III. UNE ACTION SUR L'OFFRE DEVENUE INDISPENSABLE : LE RÔLE ÉMERGENT DE CYBERDOUANE
A. UNE CELLULE AU CENTRE DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SUR INTERNET
Créée en 2009 et placée au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), la cellule « Cyberdouane » est un service douanier spécialisé dans la lutte contre la cyberdélinquance . Le service a pour fonction de recueillir et d'exploiter tous les renseignements utiles dans la lutte contre les fraudes sur Internet en matière de trafics de marchandises prohibées, réglementées ou fortement taxées. Cyberdouane mène donc une véritable « action sur l'offre » , là où les contrôles aéroportuaires constituent une « action sur les flux ».
Depuis septembre 2012, la cellule Cyberdouane est constituée d'une quinzaine de personnes , dont dix analystes en cybercriminalité. Ces agents bénéficient d'une formation spécifique et de logiciels qui leur permettent d'effectuer une veille sur Internet, afin d'établir des liens entre différents sites, forums ou mots-clés, et de cartographier les fraudes complexes. La mission de veille consiste essentiellement à identifier les personnes physiques ou morales qui se cachent derrière un site de vente en ligne, une adresse électronique ou un pseudonyme sur un site de petites annonces, un forum, un blog ou un réseau social.
Par exemple, il existait un marché virtuel ( The Silk Road ) où les vendeurs commercialisent ouvertement - et anonymement - toutes les drogues possibles (cocaïne, LSD, amphétamines, khat...). Les achats sont réglés en « bitcoins », une monnaie virtuelle et décentralisée qui peut, a posteriori , être convertie en devises bien réelles 50 ( * ) . Le site, qui a généré entre janvier 2011 et septembre 2013 un chiffre d'affaires de 1,2 milliard de dollars, dont 80 millions de dollars de commissions, a été fermé fin septembre 2013 par le gouvernement américain 51 ( * ) .
La veille menée par Cyberdouane peut ainsi déboucher sur une enquête menée par le service national des douanes judiciaire (SNDJ) , qui peut être saisi par le procureur de la République à la suite d'une constatation douanière (cf. supra ). Aujourd'hui, l'action de Cyberdouane est tout aussi indispensable que les contrôles aéroportuaires pour le déclenchement d'une enquête judiciaire en matière de fraude sur Internet. L'enquête judiciaire peut ainsi être diligentée même si aucune marchandise n'a été saisie sur le territoire national , ce qui est courant lorsque les envois sont morcelés et expédiés directement au client final, sans stockage en France. L'enquête peut porter sur les flux financiers illicites générés par le trafic , qui sont peut-être plus faciles à appréhender que les flux physiques. Enfin, les commissions rogatoires internationales délivrées par les juges d'instructions dans le cadre des enquêtes confiées au SNDJ permettent, en partie, de contourner la difficulté majeure que constitue l'hébergement à l'étranger des sites Internet .
La priorité de Cyberdouane va à l'identification des personnes qui postent des annonces relatives aux produits prohibés ou fortement taxés : contrefaçons, stupéfiants, cigarettes, alcool, armes, espèces protégées etc. Ainsi, sur les 277 dossiers pris en charge par Cyberdouane, près de 40 % (soit 106 dossiers) concernaient la contrefaçon, et près de 30 % (soit 81 dossiers) les médicaments et substances illicites . Dans ce cadre, 676 droits de communication ont été mis en oeuvre 52 ( * ) .
Nombre de dossiers pris en charge par Cyberdouane Tableau de bord au 30 juin 2013
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En matière de lutte contre les trafics, Cyberdouane obtient de bons résultats, au cas par cas comme dans le cadre de la lutte de long terme contre les réseaux criminels internationaux, menée de concert avec la DNRED et les autres administrations.
Lors de leur visite sur place, vos rapporteurs spéciaux ont pu observer le travail qui consiste à « suivre » et à identifier les sites et les vendeurs de produits illicites (stupéfiants, anabolisants etc.), afin d'interrompre les flux et de lancer une procédure judiciaire. L'encadré ci-dessous décrit une autre affaire typique.
Une affaire contentieuse typique en matière de cyberdélinquance Alerté par la détection de flux de contrefaçons de chaussure de sport et d'articles textiles achetés sur différents sites Internet, les services de la DNRED ont mutualité leurs capacités d'enquêtes et d'interventions afin de remonter les filières d'approvisionnement. Des banques et des organismes de paiement sécurisés ont été interrogés dans le cadre du droit de communication prévu par le code des douanes pour connaître le volume de ces flux et les transactions réalisées. Les contrefaçons commercialisées sur ces sites, des chaussures de sport et des produits textiles fabriqués en Chine, étaient acheminés par fret express directement vers les clients finaux en France . Le produit des transactions délictueuses opérées sur ces sites marchands était ensuite transféré sur des comptes bancaires en Suisse appartenant au gestionnaire de ces sites. Afin de compléter les investigations, une visite domiciliaire (perquisition douanière) a été effectuée dans les locaux de la société et au domicile du gérant. L'enquête a permis d'établir que 4,6 millions d'euros de marchandises avaient été importés, ce qui avait permis d'éviter le paiement de près de 1,8 million d'euros de droits et taxes, ainsi que le blanchiment de 4,4 millions d'euros transférés vers la Suisse depuis la France. Les suites judiciaires de l'affaire ont été confiées au service national de douane judiciaire (SNDJ). Source : dossier de presse de Cyberdouane, 2009 |
Cyberdouane participe à la « veille coordonnée » des différentes administrations en charge de la cyberdélinquance , aux côtés notamment de l'office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC, rattaché à la police nationale), de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou encore de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF, rattachée à la DGFiP). L'échange d'informations se fait notamment via la plateforme « PHAROS » (plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements), mise en place en 2008.
Cyberdouane a également signé des protocoles de coopération avec les entreprises titulaires de droits, les fournisseurs d'accès à Internet, les hébergeurs, les groupements de cartes bancaires et sites de paiement dédiés, ou encore certains sites de vente - comme l'illustre le partenariat signé en octobre 2011 avec le site 2xmoinscher.com .
Le service Cyberdouane est par ailleurs attaché à entretenir des relations suivies avec les administrations d'autres pays par des rencontres régulières et des formations conjointes - ce qui est particulièrement crucial compte tenu de la dimension transnationale de la cybercriminalité. La coopération internationale peut ainsi prendre la forme d'opérations conjointes. Par exemple, l'opération « Pangea VI », qui s'est déroulée du 18 au 25 juin 2013 et a mobilisé 99 pays , a permis des avancées notables dans la lutte contre les réseaux de vente illicite de médicaments sur Internet : dans ce cadre, la DGDDI a ainsi saisi plus de 812 300 médicaments de contrebande et de contrefaçon, dont plus de 668 700 à Roissy 53 ( * ) . La majeure partie provenait d'Inde, de Thaïlande et de Singapour.
* 50 Le cours du « bitcoin » avoisine actuellement les 130 dollars.
* 51 « Silk Road : le FBI ferme un supermarché du crime en ligne », Les Echos, 3 octobre 2013.
* 52 Source : réponse de la DGDDI au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux.
* 53 Par comparaison, l'opération « Pangea V » (septembre 2012) a permis la saisie en France par la douane de 427 000 médicaments de contrebande et de contrefaçon.