D. MIEUX RÉGULER L'INSTALLATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ
Alors que des dispositifs de régulation à l'installation se sont progressivement mises en place depuis 2008 pour un grand nombre de d'acteurs de la santé, les gouvernements successifs ont jusqu'à présent refusé d'aller au-delà de mesures purement incitatives, à l'égard des médecins. Pourtant, la mise en place de mesures plus volontaristes pour réduire les inégalités de densité médicale, qu'il s'agisse de dispositifs de régulation ou de contrainte à l'installation, est de plus en plus considérée comme nécessaire.
Dès 2008, aussi bien le rapport du sénateur Jean-Marc Juilhard sur la démographie médicale, que le rapport du député Marc Bernier sur l'offre de soins sur l'ensemble du territoire, évoquaient la possibilité de recourir à un conventionnement sélectif dans les zones surmédicalisées.
En février 2011 , la proposition de loi pour l'instauration d'un bouclier rural déposée par Jean-Marc Ayrault, alors président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, proposait de subordonner à une autorisation des ARS l'installation dans les zones surdenses déterminées par les SROS.
Dans le cadre de la campagne des dernières élections présidentielles, le parti socialiste a proposé dans son programme officiel une régulation de l'installation des médecins , en demandant notamment aux jeunes médecins d'exercer dans une zone de santé prioritaire pendant les premières années à la sortie des études (engagement n° 22 des « Trente engagements pour le changement »). Le candidat François Hollande n'a pas repris cette proposition à son compte et s'est déclaré opposé à toute mesure de contrainte, mais il a néanmoins proposé de limiter les installations en secteur 2 dans les zones surdotées. Si le président de la République sortant, Nicolas Sarkozy, s'était prononcé contre toute mesure allant à l'encontre de la liberté d'installation, il s'était déclaré en 2008 favorable à l'extension aux médecins du système de régulation mis en place pour les infirmiers.
En mai 2012 , Le président du conseil national de l'Ordre des médecins avait suggéré une régulation des conditions de premier exercice pendant une période de cinq années, en partenariat avec les ARS.
Lors de son audition par le groupe de travail, le représentant de l'association des maires ruraux de France s'est prononcé en faveur d'une obligation d'installation de quelques années en zone sous médicalisée, après évaluation des dispositifs incitatifs existants. De même, la fédération des villes moyennes prône des conventionnements différenciés en fonction de la densité médicale des différents territoires. Un grand nombre d'acteurs du secteur de la santé ont jugé nécessaire la mise en place de mesures de régulation, si ce n'est de coercition.
En octobre 2012, la proposition de loi déposée par le député Philippe Vigier proposait d'instaurer un dispositif d'autorisation d'installation pour l'exercice de la profession de médecin s'inspirant du système de régulation applicable aux officines de pharmacie. Elle a été rejetée par l'Assemblée nationale, les députés socialistes étant désormais hostiles à toute contrainte relative à l'installation des médecins.
Les esprits semblent donc mûrs aujourd'hui pour franchir un pas dans la régulation.
1. Étendre aux médecins le conventionnement sélectif en fonction des zones d'installation
Dans le chapitre de son rapport annuel 2011 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale consacré à la répartition territoriale des médecins libéraux, la Cour des Comptes rappelle que l'article 33 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 avait prévu d'inclure dans le champ des négociations conventionnelles l'adaptation des règles de conventionnement des médecins en fonction des besoins de santé sur le territoire, mais que cette disposition avait été en définitive disjointe, à la suite d'une importante grève des internes à l'automne 2007.
La Cour rappelle également que l'article 43 de la loi HPST avait prévu un mécanisme de solidarité, le contrat santé solidarité, faisant participer les médecins installés en zones sur denses à l'exercice en zones sous denses. Dans le cas où les médecins refusaient de signer un tel contrat ou s'ils ne respectaient pas les termes de leur engagement, ils devaient s'acquitter d'une contribution forfaitaire annuelle, au plus égale au plafond mensuel de la sécurité sociale, soit en peu moins de 3 000 euros. Ce dispositif ne devait s'appliquer que trois ans après l'entrée en vigueur de la prochaine génération de SROS, soit au mieux en 2014. Cependant, compte tenu de la très forte opposition des médecins à cette mesure, la ministre de la santé a indiqué dès le mois de juin 2010 qu'elle mettait volontairement « entre parenthèse » cette disposition. De fait, la loi « Fourcade » du 10 août 2011 modifiant la loi HPST a supprimé la sanction et renvoyé à la négociation entre l'assurance maladie et les syndicats représentatifs de médecins la définition des termes d'un contrat type.
La Cour des Compte estime que cette absence de régulation persistante contraste avec la mise en place d'un dispositif visant à corriger les inégalités de répartition encore plus marquées que connaissent depuis 2008 les infirmiers libéraux.
Les représentants des infirmiers qui sont venus témoigner devant le groupe de travail, tout comme ceux des masseurs-kinésithérapeutes, se sont déclarés satisfaits du dispositif de régulation par le conventionnement sélectif qui leur est désormais appliqué, et qui a prouvé en quelques années son efficacité pour réduire les écarts de densité. Ils ont souligné que la définition des zones sur denses, à laquelle ils ont été associés par les ARS, devait être parfaitement fiable pour ne pas prêter à contestation. Ils ont observé que les surdensités entraînaient une baisse du niveau des actes pratiqués et pouvaient générer une dérive financière pour l'assurance maladie. Selon eux, non seulement le conventionnement sélectif s'impose comme une évidence au regard de l'intérêt général, mais il permet en outre une saine régulation de la concurrence à l'intérieur de la profession. En fait, les professionnels de santé aujourd'hui régulés ne comprennent pas pourquoi les médecins ne le sont toujours pas. De nombreux médecins rencontrés par votre rapporteur admettent d'ailleurs cette nécessité.
Votre rapporteur s'est rendu à Berlin, en compagnie du président du groupe de travail, pour y étudier le fonctionnement et le bilan du dispositif allemand de régulation de l'installation des médecins, dont les principes sont présentés en annexe du présent rapport.
Depuis la loi du 21 décembre 1992 sur la structure du système de santé, le territoire de l'Allemagne se trouve découpé en 395 circonscriptions médicales, dans lesquelles des quotas par catégories de médecins sont calculés par des commissions paritaires régionales. Lorsque le nombre de médecins d'une spécialité dépasse 110 % du quota d'une circonscription, il n'est plus possible d'y être conventionné par l'assurance maladie, hormis les cas de reprise d'un cabinet médical existant ou de prise en compte, sous le contrôle de la commission paritaire régionale, de disparités géographiques à l'intérieur d'une circonscription globalement bien pourvue.
En pratique, l'application de la loi de 1992 apparaît comme un processus complexe et déconcentré, qui implique les associations de médecins conventionnés, l'assurance maladie et les associations de patients. Cette gestion partagée explique que le système soit aujourd'hui généralement bien accepté par les médecins eux-mêmes.
Toutefois, de l'avis unanime de nos interlocuteurs, si le conventionnement sélectif permet de dissuader l'installation dans les zones sur dotées, il ne garantit pas pour autant que les médecins iront s'installer dans les zones sous dotées. L'Allemagne a donc récemment mis en place un ensemble de mesures incitatives : suppléments de rémunération, aides financières conditionnées aux étudiants en médecine, flexibilisation des permanences du week-end, possibilité de dissocier le lieu de résidence du lieu d'exercice du médecin.
Votre rapporteur propose donc d'étendre aux médecins le principe du conventionnement sélectif en fonction des zones d'installation qui s'applique déjà aux principales autres professions de santé. Ainsi, il ne leur serait plus possible d'être conventionnés dans les zones sur dotées définies par les ARS, sauf cas de reprise d'activité, tandis que des dispositifs incitatifs continueraient de leur être proposés dans les zones sous dotées.