ANNEXE 3 : « RÉUSSIR UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA DÉCENTRALISATION », PAR EDMOND HERVÉ

La démocratie exige de débattre dans la clarté : quelques idées nous paraissent essentielles. Gardons-nous toutefois d'oublier le contexte dans lequel nous nous trouvons.

Le principe de décentralisation - tout spécialement depuis 1981 - inspire de nombreuses et importantes lois. Il alimente le débat politique, nourrit l'action de nos collectivités territoriales.

L'idée, tout comme le processus, ne sont pas nouveaux :

Le cours de la décentralisation s'avère long, lent et toujours inachevé. Des temps forts le marquent : à titre d'exemple citons la loi du 5 avril 1884, véritable « Charte communale » à la rédaction exemplaire.

Aujourd'hui, ce thème, sans être prioritaire dans l'opinion publique, n'engendre plus les mêmes crispations qu'hier : l'expérience prouve que les nouveaux pouvoirs et compétences des collectivités territoriales ne portent pas atteinte à l'unité, à l'indivisibilité, à la légalité républicaine. Bien au contraire et il n'est pas besoin d'une longue démonstration, pour citer les bienfaits d'un mouvement - à parfaire - déclenché par les lois Mauroy-Defferre de 1982-1983.

Un consensus existe mais les approches peuvent différer.

DES APPROCHES DIFFÉRENTES

La tradition libérale, chère à Alexis de Tocqueville et à Benjamin Constant, continue d'avoir ses disciples. Selon eux, ce mode d'organisation de nos institutions doit servir à limiter le pouvoir central, au nom de la liberté individuelle, du libre choix, du libre arbitre.

Alexis de Tocqueville ne concevait pas d'intervention de l'Etat en dehors de son champ régalien. L'appel à la diminution de la dépense publique constitue la version moderne de cette conception.

Les tenants d'une rationalisation assignent à la décentralisation une fonction de modernisation de l'Etat. Elle doit servir à mieux répartir les compétences entre celui-ci et les autres niveaux territoriaux de notre Administration.

L'Etat recentré sur ses fonctions principales, conjuguant déconcentration et décentralisation, doit gagner en efficacité.

Troisième plaidoyer pour la décentralisation : elle doit permettre un enrichissement de la démocratie. Conférant de nouveaux pouvoirs aux élus locaux, elle ajoute au pouvoir des citoyens et - observation peu souvent formulée - elle doit favoriser la démocratisation de la sphère des décideurs.

Elle rapproche donc le pouvoir des citoyens, sert le bon sens, le pragmatisme, bat en brèche le pouvoir anonyme, lointain et technocratique : elle installe « la République des proximités 6 ( * ) ».

Certains des arguments qui précèdent se retrouvent dans une approche ambitieuse de la décentralisation qui en fait un levier de mobilisation de ressources, des intelligences, pour participer, créer, innover, produire, croitre et développer.

François Hollande, lors des Etats Généraux de la démocratie territoriale est resté dans les pas de sa famille politique d'origine :

« La décentralisation doit être un moyen de faire vivre nos territoires sur les plans économique, social, culturel, écologique, mais aussi un moyen de renforcer le lien civique, comme on en mesure la nécessité à l'occasion d'un certain nombre d'évènements terribles... La décentralisation est une chance et non une position de principe car elle permet à l'Etat de se réformer, aux territoires de se mobiliser et aux citoyens de s'impliquer 7 ( * ) ».

Le franchissement d'une nouvelle étape de la décentralisation suppose un minimum de références communes : les rappels qui précèdent doivent y aider. Il nous faut aussi de l'objectivité : la confiance ne peut qu'y gagner.

UN BESOIN D'OBJECTIVITÉ

Un dialogue constructif doit reposer sur des considérations objectives. Au cours des années passées cette objectivité n'a pas toujours été partagée 8 ( * ) .

À titre d'exemple, un premier grief a été fait aux collectivités d'avoir recruté des agents en trop grand nombre.

Nous pensons utile de nous référer au dernier rapport annuel sur l'état de la fonction publique 9 ( * ) .

Depuis 2006, les effectifs de la fonction publique d'Etat ont baissé mais si les ministères ont perdu 103 000 agents, les établissements publics à caractère administratif ont augmenté leur personnel de 79 000.

De 2000 à 2010, la fonction publique territoriale a créé 482 400 emplois suivant des rythmes variables : + 5,7% en 2007 ; + 3,9% en 2008 ; + 2,1% en 2009 ; + 0,2% en 2010.

Voici un extrait intéressant du rapport précité :

« La deuxième vague de décentralisation est un des phénomènes qui explique la hausse des effectifs dans la FPT. Selon la Direction générale des collectivités locales (DGCL), environ 135 000 personnes physiques ont été transférées entre 2006 et 2010 de l'État (ministère de l'Éducation nationale et ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de la Mer) vers la fonction publique territoriale. Les transferts d'agents TOS du ministère de l'Éducation nationale et d'agents techniques du ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, amorcés en 2006, s'étaient amplifiés en 2007, 2008 et ralentissent depuis 2009. Dans le même temps, le nombre d'adjoints techniques territoriaux des établissements d'enseignement et celui d'adjoints techniques territoriaux avaient nettement progressé dans la FPT. Enfin, quelques transferts de la FPE vers la FPT (600 ETPT selon la LFI 2011) sont encore à prévoir en 2011. 10 ( * ) »

Sur la période 2000-2010, les effectifs des personnels des collectivités territoriales augmentant de 2,5% en moyenne annuelle.

Il convient d'analyser les raisons de cette augmentation. Il y a les transferts, encore convient-il de distinguer les postes pourvus, non pourvus ainsi que la suffisance ou l'insuffisance de ces postes par rapport à la réalité des besoins. Il nous faut également tenir compte de l'évolution des services déconcentrés de l'Etat dont les fonctions doivent être assurées finalement par les collectivités territoriales.

Enfin - et c'est là le principal -, ces dernières, pour assurer leurs compétences, ont dû développer entre autres des services d'accompagnement social, d'insertion, de sécurité, d'accueil, d'information, de proximité demandeurs de personnel. L'exercice de la maîtrise d'ouvrage a ses exigences.

La mutualisation, les regroupements s'imposent mais bien souvent - tout spécialement lorsqu'il s'agit de l'intercommunalité - il n'est pas possible d'échapper à des extensions. Autant de données, d'observations qui doivent faciliter une meilleure compréhension et éviter la polémique 11 ( * ) .

Autre critique bien connue : le trop grand nombre de niveaux territoriaux français . La démocratie réclame clarté, simplicité mais notre monde moderne ne peut échapper à la complexité.

Tout n'est pas réductible à une extrême simplicité.

Voici le constat des professeurs Yves Meny et Yves Surel :

« Contrairement à une idée répandue selon laquelle la France, avec ses quatre niveaux territoriaux (Etat, région, département, commune), constituerait l'exemple aberrant et dispendieux de la sur-administration et de la complexité, la division du pouvoir en quatre échelons est la norme en Italie (Stato, Régione, Provincia, Comune), en Allemagne (Bund, Land, Kreis, Gemeinde) et aux États-Unis (Federation, State, County, Local Authority). Et à cette liste on pourrait ajouter la Belgique, l'Espagne, le Portugal, etc. La véritable exception est constituée par la Grande-Bretagne, dont l'organisation locale ne comporte que deux niveaux (County et District), même si la politique de dévolution récemment adoptée a quelque peu changé la donne. 12 ( * ) »

Pierre Mauroy, dans son rapport « Refonder l'action publique locale » (octobre 2000), n'écrivait pas autre chose. Ce qui diffère entre nos pays c'est l'importance de ces différents niveaux, leur type de relation, leur composition.

Nous connaissons nos spécificités : grand nombre de communes, densités variables du territoire, relativité du phénomène métropolitain...

S'il fallait parler de complexité, il serait préférable de citer notre système financier et fiscal « enrichi » depuis le traité de Maastricht (1992) par des obligations européennes.

Autre thème pour illustrer ce besoin d'objectivité - ou de modestie - l'autonomie fiscale .

En 2000, le Président du Sénat, Christian Poncelet, dans une posture très critique, dénonce « le démantèlement de la fiscalité locale », « une décentralisation assistée et dépendante ». Jean-Pierre Raffarin lui fait écho, preuve à l'appui : l'autonomie fiscale de la région Poitou-Charentes qu'il préside passe de 60 à 40%.

Michel Mercier rédige un rapport pour le compte de la mission sénatoriale d'information « chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer les améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales 13 ( * ) ». Il plaide « l'autonomie financière et fiscale » indissociable de la libre administration.

Ces sénateurs appartiennent à des majorités qui vont voter différentes lois : loi constitutionnelle du 28 mars 2003, loi organique du 29 juillet 2004, loi du 16 décembre 2010, loi de finances de 2010 réformant la taxe professionnelle.

Tous ces débats et textes n'ont pas fait avancer l'autonomie fiscale : en 2010 celle des départements a baissé de 35% à 16%, celle des régions de 42% au milieu des années 90 est pratiquement réduite à 0%. Elles ne peuvent moduler qu'une part de TICPE (ex TIPP) et le tarif des cartes grises.

Au cours des années passées, avec la complicité du Parlement, le contribuable national s'est substitué au contribuable local. Exonérations, dégrèvements n'ont pas manqué.

Il est heureux qu'il n'existe pas de définition constitutionnelle de l'autonomie fiscale. Le Conseil constitutionnel en récuse le principe (décision n°2009-599 DC du 29.12.2009). Seule est citée l'autonomie financière (article 72-2).

Le contexte international et européen qui est aujourd'hui le nôtre, l'état de nos finances publiques nous obligent à des approches différentes d'hier (mais autonomie et décentralisation restent liées). Tout comme il faut que nous apprenions à voir la réalité territoriale, plus exactement notre différence territoriale.

LA DIFFÉRENCE TERRITORIALE

Il appartient à l'Etat de veiller au respect des principes de liberté, d'égalité, de cohésion, de cohérence, de favoriser la croissance et le développement. Autant de garants de notre unité. Il lui appartient de mettre en oeuvre des politiques publiques pour y parvenir, mais aujourd'hui, indépendamment de celles-ci, il reste toujours une place pour les « politiques locales » résultant du choix des autorités locales.

Nous avons une solide tradition de loi générale, de statut unique, de norme, et pour tout dire de centralisation. Nous ne pouvons en rester à une approche strictement juridique et institutionnelle de nos collectivités. D'autres éléments interviennent : la géographie, l'économie, la finance, la culture, l'organisation, la démographie...

La « différence territoriale » c'est aussi « l'inégalité territoriale » qui est en premier lieu l'inégalité sociale découlant du revenu, de la santé, de la connaissance des personnes. La situation par rapport à l'emploi, aux services publics comptent pour beaucoup. Cette inégalité territoriale dépasse l'urbain, le périurbain, le rural. De la géographie nous passons au politique, aux politiques publiques dès lors que nous visons l'égalité des territoires.

Il faut alors se demander quelle est la place de l'Etat, des acteurs décentralisés. Nos collectivités n'ont pas toutes le même sentiment d'appartenance. Les populations, leurs représentants n'ont pas le même rapport à l'Etat, à l'Autre, au futur : qu'est un projet non assuré démocratiquement, techniquement, financièrement ?

Yves Meny observe ainsi avec justesse :

« Certaines collectivités laissent leur patrimoine en jachère, c'est-à-dire n'utilisent pas leurs compétences, d'autres se comportent en bons pères de famille et font une application stricte et prudente de leurs pouvoirs ; d'autres encore adaptent une stratégie d'entrepreneur et utilisent au maximum les atouts juridiques, techniques, financiers dont elles disposent, certaines enfin mènent des politiques aventureuses à la limite de la légalité 14 ( * ) »

L'Etat ne peut être un alibi et François Hollande a eu raison de dire que nous avions besoin de tenir compte de la diversité de nos territoires, qu'elle n'était pas une charge mais un « atout pour réussir le redressement », « la République est une mais elle n'est pas uniforme 15 ( * ) ». Le droit à l'égalité n'est pas antimonique avec le droit à l'adaptation 16 ( * ) .

Retrouvons le 54 ème engagement du candidat à la Présidence de la République.

LE 54 ÈME ENGAGEMENT DE FRANÇOIS HOLLANDE

Lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2012, François Hollande a sollicité les suffrages de ses compatriotes en présentant « 60 engagements pour la France ». Le 54 ème porte sur « un pacte de confiance et de solidarité » entre l'Etat et les collectivités locales.

Élu Président de la République, il en a développé sa conception lors des Etats Généraux de la Démocratie Territoriale : « j'appelle à la conclusion pour les cinq prochaines années d'un pacte de confiance et de responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales », pacte également de solidarité dans la clarté, la cohérence et la démocratie.

Le Président de la République assigne à ce pacte deux objectifs :

Ø Le redressement économique

Il exprime très clairement et sans surprise une conception qui nous est chère : les collectivités sont « un atout pour réussir le redressement », pour participer à la mobilisation de toutes les forces, de toutes les ressources, de tous nos moyens pour être plus fort dans la compétition, plus juste dans la répartition, plus efficace dans l'action. Il leur attribue un rôle dans la modernisation de l'Etat. Si la démocratie locale constitue une exigence de citoyenneté, c'est aussi « un levier de croissance » : la compétitivité de nos territoires et de notre pays implique nos collectivités.

Le Président de la République a bien compris leur part grandissante dans notre produit intérieur brut, dans l'investissement public civil et plus spécialement dans les politiques de logement, de transport, d'environnement, de maitrise de l'énergie, de transition écologique, d'aménagement, d'assainissement, d'accessibilité, d'équipement, de réseaux... Par leurs commandes, ces collectivités participent aux politiques de l'emploi, de solidarité.

Relevons ce passage particulier : « Sans les collectivités locales, pas de solidarité, pas d'action économique ! Voilà pourquoi nous avons besoin d'une relation forte entre l'Etat et les territoires. »

Ø Le redressement des comptes publics

Là encore, le Président de la République s'exprime directement, de manière responsable : le redressement des comptes publics est la priorité du gouvernement « non pas simplement pour satisfaire à une obligation européenne ni pour respecter des engagements qui auraient été pris avant nous mais parce que c'est le passage nécessaire, si nous voulons désendetter notre pays, préserver notre souveraineté des marchés financiers et retrouver des marges de manoeuvre. »

Redressement des comptes publics et redressement productif vont de pair : ils demandent des efforts à tous « y compris aux collectivités locales... La restauration de nos équilibres financiers appelle donc une contribution de tous les acteurs publics ; cela vaut pour l'Etat, bien sûr mais aussi pour les collectivités » .

Ces Etats Généraux ne sont pas un exercice parallèle à une politique de croissance et de dynamique économique menée par l'Etat : « vous êtes au coeur du sujet ».

D'où l'annonce d'une « discussion ouverte, sereine et respectueuse sur les concours financiers de l'Etat, sur la maîtrise des dépenses publiques, mais aussi sur le chantier de la réforme fiscale locale, c'est-à-dire sur l'adaptation de la fiscalité locale aux réalités des collectivités ».

En toile de fond de ce projet de pacte s'impose une évidence : celle de la solidarité.

UNE ÉVIDENCE : LA SOLIDARITÉ

La solidarité entre l'Etat et les collectivités territoriales s'impose : c'est l'un des ciments de notre unité.

Tout en rappelant la prépondérance nécessaire, légitime de l'Etat, que celui-ci est unitaire, détenteur de « la compétence de la compétence », nos politiques publiques sont pluridisciplinaires, transversales et partagées 17 ( * ) . La cohérence de l'action publique appelle coordination, coopération. Hier l'Etat en avait le monopole, tout comme il avait le monopole de l'intérêt général. Aujourd'hui ces monopoles n'existent plus. Nos collectivités territoriales prennent toute leur part dans ces processus de régulation : la libre administration n'a de sens que dans la coopération.

Hier, chaque composante - Etat, collectivités, organismes sociaux - avait sa propre autonomie. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. De plus, nous sommes soumis à la discipline européenne voulue par le Traité de Maastricht, le Pacte de stabilité et de croissance (Dublin 1996), le Traité d'Amsterdam (1997), le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TCSG, le 2 mars 2012). Nos financements croisés existent depuis longtemps mais la nouveauté se situe dans leur ampleur :

- l'Etat est le premier financeur des collectivités territoriales (60 MD€ pour 2013). Ceci ne s'est pas fait subrepticement ;

- la participation de nos collectivités aux financements des politiques d'Etat y compris les plus régaliennes a pris de l'importance ;

- 30% des ressources de la sécurité sociale proviennent de l'impôt.

Ce « grand désordre » financier et fiscal atteste à lui seul de l'étroitesse d'une relation qu'il ne faut pas ignorer, qui n'est pas un accident mais une nouvelle donnée irréversible.

Nous sommes au temps de l'intégration.

LE CONTENU D'UNE NOUVELLE RELATION

Lors des Etats Généraux précités, François Hollande a donné un aperçu de ce contenu : les concours financiers de l'Etat, la maitrise des dépenses publiques, la réforme de la fiscalité locale, la compatibilité des compétences et des ressources, l'autonomie fiscale, la définition d'un paquet financier départemental pour 2013, l'accès au crédit pour les collectivités locales, la création d'un nouvel outil financier, l'aide aux collectivités victimes d'emprunts toxiques, les péréquations financières...

Le retour d'une confiance nécessaire passe par un accord sur la décentralisation : elle ne peut être conçue comme un transfert de charges mais comme un projet politique. D'autant plus que les collectivités territoriales sont déjà parties prenantes à l'effort de solidarité, un effort qu'il faudra poursuivre dans le dialogue.

Les dotations destinées à compenser les transferts de compétence ont été gelées en valeur depuis 2005 (pour la TICPE ex. TIPP), 2009 (dotation générale de décentralisation), 2011 (DGF). Le principe d'équivalence a été sérieusement malmené. 50% des produits de fonctionnement des régions sont aujourd'hui gelés en valeur.

Il doit y avoir également place pour un travail de recomposition fiscale 18 ( * ) . Autant de thèmes qui dépassent le cadre d'un budget annuel et qui intéressent le temps d'un mandat.

Nous voici au coeur d'un véritable contrat de mandature.

Une proposition de loi sénatoriale du 19 mai 2011 destinée à l'instauration d'un « nouveau pacte territorial » pourrait utilement servir de fil conducteur pour asseoir concrètement ce nouveau rapport 19 ( * ) .

Il faut saluer la célérité du Premier ministre Jean-Marc Ayrault qui, sans attendre un vote législatif, a mis en place le 12 mars dernier une préfiguration du Haut Conseil des Territoires afin d'élaborer le pacte promis.

Six chantiers ont été identifiés : évolution des dotations et répartition des efforts d'économies, analyse des dépenses contraintes (retraite, normes), évolution des ressources des collectivités, péréquation, accès au crédit, avenir de la contractualisation Etat-Région.

Par-delà cette construction d'une nouvelle relation, une hypothèse s'impose : celle d'une intégration globale budgétaire et financière.

D'autre part, si le législateur veut doter la France d'un cadre durable pour assurer des avancées en matière de décentralisation, il lui faudra s'en tenir à des choix institutionnels essentiels.

UNE NOUVELLE DONNE : L'INTÉGRATION FINANCIÈRE

Le Professeur Michel Bouvier a excellemment justifié et développé ce principe 20 ( * ) .

La justification : elle se trouve dans l'article 3-1 a du TSCG qui oblige les états à voter des budgets en équilibre (ou en excédent). Dans le cas contraire la Cour de Justice peut intervenir et décider des sanctions.

Une autre justification - politique - doit être avancée : un équilibre durable relève du bon sens et d'une volonté d'indépendance.

Cet équilibre doit s'appliquer à l'ensemble de notre système financier public :

« La règle d'or s'applique donc à l'ensemble du système financier public. Par suite, le solde ne peut donc s'apprécier que sur la base d'une consolidation de l'ensemble des comptes des différents sous-secteurs du système. Toutefois, la difficulté n'est pas mince. Chacun d'entre eux est entouré d'une nébuleuse d'organismes, publics ou privés, qui, tout en étant extérieurs aux administrations publiques, en constituent une sorte de prolongement. Gravitent, par exemple, autour de l'Etat, près de 600 opérateurs qui tout en participant à ses missions et ses programmes d'action détiennent une plus ou moins grande autonomie de gestion (universités, Météo France, Institut Français du Pétrole...). Il en est de même pour les collectivités territoriales, auxquelles sont souvent rattachés de nombreux satellites (groupements de communes, établissements publics locaux, sociétés d'économie mixte, associations ou autres). Ainsi que pour les organismes de sécurité sociale également très divers. Une voie s'impose : la consolidation et l'intégration. Les acteurs et structures qui composent le système financier public ne peuvent plus être considérés comme des « éléments » indépendants les uns des autres, voire antagonistes. »

Cette évolution ne saurait déboucher sur une nouvelle centralisation : il nous faut inventer une gouvernance qui privilégie le dialogue, le partenariat, le contrat, l'autonomie. Le Haut Conseil des Territoires est un premier jalon. Aux associations de collectivités de bâtir des convergences. Au Parlement d'assumer pleinement ses compétences et de trouver sa place dans ce nouveau processus.

Utopie ? Non. Nous pouvons très bien imaginer un débat sur le montant des prélèvements obligatoires, la répartition de ceux-ci entre l'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de sécurité sociale.

Dans un tel schéma, les collectivités territoriales seraient parfaitement légitimes à réclamer une modernisation de leur fiscalité. Est-ce indécent de rappeler que les valeurs locatives cadastrales du « foncier bâti » et « non bâti » n'ont pas été révisées depuis - respectivement - 1970 et 1961.

Est-ce indécent de rappeler au législateur et au gouvernent qu'ils se sont engagés : les nouvelles valeurs locatives des locaux professionnels devraient entrer en vigueur le 1 er janvier 2015 ; pour les locaux d'habitation, la loi de finances rectificative pour 2012 prévoit que la révision des valeurs locatives soit conduite à partir de 2016. Elle sera prise en compte pour les impôts de l'année 2018.

Quant à la région, on peut parfaitement imaginer, en relation avec ses compétences, qu'elle puisse recevoir une part de fiscalité écologique, numérique ou liée aux communications (transport et haut débit).

C'est aussi dans le cadre de cette intégration, de cette avancée de la justice fiscale, que je crois absolument nécessaire le respect d'un engagement (n°14) du candidat François Hollande : celui de rapprocher l'impôt sur le revenu et la CSG.

La recherche d'un équilibre général, l'équilibre des comptes sociaux, le financement des dépenses sociales de nos conseils départementaux, une assiette juste de la taxe d'habitation - le commandent dans le contexte actuel.

Nous connaissons la difficulté de toute réforme fiscale d'ampleur mais il y a des étapes à franchir, comme ceci fut fait lors de la création de l'impôt sur le revenu puis, plus tard, de la CSG. Deux réformes qui n'ont jamais été abrogées.

Au Parlement d'assumer pleinement ses compétences et de savoir utiliser intelligemment, sans les subir, les travaux des divers hauts conseils mis en place.

Tout ceci mérite une réflexion sur l'organisation du travail de nos Commissions des Finances 21 ( * ) .

DES CHOIX INSTITUTIONNELS

En conclusion de notre rapport consacré à un bilan de la décentralisation, nous avons présenté 21 propositions que nous avons voulues volontairement consensuelles 22 ( * ) .

Toutes demeurent d'actualité, même si la 5 ème concernant la modernisation du département ne semble pas être entendue.

L'approfondissement de la coopération (pas uniquement intercommunale), le primat du contractuel, la promotion de la citoyenneté, la reconnaissance du fait urbain, le rôle stratégique des régions, les compétences sociales du département...suscitent des accords de principe.

Un sujet particulier me semble devoir être discuté : il s'agit de la répartition des compétences entre les collectivités.

L'unanimité existe pour rappeler l'impératif de clarté, d'efficacité, de cohérence, de simplification, de responsabilité et de démocratie.

Reste à lever une contradiction qui existe chez certains élus qui continuent de plaider le respect de la clause générale de compétence tout en se faisant les tenants des fameux blocs de compétences.

Quelques observations s'imposent :

- lors des débats précédant le vote de la loi du 7 janvier 1983, Gaston Defferre avait une conception très relative de ces « blocs de compétences ». Il récusait les spécialisations exclusives. Jean-Pierre Worms, Rapporteur du projet devant l'Assemblée Nationale partageait ce point de vue. À l'époque, les représentants d'associations de collectivités - Marc Censi, Jean Puech, Jean Auroux, Martine Buron - récusent au nom du réalisme, cette idée de « blocs » ;

- les juristes - Jean-Bernard Auby, Jean-Marie Pontier, Bertrand Faure, Michel Verpeaux - prennent acte de l'échec d'un mythe... qui a la vie dure ;

- pour ne prendre qu'un exemple, celui de l'économie : comment imaginer qu'il soit le monopole de la région ?

Voilà pourquoi je reste attaché pour la région et le département à des compétences obligatoires non exclusives, pour des motifs juridiques, pratiques et en raison d'une conception contractuelle de la décentralisation.

Ce choix se concilie parfaitement avec la méthode du chef de file, la délégation de compétence ou de maîtrise d'ouvrage.

Les impératifs cités précédemment (clarté, efficacité, responsabilité...) ne sont pas liés uniquement à la répartition nationale des compétences : ils dépendent également d'une forme de gouvernance fondée sur la concertation, la coordination, le contrat.

C'est au nom de cette nouvelle gouvernance qu'il faut trouver le support d'un droit décentralisé à l'expérimentation, à la différenciation.

Nos régions ne sont pas identiques et l'unité de la République ne sera pas entamée - bien au contraire - si ces collectivités peuvent choisir, selon des procédures à déterminer, des « solutions différentes d'organisation, de politiques publiques ou de réglementations, adaptées à leurs besoins et caractères propres . 23 ( * ) »

CONCLUSION

Cette nouvelle étape de la décentralisation trouve sa place dans un contexte totalement différent des précédentes.

Veillons à ce que les circonstances n'imposent pas une recentralisation. Au Gouvernement de s'interdire toute annonce unilatérale sans rencontre préalable des intéressés.

Il est heureux que l'idée d'un Haut Conseil des Territoires ait fait son chemin. Institution consultative placée auprès du Premier ministre, il doit contribuer à l'élaboration d'une politique nationale à l'égard des collectivités, à la définition de la programmation pluriannuelle des finances publiques, proposer les réformes territoriales qui lui semblent nécessaires, s'intéresser aux politiques publiques concernant l'Etat et les collectivités.

Nous devons retrouver des conférences territoriales de l'action publique.

Ce Haut Conseil, ces conférences rempliront leurs missions si les participants s'accordent sur une conception de la décentralisation, travaillent à rechercher des convergences, s'ils évitent la défense des prés carrés.

Ces constructions encourageantes doivent aider Gouvernement, Parlement et collectivités territoriales à relever ces défis présents qui se nomment équilibre, croissance, développement, démocratie, solidarité et justice.

Elles ne peuvent qu'aider le Sénat dans sa représentation des collectivités territoriales.

Edmond Hervé

Sénateur d'Ille-et-Vilaine

Membre de la Délégation aux Collectivités territoriales et à la Décentralisation,

Membre de la Commission des Finances


* 6 Tocqueville se fit le chantre de la proximité : « On tire difficilement un homme de lui-même pour l'intéresser à la destinée de tout l'Etat, parce qu'il comprend mal l'influence que la destinée de l'Etat peut exercer sur son sort. Mais faut-il faire passer un chemin au bout de son domaine, il verra d'un premier coup d'oeil qu'il se rencontre un rapport entre cette petite affaire publique et ses plus grandes affaires privées et il découvrira, sans qu'on les lui montre, le lien étroit qui unit l'intérêt particulier à l'intérêt général ». Cf. « De la démocratie en Amérique ».

* 7 Cf. Compte rendu du Sénat, le 5 octobre 2012.

* 8 Cf. « Trente ans de décentralisation : contribution à un bilan », rapport 679. Edmond Hervé, Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Sénat 2010-2011, pp 107 et suivantes.

* 9 « Rapport annuel sur l'état de la fonction publique - édition 2012 », ministère de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, Documentation française. Ce rapport est indispensable pour connaitre la réalité chiffrée des évolutions de personnel et des conséquences de la RGPP. La suppression des postes n'entraîne pas nécessairement une diminution des dépenses de personnel. En 2011, malgré une suppression de 31 278 équivalents temps plein, les dépenses de personnel de l'Etat ont augmenté de 562,2 millions d'€ (hors pensions dont l'augmentation a été en 2011 de 4,7%).

* 10 Rapport. Op. cité page 99. De 2000 à 2010 la part de personnel des communes passe de 67,6% à 55,6% ; celle des départements de 12,6% à 16 % ; celle des régions de 0,8% à 4,4% ; celles des établissements publics administratifs de 19 à 24%. À l'intérieur de ceux-ci, les effectifs des établissements publics intercommunaux de coopération évoluent de 7,5% à 12,9%, soit une évolution annuelle de 1,2% pour les communes et intercommunalités, de 5,7% pour les départements et 244% pour les régions.

* 11 Ed. Hervé, op. cité.

* 12 Yves Meny, Yves Surel « Politique comparée », Montchrestien, 2001. Dans un éditorial du journal Ouest-France daté du 2 avril 2013, « Faut-il tuer le département ? », Yves Meny estime que le département est une référence en zone rurale mais qu'il n'a plus aucun sens en zone urbaine.

* 13 Rapport publié le 28 juin 2000.

* 14 Yves Meny « Le système politique français » Montchrestien, 2006, page 120.

* 15 François Hollande, lors des Etats Généraux de la Démocratie Territoriale (5 octobre 2012).

* 16 Voir infra « La répartition des compétences ».

* 17 L'Etat dispose de « la compétence de la compétence » : nous ne sommes pas un Etat fédéral aux compétences plurielles limitativement énumérées par notre Constitution.

* 18 À titre d'exemple, la TICPP doit-elle rester à la région ?

* 19 Proposition de loi « Instaurer un nouveau pacte territorial » 19 mai 2011, n° 541 déposée par Jean-Jacques Lozach et les sénateurs du groupe socialiste et apparentés. Sont cités dans cette proposition, la mise en place d'institutions nationale et régionale de coordination, la coordination des politiques sectorielles, l'établissement de contrat Etat-Région, de cohésion rurale, des schémas d'organisation des services publics, de schémas régionaux de soin, d'un pacte éducatif Etat-collectivités territoriales, de contrats locaux de sécurité, de plan national de financement des infrastructures, de couverture numérique...

* 20 Michel Bouvier « La règle d'or : d'un imaginaire financier à une mutation du pouvoir politique » in Pouvoirs Locaux, Les cahiers de la décentralisation, n° 95, décembre 2012.

Voir également : Michel Bouvier « L'intégration financière des collectivités locales versus recentralisation » RFFP, n°121, février 2013. Dans cet article, Michel Bouvier analyse avec pertinence et objectivité l'évolution de la décentralisation française depuis les années 70.

* 21 Les travaux qui ont précédé la tenue des Etats Généraux de la Démocratie Territoriale participent au dialogue, tout comme les contributions particulières officielles émanant des collectivités. À titre d'exemple, citons « La contribution au débat national sur la décentralisation » du Conseil Régional de Bretagne de mars 2013, qui a fait l'objet de débats au sein des deux assemblées régionales, bénéficié de l'apport du Conseil Culturel, de la Conférence des Villes de Bretagne et de la Conférence régionale des exécutifs.

* 22 Ed. Hervé. Op . cité, pages 235 et suivantes.

* 23 Conseil Régional de Bretagne, op . cité p. 6.

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