N° 98
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 octobre 2013 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer (1) sur les actes de la rencontre sur l' actualité de l' oeuvre et du discours d' Aimé Césaire organisée le mercredi 23 octobre 2013,
Par M. Serge LARCHER,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Larcher, président ; MM. Éric Doligé, Claude Domeizel, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Joël Guerriau, Michel Magras, Jean-Claude Requier, Mme Catherine Tasca, MM. Richard Tuheiava, Paul Vergès et Michel Vergoz, vice-présidents ; Mme Aline Archimbaud, M. Robert Laufoaulu, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jean-Étienne Antoinette, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Berthou, Jean Bizet, Jean-Marie Bockel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Christian Cointat, Jacques Cornano, Félix Desplan, Mme Jacqueline Farreyrol, MM. Louis Constant Fleming, Gaston Flosse, Jacques Gillot, Mme Odette Herviaux, Jean-Jacques Hyest, Jacky Le Menn, Jeanny Lorgeoux, Roland du Luart, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Néri, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Charles Revet, Gilbert Roger, Abdourahamane Soilihi et Hilarion Vendegou. |
« La poésie est cette démarche qui par le mot, l'image, le mythe, l'amour et l'humour m'installe au coeur vivant de moi-même et du monde »
(Tropiques, n° 12)
OUVERTURE
M. Jean-Pierre Bel, Président du Sénat
Madame la Ministre, Chère Christiane Taubira,
Monsieur le Ministre des outre-mer, Cher Victorin,
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Président de la délégation à l'outre-mer, Cher Serge,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Quand Serge Larcher m'a fait partager son souhait de rendre un hommage à Aimé Césaire, ici au Sénat, cette idée m'est apparue avec la force de l'évidence, car par ses mots Césaire a changé notre vision du monde.
Je suis donc très heureux de vous accueillir aujourd'hui à la Présidence du Sénat pour cet hommage au poète, au dramaturge, au penseur et à l'homme politique né il y a cent ans.
Je veux avant tout remercier ceux qui ont donné de leur temps et de leur talent pour nous présenter le parcours et nous faire entendre, dans quelques minutes, les mots de Césaire. Je salue Daniel Maximin qui a choisi les textes que liront tout à l'heure Marie-Noëlle Eusèbe et Mylène Wagram.
Comment mieux rendre hommage à Aimé Césaire qu'en écoutant ses paroles incandescentes et en éprouvant aujourd'hui toute la force de sa pensée ?
« Je veux être celui qui refuse l'inacceptable. Dans votre vie de compromis, je veux bâtir, moi, le monument sans oiseaux du Refus ». Ces mots mis dans la bouche du Rebelle, dans Et les chiens se taisaient , font résonner une poésie de la révolte, de l'intransigeance, de l'engagement.
Pour dire cette révolte et cet engagement, la poésie de Césaire, fils de la Montagne Pelée, éclate comme un volcan, avec une énergie dévastatrice et purificatrice.
Il y a cinq ans disparaissait l'homme politique qui, du parti communiste au parti progressiste martiniquais, défendit inlassablement les valeurs de la gauche.
L'élu local, qui fut maire de Fort-de-France pendant plus de cinquante ans.
J'étais animé par une idée, expliqua-t-il plus tard lors d'un entretien avec le journaliste Patrice Louis : aider. « Il fallait aider le peuple, le petit peuple. Mon souci, c'était de sortir les gens de cet état dans lequel ils étaient, de les sortir du bidonville ».
Sa poésie et son engagement étaient ancrés dans une Terre : la Martinique. Et tournés vers un idéal : celui de l'égalité républicaine.
Il sut d'ailleurs ne pas être dupe des mots lorsqu'il défendit la départementalisation de la Martinique, si chère aux Martiniquais. En fait d'assimilation, il s'agissait en réalité pour eux d'égalité avec les Français de métropole.
Il y a cinq ans disparaissait celui qui, sans relâche, pendant quarante-sept ans, sur les bancs du Palais-Bourbon, défendit l'égalité pour tous, la dignité humaine et la justice.
L'élève boursier de notre République qui apprit vite que le dogmatisme ne sert aucune cause et que la probité intellectuelle est universelle. Au lycée Louis-le-Grand, où il rencontra Léon-Gontran Damas et Léopold Sedar Senghor, il découvrit un autre monde comme il le confia lui-même : c'était l'Afrique. « Mon africanité inconsciente se révélait quand Senghor m'expliquait les choses ». « En découvrant l'Afrique, je me découvrais moi-même et à travers l'Afrique, je découvrais la Martinique ».
Il y a cinq ans disparaissait l'homme politique, le poète, l'ami pour certains, l'exemple pour beaucoup, la figure pour tous.
Mais Aimé Césaire demeure.
Et c'est au sujet de cette permanence que vous allez échanger aujourd'hui.
Son verbe est indélébile.
Son action a porté ses fruits.
Sa voix porte toujours.
Ce qu'il a été demeure avec un éclat propre à l'union des mots et des actes.
Non, ce qu'Aimé Césaire a été, ce qu'il est, ne meurt jamais.
Car c'est bien cela qui le caractérisait et qui rend son oeuvre immortelle : cette oscillation permanente entre action et contemplation, entre révolte politique et émerveillement du poète ; son attention au monde, sa lucidité et son élévation créatrice de poète-volcan.
Aimé Césaire a traversé notre siècle en en étant à la fois acteur et contemplateur.
« Être engagé, cela signifie pour l'artiste être la chair du peuple » écrivait-il.
Il avait compris qu'enracinement et ouverture aux autres ailleurs ne s'opposent pas mais, au contraire, s'enrichissent.
Alors que reste-t-il aujourd'hui ?
Il reste la puissance incantatoire du poète qui fut « la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche ».
La voix qui fut « la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir ».
Il reste la juste révolte de celui qui poussa « le grand cri nègre » contre l'indifférenciation, la négation des différences, l'assimilation culturelle qui nie le droit à tracer son propre chemin.
Il reste les « trois mousquetaires » qu'il forma avec Damas et Senghor, ses compagnons avec qui il inventa la négritude. La négritude qui était selon lui « la personnalité africaine, l'ensemble des valeurs de civilisation du monde noir ».
Il reste l'homme qui n'eut pas peur de clamer, aux heures les plus noires, tandis que les autorités de Vichy voulaient faire de la Martinique une place forte : « Nous sommes ceux qui disent non à l'ombre ».
Il reste celui qui a, avant beaucoup d'autres, parlé d'un monde métissé. Il pensait en effet avec Senghor que « toute grande civilisation est métissage, par enracinement dans son terroir et ouverture aux autres civilisations ».
Il reste le militant qui ne sacrifia jamais sa liberté de parole, lui pour qui « les doctrines et les mouvements politiques devaient être au service de l'homme et non le contraire ».
Il reste l'orateur admiré de tous, même de ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui.
Il reste son discours à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la commémoration de l'abolition de l'esclavage en 1982. Se rappeler, disait-il, que le combat pour la liberté, l'égalité et la fraternité n'est jamais entièrement gagné et que c'est tous les jours qu'il vaut la peine d'être livré.
Il reste « le meilleur des fils de la Martinique » qui ne cessa jamais, jusqu'à la fin de sa vie, de bâtir pour son pays natal.
Il reste l'homme libre, l'homme qui était ému par les arbres, le poète intransigeant qui a voulu « employer toutes les armes possibles » et surtout l'homme qui jamais ne se sera soumis.
« Accommodez-vous de moi, disait-il, je ne m'accommode pas de vous ».
Je cède maintenant la parole au « frère-volcan » Daniel Maximin, et à travers lui à Aimé Césaire.