, seuls le « Bureau du Sénat ou certains de ses membres désignés par lui à cet effet sont juges de la recevabilité des propositions de loi ».
* 118 Conformément à l'article 47-1 de la Constitution, les projets de loi de financement de la sécurité sociale sont également votés dans les conditions prévues par une loi organique soit, à ce jour, la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 119 L'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
* 120 Les conditions d'application de la procédure accélérée sont précisées à l'article 45 de la Constitution.
* 121 Il est nécessaire de préciser que si les « cavaliers budgétaires » d'origine gouvernementale - figurant dans le projet de loi de finances au moment du dépôt ou introduits par voie d'amendements - ne peuvent être déclarés irrecevables par les instances parlementaires, ceux-ci encourent la censure du Conseil constitutionnel.
* 122 Dans le présent rapport, l'expression « loi ordinaire » ne correspond pas à une catégorie juridique mais est simplement utilisé pour distinguer, en particulier, les lois de finances des autres lois, dites « ordinaires ».
* 123 A cet égard, il convient de rappeler que la décision du Conseil constitutionnel n° 79-110 DC du 24 décembre 1979 avait censuré la loi de finances pour 1980 au motif que l'Assemblée nationale avait procédé à l'examen de la seconde partie sans avoir préalablement adopté l'article d'équilibre, violant de ce fait un « principe fondamental [...] tend[ant] à garantir qu'il ne sera pas porté atteinte, lors de l'examen des dépenses, aux grandes lignes de l'équilibre préalablement défini, tel qu'il a été arrêté par le Parlement ». Ce principe s'applique également aux lois de finances rectificatives (cf. décision du Conseil constitutionnel n° 92-309 DC du 9 juin 1992 ).