III. CERTAINES CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE GRÈVE SONT CRITIQUÉES TANT PAR LES EMPLOYEURS QUE PAR LES SYNDICATS DE SALARIÉS

A. LES SYNDICATS REGRETTENT LA FAIBLESSE DU DIALOGUE SOCIAL

1. La notification unilatérale de l'employeur sur l'illégalité du préavis de grève : une technique pour dissuader les salariés ?

En dehors du cas d'un salarié faisant grève sans en avoir informé son employeur quarante-huit heures à l'avance, la jurisprudence a conditionné la licéité de sanctions disciplinaires à la notification préalable par l'employeur de l'illégalité d'une grève. Ainsi, dans un récent arrêt du 30 janvier 2013 42 ( * ) , la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que la participation d'un salarié à un mouvement de grève était fautive dès lors que la ou les organisations syndicales n'ont pas respecté les règles en matière de négociation préalable et que l'employeur a averti les personnel de cette irrégularité, le caractère national du préavis de grève et l'information de l'employeur sur ce point par l'inspecteur du travail n'ayant aucune incidence.

Or, certains syndicats auditionnés ont mis en avant le fait que quelques employeurs tentent de dissuader les salariés de prendre part à une grève en déclarant, de manière unilatérale et sans argument juridique incontestable, que le préavis est illégal, ce qui expose les contrevenants à d'éventuelles sanctions disciplinaires.

Vos rapporteurs n'ont pas été en mesure de mener un travail de recherche approfondi sur ce point et de vérifier la réalité de ces assertions. Il est toutefois clair que, s'il est difficile de prévenir de tels comportements, seul le juge a, en principe, le pouvoir de les sanctionner et de décider de la légalité d'un préavis de grève.

2. Des négociations préalables souvent purement formelles

L'immense majorité des représentants syndicaux ont déploré le fait que les directions refusent de négocier véritablement pendant la phase de concertation.

Le secteur du transport urbain de province n'est pas le seul concerné. A la SNCF et à la RATP, où le dialogue social est pourtant institutionnalisé, les directions ont recours de manière accrue, selon les syndicats, à l'action unilatérale tant qu'un véritable rapport de force n'a pas été établi avec elles. Cette situation est illustrée par la part croissante des DCI à la SNCF ou des alarmes sociales à la RATP qui se soldent par un constat de désaccord. Ainsi, comme on l'a vu précédemment, seulement 36 % des alarmes sociales se sont conclues par un constat d'accord à la RATP en 2012 contre 56 % en 2007.

Une telle situation, contraire à l'esprit de la loi, est préoccupante car elle contrevient à la volonté du législateur et, au final, fait peser sur les usagers du service public de transport un risque de perturbations accru. C'est également un signe de défiance entre partenaires sociaux dans les entreprises de transport. Les directions doivent donc comprendre que l'apaisement du dialogue social passe par l'utilisation de toutes les ressources et possibilités qui leur sont confiées par la loi. De leur côté, les organisations syndicales doivent s'engager dans une telle démarche non pour médiatiser leur action auprès de leur base et rechercher un positionnement tactique favorable en vue de prochaines échéances électorales professionnelles mais dans l'optique de mener une négociation fructueuse.

3. L'absence de l'AOT à la table des négociations

De nombreux représentants syndicaux estiment que des conflits pourraient être évités si les représentants de l'AOT étaient directement associés à la négociation préalable. Selon eux, les directions repoussent certaines revendications en mettant en avant leur impact financier majeur et soutiennent qu'elles ne peuvent trouver de solution que dans le cadre de la convention d'exploitation liant l'AOT et l'entreprise.

A l'inverse, certains considèrent que l'AOT ne doit pas s'immiscer dans les relations habituelles entre la direction et les syndicats, afin de ne pas mélanger les rôles entre les différents acteurs. Telle est la position de M. Charles-Eric Lemaignen, président de la communauté d'agglomération Orléans-Val de Loire, qui a rappelé à vos rapporteurs la « tentation des partenaires sociaux » de solliciter les élus locaux pour régler les problèmes internes à l'entreprise de transport. Toutefois, M. Lemaignen considère que l'AOT doit jouer un rôle de premier plan en matière de sécurité dans les transports publics.

Vos rapporteurs considèrent pour leur part que les AOT doivent exiger d'être tenues régulièrement informées de la situation sociale dans les entreprises de transport tout en veillant, sauf cas exceptionnel ou circonstances particulières, à ne pas s'immiscer dans les relations entre la direction et les syndicats de salariés.

4. Les conditions peu satisfaisantes de recueil des déclarations préalables

Dans le secteur du transport urbain, l'accord de branche du 3 décembre 2007 prévoit des binômes employeur-syndicats, sauf accord contraire exprès entre partenaires sociaux, pour recueillir les déclarations préalables des salariés. D'après les résultats de l'enquête effectuée par l'UTP auprès de ses adhérents en juin 2012, 34 entreprises sur les 65 ayant répondu à la question utilisent le système du binôme paritaire pour recueillir les déclarations de grève des salariés.

Toutefois, des situations inacceptables ont été signalées par certaines organisations syndicales à vos rapporteurs lors de leurs auditions. La confidentialité des déclarations n'est parfois pas assurée et ce sont mêmes les organisations syndicales qui, dans certains cas, doivent les récolter dans les entreprises où les binômes n'ont pas été mis en place. De telles situations seraient évidemment contraires à la loi et intolérables.

Par ailleurs, de nombreux représentants de syndicats ont souligné les difficultés pour les salariés de se déclarer quarante-huit heures avant leur participation à une grève du fait de l'impossibilité de connaître à l'avance leur service. Les entreprises de transport expliquent que le logiciel informatique de gestion et de planification des horaires ne peut pas offrir davantage de réactivité et que certains salariés sont réticents à se déclarer grévistes dans une plage horaire s'il s'avère après coup qu'elle ne correspond pas à leur service.

5. Un pas supplémentaire dans la judiciarisation des relations de travail

Aux yeux de la très grande majorité des organisations syndicales auditionnées par vos rapporteurs, la loi du 21 août 2007 n'a pas eu pour effet de faciliter les rapports sociaux dans les entreprises de transport. Elle aurait au contraire transformé l'exercice d'un droit constitutionnel fondamental, le droit de grève, en une affaire de spécialistes, dont la majorité des salariés ne connait qu'imparfaitement les règles.

Cette complexification du droit de défendre des revendications professionnelles, au lieu de favoriser le dialogue social dans le secteur des transports, contribuerait à la judiciarisation des relations de travail que ces organisations syndicales dénoncent. Ainsi, la menace de sanction disciplinaire que fait peser la loi sur les salariés n'ayant pas fait part à leur employeur de leur intention de faire grève quarante-huit heures à l'avance est de nature à décourager certains salariés de faire grève. Le juge judiciaire a déjà été amené à se prononcer à plusieurs reprises sur le bien-fondé de telles sanctions, en fonction du cas d'espèce au titre duquel elles ont été prononcées.

Pour les représentants de la CGT auditionnés par vos rapporteurs, la loi du 21 août 2007 a créé plus de conflits qu'elle n'en a résolus. Cette appréciation générale, qui repose essentiellement sur leurs ressentis personnels, n'illustre pas moins la défiance toujours présente chez les syndicats envers ce texte. Selon eux, il a durci les rapports humains dans les entreprises, facilitant le « pourrissement » des conflits sociaux plutôt que leur résolution rapide.

Conscients du fait que les séquelles d'un long mouvement social peuvent mettre plusieurs années à s'effacer au sein d'une entreprise, vos rapporteurs regrettent donc que le juge soit, de manière croissante, l'arbitre de relations sociales dans l'entreprise que la loi n'a pas su apaiser.


* 42 Cour de cassation, chambre sociale, 30 janvier 2013, n° 13-23.791, cf. supra .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page