M. Guy Fabre, Directeur de l'Action régionale sud et Outre-mer, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
La dépendance énergétique dans ces territoires est beaucoup plus forte (87 % en Polynésie française, 89 % en Nouvelle Calédonie) contre 55 % en France hexagonale. La quasi-totalité de l'énergie consommée sur le territoire est importée sous forme d'hydrocarbures.
Les deux tiers de la consommation énergétique le sont dans le secteur des transports (42 % dans l'hexagone, plus de 50 % dans les DROM).
Les énergies renouvelables contribuent à près de 30 % (25 % Polynésie française et 27 % Nouvelle-Calédonie) de la production d'électricité.
Des écarts importants existent toutefois entre ces îles, allant du simple au double du point de vue de « l'impact carbone » des énergies consommées.
Le mix énergétique local est de toute façon très éloigné du mix énergétique hexagonal, avec un contenu carbone situé entre 510 gCO 2 /kWh et 1 000gCO 2 /kWh suivant les îles.
Même si les gouvernements de ces territoires n'y sont pas contraints, ils ont souvent repris les objectifs du Grenelle de l'environnement, témoignant d'une volonté d'inscrire ces efforts dans la durée. Il y a là un autre élément structurant à prendre en compte.
Les évolutions de la gouvernance en matière d'énergie et les transferts de compétences constituent un atout pour ces territoires : il est possible de lever l'impôt et de définir des réglementations propres à l'énergie ce qui fera la fiscalité et de la tarification des instruments potentiellement pertinents. Il y a là un monde presque « vierge » qui permet de construire une véritable politique en s'appuyant sur les enseignements de ce qui a été fait sur d'autres territoires. Pour ce faire, une stratégie est indispensable. Ces territoires s'en sont dotés, qu'il s'agisse du « plan Climat stratégique » en Polynésie ou du schéma « Air-Énergie-Climat » en Nouvelle Calédonie. Il appartient désormais aux responsables politiques de se baser sur ces orientations stratégiques pour mettre en place des plans d'actions, et l'ADEME est là aussi pour les y aider. Encore fallait-il tracer un cadre qui fixe un horizon, en permettant à chacun de définir son chemin dans cette perspective.
Les limites sont parfois techniques. En matière d'énergies renouvelables intermittentes, il existe une limite technique au raccordement, qui ne pourra excéder 30 %, d'où l'intérêt du développement d'énergies renouvelables dites « de base ». Il a également été question, au cours des précédentes tables rondes des possibilités plus limitées de défiscalisation. La suspension de la défiscalisation Girardin a entraîné l'arrêt immédiat d'installations photovoltaïques raccordées au réseau.
Le développement des énergies non renouvelables (ENR) est également limité par les tarifs de rachat peu attractifs, alors que la production d'électricité à partir d'énergie fossile est subventionnée par le Fonds de Régulation Pour les Hydrocarbures (FRPH). La tarification ainsi peut jouer un rôle sensible dans certaines filières énergétiques qui sont fragilisées ou en recherche de « marché » (il n'y a pas de CSPE sur ces territoires).
Il est vrai que l'État devra jouer son rôle de régulateur puisque la liberté de marché ne suffit pas à développer les énergies renouvelables, y compris dans les territoires où le prix de l'énergie consommée est trois fois plus élevé que dans l'Hexagone. Même dans ces conditions plus propices à la rentabilité de solutions alternatives, cela ne se développe pas.
Les limites de l'exercice du recours aux ENR justifient l'importance des programmes de maîtrise de la demande en énergie qui seront essentielles pour tendre vers les objectifs du Grenelle, repris dans ces territoires. Les moyens et processus sont multiples :
• Réglementation : l'implication dans les
compétences transférées en matière d'énergie
est une opportunité qu'ont les territoires de fixer un cadre
adapté, qui permettra de rénover le parc bâti et
d'optimiser les usages de l'énergie.
• Établissement de
référentiels : un certain nombre de
référentiels peut être mis à disposition du
marché et apporte un gage de performance dans les usages de
l'énergie. On peut s'inspirer des pratiques dans les DOM (Batipeï
à La Réunion, Ecodom+ en Guyane, Ecoquartier caribéen
en Martinique...) ;
• Modification des comportements : les campagnes
de communication peuvent participer à l'évolution des
comportements. Le travail sur la précarité et l'habitat indigne
semble adapté au contexte socioéconomique de nombre de ces
territoires : faible PIB, chômage... ;
• Relais : le développement des espaces
info énergie (EIE) est nécessaire pour apporter un service neutre
et en proximité. Il faudra viser une évolution vers des
« services complets de la maîtrise de
l'énergie » (associant le conseil, le financement et la
compétence de ses professionnels).
Sur cette problématique de maîtrise de la demande en énergie, l'ADEME se positionne de façon privilégiée (expertise et moyens financiers) en cohérence avec les plans et schémas en élaboration. L'information et le conseil via les EIE y représentent un élément essentiel. L'ADEME s'attache, chaque fois que cela est possible à transposer ses référentiels, ses guides, ses outils « métro ou DOM » ou développe parfois des supports spécifiques.
Les problématiques de l'énergie doivent être traitées au plus près des lieux où les décisions sont prises et où le jeu d'acteurs se déroule. Les plans climat (Polynésie française) ou SRCAE (Nouvelle-Calédonie) définissent le cadre économique et énergétique, il reste à en déterminer les acteurs et la gouvernance.
Parmi les formes de réponse à envisager, le partenariat me semble essentiel, comme cela a été suggéré à propos des contrats-cadres de développement. Il existe un accord entre l'ADEME et les gouvernements ou les pays de ces territoires insulaires en vue de développer un programme partenarial d'actions. Il vise majoritairement à améliorer la connaissance que nous avons de ces ressources et de la consommation énergétique. Il faut identifier des voies permettant de modifier les comportements, travailler sur l'information et identifier les gisements d'économies d'énergie. Il s'agit enfin d'accompagner la réalisation des projets. Il existe dans ces territoires des compétences, parfois insuffisantes. Il faut parfois les accompagner, participer à leur amélioration pour assurer la capacité d'élaborer, d'étudier, de mettre en oeuvre et de suivre les projets dans ces dommaines, dont certains sont nouveaux. Les notions de formation, d'information et de communication, en vue d'une modification durable des comportements, sont essentielles pour que ces politiques s'inscrivent dans le temps.
Ces accords-cadres s'appuient sur trois ou quatre volets. L'action de l'ADEME et les divers financements mis en place, devront viser à atteindre les objectifs spécifiques suivants :
• participer à l'élaboration et
à la mise en oeuvre de programmes d'actions des
collectivités ;
• favoriser le développement des actions
visant à réduire et maîtriser la demande d'énergie
(dont l'électricité) et augmenter significativement la part des
ENR afin de réduire la vulnérabilité de ces territoires
vis-à-vis de leur approvisionnement en hydrocarbures ;
• accompagner l'expérimentation de
projets-pilotes adaptés au contexte insulaire, en particulier pour le
développement des énergies marines ;
• réunir les conditions financières
permettant de favoriser le développement de ces programmes, afin d'aider
à compenser leurs surcoûts du fait de l'exiguïté des
marchés, des coûts et délais de transport, des contraintes
locales (milieu tropical, insulaire, soumis à des aléas
climatiques forts), des surcoûts d'opérations et de
maintenance.
Les plans sont en place. Il faut maintenant définir des programmes d'action afin d'assurer la transition énergétique - terme qui prend tout son sens dans ces territoires. Il faut connaître les ressources et utiliser de façon parallèle la valorisation des potentiels locaux d'économies d'énergie et les potentiels locaux de production d'énergie endogène. Monsieur Pacaut jugeait surtout nécessaire des politiques d'adaptation. Des politiques d'atténuation peuvent aussi être recherchées, étant entendu que si l'adaptation apporte un confort de vie dans ces territoires, le travail d'atténuation développé en démonstration entrera, demain, en pertinence sur notre continent.
Les deux tiers de la consommation énergétique résultent du transport. Outre le cabotage déjà évoqué, il existe des solutions intelligentes de partage qu'il faut réintroduire, d'autant plus qu'elles peuvent présenter un intérêt du point de vue social. Il existe des réponses techniques et organisationnelles en matière de mobilité. Ce gisement est très important.
Enfin, les investissements d'avenir (dans lesquels l'ADEME est impliquée au titre du Comité général d'investissement, en particulier dans les énergies renouvelables) auront un rôle à jouer. Il s'agit d'un moyen, pour nous, d'accompagner des plates-formes ayant vocation d'exemplarité dans ces territoires afin de montrer que nous contribuons au développement économique régional et au rayonnement économique de la France. Elles fournissent aussi un terrain de démonstration utile pour l'hexagone car nous aurons besoin à l'avenir de solutions comparables.