II. LES RÉPONSES APPORTÉES PAR LE PROJET DE LOI ET LES RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

A. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI SUSCEPTIBLES D'AVOIR UNE INCIDENCE SPECIFIQUE SUR LES RETRAITES DES FEMMES

1. L'objectif de réduction des écarts de pension entre hommes et femmes inscrit dans les principes d'organisation de la sécurité sociale

L'article premier du projet de loi procède à une nouvelle rédaction de l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale qui définit les grands principes d'organisation du système des retraites . Il prend en compte la nécessité de garantir aux assurés un « traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leur sexe , leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils relèvent » . Dans cet esprit, la « réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes » est l'un des objectifs assignés d'emblée au système des retraites.

Cet objectif figure actuellement, dans une rédaction comparable, à l'article L. 161-17 A, que le projet de loi abroge afin que la priorité attachée à la réduction des écarts de pension entre hommes et femmes soit inscrite, non plus dans les objectifs de l'assurance vieillesse, mais dans les principes d'organisation de la sécurité sociale.

2. Le pilotage des retraites et la création du comité de surveillance des retraites

L'article 3 du projet de loi instaure un comité de surveillance des retraites qui, à partir des données du COR, assurerait une surveillance financière et jouerait un rôle d'observatoire des inégalités.

Ce comité serait composé de deux femmes et deux hommes, nommés pour cinq ans par décret et choisis pour leurs compétences en matière de retraite, auxquels s'ajoute un président nommé en conseil des ministres.

Le comité a pour mission de publier chaque année un avis dont le contenu intéresse directement la situation des femmes au regard de la retraite :

D'une part, cet avis annuel et public indique notamment si le comité considère que le système de retraite s'éloigne d'un certain nombre d'objectifs, parmi lesquels ceux qui figurent à l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale :

- « les assurés doivent pouvoir bénéficier d'un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leur sexe , leurs activités professionnelles passées et le (ou les) régime(s) dont ils relèvent » ;

- « la Nation assigne au système de retraite par répartition les objectifs d'équité et de solidarité entre les générations et au sein des générations, de réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes , de maintien d'un niveau de vie satisfaisant des retraités, de pérennité financière et d'un niveau élevé d'emploi des salariés âgés » .

S'il considère que le système s'éloigne de ces objectifs, le comité adresse au Parlement, au gouvernement et aux caisses de retraite des recommandations rendues publiques, destinées à garantir le respect de ces objectifs. En outre, le comité rend un avis public sur la façon dont ces recommandations ont été suivies.

Le dispositif prévu par le projet de loi comporte donc trois étapes : le rapport préalable du COR, l'avis du comité de surveillance éventuellement assorti de recommandations, puis la formulation d'un avis sur le suivi de ces recommandations.

D'autre part, l'avis annuel du comité doit fournir une analyse de la « situation comparée des hommes et des femmes au regard de l'assurance vieillesse » .

Cet aspect de l'avis annuel du comité tient compte des « différences de montant des pensions, de la durée d'assurance respective et de l'impact des avantages familiaux sur les écarts de pensions » .

3. Dispositions relatives à la pénibilité

Les facteurs de pénibilité sont définis à l'article D. 4121-5 du code du travail en vertu de trois critères : « contraintes physiques marquées » , « environnement physique agressif » et « certains rythmes de travail » . On rappellera qu'un facteur d'exposition est reconnu au titre de la pénibilité s'il cause des « traces durables et irréversibles » sur la santé des intéressés (article L. 4121-3-1 du code du travail).

Ces dix facteurs établis par l'article D. 4121-5 du code du travail, déjà évoqués plus haut, sont : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les activités en milieu hyperbare, les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et le travail répétitif. Le projet de loi ne remet pas en cause cette définition.

L'article 5 prévoit la définition par décret de seuils d'exposition (durée, fréquence et intensité de l'exposition) aux facteurs de risques (afin de faciliter l'établissement des fiches d'exposition) et rend obligatoire l'information des entreprises de travail temporaire sur les facteurs de risque auxquels sont exposés les salariés dans le cadre des intérims.

L'article 6 crée un compte personnel de prévention de la pénibilité destiné à lier prévention et réparation. Ce compte ne concerne que les salariés de droit privé. Il permet notamment aux salariés titulaires d'un compte de bénéficier d'une réduction de durée de travail.

Tout salarié exposé à l'un de ces facteurs dispose d'un point crédité sur son compte par trimestre d'exposition (deux points en cas d'exposition à deux facteurs cumulés). Ce compte peut être utilisé soit pour accéder à une formation à un emploi moins pénible, soit pour travailler à temps partiel à la fin de sa carrière en conservant sa rémunération, soit pour partir à la retraite deux ans plus tôt ( l'article 9 précise les conditions d'utilisation des points inscrits sur le compte pénibilité pour augmenter la durée d'assurance, afin de déterminer le taux de pension, et pour l'avancement de l'âge de la retraite).

Le financement de ce compte serait assuré par l'ensemble des entreprises pour le premier socle et, pour le second socle, par une cotisation additionnelle appliquée à la rémunération de salariés exposés.

Selon l'étude d'impact du projet de loi, le dispositif prévu par le projet de loi pourrait, selon les projections effectuées, et 20 ans après son entrée en vigueur, bénéficier à 300 000 personnes ; aux hommes à raison de 55 % et aux femmes pour 45 %.

L'article 7 prévoit l'alimentation du compte personnel de formation par les points inscrits sur le compte personnel de prévention de la pénibilité.

Ces dispositions ne concernent donc pas la pénibilité spécifique à laquelle les femmes sont exposées au travail.

4. L'aménagement du dispositif de retraites progressive

L'article 11 , qui fait partie du chapitre intitulé « favoriser l'emploi de seniors » , ne vise pas spécifiquement les femmes.

L'objectif est de permettre, selon l'exposé des motifs, une « transition douce entre l'emploi et la retraite » et d'encourager la prolongation d'activité rémunérée.

L'article 11 concerne le régime général, la MSA, le régime des indépendants, le régime des non-salariés agricoles et celui des professions libérales. Les fonctionnaires n'y ont donc pas accès.

Le projet de loi prévoit d'adapter le dispositif de retraite progressive, qui selon l'exposé de motifs concernait 2 409 personnes en 2012, de manière à abaisser l'âge à partir duquel les salariés peuvent en bénéficier : deux ans avant l'âge légal de départ à la retraite (soit un départ à 60 ans pour les personnes dont l'âge de départ à la retraite est de 62 ans).

5. La réflexion sur l'évolution des droits familiaux

L'article 13 du projet de loi prévoit que dans les six mois suivant l'entrée en vigueur de la loi, le gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l'évolution des droits familiaux « afin de mieux compenser les effets sur la carrière et les pensions des femmes de l'arrivée d'enfants au foyer » .

La réflexion devrait porter sur l'ensemble des droits familiaux : majorations de durée d'assurance par enfant, AVPF pour les interruptions de carrière liées aux enfants, et majoration de 10 % de la pension pour les parents de trois enfants.

L'ouverture récente de certains droits familiaux aux pères pourrait avoir eu pour conséquence de creuser les écarts de pension entre hommes et femmes.

Cette remarque s'applique tout particulièrement à la majoration de pension des parents de trois enfants et plus, dont l'exposé des motifs du projet de loi rappelle qu'elle bénéficie aux hommes pour 70 % et que, étant proportionnelle à la retraite, elle bénéficie prioritairement aux pensions les plus élevées.

Il faut donc saluer le fait que la réflexion à venir sur les droits familiaux soit centrée sur les compensations destinées aux mères.

6. La prise en compte du temps partiel et des très bas salaires : le passage de « 200 heures SMIC » à « 150 heures SMIC »

L'article 14 du projet de loi modifie les modalités de validation d'un trimestre pour prendre en compte le temps très partiel, assorti de faibles revenus, qui concerne essentiellement les femmes . L'objectif est de faciliter l'acquisition de trimestres pour les assurés à faible rémunération et dont l'activité s'exerce à temps partiel.

A l'heure actuelle, les cotisations qui ne permettent pas de valider un trimestre dans l'année sont perdues quand les assurés n'atteignent pas les 200 heures nécessaires pour valider un trimestre.

Le projet de loi permet d'acquérir un trimestre avec 150 heures rémunérées au SMIC au lieu de 200. En conséquence, un mois de travail rémunéré au SMIC permettra de valider un trimestre, quatre mois permettront de valider une année et surtout, une activité rémunérée au SMIC durant toute l'année permettra de valider quatre trimestres dès lors que le temps de travail dépasse 11,5 heures par semaine.

Selon l'étude d'impact, un assuré « à temps très partiel (1/3 temps) » ne peut en effet valider que trois trimestres actuellement : il pourra, du fait de la réforme, en valider quatre .

De plus, lorsqu'une année compte moins de quatre trimestres validés, les cotisations non utilisées pour la validation d'un trimestre pourront être transférées sur l'année suivante ou sur la précédente si ces années comptent également moins de quatre trimestres validés.

Selon les informations transmises à votre rapporteure par la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, la mesure prévue par l'article 14 pourrait concerner plus de 220 000 salariés agricoles (dont 90 000 femmes).

D'après l'étude d'impact annexée au projet de loi, ces deux mesures concerneraient 15 % des salariés, dont 60 à 70 % de femmes .

L'article 14 prévoit un plafond destiné à éviter les effets d'aubaine. Ce plafond sera déterminé par décret. Selon l'exposé des motifs, ces mesures devraient être réservées aux cotisations portant sur un revenu mensuel inférieur à 1,5 SMIC.

7. La prise en compte des trimestres de maternité dans le cadre du dispositif carrières longues

L'article 15 prévoit d'élargir aux périodes de maternité les trimestres pris en compte pour le bénéfice d'un départ anticipé au titre des carrières longues en élargissant la prise en compte de trimestres non cotisés.

Le départ anticipé pour carrières longues prévoit un départ en retraite à un âge inférieur à l'âge légal.

Le décret du 2 juillet 2012 avait déjà rendu possible le départ à l'âge de 60 ans des assurés ayant cotisé la durée requise et commencé à travailler avant 20 ans (avant 16 ou 17 ans pour un départ avant 60 ans). Les périodes prises en compte dans la durée avaient aussi été élargies pour inclure une partie des trimestres validés (mais non cotisés) au titre de la maternité 43 ( * ) à raison de deux trimestres dans chaque cas. Ce décret a également supprimé la différence entre trimestres validés et trimestres cotisés en réputant cotisés les trimestres financés par la solidarité nationale (deux trimestres de maternité et de chômage).

Pour aller plus loin, le gouvernement a annoncé que, pour le bénéfice de la retraite anticipée « carrières longues », deux trimestres de chômage supplémentaires, deux trimestres de perception d'une pension d'invalidité et l'ensemble des trimestres de maternité seraient pris en compte et donc considérés comme cotisés . L'article 15 permettra d'opérer cette extension par décret ; elle sera effective à compter du 1 er janvier 2014.

Cette mesure mettra en particulier fin à une inégalité entre les femmes et les hommes dans la mesure où ceux-ci bénéficiaient de quatre trimestres réputés cotisés au titre du service national et les femmes de deux trimestres seulement au titre la maternité.

Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi, cette mesure « corrige une inégalité entre hommes et femmes » en permettant la prise en compte de tous les trimestres acquis au titre de l'accouchement (au lieu de deux).

8. Les mesures favorables aux conjoints collaborateurs

La qualité de conjoint collaborateur a été étendue aux conjoints de chefs d'entreprise commerciale, artisanale ou libérale qui n'exercent pas d'activité professionnelle régulière et rémunérée dans l'entreprise, qui ne sont pas associés au chef d'entreprise et dont l'activité professionnelle à l'extérieur de l'entreprise se limite à un emploi pour une durée inférieure à un mi-temps.

Depuis 2007, les conjoints collaborateurs des indépendants 44 ( * ) (à plus de 80 % des femmes) sont affiliés à l'assurance-vieillesse du chef d'entreprise. Leur affiliation est donc subordonnée à celle du conjoint chef d'entreprise. L'Union nationale des conjoints de professionnels libéraux (UNACOPL), consultée par votre rapporteure, regrette que la réforme de 2007 n'ait pas permis de prendre en compte toutes les années de travail antérieures à la reconnaissance de ce statut. Ils pourraient, de ce fait, se voir privés de couverture en cas de divorce, de décès ou de départ à la retraite du chef d'entreprise ou du professionnel libéral.

L'article 19 du projet de loi leur permet de s'affilier à l'assurance volontaire vieillesse dans ces situations, afin qu'ils ne perdent pas la possibilité d'acquérir des droits à retraite. Il s'agit là, selon la Fédération nationale des associations de conjoints de travailleurs indépendants de France (ACTIF), consultée par votre rapporteure, d'un point positif. L'ACTIF regrette toutefois que le projet de loi ne permette pas un assouplissement des conditions du rachat de cotisations pour le conjoint collaborateur. Ce rachat demeure en effet limité au rachat des années pendant lesquelles ces personnes n'ont pu valider quatre trimestres et au rachat des périodes antérieures à la déclaration de statut de conjoint collaborateur (dans la limite de 24 trimestres, jusqu'au 31 décembre 2020).

L'étude d'impact jointe au projet de loi rappelle par exemple que l'on compte environ 100 000 conjoints collaborateurs, conjoints d'un chef d'exploitation agricole à raison de plus de 50 %.

Selon les informations transmises à votre rapporteure par la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, on comptait, à la fin de 2012, 178 078 pensionnés en qualité d'anciens collaborateurs. A la même période, la pension moyenne annualisée des retraités anciens collaborateurs avec une retraite complète était de 6 733 € en droits personnels, soit 561 € par mois.

9. Des dispositions spécifiques au régime agricole

Outre les dispositions de l'article 19, le texte prévoit des mesures spécifiques au régime des non-salariés agricoles (NSA).

L'étude d'impact du projet de loi rappelle que la pension moyenne de droit direct servie par le régime des non-salariés agricoles est de 377 €, toutes durées d'assurance confondues. Ce chiffre comprend les avantages complémentaires et le minimum vieillesse. Ces retraites sont inférieures de 40 % à celle des retraités du régime général : soit 625 € dans le régime pour une carrière complète, contre 1 015 € dans le régime général.

Or, la faiblesse des pensions agricoles est plus évidente encore pour les femmes, ce qui justifie les correctifs prévus aux articles 20 et 21.

La « pension majorée de référence » mise en place en 2009 permet de verser une retraite de 681,20 € par mois aux chefs d'exploitation et de 541,30 € par mois pour les conjoints et anciens conjoints collaborateurs et les aides familiaux. Or ce dispositif est subordonné à une durée de service minimale de 17,5 ans.

L'article 20 du projet de loi prévoit la suppression de cette condition de durée minimale d'assuranc e pour les pensions des non-salariées agricoles (chefs d'exploitation, veuves, collaborateurs d'exploitation ou d'entreprise agricole, anciens conjoints participant aux travaux et aides familiaux postérieures) liquidées après le 1er janvier 2014.

L'article 21 du projet de loi permet d'attribuer aux conjoints collaborateurs et aides familiaux - et non plus seulement aux chefs d'exploitation - des points gratuits au titre des années antérieures à leur affiliation au régime complémentaire obligatoire (RCO) . D'après l'étude d'impact, 72 % des bénéficiaires de la mesure seront des femmes.

Cet article étend également la pension de réversion du RCO aux conjoints d'assurés décédés en activité, c'est-à-dire avant d'avoir pu liquider leur pension.

En outre, le même article étend au régime complémentaire obligatoire - et non plus seulement à la retraite de base - le dispositif dit des « droits combinés ». Ce dernier permet au conjoint survivant d'un chef d'exploitation décédé avant d'avoir demandé la liquidation de sa pension, de cumuler les droits du défunt et ses droits propres.

Cette mesure permettra par exemple d'améliorer les pensions servies aux veuves d'agriculteurs décédés en activité lorsqu'elles reprennent l'exploitation.

Par ailleurs, l'article 22 porte la retraite des chefs d'exploitation ayant eu une carrière complète à 75 % du SMIC, quelle que soit la date de liquidation de la pension.

10. Mesures concernant les aidants familiaux

L'article 25 du projet de loi supprime la condition de ressources à laquelle sont aujourd'hui soumis les aidants familiaux (une écrasante majorité de femmes) pour bénéficier de l'affiliation gratuite à l'allocation vieillesse des parents au foyer (AVPF) et élargit le dispositif de l'AVPF sans condition de ressource aux aidants familiaux d'adultes lourdement handicapés ou de personnes âgées dépendantes.

La suppression de la condition de ressources a été jugée très positive par les représentants du Laboratoire de l'Égalité lors de leur audition par la délégation, le 10 octobre 2013.

Il institue aussi une majoration de durée d'assurance pour les aidants familiaux en charge d'un adulte lourdement handicapé ou de personnes âgées dépendantes, à l'instar de ce qui existe pour les enfants handicapés 45 ( * ) . Les représentants du Laboratoire de l'Égalité ont toutefois relativisé la portée de cette mesure en faisant observer que 20 ans de travail ne permettaient d'obtenir que deux ans de reconnaissance en vue de la retraite.


* 43 Ainsi que du chômage.

* 44 Artisans et commerçants, exploitants agricoles, professions libérales.

* 45 Majoration d'un trimestre par période de trente mois de prise en charge à temps complet et dans la limite de huit trimestres.

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