B. UN NÉCESSAIRE COMPROMIS ENTRE RAPIDITÉ ET QUALITÉ
En dépit d'efforts soutenus afin de rationaliser le cheminement des mesures d'application, certaines étapes ne peuvent cependant être abrégées. Contribuant à la qualité des textes, elles sont parfois source de retard dans la publication des mesures d'application.
1. Les consultations, frein ou levée d'obstacles ?
Ainsi, la procédure de consultation préalable constitue l'une de ces étapes, facultative ou obligatoire, de l'édiction d'un texte. Assortie ou non d'une décision conforme, celle-ci requiert le respect de délais et de modalités de convocation 20 ( * ) . Sauf urgence, les membres des organismes consultatifs reçoivent, cinq jours au moins avant la date de leur réunion, une convocation écrite comportant l'ordre du jour et, éventuellement, les documents nécessaires à l'examen des affaires qui y sont inscrites 21 ( * ) .
Ces consultations peuvent être source de contentieux et donc d'insécurité juridique. En effet, l'ensemble des conditions auxquelles est soumis le fonctionnement de l'organisme consulté doit être respecté afin de garantir la légalité du texte 22 ( * ) . La nature non conforme de l'avis ne dispense pas l'administration d'une telle consultation. L'autorité administrative ne peut alors prendre une décision traitant de questions nouvelles par rapport au projet soumis à consultation 23 ( * ) . En cas d'avis conforme, le défaut d'avis constitue une irrégularité qui peut être soulevée d'office par le juge 24 ( * ) . En outre, l'avis défavorable bloque la décision.
S'ajoutant aux phases de discussion engagées avec les représentants des différentes catégories de personnes intéressées par le projet, d'aucuns peuvent s'interroger sur la nécessité de tels mécanismes. La réponse doit être nuancée. Outre certaines consultations institutionnelles 25 ( * ) , les avis d'entités telles que celui de l'ancien commissaire à la simplification, devenu direction à la simplification ou de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) participent à la qualité de la réglementation.
Les travaux du premier Comité sur l'évaluation des textes réglementaires contribuent à l'information du Parlement sur la mise en oeuvre des textes relatifs aux collectivités territoriales et aux entreprises.
Quant à la CCEN 26 ( * ) , composée aux deux tiers d'élus locaux et pour un tiers de représentants des ministères, sa mission présente un fort contenu informationnel car elle émet un avis 27 ( * ) sur l'impact financier des mesures réglementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire concernant les collectivités territoriales 28 ( * ) .
On peut également saluer le caractère démocratique des consultations, réalisées dans le cadre de l'application de la Charte de l'environnement 29 ( * ) .
En revanche, on peut s'interroger sur l'apport réel de certaines de ces consultations... C'est une des raisons des tentatives de rationalisation des procédures consultatives actuellement à l'oeuvre. Elles consistent, soit à supprimer les organismes consultatifs trop nombreux ( Cf. annexe), soit à procéder à une substitution des « consultés », le plus souvent par une consultation ouverte au public plutôt que le recours à un organisme consultatif 30 ( * ) .
2. L'Interministérialité, le fil d'Ariane
En raison du caractère interministériel de certaines mesures d'application , leur élaboration peut être freinée par un manque de coordination entre le ministère dit « pilote » et les autres ministères intéressés.
En 2007, un rapport de l'Inspection générale des Finances 31 ( * ) constatait une augmentation quantitative des réunions de coordination qui n'était non seulement pas vectrice d'une amélioration de la qualité des textes mais entraînait le plus souvent une duplication du travail des services au niveau des cabinets, et donc des retards.
Le rapport relevait en effet que « Le travail de coordination connaît un emballement pathologique propre à la France. Plusieurs symptômes en témoignent. Le nombre des réunions interministérielles est passé d'un millier par an au milieu des années quatre-vingt à plus de 1 600 aujourd'hui. (...) La coordination tous azimuts, à un stade où les décisions n'ont souvent pas été suffisamment préparées, conduit à faire remonter à l'arbitrage de nombreux sujets techniques qui noient littéralement les enjeux politiques majeurs. »
Certains de ces constats demeurent vérifiables aujourd'hui. Toutefois, le SGG, organe au sommet de la pyramide administrative, à la frontière du politique, a tenté d'encadrer depuis 2008 la coordination interministérielle afin de fluidifier le circuit d'élaboration des textes, en réglant éventuellement les différends entre les producteurs de normes. Le caractère stratégique et programmatique des réunions interministérielles a été renforcé.
En dépit de réels progrès, des limites inhérentes à cet exercice se dressent. En effet, la supervision par le SGG de l'ensemble des textes ne le dote pas de la « microvision » nécessaire afin lever les obstacles les plus difficilement décelables au sein des ministères.
Ses contacts avec un agent spécialement désigné pour être l'interlocuteur unique du dossier en cours d'examen au sein du ministère constitue, certes, une aide utile mais s'avère parfois insuffisante. Au-delà de l'interministérialité, se jouent des « rivalités interservices » qui peuvent peser sur l'élaboration des mesures d'application.
Il convient de mentionner une autre difficulté dans la mise en oeuvre des textes législatifs, qui concerne moins l'applicabilité de la norme votée par le Parlement que les modalités de sa mise en oeuvre : il s'agit des circulaires, directives ou instructions ministérielles ou préfectorales qui interviennent après la publication d'un décret et qui, dans certains cas, semblent ignorer -voire contredire- l'intention initiale du législateur.
Bien qu'en principe non créatrices de droit 32 ( * ) et, par ailleurs, ne constituant pas une condition nécessaire à l'entrée en vigueur d'une loi ou d'un décret, les circulaires sont ainsi parfois accusées d'accroître l'insécurité juridique.
Mme Dominique Payen de la Garanderie, ancien bâtonnier du Barreau de Paris déplorait ainsi lors de son audition par votre commission sénatoriale que « Les lois de finances modifient chaque année les cotisations de sécurité sociale en fonction des indemnités versées en cas de rupture de contrat ; les circulaires ne reprennent pas toujours les mêmes dispositions : difficile dès lors pour les praticiens d'être sûrs de se fonder sur le bon texte. »
Le guide légistique proposé par Légifrance préconise pourtant de faire « un usage mesuré des circulaires, sous peine de manquer l'objectif d'en faire un outil utile de travail pour les services destinataires et un document d'information pour les usagers. Leur multiplication et l'incertitude qui résulte de leur superposition compliquent l'action administrative plus qu'elles n'en améliorent l'efficacité . »
Des progrès ont été constatés en matière de transmission puisqu'un décret du 8 décembre 2008 impose à l'administration de mettre en ligne les circulaires sur le site du Premier ministre « circulaires.gouv.fr » sous peine de ne pouvoir s'en prévaloir à l'égard des administrés.
En ce qui concerne les instructions adressées aux services déconcentrés, la circulaire du Premier ministre du 25 février 2011 33 ( * ) prévoit une diffusion centralisée à ces services à partir d'un point d'émission unique, placé sous le contrôle du secrétaire général du ministère 34 ( * ) . D'aucuns déplorent, néanmoins, les quelque 80 000 pages de circulaires adressées chaque année par l'État aux préfets...
Lorsque la volonté de clarifier conduit à l'incertitude, il convient de s'interroger sur l'objectif initialement poursuivi et remettre en cause les procédures établies .
* 20 Composition, règles de quorum, de vote... Ces modalités sont fixées, soit par les dispositions du décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 relatif à la création, à la composition et au fonctionnement de commissions administratives à caractère consultatif, soit par le texte ayant institué l'organisme à consulter.
* 21 Cf . article 9 du décret du 8 juin 2006.
* 22 À titre d'illustration, la consultation peut être jugée irrégulière lorsque les membres de l'organisme ont été saisis d'un document sur lequel il leur a été demandé de faire part individuellement de leurs observations sans qu'ils aient été mis à même d'en débattre collégialement (CE, 17 mai 1999, Société Smithkline Beecham).
* 23 Cf. CE, 28 avril 1954, Commune de Willer-sur-Thur.
* 24 Cf. Conseil d'État, 8 juin 1994, Mme Laurent.
* 25 Le Conseil d'État est obligatoirement consulté sur les projets de loi et d'ordonnance, sur les projets de décrets pour lesquels une loi a prévu cette consultation, les projets de décrets de « déclassement » mentionnés au second alinéa de l'article 37 de la Constitution ainsi que pour les décrets modifiant les décrets « portant règlement d'administration publique » ou portant la mention « le Conseil d'État entendu ». Le Conseil économique, social et environnemental est obligatoirement consulté sur les projets de loi de programme ou de plan à caractère économique et social, à l'exception des lois de finances. La Commission européenne doit être consultée sur les textes instituant des aides (articles 92 et 93 du traité) ou des « règles techniques » (directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques...
* 26 Créée en 2007 au sein du Comité des Finances Locales (CFL), la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) a été installée officiellement en septembre 2008. Le 28 janvier 2013 le Sénat a adopté la proposition de loi de Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Pierre Sueur visant à créer une Haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales. La CCEN disparaitrait au profit de cette Haute autorité qui est dotée de pouvoirs renforcés. Cette proposition de loi a été transmise le 29 janvier 2013 à l'Assemblée nationale, qui ne s'en est pas encore saisie.
* 27 Elle est saisie obligatoirement par les ministères sur l'impact financier des projets de texte réglementaire (décrets et arrêtés). Le Gouvernement peut également la consulter sur les projets de loi ou d'amendement concernant les collectivités locales.
* 28 Elle se prononce également sur l'impact technique et financier des propositions de textes communautaires sur les collectivités territoriales.
* 29 Selon l'article 7 de la Charte, « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ».
* 30 L'article 16 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit dispose que « Lorsqu'une autorité administrative est tenue de procéder à la consultation d'une commission consultative préalablement à l'édiction d'un acte réglementaire, à l'exclusion des mesures nominatives, elle peut décider d'organiser une consultation ouverte permettant de recueillir, sur un site internet, les observations des personnes concernées. L'autorité administrative fait connaître par tout moyen les modalités de la consultation ».
* 31 Cf. Rapport de la Mission d'audit de modernisation sur la coordination du travail interministériel de l'Inspection générale des finances et du Conseil d'État n° 2007-M-020-01 en date de juillet 2007.
* 32 Dans le cas contraire, la circulaire pourrait être déférée au juge administratif, y compris lorsqu'elle se borne à interpréter la législation ou la réglementation, dès lors que les dispositions qu'elle comporte présentent un caractère impératif. (CE, Sect., 18 décembre 2002, Mme Duvignères, n° 233618).
* 33 Circulaire du 25 février 2011 relative aux circulaires adressées aux services déconcentrés.
* 34 « Les circulaires sont adressées aux préfets de région avec copie aux préfets de département et aux directeurs régionaux concernés. Lorsqu'elles mettent en oeuvre des politiques publiques au niveau du département, elles sont adressées à tous les préfets avec copie aux directeurs départementaux concernés. Les circulaires relatives à l'organisation et au fonctionnement des directions départementales interministérielles sont diffusées par le secrétaire général du Gouvernement ou sous son couvert » (Guide légistique Légifrance).