N° 736
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juillet 2013 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires ,
Par MM. Yannick BOTREL, Joël BOURDIN, Christian BOURQUIN et André FERRAND,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, François Rebsamen, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung . |
AVANT-PROPOS
« La prospérité publique est semblable à un arbre : l'agriculture en est la racine, l'industrie et le commerce en sont les branches et les feuilles ; si la racine vient à souffrir, les feuilles tombent, les branches se détachent et l'arbre meurt ».
Jules Méline, Le Retour à la terre et la surproduction industrielle , Hachette, 1906.
Mesdames, Messieurs,
Cette citation de Jules Méline est plus que jamais d'actualité pour notre pays, dont le déficit du commerce extérieur se creuse année après année . La situation de la balance commerciale de la France constitue en effet un enjeu stratégique et participe à l'équilibre des finances publiques par la production de richesses et les emplois qu'elle induit. Dans le contexte de dégradation de notre solde commercial, déficitaire de 67 milliards d'euros en 2012 , les industries agricole et agroalimentaire représentent un atout pour la balance commerciale française avec un excédent de 11,5 milliards d'euros en 2012 . Mais cet atout est très fragile .
A l'occasion de l'examen des crédits de la mission « Economie » pour 2012, deux de vos rapporteurs spéciaux s'étaient ainsi interrogés sur l'érosion des exportations françaises en matière agricole et agroalimentaire 1 ( * ) qui avaient alors aussi, sur l'exercice 2011, généré un excédent de 11,6 milliards d'euros. Aussi, ont-ils souhaité évaluer, dans le cadre des travaux de contrôle de la commission des finance, l'efficience du dispositif de soutien aux exportations agroalimentaires , en mettant notamment l'accent sur les opérateurs chargés d'assurer la promotion internationale des produits alimentaires français , l'entreprise Sopexa et l'établissement public Ubifrance principalement , la question de leur coordination optimale apparaissant essentielle.
Au cours de sa réunion du 1 er février 2012, la commission des finances du Sénat a donc confié le soin de conduire, en application de l'article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), une mission de contrôle budgétaire sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires à vos rapporteurs spéciaux, André Ferrand et Christian Bourquin au titre de la mission « Economie », et Yannick Botrel et Joël Bourdin au titre de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Cette mission s'est donnée pour objet de dresser un diagnostic de la situation à l'export des industries agroalimentaires françaises et d' évaluer l'action publique en la matière afin de porter une appréciation sur l'utilisation des crédits budgétaires et l'efficience du dispositif.
Le champ de ce travail n'est pas allé jusqu'à inclure les questions de compétitivité des produits français - qu'il s'agisse de notre compétitivité coût ou de notre compétitivité hors-coût - mais il a été bien vu qu'il pouvait s'agir d'un frein majeur à nos exportations. A l'instar, tout particulièrement, du coût du travail par rapport à d'autres pays de l'Union Européenne ou encore de l'appréciation de l'euro, de nombreux facteurs pèsent sur notre solde commercial, mais ces facteurs n'ont pas été l'objet de ce contrôle. Le choix de se focaliser sur le dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires n'interdit cependant pas de réfléchir aux autres éléments qui limitent le dynamisme de notre économie.
Un rapport récent réalisé par plusieurs économistes 2 ( * ) du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) a étudié l'impact des politiques de soutien à l'export, sans cibler les entreprises agroalimentaires. Il montre que d'un point de vue quantitatif, les entreprises bénéficiant des dispositifs d'Ubifrance, de Coface et d'Oseo 3 ( * ) seraient peu nombreuses : moins de 1 % des entreprises françaises et environ 5 % des entreprises exportatrices auraient, au cours d'une année, fait l'objet d'un nouvel accompagnement. Ces chiffres passeraient à 2 % et près de 10 % respectivement, quand sont prises en compte les entreprises ayant contracté des soutiens dans le passé et encore opérationnels pendant l'année du dénombrement. Le rapport conclut sur l'idée que le retour significatif de ces soutiens publics est avéré : « le gain direct et de court terme induit par les dispositifs de ces trois opérateurs représente au maximum 0,2 % seulement des exportations totales. Or, ces trois dispositifs concernent près de 5 000 entreprises exportatrices de biens, soit plus de 5,3 % des exportateurs en 2008-2009. Cette évaluation permet donc de retenir deux choses importantes : d'une part, les dispositifs servent les entreprises qui les demandent à court terme et a fortiori à long terme ; d'autre part, et toutefois, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils puissent contribuer à eux seuls à l'amélioration de la compétitivité globale de la France, et au-delà à l'ajustement du déficit de la balance commerciale ». Au total, les soutiens publics sont donc rentables en termes d'impact sur les exportations , mais la « rentabilité est comparativement faible pour l'assurance prospection et s'avère être très forte pour les accompagnements ». S'agissant de ces derniers, un euro investi par l'État rapporterait ainsi à court terme jusqu'à 50 euros en moyenne aux entreprises bénéficiaires .
Sur le plan budgétaire, il faut signaler que le champ du contrôle conduit par vos rapporteurs spéciaux s'inscrit dans le calendrier d' achèvement de deux opérations :
- la réorganisation du dispositif de soutien des entreprises françaises à l'étranger, dorénavant partagé entre les services économiques pour ce qui concerne l'exercice des missions régaliennes et l'opérateur Ubifrance pour l'accompagnement commercial ;
- et le renouvellement pour la période 2013-2017 de la délégation de service public accordée à Sopexa pour la promotion des produits agroalimentaires.
Le fait que ces deux opérateurs relèvent chacun d'un ministère de tutelle différent , le ministre en charge de l'agriculture pour Sopexa et le ministre en charge du commerce extérieur pour Ubifrance, a justifié l'attribution du contrôle conjointement aux rapporteurs spéciaux des missions « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et « Economie ».
Au total, le champ d'investigation du contrôle était large puisqu'il concernait de nombreux sujets tels que :
- la structuration de l'offre proprement dite (territoire national) comme sa promotion (action à l'international) ;
- l'organisation et la coordination des moyens de l'État, des régions et des institutions publiques et privées en France et à l'étranger ;
- les synergies à développer entre les réseaux et les compétences de Sopexa et Ubifrance.
C'est pourquoi, outre le bilan de la DSP 2008-2012 de Sopexa et de la réorganisation d'Ubifrance, les principaux objectifs du travail de contrôle ont porté sur :
- l'établissement d'un état des lieux du dispositif français et des stratégies mises en oeuvre pour assurer la promotion des exportations agroalimentaires ;
- la comparaison avec les politiques menées par certains pays étrangers, notamment les Pays-Bas 4 ( * ) ;
- et l'élaboration de recommandations , sur la base de constats partagés par les acteurs publics et privés du secteur agroalimentaire et, dans la mesure du possible, de modalités pratiques de mise en oeuvre.
Dans ce cadre, un programme d'auditions, de tables rondes et de déplacements, en France et à l'étranger , a été mis en oeuvre 5 ( * ) .
Les 22 et 23 mai 2012, vos rapporteurs spéciaux se sont déplacés aux Pays-Bas pour mieux comprendre les principaux ressorts du dynamisme des industries agroalimentaires néerlandaises mais aussi pour analyser les modalités de la présence française aux Pays-Bas pour le soutien à nos exportations dans ce secteur.
Le 17 octobre 2012, à l'occasion d'un point d'étape consacré à l'action du réseau d'appui à l'international à la lumière du marché agroalimentaire chinois , votre rapporteur spécial André Ferrand, avait émis suite à un déplacement en Chine 6 ( * ) (Hong Kong, Shanghai et Pékin) en mai 2012, une première série de six recommandations 7 ( * ) . Il avait relevé que les difficultés rencontrées sont révélatrices des atouts et des faiblesses tant de l'offre française que de son dispositif d'appui :
- le secteur est majoritairement composé de PME insuffisamment tournées vers l'export et ne bénéficie pas d'effet d'entraînement des grandes entreprises ;
- les exportations françaises vers la Chine sont essentiellement dépendantes des vins et spiritueux ;
- la complexité des relations entre Ubifrance et Sopexa trouve sa déclinaison sur le marché chinois ;
- enfin, on note un déficit de réflexion stratégique de certaines filières agroalimentaires et de leurs interprofessions vis-à-vis de l'export.
Votre rapporteur spécial Yannick Botrel, a réalisé un déplacement en Bretagne les 27 et 28 septembre 2012 afin de mettre en lumière les atouts et les faiblesses de nos filières agricoles et agroalimentaires dès le stade de l'amont tout en faisant le point sur l'organisation locale des services de l'État et leur articulation avec les services du conseil régional. Le rôle de l'agence « Bretagne commerce international », qui résulte de la fusion entre l'agence du conseil régional dédié à l'export et la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Bretagne, a été salué par de nombreuses entreprises, parmi lesquelles plusieurs ont assuré ne pas connaître ou ne pas avoir recours directement aux structures nationales d'appui à l'export, telles qu'Ubifrance ou Sopexa. Un tel constat a renforcé la conviction de vos rapporteurs spéciaux : l'échelon régional représente un niveau pertinent d'intervention .
Votre rapporteur spécial Christian Bourquin, a choisi de conduire un travail d'information spécifique sur l'action régionale en faveur des exportations agroalimentaires afin d'apporter un éclairage sur les points suivants :
- les modalités et le financement des actions entrant dans le champ de compétence des régions ;
- les synergies à développer avec le niveau d'action national ;
- l'articulation entre l'offre régionale et les besoins identifiés à l'international.
C'est à ce titre qu'il a organisé le 22 février 2013 à Montpellier une table ronde réunissant l'ensemble des acteurs publics et privés de l'export agroalimentaire de la région Languedoc-Roussillon. Elle a donné lieu à un retour d'expérience et un recueil des besoins exprimés par les entreprises et les opérateurs de l'export. La réflexion a également porté sur le thème d'une plus grande synergie des acteurs institutionnels au niveau régional et d' une meilleure coordination entre l'offre régionale et les stratégies définies aux niveaux national et international 8 ( * ) .
Enfin, votre rapporteur spécial Joël Bourdin, s'est rendu en Haute-Normandie les 6 et 7 juin 2013 afin d'approfondir le sujet de l'articulation entre les services de l'État et les différents opérateurs de l'export. Il a aussi souhaité évoqué le rôle des infrastructures en effectuant une visite des ports de Rouen et du Havre puisque, comme l'avait montré l'exemple des Pays-Bas, les infrastructures sont un point essentiel de notre soutien aux exportations agroalimentaires. Il en ressort que nos installations routières, ferroviaires et portuaires doivent relever le défi de permettre à nos entreprises de s'appuyer sur des plateformes logistiques d'envergure internationale .
Le contexte entourant les travaux de vos rapporteurs spéciaux témoignait de l'attente importante de réformes concrètes , propres à renforcer la capacité d'exportation de notre pays . En témoigne le lancement de nombreuses initiatives, tant parlementaires que gouvernementales, dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP). Toutes ont en commun l'évaluation du soutien public aux exportations et la perspective d'un remaniement des dispositifs idoines .
Aussi, le présent rapport se distingue-t-il par l'étude des spécificités propres à l'export agroalimentaire et par les solutions qu'il propose en direction de ce secteur en particulier.
Cet éclairage leur a paru d'autant plus nécessaire que dans le contexte de dégradation de notre solde commercial, déficitaire de 67 milliards d'euros en 2012, et malgré l'atout que représentent les industries agricole et agroalimentaire pour la balance commerciale française (en excédent de 11,5 milliards d'euros en 2012), la France perd des parts de marché et ne profite pas pleinement du potentiel de croissance du secteur . Encore deuxième exportateur mondial de produits agroalimentaires en 2000 derrière les États-Unis, elle n'arrive depuis 2012 qu'au cinquième rang après ce pays, les Pays-Bas, l'Allemagne et le Brésil.
En s'interrogeant sur l'efficience du dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires, ce rapport met en évidence le fait qu'il se caractérise par une dispersion des moyens entre trois ministères, quatre opérateurs (Ubifrance, Sopexa, Adepta et FranceAgrimer) et un ensemble d'acteurs publics et privés (régions, réseaux consulaires, opérateurs spécialisés du commerce international). L'absence de stratégie commune ne semble ni garantir une utilisation optimale des crédits budgétaires, ni assurer une visibilité et une attractivité efficace de l'offre française.
Partant de ces constats sévères, et à l'heure où le Gouvernement doit arbitrer les axes de la modernisation de l'action publique, les rapporteurs spéciaux jugent nécessaire et urgente une réforme ambitieuse du dispositif public de soutien aux exportations agroalimentaires . Ils proposent quatre séries de recommandations :
- pour une réforme courageuse de la gouvernance nationale de l'appui aux exportations agroalimentaires ;
- pour une agriculture tournée vers l'export ;
- pour organiser le réseau international d'appui à l'export et donner du corps à la « diplomatie économique » ;
- pour un dispositif régional de soutien à l'export des PME et TPE lisible et efficace .
* 1 La France perd année après année des parts de marché, et ce pour tous les produits agricoles et agroalimentaires. Il résulte de ces pertes de parts de marché que notre pays, encore deuxième exportateur mondial agroalimentaire à la fin des années 1990 après les États-Unis, n'arrive depuis 2009 qu'au quatrième rang, après les États-Unis, les Pays-Bas et l'Allemagne et depuis 2012 au cinquième rang, le Brésil lui ayant ravi la quatrième place. Hors boissons, il faut souligner que la balance commerciale agroalimentaire est négative.
* 2 Matthieu Crozet, Thierry Mayer, Florian Mayneris et Daniel Mirza, « L'efficacité des dispositifs de soutien à l'exportation des firmes françaises », rapport pour les ministères de l'économie et des finances et du commerce extérieur, 21 septembre 2012.
* 3 Seuls ces trois opérateurs sont couverts par le champ de cette étude.
* 4 C f . la fiche détaillée figurant en annexe 5 du présent rapport.
* 5 Cf. le détail de ce programme dans l'annexe I du présent rapport.
* 6 Le compte-rendu de ce déplacement figure en annexe III du présent rapport.
* 7 Communiqué de presse de la commission des finances n° 768 du 18 octobre 2012.
* 8 Cf . Annexe II « Les actes de la table ronde du 22 février 2013 sur le dispositif régional d'appui aux exportations ».