M. Jacques Moineville, Directeur délégué de l'Agence Française de Développement (AFD)
En préalable, permettez-moi de dire que, de notre point de vue, le travail qui vient d'être présenté par M. Claude-Valentin Marie est absolument fondamental et nous l'abordons comme un signal très fort envoyé à l'ensemble des responsables politiques, économiques et sociaux qui oeuvrent pour l'outre-mer. Il est assez novateur d'avoir une image aussi précise de la démographie et des perspectives démographiques. Les constats qui sont faits changent la vision que peut-être, encore, dans beaucoup de sphères, on avait de la situation dans les outre-mer.
J'entends encore des discours de responsables politiques décrire un avenir avec des taux de croissance de la population considérables et une très grande difficulté pour ces territoires, limités car ce sont surtout des îles, en termes d'accueil des populations. Cette vision doit être maintenant modulée, d'autant plus que les prévisions démographiques ont un niveau de fiabilité plus grand que les prévisions économiques. Quand vous interrogez un économiste sur ce qui va se passer dans deux ou trois ans, il y a une forte marge d'incertitude sur sa réponse. Quand vous interrogez un démographe sur ce qui va se passer dans trente ans, vous êtes à peu près sûr qu'il a raison, à l'incertitude près de la composante migratoire. Ses prévisions sont beaucoup plus solides. Les chiffres qui nous ont été présentés doivent donc être pris en compte avec sérieux par l'ensemble des responsables chargés de prendre des décisions pour chacun des territoires concernés.
Je retiendrai pour ma part deux messages. Le premier, c'est la diversité des trajectoires de chaque territoire, aussi bien chacun des DOM que la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Mayotte... Les situations à traiter sont évidemment différentes selon que l'on trouve une population vieillissante ou rajeunissante. Le second, c'est la rapidité des évolutions à venir.
Qu'est-ce que cela implique en matière de politiques publiques ? Je vais prendre deux exemples : les infrastructures publiques et l'économie.
Concernant les infrastructures publiques, il est évident que l'on peut anticiper les équipements à construire pour accueillir les populations vieillissantes et les personnes âgées. Cela est également le cas pour les structures d'accueil des jeunes comme les écoles. Concrètement, l'AFD aide les différents acteurs locaux, en particulier les collectivités locales, à financer leurs investissements. Nous intervenons aussi en appui budgétaire et nous portons par exemple 30 % de la dette des collectivités locales. Nous agissons en outre en amont, ce qui est parfois plus ambitieux et plus difficile, en apportant des éléments d'aide à la décision publique. Cela se traduit notamment par le financement d'études.
Nous avons récemment signé un partenariat avec l'UNCCAS qui prévoit entre autres la mise en place d'un outil d'observation sociale pour les territoires ultra-marins, destiné à analyser les besoins sociaux à venir. Cela permettra de réaliser une programmation des investissements et d'avoir une visibilité en termes de besoins de financements. De la même manière, avec le Conseil général de Guadeloupe, nous finançons une étude prospective concernant la prise en charge des personnes âgées et son impact sur le budget de la collectivité.
Concernant l'économie, les études présentées ce matin montrent que c'est bien ce volet de l'IDH où le rattrapage est le plus nécessaire. Nous avons deux cas de figure très différents. D'un côté, nous avons La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe où la population vieillit. De l'autre, nous avons la Guyane où elle rajeunit. L'histoire économique nous enseigne que, généralement, lorsque la population rajeunit, on a un cercle vertueux qui s'opère. On peut prendre l'exemple des Trente glorieuses et du baby-boom, de la Chine, de l'Inde ou encore de certains pays africains. Il y a une corrélation étroite entre l'évolution de la démographie, la croissance et in fine l'amélioration du niveau de vie. Dans un cas comme la Guyane, on peut dire qu'avec ses caractéristiques démographiques et malgré toutes les fragilités qui ont été mentionnées, il existe une réelle chance de développement économique. À notre niveau, nous observons davantage qu'un frémissement économique. Et les acteurs économiques antillais que nous interrogeons voient souvent la Guyane comme une terre d'espoir et d'activité économique. C'est un nouveau marché qui s'ouvre à eux.
Les analyses sont plus difficiles à réaliser dans les pays où la population vieillit car l'histoire économique nous fournit peu d'exemples. Ce qui est probable, c'est que le vieillissement va induire des évolutions au niveau de la structure de la consommation et que les entreprises vont devoir s'adapter. Par ailleurs, le marché du travail va profondément changer. On pourrait imaginer que la sortie du marché du travail d'une part importante de la population va libérer des emplois et que cela va être favorable à une réduction du taux de chômage. On peut également imaginer que le vieillissement de la population va créer de nouveaux types d'emplois d'assistance et d'appui. Ce sont des pistes de réflexion probables mais rien n'est prouvé. J'ajoute que l'on peut aussi imaginer que cette situation entraîne une baisse des capacités d'innovation, ce qui accélèrerait les départs des jeunes les mieux formés. Enfin, il y a la question des régimes sociaux, mais ce sujet mériterait d'être abordé dans une perspective plus globale, y compris sur l'ensemble de la métropole.
En conclusion, sur l'aspect économique, la disponibilité de l'AFD est totale. Nous avons une panoplie d'outils qui permet de financer l'économie. Mais j'insiste sur l'intérêt que nous avons tous à mener des analyses comparatives sur chacun des territoires pour identifier les vecteurs de croissance économique qui peuvent être proposés en tenant compte de la spécificité de chacun. Ce sera d'ailleurs le thème d'une conférence que nous organiserons en 2013.
M. François-Xavier Guillerm, animateur des débats
Merci M. Jacques Moineville.
Nous avons pu observer tout à l'heure la pyramide des âges des Antilles et je me tourne à présent vers Mme Ketty Bernos, sous-directrice de l'autonomie au Conseil général de la Guadeloupe. Comment la Guadeloupe se prépare-t-elle à cette échéance ?