B. LES INÉGALITÉS EN MATIÈRE DE RETRAITES, REFLET DES INÉGALITÉS AU TRAVAIL
1. L'activité professionnelle des femmes fortement contrainte par une organisation sociale fondée sur une répartition traditionnelle des tâches au sein de la famille
Comme le remarque Thierry Pech 17 ( * ) , les femmes « restent de très loin les premières contributrices aux exigences de la vie familiale. Du berceau au tombeau, ce sont elles qui veillent le plus à la marche du foyer et au bien-être de ceux qui les entourent [...].
Faire la lessive, repasser le linge, mettre le couvert, préparer les repas, s'occuper des devoirs des enfants, organiser les activités du mercredi, penser à prendre rendez-vous chez le dentiste, à faire les courses..., voilà à quoi ressemble le quotidien de nombreuses familles. Et, dans beaucoup d'entre elles, ce fardeau repose d'abord sur le dos des femmes ».
Cette contribution décisive des femmes à la vie familiale se manifeste par le temps consacré aux enfants, aux personnes âgées de la famille et aux tâches ménagères. Elle pose le problème de l'évaluation de ce temps de travail invisible et gratuit qui affecte parfois leur disponibilité professionnelle et, en conséquence, leur niveau de revenu tout au long de la vie.
a) Éducation des enfants : temps partiel et interruption d'activité
25 % des mères interrompent aujourd'hui leur activité professionnelle après le congé-maternité.
Le taux d'activité des femmes est fonction de l'âge des enfants (il est plus faible quand les enfants sont jeunes). Il dépend aussi de leur nombre (comme l'a rappelé le COR, le taux d'interruption de l'activité professionnelle est de 38 % avec un enfant, de 50 % avec deux et de 69 % avec trois).
Selon la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), cette situation est liée à la situation socio-économique des ménages : dans les 20 % des foyers aux revenus les plus modestes, 91 % des enfants sont gardés par la famille. La proportion est à l'inverse de 31 % dans les 20 % des foyers disposant des revenus les plus élevés. Par ailleurs, en 2011, 96,5 % des enfants gardés par leur famille sont gardés par leur mère, ce qui est cohérent avec les statistiques de congés parentaux qui sont pris principalement par les mères.
Ainsi que l'observe l'Union nationale des associations familiales (UNAF), « ceux qui gardent principalement leurs enfants sont les moins diplômés, ont plus d'enfants [...] et ont des niveaux de vie moins élevés que ceux qui recourent principalement à d'autres modes de garde » .
Ce retrait du marché du travail ne résulte pas nécessairement d'un choix, mais du coût des modes de garde .
Le coût des modes de garde contribue également à expliquer les décisions d'interruption professionnelle des femmes : selon Thierry Pech, « pour un couple qui gagne deux SMIC, le reste à charge pour l'emploi d'un assistant maternel coûte 252 €, contre 96 € en crèche » . Le reste à charge pour le même niveau de revenu est de 320 € environ pour une garde partagée à domicile. Par ailleurs, il faut compter environ 1 100 € pour une garde à domicile par une employée.
Une autre explication réside évidemment dans l'insuffisance des modes de garde collectifs .
En 2011, la CNAF ne comptait que 50 places de crèche pour 100 enfants 18 ( * ) . Or, les besoins en places de crèches sont estimés à 400 000 - 500 000 places , à rapporter à la création de 275 000 solutions d'accueil pour les enfants en bas âge annoncés par le gouvernement en juin 2013 à l'échéance de 2017 (100 000 places de crèche, 100 000 places chez les assistants maternels et 75 000 places en écoles maternelles).
Actuellement, un enfant de moins de trois ans sur deux ne dispose pas de place d'accueil en dehors de sa famille. Les régions les moins bien équipées seraient l'Ile-de-France, le Languedoc-Roussillon et la région PACA, où le ratio est de 29 à 59 places d'accueil pour 100 enfants de moins de trois ans (76 pour 100 en Bretagne et en Pays-de-Loire).
Si l'on considère, comme le relève l'étude précitée, Femmes-hommes, l'égalité en action , qu'une place de crèche coûte 15 000 € pour les municipalités en investissement puis 6 000 € par an en fonctionnement, le complément de libre choix d'activité constitue une alternative moins coûteuse puisque, même dans l'hypothèse de son versement pendant trois ans (ce qui n'est pas le cas pour toutes les naissances), il représente, pour les parents qui le perçoivent, entre 13 809 € et 20 376 €, soit moins que ce que représentent la création et l'entretien de places de crèches.
Cette prestation contribue à soustraire du marché du travail des mères qui auront du mal à retrouver un emploi par la suite et à conforter les écarts de pension entre hommes et femmes.
Il est donc très opportun que les contours de cette prestation soient actuellement redéfinis dans le cadre de la discussion de la loi pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans le sens d'un partage entre les parents.
Cette évolution ne fait que rendre plus urgente encore la mise en place de solutions d'accueil annoncée par le gouvernement. Le recours au travail domestique ne saurait être considéré comme une solution durable par rapport au service public d'accueil de la petite enfance.
b) Soins aux proches âgés dépendants
« Comme partout en Europe, les femmes en France sont plus souvent en position d'aidantes que les hommes » : tel est le constat d'une étude mettant en évidence que la dépendance reste « aujourd'hui l'affaire des femmes » 19 ( * ) . Cette étude souligne que pour 80 % des personnes âgées vivant à domicile, l'aide provient de l'entourage ; en 2000, il s'agissait d'une fille pour 75 % des cas d'aide à un parent, d'une femme pour 70 % des cas d'aide à un conjoint.
De fait, les aidants familiaux, qui sont actuellement plus de 3 millions en France, sont à 60 % des femmes ; leur âge moyen est de 52 ans.
Les statistiques font ressortir une moindre implication des hommes dans l'aide aux personnes dépendantes de leur entourage . Face à la dépendance, mieux vaut être un homme qu'une femme car, comme le relève l'étude précitée, « à niveau de dépendance équivalent, les hommes ont plus souvent leur épouse placée en établissement que l'inverse » .
Par ailleurs, les femmes consacrent plus de temps aux soins des personnes dépendantes de leur entourage (2 heure de plus par jour en moyenne) :
- quand elles interviennent auprès de leur conjoint, cette activité est exercée à plein temps et elles y passent 9 heures 45 par jour (7 heures 20 pour les époux s'occupant de leur conjointe dépendante) ;
- les filles sont plus impliquées que les fils : 4 heures 30 par jour en moyenne contre 2 heures 40.
Actuellement, le nombre de personnes dépendantes âgées de 60 ans et plus est estimé à un million (une personne sur quatre a plus de 85 ans). 719 000 personnes vivent à domicile et ont donc besoin d'une aide. Or, le nombre de personnes dépendantes étant appelé à croître de 50 % à l'échéance de 2040, le service ainsi rendu à la collectivité par les aidants familiaux doit être reconnu car leur rôle va devenir de plus en plus crucial.
Cette reconnaissance est d'autant plus importante que l'aide rendue n'est pas sans effets sur l'activité professionnelle : 11 % des aidants familiaux déclarent avoir aménagé leur vie professionnelle, et plus d'un tiers réduit le nombre d'heures travaillées .
Ces aménagements ne peuvent être sans conséquences sur le niveau de retraite des aidants, qui sont des femmes en majorité , et qui peuvent avoir déjà subi des interruptions d'activité professionnelle du fait des maternités.
c) Tâches ménagères : à quand un partage des tâches plus équitable ?
80 % des tâches domestiques sont assurés par les femmes ; la proportion reste importante (2/3 des tâches) dans les familles où les femmes travaillent. Les tâches relatives aux courses, au ménage, à l'entretien du linge et à la cuisine (hors soins aux enfants et aux adultes) représentent un temps de travail de 2 heures environ par jour, selon l'étude précité de Thierry Pech.
Les femmes consacrent aux tâches domestiques 1 heure 30 par jour de plus que leur conjoint. Si le temps consacré à ces tâches a baissé depuis 10 ans, cette diminution n'est pas liée à une meilleure participation des hommes, mais au progrès technique et aux nouvelles technologies (courses en ligne et livraisons à domicile, plats cuisinés...) ainsi qu'au recours aux services à la personne 20 ( * ) . À volume de tâches domestiques égal et au rythme actuel d'évolution du partage des tâches, « il faudrait 900 ans pour arriver à la parité parfaite à la maison ».
d) Le travail gratuit des femmes : quelle comptabilisation, quelle valorisation, quelle compensation ? La question de la double journée
L'INSEE a classifié le travail domestique en trois catégories 21 ( * ) :
- le périmètre restreint concerne « le coeur des tâches domestiques » : cuisine, entretien du linge, gestion du ménage, soins matériels aux enfants et accompagnements de ceux-ci ;
- le périmètre intermédiaire ajoute les activités à la frontière des loisirs (courses, jardinage, bricolage, jeux avec les enfants) ;
- le périmètre le plus large est étendu aux activités telles que promener un animal ou effectuer pour soi-même des trajets en voiture.
Votre rapporteure exclura, dans le raisonnement ci-après, le périmètre le plus large.
Selon l'INSEE, ces données sont variables en fonction de l'âge et du sexe. L'étude de l'INSSE a établi qu' une femme vivant en couple et mère d'un ou plusieurs enfants de moins de 25 ans réalise en moyenne 28 heures par semaine de travail dans le périmètre restreint, 34 heures dans le périmètre intermédiaire.
Le travail ainsi produit par les femmes dans la sphère domestique représente donc quasiment l'équivalent du temps de travail effectué dans un cadre professionnel par un salarié aux 35 heures. Or, ce temps de travail domestique ne connaît ni week-ends, ni réduction du temps de travail (RTT), ni vacances. On peut donc bien parler de la double journée des femmes ...
L'INSEE a évalué le temps de travail domestique à 42 milliards d'heures pour le périmètre restreint en 2010, à rapprocher des 38 milliards d'heures rémunérées effectuées pendant cette période.
Une évaluation de la valeur de ce travail domestique est nécessairement imparfaite, car il est difficile d'attribuer un prix à ces heures de travail, lequel ne peut être que fictif puisque celui-ci ne fait pas l'objet d'une transaction.
Si l'on retient, comme le suggère dans un premier temps l'INSEE, le salaire minimum interprofessionnel de croissance ( SMIC) net de 2010 (6,95 € de l'heure), la valeur du travail domestique restreint atteint 292 milliards d'euros en 2010, soit 15 % du produit intérieur brut (PIB) .
Si les femmes pouvaient exercer leur activité professionnelle pendant les 28 heures par semaine qu'elles consacrent aux tâches ménagères (selon l'estimation basse de l'INSEE), elles pourraient gagner environ 784 € de plus par mois sur la base du SMIC net.
Encore cette évaluation, basée sur le SMIC, est-elle très inférieure à ce que gagneraient réellement certaines femmes si elles pouvaient travailler pendant le temps qu'elles consacrent à l'organisation de la vie familiale. On mesure ainsi le manque à gagner que peut représenter un partage des tâches inégal au sein du foyer.
2. La question des inégalités salariales et la faible valorisation des métiers dits féminins
a) La précarité au féminin
Selon une analyse de l'INSEE 22 ( * ) , le taux de chômage des jeunes femmes ayant terminé leurs études depuis moins de six ans est de 14 % ; le taux de chômage de leurs homologues masculins est plus élevé : 16 %.
Toutefois, en dépit de ce progrès, lié à l'élévation régulière du niveau de formation des jeunes filles, les conditions d'emploi des jeunes femmes ne s'améliorent pas : « cinq ans après leur sortie du système scolaire, elles connaissent plus souvent la précarité que les hommes : davantage en CDD ou en emplois aidés si elles sont peu ou pas diplômées, et surtout beaucoup plus à temps partiel » 23 ( * ) . Ainsi, le taux d'activité des jeunes femmes (86 %) reste, selon l'étude précitée de l'INSEE, inférieur de six points à celui des jeunes hommes.
Près de 25 % des jeunes salariées peu diplômées sont concernées par un temps partiel imposé, qui ne s'explique pas par les contraintes familiales. Cette proportion est de 10 % pour les jeunes hommes peu diplômés : il s'agit donc d'une forme de sous-emploi. Selon l'étude de l'INSEE précitée 24 ( * ) , la proportion de jeunes femmes à temps partiel involontaire en début de carrière était en 2009 de 12 %, toutes catégories confondues (contre seulement 3 % pour les jeunes hommes).
Or, le temps partiel est assorti de rémunérations peu élevées, dont les conséquences se font sentir au moment de la liquidation des droits. L'écart entre hommes et femmes commence donc à se manifester en début de carrière.
Par ailleurs, les bas salaires sont à majorité féminins : ils concernent 24 % des femmes (8 % des hommes) : 75 % des salariés à bas salaire sont des femmes. Cette proportion serait de 10 points supérieure à ce qu'elle était au début des années 1990 25 ( * ) .
b) Le maintien de fortes inégalités salariales
Un constat statistique : un écart de 18 à 28 %
L'écart entre les salaires des femmes et ceux des hommes, qui se resserrait depuis les années 1970, ne bouge plus depuis le début des années 1990. En 1995, le salaire des femmes en équivalent temps complet représentait 79 % de celui des hommes. En 2010, ce chiffre était de 81 % : « À ce rythme, la parité sera atteinte en 2105 ! » , observent les économistes Sophie Ponthieux et Dominique Meurs 26 ( * ) .
Selon l'INSEE, l'écart des rémunérations entre hommes et femmes a était de 28 % en 2010 dans le privé 27 ( * ) . Il s'explique par un niveau de salaire horaire moyen inférieur de 18 % à celui des hommes.
La différence de salaire est aggravée par un nombre d'heures de travail moyen inférieur de 13 % dans l'année pour les femmes. Ce chiffre prend en compte l'inactivité et le chômage. Mais l'écart de temps de travail entre hommes et femmes demeure pour les salariés à temps complet car les femmes effectuent en général moins d'heures supplémentaires.
Les chiffres publiés par l'INSEE en février 2012 montrent que cet écart de salaires a cessé de se réduire depuis le début des années 1990.
Une étude de l'Observatoire des inégalités met en évidence les variations de l'écart de salaire entre hommes et femmes selon les données prises en compte :
- tous temps de travail confondus, il est environ de 27 % (cette moyenne recouvre les différences liées à la qualification et au temps de travail ;
- si l'on neutralise les différences causées par le temps de travail , la différence est de 24 % ;
- abstraction faite des écarts dus à la rémunération des heures supplémentaires et aux primes , l'écart est de 14 % ;
- il reste un écart inexpliqué de 9 % une fois neutralisé l'effet des différences de diplôme et de qualification.
Une étude 28 ( * ) de l'INSEE relève que, dans les activités financières et d'assurance, si la part des femmes cadres a augmenté (passant de 30 à 42 %), cette évolution ne s'est pas traduite par une réduction des écarts de salaire :
- d'une part, en raison de l'âge de ces femmes, qui ont moins d'ancienneté que leurs homologues masculins : leur salaire horaire est inférieur de 31 % à celui des hommes ;
- d'autre part, du fait de l'importance des primes dans la rémunération : la part subjective de la rémunération serait plus élevée pour les hommes, ce qui contribue à expliquer des écarts de salaires croissants entre femmes et hommes cadres (de 27 % en 1995 à 34 % en 2010).
Dans la fonction publique , où les femmes occupent près de 65 % des postes , la même étude de l'INSEE montre qu'en dépit de l'application de grilles statutaires qui garantissent de moindres écarts de rémunération, on observe néanmoins, en 2010, une différence aux dépens des femmes :
- de 18 % pour la fonction publique de l'État ;
- de 17 % dans la fonction publique territoriale ;
- de 21 % dans la fonction publique hospitalière.
Ces écarts s'expliquent, là encore, par le temps de travail et par l'incidence des heures supplémentaires et des primes. Ils ont aussi pour origine la surreprésentation des femmes dans les catégories où les niveaux de rémunération sont moins élevés (infirmières, aides-soignantes, enseignantes...). Votre rapporteure reviendra sur ce point.
L'incidence des heures supplémentaires et des primes expliquerait un différentiel de salaire de 23 % dans la catégorie A .
Le « soupçon de maternité » ou le « plafond de mère » , transposition de l'expression « plafond de verre », vient spontanément à l'esprit quand on cherche à expliquer les inégalités de salaire entre hommes et femmes.
L'incidence réelle ou supposée des maternités sur la vie professionnelle des femmes est évidente : les femmes seraient considérées, à cause de leurs charges familiales, comme des collaborateurs moins disponibles , ce qui justifierait - dans cette logique - l'attribution de salaires moins élevés que ceux des hommes.
De fait, en 2010, une femme sur deux réduit son activité après une naissance (un homme sur dix) et « 55 % des femmes ont interrompu ou ralenti leur carrière, le plus souvent en prenant un congé parental à temps plein ou à temps partiel » 29 ( * ) . La formule du congé parental semble l'emporter chez les femmes peu diplômées, probablement parce que la perte de salaire anticipée sera moins importante compte tenu du montant du complément de libre choix d'activité. En revanche, le temps partiel semble privilégié par les femmes plus qualifiées.
La maternité ne suffit toutefois pas à expliquer les différentiels de salaire entre hommes et femmes. Une comparaison entre les salaires des femmes et des hommes de la tranche d'âge 39-49 ans, pour laquelle l'hypothèse d'une maternité est moins évidente, établit un écart :
- de 23 % entre les femmes qui ont interrompu leur activité professionnelle et celles qui ont travaillé en continu ;
- de 17 % entre les femmes et les hommes qui ne se sont jamais arrêtés de travailler 30 ( * ) .
Cet écart de 17 % ne se justifie pas par des raisons objectives liées à la maternité. Il ne s'explique pas non plus par des différences de qualification car « ces femmes sont en moyenne un peu plus diplômées que les hommes » 31 ( * ) .
Une des causes de ce différentiel non justifié est donc à chercher dans les préjugés qui pèsent sur l'emploi des femmes à cause du « soupçon de maternité » : « Au fond, maternité ou pas, l'ombre des enfants pèse sur toutes les femmes. L'anticipation que fera l'entreprise est toujours négative : sans s'appuyer sur des critères objectifs, on suppose que la priorité ne sera pas donnée à l'entreprise, alors même que certaines femmes adoptent un comportement conforme aux attentes managériales (moins d'enfants, plus de diplômes, pas d'interruption de carrière) » 32 ( * ) .
Une autre explication est à rechercher dans les activités professionnelles exercées par les femmes.
Les femmes sont concentrées dans un nombre limité de métiers (12 familles professionnelles sur 87) 33 ( * ) .
Or, les familles professionnelles où les femmes sont majoritaires correspondent le plus souvent à des fonctions moins bien rémunérées que les métiers à dominante masculine : secrétaires (98 % de femmes), caissières, aides-soignantes (90 % de femmes), vendeuses, aides à domicile ou aides ménagères (97 % de femmes), enseignantes, sages-femmes et infirmières (88 % de femmes)...
Tout se passe comme si les femmes avaient investi des secteurs d'activité qui « prolongent le rôle qu'elles assuraient autrefois au sein des familles » 34 ( * ) .
De ce fait la technicité des emplois à dominante féminine tarde à être reconnue , ce qui n'est pas le cas des domaines où les hommes sont majoritaires, par exemple dans le bâtiment ou l'industrie.
Le constat de faibles rémunérations relatives pour les femmes s'applique même dans les professions qui étaient encore jusqu'à une période récente considérés comme des métiers d'hommes . La profession d'avocat constitue une illustration éclairante de ce qui précède. Selon le ministère de la justice, le revenu annuel moyen des avocates (52 650 €) représenterait à peine la moitié de celui des avocats (106 817 €). Cette différence sensible s'explique essentiellement par un accès encore limité des avocates aux responsabilités. Si la profession d'avocat est très largement féminisée (53 % de femmes en 2013, 45 % en 2000), en revanche les avocates sont sous-représentées parmi les associés (16,6 %) : 83,4 % des avocates en France sont collaborateurs de cabinet (60 % à Paris).
En ce qui concerne l'accès aux postes de décision, les effets des obstacles informels à la progression de carrière des femmes (le « plafond de verre ») aboutissent à ce que, par exemple, l'on compte seulement 10 % de femmes à la tête d'entreprises.
c) À travail égal, salaire égal : l'indispensable revalorisation des professions féminines
Des études sociologiques ont mis en évidence les présupposés qui affectent le travail féminin, auquel sont traditionnellement associées des caractéristiques proches des tâches ménagères : « Aux femmes la minutie, l'habilité et la dextérité, tandis que l'on reconnaîtra aux hommes la force physique la vraie possession du métier » 35 ( * ) .
L'article premier de l'accord national interprofessionnel du 1 er mars 2004 déplore que le travail féminin soit traditionnellement associé à de faibles qualifications, censées être transposées de la sphère domestique et qu'il paraisse davantage lié à des aptitudes innées (méticulosité, douceur, capacité d'écoute...) qu'à un « véritable métier ».
Toute autre est, en revanche, l'approche des activités masculines, associées le plus souvent à la force physique et à la compétence. Ce point de vue explique, comme le rappelle le Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine précité, que ces emplois aient été « moins bien considérés dans les conventions collectives, moins bien évalués dans les classifications et donc moins bien rémunérés » .
Ce guide interroge donc, en vue de futures négociations collectives, les méthodes de classification professionnelles et relève qu'elles ne sont pas « neutres du point de vue du genre » .
La revalorisation des emplois à prédominance féminine est en effet un enjeu d'actualité pour « aller plus loin dans l'analyse des inégalités de salaire » et la mise en oeuvre de correctifs . L'ouvrage du Défenseur des droits propose donc une démarche pour parvenir à une évaluation non discriminante des emplois et à une réévaluation des emplois à prédominance féminine.
En effet, les grilles de classification des branches sont élaborées à partir de critères ignorant les exigences qui caractérisent les emplois fréquemment confiés à des femmes . À titre d'exemple, le guide précité cite la surévaluation de critères tels que « l'autonomie » ou « l'initiative créatrice » qui caractériseraient des emplois essentiellement masculins, associés à une « culture métier » valorisée.
Dans cet esprit, on relève que « certaines grilles de classification ne portent que sur les tâches dominantes d'un emploi, considérant qu'il serait trop compliqué d'évaluer la totalité des tâches. Cela induit une sous-évaluation automatique des emplois à prédominance féminine dont la caractéristique est d'être, justement, multidimensionnel » 36 ( * ) . Un exemple typique serait celui des emplois d'assistante « qui cumulent des tâches relationnelles, organisationnelles, administratives et bureautiques qu'il faut mobiliser successivement » 37 ( * ) .
L'omission des exigences liées à la polyvalence et à la poly-activité, qui caractérisent souvent les emplois féminins, est fréquente. Or, les qualités qu'elles supposent sont associées à des emplois « fourre-tout » négativement connotés et faisant appel à des « compétences invisibles ».
En résumé, bien qu'apparemment neutres, ces critères d'évaluation, « quand on les applique, vont systématiquement sous-valoriser les emplois à prédominance féminine » 38 ( * ) . Ainsi voit-on un BTS (brevet de technicien supérieur) technique ou industriel surévalué par rapport au même diplôme à vocation administrative et tertiaire.
Par ailleurs, le guide relève que les grilles de classification des emplois ne s'appuient pas sur les conditions de travail, qui pourtant peuvent considérablement affecter l'évaluation des emplois.
En dépit de cette valorisation insuffisante des emplois féminins, la jurisprudence française a donné gain de cause à des femmes qui s'estimaient victimes de discrimination salariale en raison de leur sexe en comparant les valeurs respectives d'emplois différents, appréciée en fonction de la nature du travail effectivement accompli.
La Cour de cassation a ainsi considéré, en dépassant les grilles de classification professionnelle existantes, que la charge nerveuse subie par des ouvrières équivalait aux contraintes physiques imposées aux ouvriers d'une même entreprise exerçant un métier différent 39 ( * ) . Dans le même esprit, elle a jugé que trier des champignons était aussi pénible que de les charger dans un camion 40 ( * ) . Plus récemment, elle a considéré qu'une cadre responsable des ressources humaines ne pouvait être payée moins que ses collègues masculins directeurs financier et commercial, membres comme elle du comité de direction, ayant le même niveau hiérarchique : le juge a considéré que cette cadre RH avait une importance comparable à ses collègues masculins 41 ( * ) .
Mais ces jurisprudences n'ont qu'un impact individuel et ne peuvent se substituer à l'indispensable prise de conscience collective de ces insuffisantes classifications professionnelles dont pâtit l'emploi féminin.
À cet égard, le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, en cours de discussion, a précisé fort opportunément les conséquences des mises à jour des classifications d'emplois au sein d'une branche prévus tous les cinq ans par l'article L. 2241-7 du code du travail. Dans sa rédaction en vigueur avant l'adoption du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, cet article se bornait à prévoir que « ces négociations prendront en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » .
Le Sénat a souhaité préciser :
- que la réduction des écarts de salaires entre femmes et hommes doit être une priorité et des « actions de rattrapage engagées à cet effet » , « si un écart moyen de rémunération est constaté » ;
- et que les critères d'évaluation des différents postes de travail doivent être analysés à des fins de correction de ceux qui sont susceptibles d'induire des discriminations entre femmes et hommes. Dans le même esprit, l'article L. 2241-1 du code du travail relatif aux négociations annuelles sur les salaires dans les organisations liées par un accord de branche a été complété pour que ces négociations portent non seulement sur l'objectif d'égalité entre hommes et femmes, mais aussi sur « les mesures permettant de l'atteindre » .
De même, le Sénat a complété l'article L. 2323-57 du code du travail pour que l'avis soumis par l'employeur au comité d'entreprise, dans les entreprises d'au moins 300 salariés, analyse « dans quelle mesure les niveaux de rémunération des deux sexes s'expliquent par leur niveau de qualification et par leur ancienneté » .
Ces diverses précisions apportées lors de la discussion au Sénat du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes ont pour objet de permettre aux négociations collectives de mettre à plat les écarts de rémunération entre salariés et salariées pour encourager l'adoption de mesures susceptibles de corriger d'éventuelles discriminations.
3. La question de la sous-évaluation de la pénibilité au féminin
La question de la sous-évaluation de la pénibilité des emplois féminins et des risques auxquels les femmes sont exposées au travail a été développée dans un précédent rapport d'information de la délégation 42 ( * ) .
Les critères de pénibilité résultent d'une liste figurant à l'article D. 4121-5 du code du travail, établie en concertation avec les partenaires sociaux.
Ils se répartissent entre trois catégories d'exposition :
- au titre des contraintes physiques marquées : les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations et les vibrations mécaniques ;
- au titre de l'environnement physique agressif : les agents chimiques dangereux, y compris les poussières et les fumées, les activités exercées en milieu hyperbare, les températures extrêmes et le bruit ;
- au titre de certains rythmes de travail : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et le travail répétitif.
Ces critères correspondent à la pénibilité à laquelle sont exposées les personnes, par exemple dans l'industrie, où l'emploi masculin est prédominant. Ils semblent moins adaptés aux caractéristiques des emplois féminins, qui s'exercent essentiellement dans le secteur tertiaire .
Ainsi ces facteurs ne prennent-ils pas systématiquement en compte certains aspects des métiers exercés par exemple au contact du public (métiers de l'accueil, du social et de l'enseignement). On le sait pourtant, ces emplois sont, comme le soulignait le rapport d'information de la délégation précité, « émotionnellement exigeants ». Or ces métiers concernent surtout des femmes
Le rapport de la délégation souligne la permanence d'une « vision restée très masculine de l'organisation du travail, les emplois occupés par les femmes sont considérés, a priori , comme moins lourds, moins astreignants, moins pénibles et moins dangereux que ceux occupés par des hommes » .
Il montre aussi que, de ce fait, « la dureté des emplois féminins reste systématiquement sous-évaluée » . À titre d'exemple, il cite une remarque très éclairante des responsables de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) auditionnés alors par la délégation. Une enquête réalisée par la DARES (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social) montre ainsi que, à la question « Portez-vous des charges ? » , un homme qui soulève des colis de 20 kg répondra positivement. Mais une femme travaillant dans le secteur des soins à la personne et qui est amenée à soulever des patients beaucoup plus pesants, aura tendance à répondre négativement.
De ce fait et en raison de cette attitude peut-être trop discrète des femmes, le rapport souligne que « la construction de l'appareil statistique concourt à l'invisibilité des pénibilités et des risques des emplois à prédominance féminine » .
Lors de son audition par la délégation, les représentants du Laboratoire de l'Égalité ont fait état d'une prise en compte insuffisante des facteurs de pénibilité liées à la prise en charge d'un parent handicapé ou âgé par les aidants familiaux (qui sont en majorité des femmes) et à l'exercice des métiers de la petite enfance, qui conduisent les personnes qui les exercent à porter tout au long de la journée de travail des poids importants.
Votre rapporteure propose donc que, comme la délégation l'a déjà suggéré en conclusion du rapport précité, que des statistiques de pénibilité soient systématiquement effectuées sur la base d'une différenciation par genre.
Il conviendrait également d'attirer l'attention des organisations syndicales sur la nécessité d'assurer une représentation équilibrée des hommes et des femmes lors des renégociations des conventions collectives de branches, afin d'assurer la prise en compte de la pénibilité spécifique de certains emplois féminins.
Par ailleurs, votre rapporteure estime que la définition de la pénibilité qui résulte de la rédaction actuellement en vigueur du code du travail laisse de côté cette pénibilité particulière qui résulte de certains modes d'organisation du travail qui se traduisent pour les salariés par des horaires fractionnés et des amplitudes horaires disproportionnées au regard du temps effectivement travaillé .
Or les conséquences d'une telle organisation pour celles qui la subissent sont une désorganisation complète de la vie personnelle, des temps de transport très élevés, des trajets multipliés dans la journée (avec une forte augmentation des accidents de trajet mise en évidence par le rapport précité de la délégation : Femmes au travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation ) et une rémunération généralement faible au regard de toute ces contraintes .
Votre rapporteure propose donc que soit assimilée à un facteur de pénibilité l'organisation du travail qui se traduit par un écart important entre l'amplitude horaire qu'il exige des salariés et le temps effectivement travaillé.
* 17 Thierry Pech, « Les femmes, chevilles ouvrières de la famille » , Femmes-hommes, l'égalité en action , Alternatives économiques, septembre 2013.
* 18 Thierry Pech, « Les femmes, cheville ouvrière de la famille » , op. cit .
* 19 Carole Bonnet, Emmanuelle Cambois, Chantal Cases, Joëlle Gaymu, Population et société , n° 483, novembre 2011.
* 20 Thierry Pech, « Les femmes, chevilles ouvrières de la famille » , op. cit .
* 21 Delphine Roy, « Le travail domestique : 60 milliards d'heures en 2010 » , INSEE, n° 1423, novembre 2012.
* 22 Alice Mainguené, « Les femmes commencent à tirer profit de leur réussite scolaire », INSEE.
* 23 Rachel Silvera, « La course de sauts d'obstacles des femmes » , Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, hors-série.
* 24 Alice Mainguené, « Les femmes commencent à tirer profit de leur réussite scolaire » , op. cit .
* 25 Françoise Milewski, « La précarité au féminin », Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, hors-série.
* 26 Sophie Ponthieux et Dominique Meurs, « Les écarts de salaire ne bougent pas », Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, hors-série.
* 27 Thomas Morin et Nathan Remila, « Le revenu salarial des femmes reste inférieur à celui des hommes », INSEE.
* 28 Thomas Morin et Nathan Remila, « Le revenu salarial des femmes reste inférieur à celui des hommes » , INSEE.
* 29 Rachel Silvera, « La course de saut d'obstacle des femmes », op. cit .
* 30 Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Sophie Ponthieux, « Enfants, interruptions d'activité des femmes et écarts de salaire entre les sexes » , La revue de l'OFCE, n° 114, juillet 2010.
* 31 Rachel Silvera, op. cit.
* 32 Rachel Silvera, op. cit.
* 33 Chiffres issus du Guide pour une évaluation discriminante des emplois à prédominance féminine publié en 2012 par le Défenseur des droits.
* 34 Naïri Nahapétian, « La lente progression de la mixité dans les métiers » , Femmes-hommes, l'égalité en action.
* 35 Séverine Lemière, Rachel Silvera et Marie Becker, Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine, Défenseur des droits, op. cit.
* 36 Séverine Lemière, « Il faut déconstruire la hiérarchie des métiers » , Femmes-hommes, l'égalité en action, Alternatives économiques, septembre 2013.
* 37 Séverine Lemière, « Il faut déconstruire la hiérarchie des métiers » , op. cit.
* 38 Séverine Lemière, « Il faut déconstruire la hiérarchie des métiers » , op. cit.
* 39 Cass. Soc. 6 novembre 1990, n° 89-86-526.
* 40 Cass. Soc. 12 février 1987, n° 95-41-694.
* 41 Cass. Soc. 6 juillet 2010, n° 09-40-021.
* 42 Femmes et travail : agir pour un nouvel âge de l'émancipation , Rapport d'activité 2012 de Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (n° 279, 2012-2013), 23 janvier 2013.