3. Entreprises et décideurs : comment valoriser le potentiel de la région ?
M. Laurent Desmales, Directeur, COLAS Nouvelle-Calédonie
La région Pacifique se caractérise par des pays-archipels isolés et largement méconnus dont tant la population que le PIB ne dépassent souvent pas ceux d'une préfecture de province. Mais elle est aussi très vaste : les millions de kilomètres carrés que totalisent les zones économiques exclusives (ZEE) et leurs milliers d'îles placent cette région à égalité des plus grands pays comme les États-Unis ou la Chine. Cela en fait un formidable potentiel de pêche et certainement le premier bassin thonier du monde. Mais c'est aussi un capital fragile difficile à contrôler et à préserver et sensible aux bouleversements climatiques.
Différents par leur histoire, leur culture et leurs ressources, ces pays rencontrent les mêmes défis, à savoir la stagnation économique face à une population croissante : 50 % ont moins de 24 ans. Le chômage des jeunes y est souvent endémique alors que le système traditionnel de soutien familial s'effondre. Avec, en plus, les catastrophes naturelles qui freinent considérablement la croissance : cyclones, éruptions volcaniques, tsunamis, etc. Pointillé entre l'Asie et l'Amérique, elle se situe néanmoins entre les deux principaux blocs économiques de demain et au coeur d'enjeux géopolitiques.
Hormis les pays profitant de ressources naturelles minières ou hydrocarbonées à l'instar de la Papouasie Nouvelle-Guinée ou de la Nouvelle-Calédonie, ces micros-États vivent essentiellement de l'autoconsommation agricole et de la pêche de subsistance. Chaque pays est contraint d'importer biens et énergie grâce aux devises provenant de quelques touristes et de l'exploitation de leurs rares ressources naturelles par des multinationales. Leur industrie se limite essentiellement aux rares usines de première transformation de leurs ressources naturelles. Dans le grand marché mondialisé elle trouve ses limites dans une dépendance énergétique très coûteuse, la taille critique de ses marchés locaux, les distances, la faiblesse de ses infrastructures, des réseaux de communication embryonnaires, la pénurie de main d'oeuvre qualifiée, un investissement insuffisant...
Mais c'est aussi ses particularismes géographiques, culturels, maritimes, écologiques et climatologiques qui participent à donner à cette région un réel potentiel de développement et de valorisation.
En tant que ressource principale, ancrée historiquement et culturellement, la pêche est peut être le premier secteur à fort potentiel. Le développement de cette activité nécessite tout d'abord des États forts, à même de contrôler et préserver leurs espaces maritimes et d'assurer une juste rétribution des droits de pêche concédés aux entreprises étrangères. D'autre part, il s'agit surtout de mettre en place une véritable industrie locale de la pêche à travers le développement et la modernisation des PME de pêche ou de transformation. Celle-ci passe inévitablement par l'amélioration des normes sanitaires et environnementales afin qu'une fois les besoins locaux assurés ils puissent avoir accès au marché mondial. L'exceptionnelle diversité des sites et des espèces permet d'envisager, sous réserve de soutien scientifique, technique, financier et commercial, le développement de productions de niches à forte valeur ajoutée.
La production agricole et sylvicole constitue le deuxième secteur à potentiel de développement pour de l'export sur des marché de niches à forte valeur ajoutée. Il nécessite néanmoins un soutien pour l'identification des espèces et techniques commercialisables ou pour améliorer les cultures sur le peu de terres arables disponibles, pour préserver les sites par le reboisement des forêts, pour assurer une gestion efficace et durable des ressources en eau, pour tirer parti de l'absence de virus permettant une agriculture économique et écologique de produits certifiés bio sans engrais ni antibiotiques, comme c'est le cas par exemple au Vanuatu. Sous réserve de l'amélioration des normes sanitaires et du développement d'installations de conditionnement, ce secteur pourrait déjà assurer l'autosuffisance locale qui fait souvent défaut mais aussi trouver des relais de promotion pour atteindre le marché mondial.
Le tourisme est assurément un secteur sous exploité eu égard à la richesse en sites naturels exceptionnels et préservés tant terrestres que sous-marins, à la forte biodiversité souvent endémique que recherche l'écotourisme, à l'authenticité de peuples encore proches de la nature pour le tourisme culturel. Son développement passe par celui des croisières et, dans une moindre mesure, de la navigation de plaisance, en particulier de luxe, qui sont à même de tirer avantage de ce chapelet d'îles. Cela nécessite une approche et une stratégie communes et régionales afin d'assurer une cohérence dans la construction des infrastructures maritimes indispensables. Le développement du tourisme passe aussi par un soutien à la formation de personnel et à la création de PME afin d'assurer le service et les retombées économiques locales propres à ce secteur. Afin de toucher une clientèle mondialisée tant dans ses attentes que sa provenance, il convient que des partenariats se mettent en place entre les relais locaux et des groupes et institutions internationalisés qui seront à même d'assurer les standards requis et également de promouvoir et commercialiser chaque offre auprès de la plus large clientèle, qu'elle soit de niche ou de masse.
On voit à travers l'exemple de ces principaux secteurs à même de créer une industrie exportatrice, et par la même, d'entraîner le développement, essentiellement au niveau local, de tous les autres pans économiques, que les verrous et leviers à libérer sont les mêmes, à savoir :
- assurer un État fort et de droit avec la stabilité nécessaire aux investissements, accompagner une politique macroéconomique cohérente caractérisée par une forte discipline étatique, notamment en matière de taux de change ;
- développer la formation et les échanges ainsi qu'une politique de transfert de compétences pour valoriser les potentiels individuels qui pourraient s'appuyer sur la création de centres technologiques locaux. Plus généralement, soutenir l'innovation, la mise en place de filières d'excellence ciblées ainsi que des règlementations et certifications associées, accompagner par des parrainages ou partenariats la mise en place de chambres d'agriculture, de commerce ou autre syndicats d'initiatives locaux ;
- développer les compétences, moyens et structures pour la mise en place d'un secteur financier et d'acteurs de capital-risque dynamiques et tournés vers les PME qui, en soutenant l'entreprenariat et le développement économique, préviendront collatéralement l'émigration économique des diplômés et accompagneront le retour des jeunes formés à l'étranger ;
- favoriser la coopération bancaire pour donner accès à des fonds et capacités d'investissement : condition essentielle pour assurer un développement réellement durable, pour préserver la confiance des agents économiques et attirer les investissements étrangers ;
- encourager une stratégie de compétitivité axée sur la transformation de la production locale. Face à la concurrence mais aussi l'opportunité que représente le marché asiatique en particulier, identifier de nouvelles filières avec la technologie comme pierre angulaire de toute politique ou stratégie économique. Rechercher l'équilibre entre la protection de la production locale rentable et l'exigence de concurrence et de compétitivité ;
- développer les infrastructures de l'information et en particulier l'internet haut débit, seul à même de désenclaver ces îles comme on le fait pour nos campagnes. C'est évidemment un support essentiel à l'échange de la connaissance mais aussi pour le développement d'un e-business ou également le déploiement des services de l'État ;
- Favoriser une vision d'accords, coopérations et synergies régionales sur les différents enjeux : environnementaux, gestion des flux migratoires, mutualisation des infrastructures de santé, coopération économique. Tendre vers la création d'une communauté régionale par un processus d'intégration et de polarisation régionale propre aux enjeux du monde mondialisé : coalition pour défendre les intérêts économiques et une identité culturelle plurielle, redéfinir les intérêts communs et concilier les différences. Elle doit s'inscrire dans une logique d'interculturalité, d'union de la diversité dans la pluralité de ses configurations possibles. Elle doit aboutir à la mise en place d'une politique transnationale à même de contrebalancer les influences et intérêts extérieurs.
Le développement durable du réel potentiel de cette région, qui se trouve à plus d'un titre à la croisée des chemins, passe avant tout par la préservation de ses richesses et de ses multiples identités. À ce titre, l'enjeu environnemental est central. La sauvegarde de la spécificité culturelle l'est tout autant. La lame de fond potentiellement violente qui accompagne inévitablement le développement économique mondialisé doit trouver son point d'équilibre avec l'essence profonde de ces cultures communautaires séculaires. Le risque est réel que la mutation culturelle qu'impose la mondialisation à ces structures communautaires ne se fasse aux dépens des repères structurants des nouvelles générations ainsi que des fondamentaux sociaux d'entraide. En cela, la responsabilité des décideurs comme des entrepreneurs se doit d'être engagée.