III. TROIS QUESTIONS RÉCURRENTES
A. LA MISE EN APPLICATION DES MESURES ISSUES D'INITIATIVES PARLEMENTAIRES
Le Sénat accorde une attention particulière au suivi des dispositions législatives issues de propositions de lois et d'amendements parlementaires, pour s'assurer que le Gouvernement manifeste à leur endroit la même considération réglementaire et la même diligence qu'à ses propres textes.
La situation dans ce domaine a été dans le passé l'objet de certaines critiques mais après l'amélioration constatée durant la session 2010-2011, elle ne paraît plus susciter aujourd'hui d'inquiétude majeure, la commission des Lois relevant à ce propos dans son dernier bilan annuel que pour les lois la concernant « [...] Statistiquement, ces textes font l'objet d'un taux de mise en application équivalent à ceux des projets de loi », que l'on compte en nombre de lois ou en nombre de mesures (soucieuse de l'équilibre entre les deux chambres, elle tempère cependant son optimisme en remarquant une disparité entre le sort réservé aux initiatives des sénateurs et celles des députés, « [...] puisque les mesures réglementaires prises sur le fondement de dispositions d'origine sénatoriale ont un taux de mise en application (25 %) deux fois moins élevé que des mesures réglementaires issues d'amendement de l'Assemblée nationale (50 %) ».
Sous les réserves d'usage -s'agissant d'un décompte assez délicat à effectuer en pratique, en raison de l'évolution des textes au cours de la navette parlementaire- le tableau ci-après, tiré des données disponibles dans la base APLEG, donne un aperçu du suivi réglementaire des dispositions législatives introduites au cours de la session par voie d'amendement (autre que les amendements en CMP) et semble corroborer l'analyse de la commission des Lois, d'un taux d'application moins favorable réservé aux amendements du Sénat par rapport à ceux du Gouvernement lui-même ou ceux de l'Assemblée nationale :
Suivi réglementaire des dispositions
législatives
introduites par voie d'amendement durant la session
2011-2012
Origine des mesures |
Amendement
|
Amendement de
|
Amendement
|
Nombre total de mesures prévues |
63 |
74 |
93 |
Nombre de mesures prises |
36 |
31 |
29 |
Pourcentage de mise en application |
57 % |
42 % |
31 % |
B. URGENCE LÉGISLATIVE ET SUIVI RÉGLEMENTAIRE : DES CADENCES EN VOIE D'HARMONISATION
La logique voudrait que les projets de loi examinés selon des procédures d'urgence (l'ancienne procédure de déclaration d'urgence puis, depuis la révision constitutionnelle de 2008, suivant la procédure accélérée) fassent l'objet d'une mise en application réglementaire plus rapide que les autres -notamment ceux pour lesquels cette procédure n'est pas mise en oeuvre de plein droit en vertu d'une règle constitutionnelle, mais à l'initiative expresse du Gouvernement- sauf à démentir en aval le motif de réelle urgence invoqué par le Gouvernement pour contraindre le Parlement dans ses délais d'examen.
Or, jusqu'à une période relativement récente, l'urgence législative a rarement eu d'effet accélérateur sur le rythme de parution des mesures réglementaires prescrites, les commissions permanentes ayant souvent à déplorer que la cadence rapide imposée dans la phase d'examen parlementaire n'ait pas été maintenue en aval, les ministères concernés ne faisant pas toujours preuve de la même célérité dans la publication des textes.
Ainsi, dans son rapport 2009 sur l'application des lois, le service des commissions du Sénat observait-il à juste titre que dans bien des cas, « [...] la déclaration d'urgence ou le recours à la procédure accélérée n'ont guère été déterminants pour le taux de publication des mesures réglementaires prescrites [...] On avait pu déplorer, en 2002-2003, le niveau dérisoire du taux de mise en application des dispositions, insérées dans les lois votées après déclaration d'urgence, appelant un suivi réglementaire : moins de 3 % ! [en dépit d'une légère amélioration temporaire en 2004 et 2005] les 16 % de l'année 2006-2007 avaient traduit un recul préoccupant encore accentué en 2007-2008 avec un taux de 10 % [...] étant précisé que le nombre des dispositions à mettre en application, en 2008-2009, pour les seules lois votées après déclaration d'urgence, représente cette année près des deux tiers du total prévu pour l'ensemble des lois votées (soit 63,2 %, contre 51,6 % en 2007-2008) »...
Depuis lors, la situation s'est améliorée sur ce point.
Ainsi , en dépit de quelques contre-exemples sans doute regrettables (comme celui de l'emblématique loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, adoptée selon la procédure d'urgence, et dont plusieurs articles ne sont toujours pas applicables), peut-on constater à la fois une tendance générale à un raccourcissement des délais de mise en application des lois adoptées selon la procédure accélérée et, pour cette catégorie, des taux sensiblement comparables à ceux relevés pour l'ensemble des lois promulguées durant la session parlementaire (légèrement inférieur à 90 %), ainsi que l'établit le tableau ci-après :
Taux de mise en application des
lois
promulguées au cours de l'année parlementaire
2011-2012
Catégorie de lois |
Lois adoptées
|
Ensemble des lois promulguées |
Lois d'application directe |
35 % |
28 % |
Lois mises en application |
19 % |
19 % |
Lois partiellement
|
32 % |
41 % |
TOTAL |
87 % |
88 % |
Lois non encore mises en application |
13 % |
12 % |
Mais là encore, il convient de ne pas en tirer des déductions hâtives, car en réalité, le délai moyen de parution des décrets d'application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée (hors mise en oeuvre de droit), soit 6 mois et 3 jours, demeure pratiquement identique au délai moyen de mise en oeuvre de l'ensemble des lois (soit 6 mois et 8 jours). De même, le tableau ci-après montre que l'objectif fixé par la circulaire de 2008 de faire sortir ces décrets dans les 6 mois n'a été respecté que pour 42 mesures sur un total de 78 (soit dans 54 % des cas), soit à peine plus que pour l'ensemble des textes (136 textes sur 269, soit 51 % des cas).
Nombre et délais de parution des
décrets pris durant la période de référence
pour
l'application des lois examinées durant la session
2011-2012
après engagement de la procédure
accélérée
Mesures réglementaires
|
Affaires
|
Affaires
|
Affaires
|
Culture |
Développement
|
Finances |
Lois |
Total |
moins de 6 mois |
- |
- |
15 |
- |
- |
- |
27 |
42 |
6 mois à moins d'un an |
- |
- |
13 |
1 |
5 |
- |
12 |
31 |
1 an et plus |
- |
- |
1 |
- |
- |
- |
4 |
5 |
TOTAL |
- |
- |
29 |
1 |
5 |
- |
43 |
78 |
En définitive, malgré les progrès appréciables réalisés dans ce domaine, il semble que l'examen parlementaire d'un projet ou d'une proposition de loi selon la procédure accélérée ne soit pas le gage de sa mise en application plus rapide après promulgation. En effet, les rigidités intrinsèques de la procédure d'élaboration des décrets restent les mêmes en aval, que les lois aient été adoptées dans une navette normale ou après seulement une lecture dans chaque assemblée.