II. DANS LE TRANSPORT FERROVIAIRE, LA LOI A PERMIS À LA SNCF DE RATTRAPER SON RETARD EN MATIÈRE DE PRÉVENTION DES CONFLITS SANS TOUTEFOIS Y PACIFIER PLEINEMENT LE DIALOGUE SOCIAL
A. LE CADRE DU DIALOGUE SOCIAL ET DE LA PRÉVENTION DES CONFLITS À LA SNCF
1. L'image d'une entreprise à la conflictualité élevée
Comme le soulignait à vos rapporteurs M. Yvon Borri, directeur régional Centre de la SNCF, si les travaux et les opérations de maintenance du réseau représentent 90 % des trains supprimés, le public ne retient, à 90 %, que les perturbations liées aux mouvements sociaux. En conséquence, la SNCF est encore perçue par nombre de nos compatriotes comme une entreprise où le conflit social est récurrent et constitue une alternative privilégiée au dialogue entre les organisations syndicales et la direction. Cela s'explique par la place spécifique que tient la SNCF dans la mémoire collective française et par le souvenir de grèves qui, comme à l'automne 1995 ou au printemps 2003, ont paralysé le pays.
La réalité est pourtant plus nuancée et entre parfois en contradiction directe avec ces idées reçues.
Le dialogue social s'exerce à la SNCF au niveau local, celui des établissements, au niveau régional, celui des comités d'établissements régionaux, et au niveau national. Transposant à la SNCF les nouvelles règles relatives à la représentativité syndicale issues de la loi du 20 août 2008 24 ( * ) , l'article 2 du chapitre 1 de la directive RH 0001 portant statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel dispose que sont représentatives :
- au niveau central : les organisations syndicales ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités d'établissements ;
- au niveau de chaque comité d'établissement : les organisations ayant recueilli 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires à ce comité.
Les organisations syndicales représentatives au sein d'un comité d'établissement peuvent désigner des délégués syndicaux, seuls habilités à négocier avec la direction, au niveau de celui-ci mais également au niveau de chaque établissement inclus dans son périmètre. Contestée, cette règle a été validée par le Conseil d'Etat 25 ( * ) .
Évolution du paysage syndical à la SNCF depuis 2006
Source : SNCF
A l'heure actuelle, la CGT, l'Unsa, la CFDT et Sud Rail sont représentatifs dans l'Epic. Ayant réuni à eux deux plus de 30 % des suffrages exprimés, l'Unsa et la CFDT peuvent signer des accords mais la CGT et Sud Rail, qui ont recueilli la majorité des suffrages, peuvent en commun y faire opposition. Un taux de participation de 73,86 % a été observé aux dernières élections professionnelles.
Néanmoins, il semble difficile d'établir une corrélation directe entre l'évolution de la conflictualité à la SNCF et l'adoption puis la mise en application de la loi du 21 août 2007, ainsi que le montrent les données communiquées à vos rapporteurs.
Évolution de la conflictualité à la SNCF depuis 2000
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
|
Jours
|
85 094 |
160 947 |
37 239 |
395 273 |
94 550 |
238 962 |
129 213 |
423 307 |
123 540 |
186 882 |
572 161 |
72 945 |
86 120 |
Jours
|
0,48 |
0,9 |
0,21 |
2,26 |
0,55 |
1,44 |
0,79 |
2,63 |
0,78 |
1,19 |
3,78 |
0,5 |
0,56 |
Source : DGITM, SNCF
Ce sont principalement les mots d'ordre nationaux qui déterminent la prévalence des arrêts de travail à la SNCF depuis dix ans, avec des pics en 2003, 2007 puis 2010 lors notamment de la dernière réforme des retraites. En dehors de ces événements, la conflictualité est relativement stable, le nombre de jours de grève par agent constaté en 2012 est comparable à celui observé en 2004.
Évolution du nombre de jours de grève à la SNCF depuis 2000
Source : DGITM
Il est par ailleurs intéressant de constater que cette conflictualité n'est pas répartie de manière homogène sur l'ensemble du territoire.
Carte de la conflictualité à la SNCF selon les régions en 2010
2010 : Moyenne nationale = 3,78 journées perdues
par agent
Source
:
SNCF
Carte de la conflictualité à la SNCF selon les régions en 2012
2012 : Moyenne nationale = 0,56 journée perdue par
agent
Source
:
SNCF
Selon le ressort des comités d'établissement régionaux, les chiffres peuvent varier du simple au double (en 2010) voire au triple (en 2012), les établissements du Sud-Ouest dépendant de Toulouse et de Montpellier connaissant vraisemblablement une situation sociale plus complexe que dans le Nord de la France.
L'incidence sur le trafic TER peut être importante, avec des blocages réguliers sur certaines lignes ou des perturbations à répétition en lien avec des revendications propres à un établissement en particulier. Cette hétérogénéité est le signe d'un dialogue social qui ne s'exerce pas uniformément dans le climat d'apaisement et de considération mutuelle qui devrait être le sien mais également de la persistance de singularités locales anciennes qui ne sont pas partagées par les usagers. Leur incompréhension lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes sociaux récurrents doit donc être prise en compte.
C'est la raison pour laquelle tout doit être fait, du côté de la direction comme de celui des organisations syndicales, pour développer le dialogue social au niveau des établissements, sans toutefois faire abstraction de la stratégie de l'entreprise. Il est sans nul doute difficile de parvenir à un tel équilibre mais tout l'enjeu est bien, pour faire évoluer la perception qu'ont les Français de la SNCF et améliorer la qualité du service public, de placer la transparence au coeur du dialogue social.
2. Des initiatives anciennes en matière de prévention des conflits et d'amélioration du dialogue social
Avant l'intervention du législateur, la SNCF avait entrepris de mettre en place des mécanismes visant à faire évoluer les usages internes en matière de négociation sociale et à développer une culture de la concertation préalable, dans le but de faire baisser la conflictualité. Un protocole d'accord sur l'amélioration du dialogue social et la prévention des conflits a donc été signé le 29 septembre 2003 avec la CFE-CGC, l'Unsa et le syndicat national des cadres supérieurs de la SNCF (SNCS), pérennisé sous la forme de la directive RH 0826.
Partant du constat que « le recours à la grève constitue un échec du dialogue social », les signataires ont décidé d'instituer une démarche de concertation immédiate (DCI) par laquelle les organisations syndicales avisent la direction d'un différend existant ou de motifs susceptibles de provoquer un conflit. Une fois cette procédure enclenchée, une négociation doit débuter dans les trois jours, avant le dépôt d'un préavis de grève. À l'issue de celle-ci, qui peut être prolongée si nécessaire, un relevé de conclusion concerté doit être établi et diffusé à l'ensemble du personnel, pour lui permettre d'apprécier la situation. La SNCF s'est engagée, de son côté, à poursuivre les négociations avec les organisations syndicales durant la grève afin d'aboutir à un compromis et à conduire des retours d'expérience pour étudier le déroulement des grèves et, si possible, apporter en amont des réponses aux causes potentielles de conflits futurs.
Avant l'adoption de la loi du 21 août 2007, l'application de ce protocole était toutefois facultative. Plus qu'une contrainte juridique, il constituait surtout un engagement moral de l'ensemble de ses signataires à améliorer les relations sociales au sein de la SNCF.
3. Les mesures prises pour appliquer la loi du 21 août 2007
Pour mettre le processus de prévention des conflits à la SNCF en conformité avec la loi du 21 août 2007, deux modifications ont été apportées au protocole d'accord de 2003, par un avenant conclu le 13 décembre 2007.
a) L'obligation de recourir à la démarche de concertation immédiate
La DCI a été rendue obligatoire avant le dépôt de tout préavis de grève. Pour être valide, elle doit :
- être initiée par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ;
- être datée et adressée par écrit à l'autorité intéressée (président, directeur des ressources humaines, directeur général, régional ou d'établissement) ;
- être signée par un représentant de l'organisation syndicale ou un délégué syndical ;
- évoquer « un problème clairement identifié, unique ou des motifs susceptibles de provoquer un conflit », ce qui exclut les revendications purement politiques sans lien avec l'activité de l'entreprise.
Une fois la DCI enregistrée, la direction doit recevoir dans les trois jours les organisations syndicales qui en sont signataires afin de négocier et un délai de huit jours débute avant qu'un préavis puisse être déposé. Un relevé de conclusion concerté doit toujours être rédigé et transmis à l'ensemble du personnel. Un délai de réflexion supplémentaire de quinze jours peut être accordé aux syndicats, une fois ce relevé de conclusion diffusé, pour organiser des consultations supplémentaires et éventuellement, à son terme, déposer un préavis. Enfin, une même organisation syndicale ne peut redéposer un préavis pour le même motif qu'à l'issue du délai de préavis en cours et après une nouvelle DCI.
Comme le montre le schéma suivant, au moins quatorze jours doivent donc s'écouler entre la réception de la DCI par la direction et le début de la grève . Cette période doit être mise à profit pour résoudre par la concertation , sans recourir à la grève, les problèmes soulevés par les signataires de la DCI.
Calendrier de la négociation préalable à la SNCF
Source : SNCF
Facultatif jusqu'au début de l'année 2008, le recours à la DCI a fortement crû à partir de cette date du fait de l'entrée en vigueur de la loi du 21 août 2007. Toutes les organisations syndicales s'y sont conformées malgré, pour la plupart d'entre elles, leur opposition à cette loi.
Évolution du nombre de DCI depuis 2006
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 28 ( * ) |
Total |
|
Nombre de DCI |
298 |
897 |
2 590 |
2 968 |
2 549 |
3 027 |
2 628 |
1 586 |
17 543 |
Nombre de DCI déposées suivies
|
52 |
89 |
813 |
1 036 |
752 |
919 |
893 |
454 |
5 008 |
Nombre de DCI déposées suivies
|
39 |
57 |
631 |
819 |
552 |
640 |
677 |
338 |
3 753 |
Source : DGITM, SNCF
Les données communiquées à vos rapporteurs par la DGITM soulignent que la DCI est devenue l'outil privilégié du dialogue social à la SNCF, sans nul doute pour aborder des thèmes qui, sans cette procédure, n'auraient pas suscité de préavis. Elle permet aux syndicats d'obtenir, dans des délais brefs, une réponse de la direction et d'alerter cette dernière sur une dégradation conjoncturelle des conditions de travail ou sur un incident dans un établissement.
De fait, depuis 2006, moins de 30 % des DCI donnent lieu ensuite au dépôt d'un préavis de grève. La plupart de ceux-ci sont suivis d'effet. La conflictualité n'est donc pas éliminée, car sur des questions qui ne concernent pas directement la marche de l'entreprise (c'est le cas pour les mouvements sociaux liés à des mots d'ordre nationaux), ou sur celles pour lesquelles les deux parties à la négociation estiment ne pas être en mesure de trouver un accord, seul le rapport de force qui s'établit durant la grève permet de trancher dans un sens ou dans l'autre.
b) La déclaration individuelle d'intention de faire grève
En cas d'échec des négociations visant à prévenir le conflit social, certaines catégories d'agents doivent remplir une déclaration individuelle d'intention (DII) au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève et, depuis la loi « Diard » du 19 mars 2012, faire part vingt-quatre heures à l'avance de leur rétractation ou de leur volonté de reprendre le travail. Les agents concernés sont ceux dont la présence est indispensable à l'exécution du plan de transport adapté. A la SNCF, le plan de prévisibilité, défini unilatéralement en l'absence d'accord collectif, prévoit que ce sont :
- les agents de conduite, sauf ceux qui sont affectés exclusivement au fret, soit 12 000 personnes ;
- les agents d'accompagnement des trains, c'est-à-dire les contrôleurs, soit 13 600 personnes ;
- les agents des postes d'aiguillage, soit 10 900 personnes.
Au total, 36 500 agents sont soumis à la DII, soit 24 % de l'effectif de l'Epic. Chacun d'entre eux doit, s'il souhaite faire grève, effectuer personnellement sa déclaration, soit par remise en main propre d'un formulaire à son responsable, soit par télécopie, soit par téléphone. La direction doit en accuser réception. Un agent faisant grève sans avoir établi de DII ou qui, de façon répétée, n'a pas informé son employeur de son intention de reprendre le travail est passible d'une sanction disciplinaire.
Évolution du nombre de DII de 2009 à 2013
2009 |
DII déposées |
56 400 |
Présents avec DII |
21 454 |
|
Grévistes sans DII |
251 |
|
2010 |
DII déposées |
443 928 |
Présents avec DII |
101 255 |
|
Grévistes sans DII |
1 006 |
|
2011 |
DII déposées |
32 842 |
Présents avec DII |
9 271 |
|
Grévistes sans DII |
22 |
|
2012 |
DII déposées |
74 850 |
Présents avec DII |
9 437 |
|
Grévistes sans DII |
228 |
|
1er semestre 2013 |
DII déposées |
62 227 |
Présents avec DII |
2 221 |
|
Grévistes sans DII |
208 |
Source : SNCF
Durant la période couverte par le préavis, un agent ne peut rejoindre la grève que lors d'une de ses prises de service 29 ( * ) , sans qu'il doive le faire lors de sa première prise de service après le début du mouvement.
c) La réaffectation des agents en cas de perturbation
En cas de grève, la SNCF réaffecte les agents disponibles en fonction des besoins pour assurer l'exécution du PTA, y compris depuis un établissement qui n'est pas couvert par le préavis. Le décret du 29 décembre 1999 30 ( * ) , qui porte sur la durée du travail du personnel de la SNCF, dispose à ses articles 6 (pour le personnel roulant) et 24 et 25 (pour le personnel sédentaire) qu'en cas de grève ou de perturbation du trafic un agent peut être « dévoyé » de son roulement de service, c'est-à-dire que ses horaires de travail initiaux peuvent être modifiés. Placé en service « facultatif », ses horaires ne sont plus définis préalablement et il peut être réaffecté sur un emploi, un poste ou un service différent de celui prévu.
De plus, des agents d'encadrement peuvent être amenés à remplacer des agents grévistes pour assurer le service. La directive RH 0924 de la SNCF pose le principe général, à l'article 4 de son chapitre III, qu'un agent « ne peut être réaffecté à une tâche que s'il détient les aptitudes et les habilitations nécessaires (notamment connaissances de lignes, de matériels ou d'installations) ».
Interrogée par vos rapporteurs, la SNCF a précisé que la détention des habilitations de sécurité pour la tenue du poste constitue une condition sine qua non pour la réaffectation d'un agent, qu'il soit cadre ou non. Le respect des règles de sécurité applicables pour le transport de voyageurs, notamment en matière de repos des salariés, doit être garanti, y compris en situation perturbée. C'est la raison pour laquelle la réaffectation des cadres, qui ne permet de pallier l'absence des grévistes que lors de mouvements sociaux de courte durée, doit constituer une mesure exceptionnelle lorsque l'exécution du PTA l'impose.
* 24 Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.
* 25 Conseil d'Etat, 11 octobre 2010, Fédération des syndicats de travailleurs du rail Sud et autres, n° 327660.
* 26 2006, 2009 et 2011 : élections professionnelles ; 2013 : élection au conseil d'administration.
* 27 Fédération générale autonome des agents de conduite, affiliée depuis 2008 à la CFDT.
* 28 Au 1 er septembre 2013.
* 29 Règle validée par la Cour de Cassation dans ses arrêts du 13 mai 2009 (n° 07-44.852 et 07-44.952) et du 8 décembre 2009 (SNCF c/ Troel et a., n° 08-43.489).
* 30 Décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la SNCF, modifié par le décret n° 2008-119 du 7 février 2008.