D. SÉCURISER NOS APPROVISIONNEMENTS STRATÉGIQUES TOUT EN GARANTISSANT L'ÉQUITÉ ET LA TRANSPARENCE DES CONTRATS MINIERS ET ÉNERGÉTIQUES

La croissance économique des nouvelles puissances, qui va de pair avec celle de la consommation d'énergie ainsi qu'un besoin accru en ressources naturelles et en matières premières stratégiques, va créer des tensions accrues sur les approvisionnements stratégiques en Afrique. Par ailleurs, la surexploitation des ressources naturelles africaines est susceptible de relancer des tensions, inconnues jusqu'à présent à ce degré, pour satisfaire les besoins en énergie, en eau, en nourriture et en matières premières.

Actuellement, faute de production minière sur le territoire métropolitain, les entreprises consommatrices doivent s'approvisionner sur les marchés mondiaux. La croissance rapide et forte de la demande (nouvelles technologies, tendances démographiques, économies émergentes, etc.) fait de l'accès aux matières premières et du contrôle des ressources un enjeu majeur.

Depuis 10 ans, les marchés ont profondément évolué : les pays producteurs ont pris conscience de la richesse que représentaient leurs ressources et cherchent à mieux les gérer, voire à les protéger. Quant aux pays consommateurs, ils ont pris conscience des aléas liés aux approvisionnements en métaux.

C'est aujourd'hui une problématique pour l'Union européenne et la Commission a identifié 14 substances « critiques ». Différents États membres, telle l'Allemagne, ont également engagé une stratégie visant à rendre plus pérennes les approvisionnements de leurs entreprises.

Conscients des difficultés que pouvaient rencontrer les entreprises, les pouvoirs publics, par décret du 24 janvier 2011, ont créé le Comité pour les métaux stratégiques (COMES), qui organise une concertation entre tous les acteurs français : ministères, organismes publics et Fédérations professionnelles représentant l'industrie.

Aujourd'hui, c'est dans le domaine de notre approvisionnement en métaux qu'un effort analogue à celui qui a été effectué en matière énergétique en réponse à la crise de 1973 doit impérativement être réalisé.

Pour cela il importe que le COMES et le SGDSN procèdent à une analyse des intérêts de la France en Afrique en matière d'approvisionnement et des évolutions en cours.

La fin du monopole français sur l'uranium du Niger et la percée remarquable de la Chine dans ce pays doivent-ils être perçus comme un avertissement ? AREVA a dû fortement hausser ses prix d'enlèvement, pour relever le défi chinois. L'amont de la filière nucléaire française est fragilisé et l'arrivée de concurrents émergents vient s'ajouter aux troubles politiques de la zone sahélienne.

A l'inverse, les découvertes récentes dans l'océan Indien et notamment dans le canal du Mozambique sont à suivre avec d'autant plus d'attention que nos Zones économiques exclusives se trouvent aux bordures de zones côtières concernées. L'Institut d'études géologiques des États-Unis (US Geological Survey) estime que les zones côtières de l'océan Indien pourraient renfermer plus de 7,1 billions de m 3 (250 billions de pieds cubes) de gaz et 14,5 milliards de barils de pétrole. Pour remettre ce chiffre dans son contexte, l'estimation dépasse les réserves connues des Émirats Arabes Unis et du Venezuela.

Il s'agit d'un bouleversement considérable dont il convient de mesurer les conséquences.

La France doit faire face aux enjeux et aux risques de perturbations de ses approvisionnements en matières premières sur l'ensemble du continent pour anticiper les tensions et les opportunités à venir.

Mais, dans le même temps, la France doit se montrer exemplaire en garantissant l'équité et la transparence des contrats miniers et énergétiques. Comme nous l'avons souligné dans le chapitre premier de ce rapport, une mauvaise gouvernance des contrats miniers et énergétiques a contribué à des pertes de revenus considérables au détriment des populations.

De nombreux gouvernements africains montrent l'exemple. Des dirigeants politiques réformateurs, soutenus par la société civile, ont utilisé l'Initiative de transparence des industries extractives (ITIE) pour renforcer les normes de divulgation. La Sierra Leone publie désormais les contrats et les concessions en ligne. En février 2012, la Guinée a publié sur le site Internet du gouvernement plus de 60 documents contractuels concernant 18 projets d'exploitation minière, avec un résumé interactif des termes des contrats permettant aux non-initiés de retrouver les sections les plus importantes et de comprendre les obligations des entreprises et du gouvernement. La loi ghanéenne de 2011 sur la gestion des revenus pétroliers surpasse les normes de l'ITIE en matière de déclaration des comptes. Toutes ces initiatives sont le reflet de l'élan politique en faveur d'une transparence et d'une responsabilité accrues en Afrique.

La France doit soutenir les efforts de l'Afrique dans ce sens.

Aux États-Unis, en vertu de la loi Dodd-Frank, la Securities and Exchange Commission exigera des sociétés impliquées dans les industries extractives qu'elles divulguent publiquement tous les paiements effectués pour chaque projet. Malheureusement, de nombreuses entreprises ont engagé des poursuites devant la justice dans le but de contrer les dispositions de la loi Dodd-Frank. D'autres se sont lancées dans une guerre d'usure visant à diluer les exigences de déclaration obligatoire. Les opposants ne sont pas tous issus de l'industrie. Le gouvernement canadien s'est opposé à la mise en place de normes de divulgation obligatoires. Ce refus a son importance, car les sociétés cotées à la Bourse de Toronto contrôlent pour plus de 109 milliards de dollars US d'actifs miniers internationaux et étaient, en 2011, impliquées dans plus de 330 projets en Afrique.

Plusieurs gouvernements africains sont en train de mettre en place des régimes fiscaux plus efficaces et plus équilibrés. Les taux de redevance ont été augmentés, afin de refléter l'escalade des cours mondiaux. La Banque africaine de développement a proposé d'indexer les redevances sur les cours internationaux, ce qui permettrait d'améliorer la stabilité et la prévisibilité au sein de l'administration fiscale. Le FMI a demandé aux gouvernements d'éviter de négocier des contrats d'imposition au cas par cas pour chaque investisseur, et plusieurs pays ont renégocié avec succès des accords qui étaient déséquilibrés.

L'évasion fiscale est un problème mondial facilité par un mélange entre les pratiques commerciales internes aux entreprises, le recours massif des investisseurs étrangers aux centres offshore, aux sociétés fictives et aux paradis fiscaux, et les normes de divulgation laxistes d'un certain nombre de centres financiers et de négoce de matières premières, notamment la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis.

En dépit des mouvements encourageants vers davantage de dialogue international sur la fiscalité, ce qui fait défaut, c'est une action internationale décisive: Dans ce domaine, le G8 et le G20 peuvent faire la différence.

La France, dans le cadre de ses engagements en faveur de la gouvernance démocratique et financière, compte parmi les contributeurs les plus importants de l'Initiative, au fonds fiduciaire de l'ITIE.

Le ministère des affaires étrangères s'est particulièrement engagé au Niger en 2009 et soutient plusieurs projets locaux au Burkina Faso, au Congo, en Côte d'Ivoire, en République de Centrafrique, en Guinée, en Mauritanie, au Niger et au Tchad depuis 2010. Ces projets sont portés essentiellement par des organisations de la société civile locale et destinés à sensibiliser les citoyens sur l'importance d'une bonne utilisation des revenus issus de l'extraction.

La France y joue un rôle particulier puisque 14 pays sont francophones et 17 sont membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). L'ITIE compte aujourd'hui 33 pays membres, dont 21 pays africains.

La France poursuit dans cette voie en favorisant l'adoption par l'Union européenne d'une législation imposant aux entreprises du secteur extractif de publier ce qu'elles paient aux pays où elles sont installées.

La Commission européenne a décidé de saisir le renouvellement des directives comptables (78/660/CEE et 83/349/CEE) pour introduire une législation comparable à la loi dite Dodd-Frank adoptée aux Etats-Unis.

La proposition de la Commission inclut toute entreprise pétrolière, gazière et minière cotée à une bourse de l'Union européenne. Allant au-delà de la loi Dodd-Frank, la Commission inclut également les entreprises forestières, ce qui est très important pour nombre de pays africains. Les forêts représentent en moyenne 6 % du PIB de l'Afrique subsaharienne, soit trois fois plus que la moyenne mondiale. L'économie de dix-huit pays africains dépend à 10 % ou plus de la ressource forestière. De plus, la proposition inclut également les grandes entreprises non cotées.

En février 2013, la loi bancaire française, puis la loi bancaire européenne (dite directive CRD4) obligeaient les banques à rendre publics à partir de 2014 leurs chiffres d'affaires, leurs bénéfices, et les impôts qu'elles paient dans chacun des pays où elles sont présentes.

Début avril de la même année, le Parlement européen et les Etats membres s'accordaient sur une nouvelle directive de transparence qui oblige les entreprises minières, pétrolières et gazières, ainsi que celles qui exploitent les forêts, à rendre public l'ensemble de leurs flux financiers avec les Etats. Cette disposition qui lutte à la fois contre l'évasion fiscale et contre la corruption entrera en vigueur au plus tard en 2015. Enfin, le Conseil européen a soutenu la proposition française d'étendre la transparence à peine votée pour les banques, à l'ensemble des secteurs de l'économie.

La France doit poursuivre son effort de conviction pour que ces dispositifs soient pleinement adoptés et renforcer sa coopération pour que soient Intégrées les dispositions renforcées de l'ITIE dans les législations nationales et les directives régionales des pays africains.

Le groupe de travail encourage la France à :

- engager le processus formel d'adhésion à l'initiative sur la transparence dans les industries extractives (ITIE), conformément à l'annonce du Président de la République lors du sommet du G8 de Lough Erne, avec pour objectif d'adhérer à l'occasion de la prochaine conférence internationale de l'ITIE ;

- engager la transposition par la France des dispositions des directives comptables concernant certaines obligation pour les entreprises extractives européennes de publier pays par pays et projet par projet les revenus tirés de l'exploitation des ressources extractives versés à des Etats ;

- soutenir les initiatives des banques multilatérales de développement dans le domaine des industries extractives.

- faire en sorte que les entreprises françaises du secteur, notamment celles dans lesquelles l'État français a une participation -telles que AREVA ou TOTAL- soient exemplaires en matière de transparence et de responsabilité environnementale et sociale. Des efforts dans ce domaine ont été effectués, comme en témoigne la mobilisation du CIAN sur la rédaction d'un guide pratique : « responsabilité sociale et environnementale des entreprises françaises en Afrique ». Mais il faut aller plus loin afin de faire la démonstration que les entreprises françaises sont des partenaires fiables et respectueux des intérêts de long terme des pays africains.

L'effort doit être poursuivi au niveau mondial pour créer un régime multilatéral pour la transparence fiscale : le G8 doit établir la structure requise pour qu'un régime multilatéral mette un terme à l'évasion fiscale. Les sociétés enregistrées dans les pays du G8 devraient être obligées de publier la liste complète de leurs filiales et les informations concernant leurs revenus à l'échelle internationale, leurs profits et les impôts payés dans les différentes juridictions. Les autorités fiscales, y compris les autorités fiscales africaines, doivent échanger plus systématiquement leurs informations.

18) Faire établir par le COMES et le SGDSN une étude des intérêts de la France en Afrique en matière d'approvisionnement stratégique et prendre en compte les conclusions de cette étude dans la définition de notre stratégie africaine.

19) Engager le processus formel d'adhésion à l'initiative sur la transparence dans les industries extractives (ITIE).

20) Engager la transposition par la France des dispositions des directives comptables concernant certaines obligations pour les entreprises extractives européennes de publier pays par pays et projet par projet les revenus tirés de l'exploitation des ressources extractives versés à des Etats.

21) Soutenir les initiatives et les programmes des banques multilatérales de développement dans le domaine des industries extractives.

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